![Revue d’histoire de la pensée économique. 2022 – 1, n° 13. varia - Mirabeau’s (and Quesnay’s) Response to the De l’esprit scandal and Quesnay’s Break with the Encyclopédie (Complements to ‘‘La vie de François Quesnay’’ by Jacqueline Hecht)](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/HpeMS13b.png)
Mirabeau’s (and Quesnay’s) Response to the De l’esprit scandal and Quesnay’s Break with the Encyclopédie (Complements to ‘‘La vie de François Quesnay’’ by Jacqueline Hecht)
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d’histoire de la pensée économique
2022 – 1, n° 13. varia - Author: Sabbagh (Gabriel)
- Pages: 23 to 55
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
LA RÉACTION DE MIRABEAU (ET QUESNAY)
au scandale de De l’esprit et la rupture de Quesnay avec l’Encyclopédie (compléments à « La vie de François Quesnay » de Jacqueline Hecht)
Gabriel Sabbagh
Université Paris Diderot
INTRODUCTION
Cet article est dédié à la mémoire de Jacqueline Hecht (1932-2020), que j’ai connue trop tard et admirée depuis toujours. D’autres diront bien mieux que je ne saurais le faire son énergie, l’impulsion qu’elle donna à la recherche en France à l’Institut national d’études démographiques et la diversité de ses intérêts. Pour ma part, j’ai passé des années à étudier les deux principales œuvres de ses débuts, entamées peu de temps après la découverte de la jeune étudiante qu’elle était par le grand Alfred Sauvy et son arrivée dans un univers presque exclusivement masculin, i.e. la bibliographie1 rédigée avec Claude Lévy et publiée en 1956, qui révéla au monde savant d’innombrables ouvrages économiques, et sa biographie de Quesnay, « La vie de François Quesnay » parue en 19582, republiée presque à l’identique en 20053 et traduite en japonais dès 19684 ; quelques mots à la seconde annexe de cet article, sur la principale lacune du second de ces écrits qu’elle était la première à déplorer, résumeront une conversation que j’eus avec elle.
24La découverte du texte intégral5 de la seule lettre connue écrite par Mirabeau à Helvétius, datée du 11 août 1758, envoyée au milieu du scandale provoqué par la publication du livre De l’esprit d’Helvétius, lettre véritablement extraordinaire, dans laquelle Mirabeau indique de manière assez claire qu’il a consulté Quesnay, est la raison d’être de cet article. Cette lettre, dont on n’a publié jusqu’à présent que quelques lignes6 (voir Helvétius, 1984, p. 82-83, lettre 314), éclaire ce qui séparait les physiocrates du milieu philosophique. La lecture des divers textes condamnant le livre d’Helvétius et des nombreuses études consacrées à la publication de ce livre, qui ne mentionnent jamais Mirabeau, ne m’a pas permis d’en savoir plus sur sa lettre, mais a fait émerger un fait surprenant, apparemment jamais remarqué, susceptible de mieux expliquer l’interruption de la collaboration de Quesnay à l’Encyclopédie.
L’article comporte trois parties et trois annexes. La section I complète légèrement « La vie de François Quesnay » en citant quelques lettres des années 1753 et 1762 qui confirment le rôle éminent de Quesnay à Versailles et l’importance de son influence du vivant de Madame de Pompadour, ce qui permet de mieux saisir le contexte général et confirme le poids d’une approbation ou désapprobation de Quesnay pour ses proches. La section II commente la lettre de Mirabeau, qui est transcrite dans l’annexe I de l’article. La section III révèle qu’une des condamnations de De l’esprit et pas la moindre citait explicitement parmi les « sources empoisonnées où [Helvétius] a puisé toute la doctrine de son funeste 25ouvrage7 » un texte fondamental de Quesnay publié dans l’Encyclopédie et que cette condamnation portait sur un sujet qui tourmenta Quesnay durant environ une vingtaine d’années. Il est très probable que cela contribua à empêcher Quesnay de poursuivre sa collaboration avec l’Encyclopédie et à arrêter toute tentative de publier le Traité de la monarchie, qui ne paraîtra qu’en 1999 (voir Mirabeau & Quesnay, [1757-1759] 1999). Trois annexes sont consacrées, la première à la transcription de la lettre de Mirabeau, la seconde à « La vie de François Quesnay » de Jacqueline Hecht, la troisième à la datation et à l’impression de quelques textes rarissimes de Quesnay sur lesquels j’apporte un nouvel éclairage obtenu lors de la recherche relative à la section III.
Je remercie Irène Passeron pour l’aide précieuse qu’elle m’a fournie sur la correspondance de d’Alembert, dont elle a dirigé l’édition8. Je remercie Benoît Walraevens pour d’intéressants échanges sur Fénelon et pour m’avoir aidé à déchiffrer l’écriture hiéroglyphique de Mirabeau. Je suis reconnaissant à Shin Kubo, Kayoko Misaki et la Hitotsubashi University Library pour des renseignements précis sur la première traduction en japonais de « La vie de François Quesnay », déjà mentionnée par Kayoko Misaki dans sa thèse de master. J’ai également une grande gratitude à l’égard de la Hagley Library et de Max Moeller, directeur de ses collections imprimées, pour m’avoir envoyé une copie remarquable d’un opuscule de Quesnay et m’avoir autorisé à la publier, et de la Bibliothèque Nationale de France et de Jean-Marc Chatelain, directeur de sa Réserve, pour divers échanges sur les ouvrages de Quesnay conservés dans ce département.
26I. L’INFLUENCE DE QUESNAY À VERSAILLES
« La vie de François Quesnay » consacre trois pages (Quesnay, 2005, t. 2, p. 1363-1365) à la situation de Quesnay à Versailles et à son influence à la cour et sur Madame de Pompadour. Il était souvent sollicité et je donnerai quelques exemples du pouvoir qu’il avait ou qu’on lui prêtait, dont le second fut mentionné par Jacqueline Hecht à la page 1364 et dont le troisième est en gros connu ou supposé, mais de façon passablement imprécise. Pour éviter toute méprise, j’insiste sur le fait qu’il n’est pas question ici de l’influence des physiocrates en général et de Quesnay en particulier sur la politique de la France, notamment en matière économique, ou de leur action sur l’opinion publique9.
