Usages rituels des papyrus gréco-égyptiens Bricolage et marginalité
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses
2019 – 3, 99e année, n° 3. varia - Auteur : Crippa (Sabina)
- Pages : 335 à 348
- Revue : Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses
Usages rituels des papyrus
gréco-égyptiens
Bricolage et marginalité1
Sabina Crippa
Université Ca’ Foscari – Venise
Au cours des dernières années, les notions de croisement des cultures, d’exclusion et de marginalisation de différentes traditions ont offert les sujets de recherche parmi les plus intéressants et les plus nécessaires pour l’histoire de religions comme pour l’histoire du monde ancien.
L’une des caractéristiques majeures de la Méditerranée ancienne réside dans la continuité et la contiguïté autant historiques que géographiques entre des cultures diverses. Elles s’expriment, d’une part, en termes de transmissions, de conflits et d’assimilations ; d’autre part, à travers une remarquable diffusion d’éléments à la fois locaux et marqués par des traits issus d’autres cultures.
Les catégories traduisant ces phénomènes sont aussi nombreuses que variées. En effet, chaque aire culturelle a créé des concepts différents. Dans la terminologie coloniale espagnole, par exemple, on a recours au terme « créolisation2 » ; dans le monde anglo-saxon, ces catégories relèvent plutôt de la botanique : « hybridation » ou « métissage ». Tous ces termes ont fait et continuent de faire l’objet de débats complexes3. Patrick Le Roux4, par exemple, réfute l’usage 336du terme « créolisation » – d’origine linguistique – dans la mesure où il renvoie aux pidgin et introduit l’idée d’une culture « bâtarde ». Le Roux privilégie la catégorie de « métissage » telle que définie par Serge Gruzinski, selon qui « le mot ne recouvre pas la même notion que la “créolisation”, mais il oriente à son tour vers les interpénétrations et formes de transferts culturels5 ».
En ce qui concerne l’histoire des religions, trois catégories sont généralement utilisées : contamination, syncrétisme et interpretatio.
Si le terme « contamination6 » a pu être utilisé dans plusieurs domaines d’une façon neutre, pour désigner d’abord le contact entre différentes cultures, en histoire des religions il a pris une valeur explicitement négative, voire méprisante7. Syncrétisme et interpretatio sont donc les catégories privilégiées jusqu’à aujourd’hui, même si elles sont souvent réinterprétées et parfois critiquées en raison d’un usage devenu « universalisant ».
Le terme « syncrétisme8 » n’est utilisé correctement qu’à propos de l’époque hellénistique, car ensuite il est chargé de la connotation négative appliquée à toute réalité ou rencontre de traditions religieuses, sans prendre en compte aucune contextualisation historique alors que « en histoire des religions – on le sait – tout dépend du dynamisme historique9 ».
337De même, selon E. Murgia, la catégorie interpretatio relève « d’un processus linguistique utilisé par les historiens grecs et latins afin de faire comprendre aux lecteurs le système religieux de peuples inconnus mais avec lesquels ils entraient en contact10 ».
Comme le suggèrent ces rapides réflexions sur les approches historico-religieuses du contact entre les cultures, des catégories telles que « traductions », « translations » ou « interactions » se révèlent fondamentales. Cela est dû aussi au fait qu’au cours des dernières années une nouvelle approche historique est apparue, qui prend en compte la multiplicité, la complexité ou la médiation plutôt comme des instruments d’analyse que comme des difficultés pour la compréhension des cultures anciennes.
En analysant les composantes culturelles complexes de la Méditerranée ancienne comme des « produits historiques » toujours en contact, pris dans un processus dynamique de cultures reliées entre elles, il devient possible d’analyser la mosaïque des mélanges historiques, culturels et idéologiques qui constitue le trait distinctif des « sacra » de l’Antiquité.