La première lettre connue échangée par d’Alembert et Quesnay, non datée, fut envoyée en 175110 par Quesnay à d’Alembert. Quesnay remercie d’Alembert pour l’envoi du « Discours préliminaire » de l’Encyclopédie qui fut publié en juin 1751 et conclut la lettre de manière particulièrement chaleureuse : « je vous embrasse de toute mon âme, et suis avec les sentiments d’estime et d’amitié les plus distingués et plus tendres Votre très humble et très obéissant serviteur » (Quesnay, 2005, t. 2, p. 1165). Il est clair qu’en 1751 les deux hommes avaient une relation très amicale même si l’on ignore quand elle commença. Le 11 octobre 1753 d’Alembert envoya à Madame Du Deffand une lettre dans laquelle il lui disait qu’il allait faire intervenir Quesnay et Madame de Pompadour pour un de ses protégés, l’abbé Sigorgne, qui avait été accusé d’avoir écrit des vers satiriques sur Madame de Pompadour11 : « Je 27pourrai bien voir Quesnay à Fontainebleau ; je lui parlerai de votre affaire certainement. Si madame de Pompadour veut me voir, je lui ferai dire que je crains de l’importuner encore pour l’affaire de l’abbé Sigorgne ». Le 19 octobre 1753 d’Alembert rassura à nouveau Madame Du Deffand sur l’abbé Sigorgne : « Nous irons sûrement à Fontainebleau la semaine prochaine, et nous y resterons peu […] je verrai Quesnay, et presserai à nouveau pour l’abbé Sigorgne ». Le 21 octobre 1753 d’Alembert répéta la même chose : « J’espère voir Quesnay à Fontainebleau, et je vous rendrai compte de notre entretien ».
Deux lettres de Voltaire à Madame Calas envoyées en août 1762 confirment l’étroitesse des liens unissant Quesnay et Madame de Pompadour et l’étendue du pouvoir effectif ou supposé de Quesnay. Le 16 août 1762 Voltaire recommande à Madame Calas « d’écrire à Monsieur Quesnay à Versailles et mettre la lettre pour Madame de Pompadour dans le paquet de Monsieur Quesnay ». Il lui conseille également d’écrire « une lettre courte et attendrissante pour Monsieur Quesnay [qui] ferait un très bon effet ». Le 25 août Voltaire garantit à Madame Calas que Madame de Pompadour s’intéresse à l’affaire. Il écrit alors cette phrase qui implique peut-être que Quesnay est intervenu auprès de Madame de Pompadour : « elle est très touchée d’une si horrible injustice, elle rendra tous les services possibles sans se compromettre ». D’Alembert nous a appris dans son éloge de Quesnay que celui-ci « finissoit toujours par rendre le service qu’on lui avoit demandé » (d’Alembert, 1778, p. 153).
Ces deux exemples montrent au minimum que d’Alembert et Voltaire croyaient chacun que Quesnay avait une influence considérable sur Madame de Pompadour. Quesnay recevait sûrement avec l’aval de celle-ci des lettres qui lui étaient destinées. On comprend donc que Mirabeau, en écrivant à Helvétius au sujet de son livre récent De l’esprit, se soit prévalu, comme on le verra, d’avoir consulté Quesnay, même s’il ne l’a pas nommé. Le troisième exemple est celui de l’aide apportée par Quesnay à Helvétius pour la publication de son livre et plus tard pour sa situation personnelle. Il sera évoqué dans la suite.
28II. LA LETTRE DE MIRABEAU À HELVÉTIUS
La lettre de Mirabeau est datée du 11 août 1758. Elle fut envoyée lors d’un épisode capital de la tempête qui s’abattit sur l’auteur à la publication de son livre. Plusieurs textes ont été consacrés à l’affaire, notamment Ozanam (1956) et Smith (1965) qui donnent de nombreux détails sur le scandale qui impliqua de très nombreux acteurs et révéla la puissance du parti dévot dont Quesnay se méfiait, comme l’a rappelé « La vie de Francois Quesnay » (Quesnay, 2005, t. 2, p. 1376-1377). La veille, le 10 août, le privilège du livre avait été révoqué12. Charles-Georges Le Roy, ami intime d’Helvétius, qui avait joué un rôle essentiel dans l’approbation donnée par le censeur Tercier13 à l’ouvrage d’Helvétius, était alors proche de Quesnay. Si les deux hommes ont écrit des articles très différents et tous deux intitulés « Fermiers » pour l’Encyclopédie, l’un sous-titré « Économie rustique », l’autre sous-titré « Économie politique », celui de Le Roy contient quelques lignes révélatrices d’une grande proximité intellectuelle avec Quesnay : « La culture la plus ordinaire exige des avances assez grandes, la bonne culture en demande de plus grandes encore ; et ce n’est qu’en multipliant les dépenses de toute espece, qu’on parvient à des succès intéressans14 ». Tercier rédigea autour du 28 février 1759 un projet de lettre (non envoyée) à Louis XV dans lequel il relata le rôle primordial joué par Le Roy dans la publication du livre et mentionna les pressions qu’il subit pour « dépêcher sa lecture » au premier des trois dîners qu’il partagea avec Helvétius. Le Roy, les Hénin et Quesnay étaient les autres convives, tous nommés par Tercier dans son manuscrit, à ce repas qui eut lieu le 25 mars 1758, soit deux jours avant l’approbation accordée par Tercier. La mention de Quesnay dans cette lettre conçue pour Louis XV est importante : Tercier implique que Quesnay était alors proche d’Helvétius, ce qui 29est exact, sans préciser si Quesnay appuya lors de ce dîner la demande d’une approbation rapide, mais sa présence dans ce dîner restreint à six convives dont les trois principaux protagonistes de la publication du livre, Helvétius, Le Roy et Tercier, est certainement significative. On reviendra plus loin sur le rôle de Quesnay.
Je ne m’étendrai pas sur des aspects anecdotiques, mais passablement extravagants, de la lettre de Mirabeau, notamment sa prétention de n’avoir pas lu le livre mais de s’être seulement « fait montrer les endroits les plus anathématisés » et son conseil de « supprimer vous-même votre ouvrage après avoir déduit qu’il n’ait rien qu’on vous ait reproché qui ne se trouve dans les maximes de La Rochefoucauld et autres ouvrages approuvés dans le temps ». Le rapprochement avec le livre de La Rochefoucauld fut fait à diverses reprises, notamment par Voltaire dans une lettre envoyée à Helvétius le 27 octobre 1766, mais la lettre de Mirabeau contient quelques incohérences. Une, très piquante, apparaît à la fin de sa lettre quand Mirabeau, qui passa une bonne partie de sa vie à faire la guerre à épouse et enfants, sans parler de ses attaques constantes contre les financiers et de la parution de la Théorie de l’impôt qui l’envoyèrent en prison deux ans plus tard, prêche que « la plus digne victoire d’un honnête homme c’est de maintenir la paix avec ses contemporains15 » et conseille tout bonnement à Helvétius de déclarer « scandaleux ce qui a scandalisé ». Helvétius avait obtenu un privilège en bonne et due forme pour son livre alors qu’il est certain que Mirabeau se passa de permission et de censeur pour publier en 1760 la Théorie de l’impôt16 et s’était contenté pour le premier volume in-quarto de L’Ami des hommes, publié en 1757 avec la date de 1756, d’une permission tacite17.
Mirabeau commence sa lettre en affirmant que, sauf pour un petit « cercle d’amis complaisants », il y a « un déchaînement universel » contre Helvétius et son livre. Cela est excessif : s’il est impossible d’évoquer ici la littérature très copieuse sur les réactions au livre d’Helvétius, il est 30certain que le « déchaînement » ne fut pas « universel ». Choiseul, Louis XV, Diderot, Rousseau, Voltaire18 et plusieurs jésuites, eurent des réactions très diverses et plutôt modérées. L’analyse de Smith (1965, p. 157-171) qui affirme que le camp philosophique abandonna Helvétius en raison de l’inopportunité de son livre qui fournit un prétexte pour attaquer l’Encyclopédie, (cf. Smith, 1965, p. 163), ou en raison de la détestation de sa personne ou de son livre, cf. (Smith, 1965, p. 171), doit être nuancée. Smith indique p. 159 qu’avant 1759 Helvétius n’avait pas de contact personnel avec d’Alembert et qu’ils eurent de légers rapports à partir de 1760 ; il ignorait évidemment en 1965 la lettre envoyée le 31 juillet 1758 par d’Alembert à Helvétius, le remerciant de l’envoi de son livre, publiée pour la première fois en 199219. D’Alembert vantait « les vérités que vous y avez dites, et la manière dont vous avez scu les dire » et ajoutait : « L’impression d’un tel ouvrage, avec approbation et privilege, fera plus d’honneur à votre siècle qu’il ne mérite […] Les philosophes et en particulier les gens de lettres, vous ont bien de l’obligation, mais je ne crois pas que les gens du monde vous remercient ». Une autre lacune de Smith (1965, p. 6, note 5, et p. 157-159), plus grave pour cet article, concerne directement Quesnay : Smith croit à juste titre que Quesnay intervint auprès de Madame de Pompadour et du censeur pour aider Helvétius à obtenir le privilège de l’ouvrage, mais omet de citer la lettre de Helvétius au fidèle intendant-secrétaire de Madame de Pompadour, Charles Jacques Collin, écrite fin septembre 1759, qui confirme de manière assez catégorique le rôle décisif de Quesnay20. Helvétius y remerciait Madame de Pompadour et concluait avec : « Faites mille compliments, je vous prie, à notre amy, Q à qui j’aye aussi tant d’obligation ».
Plus tard, en 1773, Condorcet qui avait un faible pour le livre et Turgot qui était bien plus sévère furent en désaccord sur le sujet ; leur échange est assez représentatif des sentiments plutôt mitigés de nombre de contemporains21. Mirabeau évidemment ne passa jamais pour un maître 31de la nuance et la suite de la lettre est tout à fait claire : Mirabeau ne cache nullement, quoiqu’il prétende ne pas avoir lu le livre, qu’il se range dans le camp opposé au mouvement philosophique et à l’Encyclopédie : le passage de la lettre sur le « petit nombre d’adeptes d’une mysticité monstrueuse et destructive qui n’ont dans l’univers que la pâture et la réputation qu’ils méritent ; il n’y a pas jusques à l’abbé de Prades qui n’ait eu ces sortes de garants » est clair. Il faut résumer très rapidement le scandale de l’affaire de cet abbé qui éclata en 1752 et fut une répétition de celui provoqué par la publication de De l’esprit22.
L’abbé de Prades fit partie d’un petit groupe d’abbés qui collaborèrent à l’Encyclopédie, dont Morellet et Yvon. Yvon avait rédigé pour le tome I plusieurs articles susceptibles de provoquer des controverses, notamment « Aristotélisme », « Athéisme » et surtout l’article, anonymement paru, « Ame », sujet dangereusement proche du sensualisme venu de Locke et d’un livre, l’Histoire naturelle de l’ame, écrit par La Mettrie et publié en France sous le manteau en 1745, condamné dès juillet 1746 (ainsi que les Pensées philosophiques de Diderot) par un arrêt du parlement à être « lacéré et brûlé23 ». L’abbé de Prades, défenseur d’une science biblique exégétique, avait rédigé l’article « Certitude », difficilement tolérable pour l’orthodoxie chrétienne traditionnelle. Les dévots de tous bords, qui grondaient sourdement en lisant le tome I de l’Encyclopédie, s’en prirent à l’abbé en janvier 1752, deux mois après sa soutenance avec succès en Sorbonne d’une thèse de théologie. L’archevêque de Paris, Mgr. de Beaumont, sortit de sa torpeur et condamna la thèse. Il suffira de citer ici quelques mots situés au tout début de son mandement qui confirment que la question de « l’âme » inquiétait les tenants de l’orthodoxie : après avoir constaté « les funestes progrès que fait chaque 32jour cette Philosophie superbe & téméraire, dont S. Paul se plaignoit dès le premier âge de l’église », l’archevêque incriminait le premier article de la thèse sur « la nature de l’âme24 ».Jansénistes et jésuites rivalisèrent de zèle pour condamner l’abbé qui trouva refuge à Berlin. Diderot publia en parlant au nom de l’abbé une célèbre Apologie de l’abbé de Prades, défense de sa thèse et surtout de l’Encyclopédie. La publication de l’Encyclopédie fut interrompue pendant plus d’un an et ne reprit que grâce à la persévérance de Diderot et à la protection de Malesherbes.