Ces questions s’avèrent d’une importance primordiale, d’un double point de vue historique et historiographique, dans le cas du corpus des Papyri Graecae Magicae (PGM), ces summae encyclopédiques des savoirs rituels et non rituels de l’Antiquité tardive. Les codifications rituelles offrent en effet, comme on le sait, l’un de marqueurs le plus « parlant » et donc le plus significatif lorsque l’on s’efforce de reconstruire les développements et les modalités variées des contacts entre différentes cultures.
Évoquons d’abord brièvement le corpus et son histoire.
Ces papyrus ont été rarement considérés comme des objets d’étude scientifique et le plus souvent catalogués comme de simples curiosités parmi d’autres. À titre d’exemple, A. Dieterich qui, le premier, s’est penché sur ces documents, les considérait comme des vestiges d’un aspect primitif de la religion grecque, ou comme un mélange « d’éléments primitifs et barbares11 ». Premier éditeur de ce corpus, K. Preisendanz ne voyait dans ces textes qu’une sorte de « syncrétisme » privant chaque dieu de sa qualité distinctive, 338un « pandemonium » de mots appartenant à toutes les langues et mêlés de façon indifférenciée12.
Bien que l’on observe au cours du xxe siècle un regain d’intérêt pour ces papyrus gréco-égyptiens, ces sources sont néanmoins généralement analysées moins comme des objets scientifiques et historiques que comme un bricolage d’éléments rituels disparates ; on y voit parfois un mélange de traits inconnus de divinités de différents pays. Ces documents deviennent un objet de possibles recherches pour une anthropologie des traces « religieuses » ou « magiques » à une époque de renversement des traditions reçues.
Comment procéder alors à l’étude scientifique de sources trop facilement exclues ou marginalisées, car présentées comme des bricolages confus, résultant de conflits ainsi que d’influences très variées, et qui semblent impossibles à déchiffrer ? Il paraît pourtant intéressant de souligner la présence de composantes du corpus constituant le thesaurus des pratiques rituelles et de la pharmacopée d’époque impériale, exemple, parmi d’autres, d’une littérature aussi vaste que documentée, à la fois scientifique et religieuse selon nos catégories contemporaines.
Ces textes demandent donc avant tout une nouvelle évaluation. D’une part, leur classification doit être repensée à partir de l’ensemble des pratiques intellectuelles implicites qu’ils convoquent ; d’autre part, il est nécessaire de les réévaluer en les confrontant à d’autres recueils dont l’objectif rituel apparaît, à bien des égards, différent.
Grâce à leur composition complexe et variée, ces sources témoignent d’une ample diffusion de différentes pratiques, mettant en lumière un moment de réorganisation et de codification d’une tradition composite et savante.
Courtes pièces consacrées à la préparation d’une amulette ou grands papyrus recoupant plusieurs rites différents, ces sources transmettent des instructions très variées. Parmi elles, plusieurs recettes médicales, souvent gynécologiques, mais aussi des recettes pour la préparation des poisons et de leurs antidotes, ou encore des méthodes pour purifier l’or13. La plupart ont des buts thérapeutiques et nous font connaître des noms de maladie, de plantes ou d’instruments chirurgicaux14. L’élément distinctif de toutes ces 339sources demeure l’exposé des rites d’initiation pour devenir opérateur rituel. Médecine, science astrologique, phytothérapie et autres domaines : l’articulation entre ces différents savoirs suggère que cet ensemble de textes constitue une sorte d’encyclopédie réunissant des ouvrages de pharmacopée, d’alchimie, d’astrologie, etc.
Ainsi qu’il arrive pour les textes médico-thérapeutiques égyptiens15, les recettes des PGM mettent en évidence la coprésence de trois éléments indispensables, mais censés n’apparaître que selon le but rituel poursuivi. En effet, indépendamment de leur composition et de leur finalité, toutes les recettes sont caractérisées par un logos, une praxis et, souvent, un matériau. Cette coprésence de logos et praxis16 peut être considérée comme étant partie intégrante de la stratégie de communication complexe que l’opérateur rituel instaure avec les divinités. Afin d’établir la « communio loquendis cum diis17 », on recourt à divers codes – linguistique, gestuel18 – et plus particulièrement à toute une panoplie de ressources phoniques et graphiques. Contrairement à la description faite par A. Bonnard19, par exemple, pour qui la brutalité bestiale du vocabulaire violent de l’opérateur rituel s’oppose à la parole de l’orateur, dans les PGM, l’opérateur rituel des recettes maîtrise toute la panoplie des genres : persuasion, remerciements, échanges etc., exprimés par la prière, la louange ou le sacrifice.