Le scandale mit aux prises de façon encore plus claire que celui plus tard provoqué par la publication de De l’esprit le camp des dévots et celui des encyclopédistes, même s’il est probable que certains des abbés collaborateurs de l’Encyclopédie, dont l’abbé de Prades, étaient des croyants sincères ayant des préoccupations théologiques. Les jésuites étaient divisés sur nombre de sujets ; certains et non des moindres étaient hostiles à la pensée de Malebranche, considéré par eux comme un athée25. L’abbé de Prades lui-même, dont (Burston, 2010) affirme qu’il soutient une synthèse jésuite de Locke et Malebranche, écrit dans sa thèse que « Descartes, Clarke & Malebranche ne lancent guère que des traits impuissants contre le Matérialisme26 ». Mirabeau, qui indique dans sa lettre de manière très nette et précise où il se situe avec sa « mysticité monstrueuse et destructive », et dont la cohérence n’est pas la qualité principale, sera plus tard un des co-auteurs de la Philosophie rurale qui citera très longuement et avec une grande révérence dans la préface Malebranche, « un de nos plus beaux génies » (Philosophie rurale, 1763, p. iv). Il faut garder à l’esprit l’influence de Malebranche sur Quesnay, même si on ne peut lire qu’avec un certain scepticisme certaines des pages qui lui furent consacrées par de nombreux commentateurs27.
Deux autres passages retiennent l’attention dans la lettre :
1. Ce qui concerne Fénelon. Il n’y a aucun doute sur l’admiration des physiocrates en général et de Mirabeau en particulier pour Fénelon, dont Mirabeau prépara un éloge daté par Weulersse (très probablement à 33juste titre) de 1772, resté, à ma connaissance, inédit, sauf pour un court fragment donné dans (Weulersse, 1910b, p. 117-119) ; je me borne à citer une phrase de la première page de sa première partie : « le plus doux assemblage de lettres et de syllabes que puisse former notre langue, c’est le mot de Fénelon ». Quinze ans auparavant, dans la seconde partie du premier tome de l’édition in-quarto de L’Ami des hommes, daté 1756 mais paru en 1757, Mirabeau rendait hommage au « génie » de Fénelon, p. 141, et morigénait Louis XIV pour n’avoir pas suivi ses conseils, p. 93-94. Quesnay qui versait rarement dans le dithyrambe suggérait en 1760 à Mirabeau de conclure la Théorie de l’impôt « par une petite péroraison laudative sur les travaux de […] Vauban, Fénelon, Boisguilbert, qui ont vu naître les maux de l’état, qui en ont instruit la nation et le gouvernement28 ». Le conseil fut suivi doublement : au début de l’ouvrage, dans l’avertissement, Mirabeau indiqua que le but du livre est d’exposer les principes de Fénelon, sans le nommer, tout en l’ayant qualifié d’homme de génie, et, au résumé du livre, trois pages avant le mot « FIN », rendit hommage en les nommant à « Debois Guillebert, Auteur du détail de la France », Vauban et Fénelon, cet « homme de bien par excellence » (cf. Mirabeau, 1760, p. v-vii et p. 333).
2. Ce qui concerne les « hommes de trop de génie pour être intolérants et […] d’une chaleur qui m’a effrayé » que Mirabeau affirme avoir consultés. Il n’y a aucune raison de douter de la véracité de cette phrase, d’autant plus que deux noms s’imposent avec une quasi-totale certitude. Le premier est celui de Quesnay, dont Mirabeau connaissait sûrement en août 1758, alors qu’il collaborait très régulièrement avec lui, notamment sur le Traité de la monarchie et la Théorie de l’impot, sa proximité avec Helvétius et Le Roy ; Mirabeau ne pouvait manquer d’avoir consulté le guide dont il célébra ultérieurement le « rare génie » dans l’éloge funèbre prononcé dans l’assemblée de ses disciples (cf. Quesnay, 1888, p. 5), avant d’envoyer une lettre si critique à Helvétius. Le second est celui de Jean-Jacques Le Franc de Pompignan, dont il proclama dans une lettre envoyée à son ami Sacconay le 29 novembre 1784, qu’il était « un ami illustre […], la tête de l’Europe […] la mieux meublée, le premier poète de son siècle et le plus grand littérateur, […] (un) excellent citoyen, grand génie ».
34Deux ans après la publication de De l’esprit, dans son Discours de réception à l’académie française, prononcé le 10 mars 1760, Le Franc de Pompignan avait attaqué vivement le parti philosophique, s’en prenant « aux prétendus Philosophes qui voudroient nous ôter jusqu’aux premières notions de la vertu […] au long étalage d’opinions hasardées, de systèmes ouvertement impies, ou d’allusions indirectes contre la Religion ». Ces propos29 ne sont pas très éloignés de ceux figurant dans la lettre de Mirabeau : Mirabeau avait fait état du reproche fait à De l’esprit « d’attaquer tous les principes moraux et physiques de la société », accusé son « honnête » auteur d’avoir une conduite qui démente ses principes et lui avait demandé d’assurer qu’il respectait « la religion et les mœurs ».
Quant à Quesnay, il était extrêmement prudent, allant jusqu’à conférer avec un théologien jésuite, Desmarets, comme l’a indiqué d’Alembert, suivi sur ce point par « La vie de François Quesnay » (cf. Quesnay, 2005, t. 2, p. 1376), afin de s’assurer d’avoir une « sauve-garde » quand il s’occupait de « sa chère & vieille amie la Métaphysique » (cf. d’Alembert, 1778, p. 152-153)30. Quesnay avait de bonnes raisons d’agir ainsi et de s’alarmer, comme on va le voir, même si j’ignore malheureusement quand Quesnay commença à consulter Desmarets, et même si, cela ne semble souffrir aucun doute, Quesnay joua un rôle essentiel en aidant Helvétius à obtenir le privilège de l’ouvrage et à lui assurer la protection de Madame de Pompadour.
35III. LA SORBONNE, QUESNAY ET LES « FONCTIONS DE L’ÂME »
La persécution de Helvétius et de son censeur Tercier, les diverses rétractations de l’auteur et les nombreuses condamnations de son livre sont impossibles à résumer ici mais le texte qui impliqua directement un écrit de Quesnay fut tardif et mûrement élaboré : en avril 175931, huit mois après la révocation du privilège et d’innombrables épisodes, la Sorbonne publia une longue « censure » de 79 pages in-quarto, en latin et en français, de De l’esprit, intitulée Determinatio sacrae facultatis parisiensis super libro cui titulus, De L’esprit/Censure de la faculté de théologie de Paris contre le livre qui a pour titre, De l’esprit. Ellecomportait une préface d’environ 25 pages qui divisait en quatre chapitres les principales erreurs du « funeste ouvrage » et dressait pour chacun d’eux une liste de ses « sources empoisonnées ». Le dernier de ces chapitres, Du Gouvernement,était un manifeste politique auquel je reviendrai brièvement. Le premier de ces chapitres, De l’âme, occupant les pages 11-15, attaquait nommément un certain nombre d’auteurs et d’ouvrages, notamment L’homme machine (de La Mettrie), et consacrait une vingtaine de lignes, p. 11-12, à un extrait d’un article anonyme de l’Encyclopédie, « Évidence ». Il s’agit évidemment de la première contribution de Quesnay à l’Encyclopédie (Quesnay, 2005, t. 1, p. 61-90), parue au tome VI en 1756 ; j’ignore si les rédacteurs de la censure savaient qui était l’auteur de ce texte et s’ils avaient délibérément évité de le nommer. La lecture de la condamnation très détaillée de la Sorbonne, qui condamna explicitement divers extraits du livre de De l’esprit et cita des passages inacceptables des auteurs accusés d’avoir inspiré Helvétius, dont Hobbes, La Mettrie, Locke, Quesnay, montre que les théologiens de la Sorbonne ne pouvaient accepter l’affirmation suivante, extraite de « Évidence » : « ce sont les sensations elles-mêmes qui produisent les jugements32 » ; ils y décelaient « le venin du Matérialisme » et un rapport étroit avec « l’athéisme », p. 31-3233.
36Sans le savoir évidemment, et on peut les comprendre puisqu’aucune édition de Quesnay n’a jamais abordé à ma connaissance ce problème qui ne fut exposé que récemment et hélas imparfaitement34 – la conjonction de ce qui suit et de Sabbagh (2020) permettra au lecteur intéressé de l’appréhender complètement-, les théologiens de la Sorbonne avaient décelé une question qui occupa Quesnay au moins entre les années 1745 et 1767 et qui le contraignit très tôt à un remaniement substantiel dans le troisième tome de Quesnay (1747). Les éditeurs de Quesnay (2005) qui ont judicieusement observé des variantes et des changements de texte, souvent mineurs, avec insertion de cartons dans des ouvrages de Quesnay35, négligèrent les changements importants opérés à la dernière minute par Quesnay dans la portion de Quesnay (1747) qu’ils choisirent de publier36, en ne signalant pas l’existence de deux versions de Quesnay (1747, t. 3, p. 353-354), dont la définitive et la seule qu’ils aient connue est pourtant identifiée par un carton astérisqué. La première version est représentée à la Bibliothèque Nationale par un exemplaire possédé par la Réserve depuis des lustres37, repéré par Jacqueline Hecht dès 195838, et qui est le seul exemplaire complet connu de moi sans aucun carton. Marguerite Kuczynski avait signalé sommairement l’existence de plusieurs tirages de Quesnay (1747) mais apparemment n’eut pas de lecteur attentif39.
Dans la version définitive de 1747, Quesnay avait écrit à la page 35340, au paragraphe numéroté 487 : « Le jugement par lequel l’âme apprécie 37les motifs qui peuvent la déterminer, est précisément l’acte qui doit régler l’usage de la liberté », formulation moins ‘matérialiste’ que la version initiale qui laissait bien moins de place à la « liberté ». Il avait ainsi d’abord écrit à la page 354, au paragraphe numéroté 488 : « Son acquiescement41 dans ses jugements ne peut pas être regardé à la vérité, comme une fonction libre de l’âme », phrase qui disparut dans la version définitive. Il est évident que la liberté de la volonté est une croyance fondamentale du christianisme et que la formulation initiale de Quesnay était problématique.
Avant la parution du livre, Quesnay avait écrit à Tronchin42 en octobre 1746 une lettre fort longue. Quesnay annonçait son ouvrage comme devant paraître « dans peu43 » ; les nombreux cartons que l’on trouve dans ce livre expliquent sans doute le retard dans sa publication : il ne parut qu’en 1747 et fut annoncé par le Journal des Sçavans au numéro de juin 174744, alors que les approbations médicales imprimées sont datées d’août 1745 et de juin 1746 et que le privilège royal fut octroyé le 15 juillet 1746 et enregistré le 23 juillet 174645. Dans cette lettre à Tronchin qui précède de 12 ans la persécution d’Helvétius et qui suit l’arrêt de juillet 1746 condamnant le livre de La Mettrie, Histoire naturelle de l’ame, Quesnay évoquait « notre ami M. de La Mettrie » et son « adversité » ainsi que la condamnation de son livre46, ajoutait que lui, Quesnay, était personnellement intervenu auprès du procureur général par « des protecteurs puissants » et faisait état de l’impuissance de ce procureur à « favoriser l’accusé », ce qui confirme la fidélité de Quesnay à ses amis. Il est très plausible que Quesnay retarda la publication de son livre et en modifia le texte après la condamnation de l’Histoire naturelle de l’ame.