Les travaux de J. Dieleman20 et R. Gordon21 ont récemment mis en évidence combien cette diversité des structures textuelles, des langages et des contenus réclame une approche interdisciplinaire permettant de restituer la complexité de traditions diverses qui sont au fondement de ces écrits22.
340Une telle perspective interdisciplinaire, historique et historico-anthropologique, permet de mettre en évidence des éléments – naguère jugés inconséquents et grotesques23 –, qui soulignent le mélange parfois unique de traits de traditions, les uns toujours en conflit dans l’histoire, les autres rapprochés en fonction des contextes historiques et culturels. Ce souci de la spécificité du contexte historique conduit à une étude non idéologique de textes appartenant à domaines intellectuels parfois difficiles d’interprétation – alchimie, magie, pharmacopée – en raison de la variété et la complexité des contenus aussi bien que de la forme textuelle.
Un premier cas concerne la relation texte/image. C’est un exemple d’interprétation de la finalité de quelques rituels selon une lecture erronée à notre avis, parce que ces rituels n’y sont analysés que sur la base de leur non-homogénéité de forme ainsi que de contenu.
L’exemple le mieux connu est celui des images de divinités où sont gravées des suites de lettres grecques, images parmi les plus intéressantes en raison de la rencontre explicite entre les cultures grecque et égyptienne24.
Au lieu de chercher à établir la correspondance corps/texte, et bien que l’on ne puisse exclure la valeur informative de cette écriture/image dans la réalisation du rite, ces images nous orientent plutôt vers la conception égyptienne du « territoire anatomique25 ».
Selon cette tradition, les dieux disposent en effet d’un lieu, d’un territoire sacré anatomique, et les organes correspondent à une divinité : les dieux sont in corpore. Par exemple, si Chou est dans le poumon du Démiurge, Hou et Sia sont in corpore. Il faut souligner qu’il n’est pas question d’une simple traduction – le dieu étant égal à un organe –, mais qu’il s’agit de divinités capables d’une action physiologique manifeste, s’exerçant dans un territoire anatomique déterminé.
La relation qui s’établit entre les dieux et les parties du corps est de l’ordre de l’identification. Par ce rapport d’identification, chaque divinité prend sa place dans le lieu anatomique qui lui est 341assigné, lequel est représenté en image26. Par exemple, Héka27, la « magie », réside dans les entrailles, et elle constitue la nourriture même des dieux. Le contexte est anthropophagique, exprimant une façon directe d’incorporer la force de la divinité Héka.
On voit ici se croiser deux traditions toujours en contact dans l’Antiquité sous les divers aspects du conflit, du bricolage, de la fusion etc. : la catégorie de la magie –Héka en Égypte – et l’idée, propre à la culture grecque, du corps en tant que métaphore du texte, où il est possible d’écrire ; ces éléments de traditions requièrent une nouvelle perspective afin de comprendre les instructions de la pratique rituelle.
Le deuxième exemple est constitué par la diversité linguistique et culturelle, notamment par la présence de tous les noms de divinités, polythéistes comme monothéistes, dans un même rituel.
À l’opposé de ce qui se passe dans les textes littéraires, le scribe des Papyrus Grecs Magiques non seulement pratique un éventail sonore qui va du cri au silence, mais connaît en outre toutes les langues et tous les dialectes.
Il peut s’agir de toutes sortes de langues réelles, historiques ou même inventées, ainsi que le montre cet exemple de salutation au dieu faite en toutes les langues :
Je t’invoque, toi qui contiens tout, je t’appelle dans toutes les langues et dans tous les dialectes comme t’a chanté, le premier, celui à qui tu as remis et confié tous les pouvoirs absolus, Hélios Achébukrôm (ce qui désigne le feu du disque et son rayonnement) à qui est la gloire : aaa êêê ôôô, parce qu’il a été glorifié par toi, qui as disposé les vents puis de la même manière les astres à la forme brillante, toi qui par la lumière divine crées le monde iii aaa ôôô, dans lequel tu as réparti toutes choses. Sabaôth, Arbathiaô Zagou rê28.
Ou encore cette évocation du soleil où entrent en jeu les langues utilisées par les dieux eux-mêmes lors de leur naissance :
Je t’invoque, Maître, comme le font les dieux qui par toi sont apparus, pour obtenir le pouvoir : Echébukrom du Soleil, à qui est la gloire, aaa, ééé, ôôô, iii, aaa, ôôô, Sabaôth, Arbathiaô, Zagou Rê, le dieu Arathu Adonaï.
342Je t’invoque, toi, Maître, dans la langue des oiseaux : Arai ; en langue hiéroglyphique : Lailam ; en hébreu : Hanoch Bathi arbath berbir echilatour bouphroumtrom ; en égyptien : aldabaéim ; en langue de babouin : Abrasax ; en langue de faucon : hi hi hi hi hi hi hi tip tip tip ; en langue hiératique : ménéphôiphoth ha ha ha ha ha ha ha29.
De même, lorsqu’il s’agit des noms sacrés des dieux, l’opérateur rituel n’hésite pas à invoquer le dieu dans différentes langues :
Je t’invoque comme les Égyptiens « Phnô eai Iabôk », comme les Juifs « Adonaïe Sabaôth », comme les Grecs « le roi de tout, qui règne seul », comme les grands prêtres « caché, invisible, veillant sur tous », comme les Parthes « Ouertô tout puissant ». Consacre pour moi et remplis de pouvoir cet objet, pour tout le temps glorieux de ma vie30.
Parfois, on précise qu’il faut utiliser une langue spécifique qui peut être par exemple l’hébreu : dans l’évocation du soleil, l’opérateur rituel commence par tous les noms sacrés, puis il déclare qu’il va conjurer seulement par la langue hébraïque31.
Fréquemment, le contexte rituel réclame explicitement que l’opérateur rituel reproduise les langues des animaux : cris d’oiseaux, des crocodiles ou même simple mugissement, par exemple lors de cette salutation au dieu :
Et fixe ton regard sur le dieu tout en mugissant longuement et salue-le ainsi : « Ô Maître, salut, seigneur de l’eau, salut, ô fondateur de la Terre, salut, prince du souffle, toi qui resplendis de lumière, propropheggê, émethiri artentépi ! thêth ! miméô génarô phyrchechô psêri dariô ! Phrê Phrêlba ! Révèle, Maître, ce qu’il en est de l’affaire d’Untel. Ô Maître, recréé je m’éloigne, grandissant et grandi je meurs, né l’une naissance qui engendre la vie, dissous vers ma disparition j’avance, comme tu as institué, édicté, et fondé le mystère : Je suis phéroura miouri32.
Parmi les différentes langues que le scribe doit savoir maîtriser, figurent aussi les langues inventées ou artificielles33.
343Il s’agit avant tout de longues séquences de consonnes et de voyelles tirées de langues différentes, ou de séquences vocaliques très complexes dont le chant des sept lettres est l’exemple le plus connu ; mais il s’agit aussi d’autres séquences considérées comme « sans signification » dont on a parfois cherché l’origine dans une langue historique. L’usage simultané de langues historiques diverses et de langues inventées est un élément très important pour établir la réalité des rencontres, pouvant aller jusqu’à l’assimilation, entre des cultures différentes et souvent par ailleurs en conflit.