La question de la liberté de l’âme ou de la volonté à juger et décider occupera longtemps Quesnay. Dans « La vie de François Quesnay47 », on trouve que, le 16 janvier 1756, Quesnay aurait écrit à Boissier Sauvages 38de la Croix que l’âme n’a aucun pouvoir sur les mouvements par lesquels s’exécute le pur mécanisme des corps48. Bien après les remous causés par De l’esprit, Quesnay continuera à s’interroger sur l’âme et modifier ses formulations. Certaines modifications entre les trois éditions49 de Droit naturel, parues de 1765 à 1767, au sujet desquelles je ne puis que renvoyer à Sabbagh (2020), s’expliquent par les variations de Quesnay sur la question de l’âme.
Quesnay donna une espèce de suite à« Évidence » avec Aspect de la psychologie50, cité par Grandjean de Fouchy51comme un « ouvrage sur la psychologie ou science de l’âme », preuve que « l’âme » continuait d’occuper 39Quesnay et qu’à l’époque où il travaillait sans arrêt à mettre au point ses idées en matière économique il n’abandonnait pas la « métaphysique ». L’opuscule ne fut imprimé qu’à une poignée d’exemplaires, autour de mars 1760, et apparemment jamais mis dans le commerce. Pourquoi ? Une question connexe est le sort d’un texte de Quesnay qui ne fut pas publié comme prévu dans le tome VII de l’Encyclopédie, et dont le titre devait être Fonctions de l’âme52. Il ne reste aucune trace d’un tel texte, sinon que Jacqueline Hecht a conjecturé p. 683 qu’Aspect de la psychologie constitue le « plan suivi par Quesnay pour la rédaction de son article disparu Fonctions de l’âme, ou au contraire un résumé rédigé après coup ». Sa conjecture me semble être très plausible, quoique non évoquée dans Quesnay (2005, t. 1, p. 91) qui se contente d’écrire : « nous ignorons si Quesnay entreprit ou non la rédaction de cet article et s’il renonça finalement à le publier et pourquoi ». Une réponse partielle à ces questions peut être maintenant donnée : les remaniements dans le tirage cartonné de Quesnay (1747) montrent que Quesnay avait, bien avant le lancement de l’Encyclopédie, des interrogations sur « les fonctions de l’âme ». La publication de « Grains » au tome VII de l’Encyclopédie en 1757 ne pouvait irriter les adversaires de l’Encyclopédie, l’article prévu sur l’âme était une entreprise bien différente. Quesnay renonça à publier à tout jamais l’article en raison du scandale provoqué par l’apparition de De l’esprit et de l’accueil de l’article « Évidence » par le parti dévot et s’astreignit à la plus grande prudence en se contentant de diffuser un nombre minuscule d’exemplaires d’Aspect de la psychologie dont Du Pont ne semble jamais avoir possédé d’exemplaire. Quesnay ne pouvait raisonnablement se lancer dans des spéculations sur la liberté de la volonté et la capacité de jugement de l’âme dans un ouvrage diffusé commercialement. J’affirme sans crainte d’être démenti que l’article sur les fonctions de l’âme ne fut jamais imprimé pour être diffusé : le fait que certains écrits de Quesnay, on en a donné ici des exemples, furent imprimés à un nombre très réduit d’exemplaires distribués par Quesnay, incite à la prudence, mais il est probable que l’article ne fut jamais imprimé, point final, si tant est qu’il fut écrit, et qu’Aspect de la psychologie est ce qui nous reste de ce projet.
Il n’y a aucun doute que la « science de l’âme » fut un sujet à la fois central et inquiétant pour Quesnay au moins de 1746 à 1760 et qui le força 40à modifier un écrit aussi apparemment éloigné de ce sujet que son « Droit naturel ». Aspect de la psychologie est connu seulement à quatre exemplaires, ce qui signifie que Quesnay a restreint sa diffusion avec une prudence extrême ; l’un d’eux fut donné par Quesnay à Adam Smith, preuve incontestable de l’étroitesse des liens les unissant, de la confiance que Quesnay avait en Smith et du fait que Quesnay avait une haute idée de ce texte53.
La biographie écrite par Jacqueline Hecht et la non publication du Traité de la monarchie, ouvrage de Mirabeau et Quesnay, montrent abondamment la prudence de Quesnay. Au départ Quesnay a fait de son mieux pour aider son ami Helvétius à publier son ouvrage, sans doute davantage par amitié pour l’auteur que par admiration pour son ouvrage que très probablement Quesnay ne connaissait avant sa publication que par de courts extraits, au plus certains de ceux, les plus inoffensifs, que Le Roy communiquait à Tercier. Quesnay fut presque certainement une des personnes « de génie » consultées par Mirabeau qui fut toujours d’une révérence extrême à l’égard de Quesnay. Il a très probablement manifesté devant Mirabeau ses réticences à l’égard du livre et son souhait d’arrêter le scandale dont il avait compris le tort qu’il causait à l’auteur et à ses amis dont lui-même et la situation périlleuse où il les plaçait. La publication de De l’esprit et l’émoi qu’elle suscita, la censure d’Helvétius par la Sorbonne et la mise en cause de « Évidence » par celle-ci ont sans aucun doute contribué à rendre définitive l’interruption de sa collaboration à l’Encyclopédie. Il y a eu probablement d’autres causes. La mention explicite par la Sorbonne dans sa condamnation de De l’esprit de l’article « Évidence » est un fait et non une hypothèse. Les modifications opérées dans (Quesnay, 1747) après la condamnation de l’Histoire naturelle de l’ame confirment la prudence de Quesnay.
La place me manque pour analyser comme il convient le chapitre Du gouvernement de la censure de De l’esprit par la Sorbonne, de loin le plus long des quatre chapitres de la préface. Il vouait aux gémonies le Code de la nature de Morelly, l’article Autorité (de Diderot) de l’Encyclopédie, 41et des écrits emblématiques de Spinoza, Machiavel et La Mettrie, aux pages 20-21, tout en vantant le « meilleur des Rois […] le Bien aimé » et en défendant « l’Eglise […] protégée par le Roi Très-Chrétien » aux pages 25-27. Il est certain que ce chapitre coupait court à toute tentative de diffuser en France le Traité de la monarchie mais il est probable que, sans l’intervention de la Sorbonne, la censure aurait interdit sa publication en France, alors qu’elle ne s’intéressait apparemment pas aux spéculations « métaphysiques » de Quesnay.
CONCLUSION
La lettre de Mirabeau à Helvétius clarifie avec une franchise brutale ce qui le séparait lui et, pour une large part, son maître Quesnay des « philosophes », même si Quesnay et lui se plaçaient différemment par rapport à ce que d’Alembert qualifiait de « métaphysique » : Mirabeau n’en avait que faire, elle était importante pour Quesnay mais il la pratiquait avec prudence.
Il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec les thèses de Jonathan Israel54 pour savoir qu’il y avait peu de choses en commun entre d’une part Hobbes, Morelly (Code de la nature) et Spinoza, cités plus d’une fois par la Sorbonne, par exemple respectivement aux pages 11, 12 et 15 de sa censure, et d’autre part Quesnay, cité dans le même texteaux pages 11-12, et Mirabeau, ou, si l’on préfère, entre les « Lumières radicales » et les physiocrates. Ni Quesnay, ni Mirabeau n’ambitionnaient de changer la société et ils avaient tous les deux une conception optimiste de l’homme et de l’instruction. Certes, Quesnay, mais non Mirabeau, était proche du sensualisme de Helvétius, tout en étant bien plus mesuré, et la Sorbonne n’avait pas eu tort de rapprocher « Évidence » et Del’esprit, mais Mirabeau et Quesnay étaient très éloignés des positions de Diderot, Helvétius, ou d’Holbach sur plusieurs sujets fondamentaux, dont la religion. La lettre 42de Mirabeau conforte ce qu’on aurait pu deviner, sans aucune preuve, de la réaction des deux principaux physiocrates à l’affaire de De l’esprit et explique en bonne part l’interruption définitive de la collaboration de Quesnay (et peut-être plus tard de Turgot, qui était hostile envers les idées d’Helvétius) avec l’Encyclopédie.
L’étude des rapports entre « le mouvement physiocratique » et « le mouvement philosophique », pour citer les titres de deux thèses célèbres, très différentes et strictement contemporaines55, est un sujet trop vaste pour cet article dont l’ambition est restreinte : attirer l’attention sur une pièce peu connue et jamais entièrement publiée du dossier De l’esprit, expliquer les difficultés que la « métaphysique » et sa collaboration à l’Encyclopédie causèrent à Quesnay et écrire un texte qui aurait intéressé Jacqueline Hecht.
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46ANNEXE I
Transcription de la lettre de Mirabeau à Helvétius
à Helvetius de Paris ce 11 aout 1758
Je ne sais Monsieur comment vous prendrez la démarche que je vais faire auprès de vous, mais désirant qu’on eut pour moi en pareille occasion le sentiment qui me l’inspire, et certain du moins de mon intention de la risquer avec d’autant moins de crainte que j’envisage dans son exécution une partie de mon devoir.
Votre ouvrage excite aujourd’hui un déchaînement universel contre vous, on vous accuse d’attaquer ouvertement tous les principes moraux et physiques de la société. Si un petit cercle d’amis complaisants et peut-être égarés vous dit le contraire on vous trompe, il n’y a pas deux avis sur cet article. J’ai consulté sur cela des hommes de trop de génie pour être intolérants et je les ai trouvés d’une chaleur qui m’a effrayé. Je ne puis dire avoir lu votre ouvrage, il est trop considérable et trop décrié pour que j’aye pu m’y résoudre ; je me suis seulement fait montrer les endroits les plus anathématisés, et soit penchant pour votre physionomie, pour vos mœurs, pour votre réputation, soit aussi que je sois moins éclairé que d’autres je n’y ai trouvé qu’une sorte d’abus des libertés que se sont de tout temps permises les métaphysiciens, et le jeu d’un esprit libre et doux qui s’est efforcé à analyser et peut-être à dégrader les ressorts de l’esprit humain. Mais il n’est pas question de mon opinion, moins encore de la vôtre, et de celle de vos amis ; le public a prononcé, le scandale est universel et vous n’avez pas même la ressource de l’oubli. Jetez en cet état les yeux sur vous Monsieur, et demandez-vous à vous-même si tel que vous étiez chéri et honoré de tous ceux qui vous connaissaient, avec une réputation intacte à tous égards, un état et une famille agréable, vous pouvez être flatté de vous faire contre l’improbation universelle un rempart d’un petit nombre d’adeptes d’une mysticité monstrueuse et destructive qui n’ont dans l’univers que la pâture et la réputation qu’ils méritent ; il n’y a pas jusques à l’abbé de Prades qui n’ait eu ces sortes de garants. Vous conserverez d’autres amis, je le crois, mais, je l’ai déjà vu, ils distingueront en vous deux personnes, apitoyeront le citoyen, 47et condamneront l’auteur. Vous le condamnerez vous-même Monsieur car dans le sens qu’on vous prête, il faut que vous cessiez d’être ce que vous avez toujours été, l’honnête, le tendre, l’estimable Helv…ou que vous soyiez inconséquent et que votre conduite démente vos principes.
Sans entrer encore un coup dans cette discussion il me semble Monsieur que quand tout le monde a tort tout le monde a raison, et en ce cas je ne vois pour vous qu’une façon de vous relever de l’écueil contre lequel vous me paraissez avoir échoué. Cette façon n’est pas nouvelle, un grand homme en a déjà usé, et tiré un nouvel avantage pour sa gloire de la passion de ses ennemis. Mr de Fénelon se condamna lui-même, l’univers admira et se tut, et la charité dont les droits sont imprescriptibles et sacrés en reçut un nouveau lustre. Pourquoi Monsieur une belle âme de nos jours ne se sentirait-elle la force d’imiter une belle âme du siècle passé ? Pourquoi ne supprimeriez-vous pas vous-même votre ouvrage après avoir déduit qu’il n’ait rien qu’on vous ait reproché qui ne se trouve dans les maximes de La Rochefoucauld et autres ouvrages approuvés dans le temps, pourquoi n’assureriez-vous pas que vous respectez la religion et les mœurs, que ni vous ni un ami aussi simple que vous n’avez pas senti le poison de vos erreurs métaphysiques, mais que vous ne prétendez pas les soutenir contre l’improbation publique ni même particulière, que vous déclarez scandaleux ce qui a scandalisé, et vous faites gloire d’être en haut de la société et non son maître ? Il me semble que je rendrais cela en style bien noble, mais ce n’est pas à moi à vous en inspirer. Cet aveu rendu public par tous moyens fermerait la bouche à vos envieux, vous rendrait à la société et vous ferait un honneur infini. Celui que les âmes faibles trouvent dans l’opiniâtreté n’est qu’une illusion vulgaire. Le public amer ne demande pas mieux que de voir en compromis ceux dont il craignait la supériorité, et ses juges naturels au pied de son tribunal ; en avouant au contraire que vous vous êtes trompé ou que vous croyez vous être trompé puisque vous avez fait murmurer contre vous, vous reprenez la supériorité qui vous est due, et par un chemin dans lequel vous aurez peu ou point de rivaux.