Un dernier exemple porte sur la coprésence de savoirs aux origines culturelles diversifiées : pharmacopée, alchimie et la prétendue « magie », savoirs que la modernité a presque toujours confinés aux marges ou bien confondus dans une même interprétation méprisante.
Pourtant, il est aisé de trouver des exemples de la rencontre de savoirs d’origine différente considérées comme « proto-scientifiques », dans les rituels. On peut songer à une série de prescriptions, utilisant connaissance de la nature et de la qualité des pierres, dressant la liste des minéraux à utiliser à des fins thérapeutiques. Il s’agit d’une collection de dix-huit pierres (gemmes) à poser comme des phylactères sur tout le corps. Presque toujours analysées à partir de la valeur mystique de l’image gravée sur la gemme, image entourée de « voix » tantôt divines tantôt animales, et qui attesterait la présence de la divinité sur la scène du rituel, les lapidaires astrologiques, comme plusieurs traités de médecine, devraient leur présence au sein des PGM à leur valeur thérapeutique34.
L’utilisation de ces gemmes par l’opérateur rituel relève en effet d’un savoir qui recoupe pharmacopée, médecine et minéralogie, savoir qui attribue une série constante de propriétés thérapeutiques à chaque pierre ; en l’occurrence la gemme constituant le support de l’image.
Le lien spécifique entre écriture et image est alors d’abord un moyen de transmission des divers savoirs (alchimiques, médicaux, etc.) apparaissant dans nos sources35. C’est là un autre exemple du rôle de l’association écriture/image dans la transmission des savoirs. Ajoutons que d’autres PGM présentent des instructions concernant le travail des métaux, la coloration des tissus, et le travail sur les pierres précieuses36.
344Naturellement, la liste de prescriptions que nous venons d’évoquer ne suffit pas à identifier ni à définir le corpus des PGM comme un recueil de textes scientifiques au sens strict. Néanmoins, nombreux sont les points communs, de rencontre et d’intersection tant avec des textes médicaux à visée instrumentale qu’avec des sources alchimiques. Par exemple, on peut repérer souvent une structure textuelle bien connue des textes alchimiques de l’Antiquité : un prologue théologico-cosmologique, puis la liste des ingrédients censés être thérapeutiques, enfin la forme textuelle des recettes comprenant des images37.
Ces exemples suggèrent une nouvelle lecture de textes rituels à une époque d’importants changements culturels notamment entre des traditions locales et une culture « internationale » propre de l’Empire romain.
Manuelspratiques pour la réalisation du rite, les Papyrus gréco-égyptiens invitent à réfléchir sur le problème de la transmission d’un savoir, mais aussi sur sa codification dans un contexte de contacts entre cultures. Si la présence de plusieurs savoirs peut être considérée comme un trait commun à d’autres grandes encyclopédies de l’époque, il est intéressant de remarquer que les recettes analysées – souvent brûlées, oubliées ou cachées – ont circulé pendant plusieurs siècles dans le Bassin méditerranéen, véhiculant des savoirs d’origines très variées. Cette transmission de savoirs, de langues et de cultures différentes est assurée par la diffusion internationale des connaissances des scribes. Ceux-ci élaborent de nouvelles procédures en introduisant des éléments d’origine grecque, romaine, égyptienne, etc. Les textes assument ainsi une nouvelle forme, compréhensible par le public mais également adaptée aux nouveaux opérateurs rituels38.
Il paraît raisonnable de considérer que les procédures de traductions, d’assemblages et de croisements des savoirs et des langages furent à l’origine même de ces textes, témoignant de la valeur reconnue par les Anciens à ces pratiques rituelles d’origines multiples.
345Partant des exemples présentés ici, on serait donc amené, semble-t-il, à considérer des catégories telles que « marginalité », « bricolage », « croisements de cultures » comme des clefs de lecture fondamentales pour l’étude de ces réalités composites, en particulier pour les pratiques rituelles du monde ancien, trop souvent étudiées selon des paramètres chronologiques ou géographiques.
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1 Ce travail a fait l’objet d’une communication à la journée d’étude organisée le 17 novembre 2017 à la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société de Lille, dans le cadre du projet EPIRE-CECILLE soutenu par le Conseil régional des Hauts-de-France.
2 Pour une définition ample et interdisciplinaire de ces catégories, voir Cardona,1988, s.v.
3 Le débat est toujours en cours et la bibliographie importante, dont un exemple bien connu est celui d’Amselle, 2001.
4 Le Roux, 2004.
5 Gruzinski, 1999 ; cf. Le Roux, 2004.
6 Cardona, 1988 ; Douglas, 1966.
7 En revanche, AlineRousselle utilise « contamination » dans le contexte rhétorique-religieux afin de montrer le croisement entre études rhétoriques et études anatomiques à propos de l’appareil phonatoire à Rome dans l’Antiquité ; études transmises par les grands évêques de la fin du ive siècle. Rousselle,1983.
8 Après les premières attestations (Plutarque, De amore fraterno 19), où le terme syncrétisme indique la modalité crétoise de réconciliation, dans les textes philosophiques plus tardifs (xve siècle), il renvoie à la conciliation entre doctrines différentes. Par la suite, il est introduit dans l’histoire des religions pour indiquer la décadence des systèmes religieux (Motte – Pirenne-Delforge, 1994, p. 11-27).
9 Xella, 2003, p. 223 sq. : « è noto come in storia delle religioni tutto sia soggetto al dinamismo storico ». Cf. aussi Xella, 2009. On trouve quelques exceptions : Franco Maltomini, par exemple, utilise le terme pour indiquer uniquement la co-présence d’éléments culturels et religieux durant l’Antiquité tardive (cf. Maltomini, 1979, p. 55) ; cf. Enciclopedia Treccani, s.v.Sincretismo : « Incontro fra culture diverse che genera mescolanze, interazioni e fusioni fra elementi culturali eterogenei. L’ambito in cui maggiormente è applicato tale concetto è quello religioso e la storia delle religioni con l’antropologia dei sistemi religiosi sono le discipline maggiormente attente a tali fenomeni culturali. Tutti i popoli hanno sperimentato forme di contatto e scambio culturale con altri popoli, cosicché rare sono le religioni che non abbiano accolto influssi da altre religioni e non si siano modificate in seguito a s. parziali. In realtà, non è esagerato dire che ogni grande religione storica è un prodotto sincretistico. »
10 Murgia, 2013, p. 74 : « è piuttosto il procedimento linguistico di cui si servivano storici, greci e latini, per far comprendere ai loro lettori il sistema religioso di popoli sconosciuti, con i quali entravano via via in contatto ».
11 Dieterich, 1891. De son côté U. von Wilamowitz classait les PGM parmi les superstitions fantasmagoriques et marginales.
12 Preisendanz, 1973-1974. Par la suite : PGM.
13 PGM XII, 11.
14 Voir De Haro Sanchez, 2004 ; Dieleman, 2005, p. 266-267 sur la présence à l’époque d’un jargon international de pharmacopée.
15 Voir Ritner, 1993, p. 35-41 ; Koenig, 1994, p. 82-85.
16 Pendant longtemps on a établi un rapprochement entre les rituels magiques des PGM et les cultes à mystères. Festugière, 1981, p. 284 cite le PGM IV, 2441-2707 comme exemple de structure très élaborée de praxis et de klesis. Plus loin (p. 307), le même auteur affirme que la dualité entre les paroles que l’on profère et l’action que l’on accomplit correspond à l’union des legomena et des dromena dans les mystères.
17 Apulée, Apologia XXVI, 6.
18 Par exemple, l’élévation des mains ou la flexion de genoux : PGM III, 622 ; PGM IV, 1345. Voir aussi le PGM I où l’on retrouve les deux gestes à la fois : I, 58 et 118.
19 Bernand, 1991, p. 74.
20 Dieleman, 2005.
21 Gordon, 2002, p. 69-112. Partant de la dénomination « gréco-égyptienne » de ces papyrus (cf. l’édition de Goodwin, 1852), Gordon s’interroge notamment sur la « mise en forme » spécifique de ces sources, à savoir les codes graphiques et culturels (hérités ou inventés) que les « praticiens » devaient apprendre.
22 Sur la coprésence de traditions différentes aussi dans le même papyrus, voir récemment une étude interdisciplinaire : Crippa – Ciampini, 2017.
23 Cf. Preisendanz,1935, p. 335-342 : « Ces papyrus nous apportent des textes dont la composition échappe à tout ordre systématique, et les croyances qui s’y manifestent paraissent inconséquentes et grotesques ».
24 Par exemple PGM XXXVI, 1-34, document consultable en ligne à l’url suivante : http://ub-prod01-imgs.uio.no/OPES/jpg/P.Oslo.inv1c01_2.jpg.
25 C’est grâce à l’étude de Bardinet, 1990, que l’on a pu identifier cette conception du territoire anatomique et la relation avec les différentes et nombreuses divinités.
26 Sur les apparitions de la divinité sous différentes formes, voir par exemple Borghouts, 1982, p. 1-70 ; Herbin, 1988.
27 Pour une auto-définition d’Héka comme étant la première émanation de la création et à la fois créatrice de l’Ennéade des dieux, voir De Buck, 1935, n. 26. Sur Héka, voir par exemple Te Velde, 1969-1970, p. 175-186. Cf. Ritner, 1993, p. 14-28 ; Koenig, 1994,p. 269-305.
28 PGM XIII, 441-452. Trad. Charvet – Ozanam, 1994, p. 108.
29 PGM XIII, 78-88. Trad. Charvet – Ozanam, 1994, p. 105-106. Les prières s’adressent à toute divinité, voir par exemple Philonenko, 1985. Les différents langages sont ici classés à l’égyptienne : voix des oiseaux, du babouin, du faucon et langues écrites (hiéroglyphe, hiératique, égyptien, hébreu). Cf. Tardieu, 1987-1988, p. 296-298.
30 PGM XII, 260-267. Trad. Charvet – Ozanam, 1994, p. 120.
31 Invocation en hébreu qui peut souvent être accompagnée de références explicites à des éléments hébraïsants, tels que le nom de Moïse (PGM XIII, 3-4 ; 21, 344 ; 971, 1059, 1078). Sur la présence des éléments magiques hébreux dans les PGM, voir notamment Alexander, 1986, p. 342-363 ; ainsi que Idel, 1997, et Crippa, « Aspects et rôles… »(sous presse).
32 PGM IV, 711-724. Trad. Charvet – Ozanam, 1994, p. 95.
33 Cf. PGM VII, 690 ; III, 624 ; I, 312 ; XII, 134, etc.
34 Lancellotti, 2001, p. 427-456.
35 Sur cet aspect spécifique, je me permets de renvoyer à Martín Hernández, 2012 et Crippa, « Drawing and Writing… » (sous presse), avec bibliographie.
36 À propos des papyrus de Leyde et de Stockholm, voir Caley –Jensen, 2008 ; pour un exemple d’analyse d’intaille magique, voir Philonenko, 1980.
37 Pour une réflexion interdisciplinaire voir C. Viano – A. Rigo,Alchimistes, Venise – Paris (sous presse).
38 Il est fort possible que plusieurs procédés de manipulation de textes relèvent de la nécessité d’établir un nouveau statut du « magicien » contre les connotations négatives de la littérature grecque qui étaient depuis toujours absentes dans la tradition égyptienne. Voir notamment Frankfurter, 2002. Cf. Gordon, 2002, p. 71.
- Thème CLIL : 4046 -- RELIGION -- Christianisme -- Théologie
- ISBN : 978-2-406-09683-2
- EAN : 9782406096832
- ISSN : 2269-479X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09683-2.p.0005
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/09/2019
- Périodicité : Trimestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Contacts entre cultures, Antiquité, PGM, transmission de savoirs, marginalisation, pratiques rituelles