Pardon Monsieur de vous donner un conseil sans en être requis, vous l’interpréteriez mal si vous en infériez que je vous juge ; je vous crois de très bonnes raisons pour soutenir ce que vous avez écrit, mais la plus digne victoire d’un honnête homme c’est de maintenir la paix avec ses contemporains ; vous êtes cet honnête homme avant que d’être écrivain, 48et c’est la première de ces qualités qui doit l’emporter sur l’autre. La démarche que je hasarde en ce moment est une preuve que je ne doute pas qu’elle prédomine en vous ; elle est toute de confiance et de zèle et je n’accorde ces sentiments qu’à l’estime. J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Mirabeau
49ANNEXE II
À la recherche des notes de « La vie de François Quesnay »
Comme tout lecteur, je fus déconcerté par l’absence de notes dans « La vie de François Quesnay ». Au début de l’ouvrage le lecteur était prié de ‘se reporter, pour plus de détails, aux ouvrages cités dans la bibliographie’56. L’édition de 2005 ajouta un avertissement dont il est nécessaire de reproduire les dernières lignes57 : « les conditions…dans lesquelles la première édition avait dû être réalisée…avaient alors contraint l’auteur à ne pas citer directement ses sources, mais à les mentionner dans la bibliographie commentée ».
Une bonne partie de ces assertions est exacte et peut être vérifiée par le lecteur désireux de trouver les sources de « La vie de François Quesnay ». Jacqueline Hecht a puisé dans de nombreux articles publiés très anciennement et ne s’en cachait pas, notamment ceux de Lorin58. Malheureusement Jacqueline Hecht a utilisé pour écrire son ouvrage des sources non reprises dans aucune des bibliographies des deux éditions des œuvres de Quesnay, publiées en 1958 et 2005 par l’Institut national d’études démographiques, comme le lecteur de cet article a pu s’en apercevoir : la lettre de Voltaire à Madame Calas du 16 août 1762 fut citée dans « La vie de François Quesnay », avec la date de « 1762 », cf. les pages 242 ou 1364 des éditions de 1958 ou 2005, et je n’en ai vu aucune « mention […] dans la bibliographie commentée ».
Jacqueline Hecht me traduisit en français ordinaire l’avertissement de Quesnay (2005, t. 2, p. 1331) : son texte avait été jugé trop long en 1958 et elle avait été sommée de l’abréger ou de supprimer ses notes. Elle choisit la seconde solution et l’édition parut, amputée d’une partie vitale. L’édition de 2005 ne répara pas cette omission.
Je puis certifier, pour avoir passé de longues heures à vérifier d’innombrables détails de « La vie de François Quesnay », dont ceux relatifs à La Mettrie 50ou au portrait supposé de Quesnay conservé au musée Carnavalet59, que je n’ai jamais trouvé une seule assertion de cet ouvrage qui ait été donnée sans aucun fondement. Cependant, les citations de La Mettrie, aisément localisables dans diverses éditions des écrits de cet auteur, ne semblent pas pouvoir être retracées par « la bibliographie commentée », comme affirmé par Quesnay (2005, t. 2, p. 1331).
Il y a deux assertions importantes de Jacqueline Hecht qui m’ont posé quelques difficultés, quoique chacune d’elles ait une raison d’être. La première, relative à Aspect de la psychologie, ne figure pas dans « La vie de FrançoisQuesnay », mais est donnée par Quesnay (1958, p. 683) qui affirme que cet ouvrage, dont Jacqueline Hecht venait de découvrir un rarissime exemplaire, fut « imprimé en mars 1760 au château de Versailles ». Cette affirmation fut modifiée plus tard dans Quesnay (2005, t. 1, p. 91-92). On y affirmait notamment qu’il était raisonnable d’attribuer à cet ouvrage la même date que pour Observation sur la conservation de la vue – ce à quoi je souscris –, et aussi que ce dernier opuscule est « généralement » considéré comme ayant été écrit en mars 1760, avec un renvoi à Quesnay (1958, t. 1, p. 308). C’était se fonder sur une autre assertion de Jacqueline Hecht, qui sera discutée dans l’annexe III, qui est aussi problématique que celle relative à Aspect de la psychologie mais dont j’établirai l’exactitude. Le mot « généralement » est du reste étrange : Jacqueline Hecht est la seule personne à ma connaissance avec Grandjean de Fouchy (qui écrivait au dix-huitième siècle) à avoir consacré quelques mots à cet opuscule et ce qu’en a écrit Grandjean de Fouchy est imprécis et ne fournit aucune date60.
Une autre assertion de « La vie de François Quesnay » mérite d’être examinée soigneusement. La voici61 : « Quesnay avait songé à publier (la) troisième “édition (du Tableau économique)” dans le Mercure, mais la marquise de Pailly, amie de Mirabeau, sut persuader celui-ci qu’il était le seul digne d’expliquer […] le Tableau ». Cette assertion soulève plusieurs questions :
Aucun commentateur récent du Tableau ne semble l’avoir relevée. Sauf erreur de ma part, ni les collaborateurs de Quesnay (1958) ni les éditeurs de Quesnay (2005) ne la mentionnèrent jamais. Je suis incapable d’expliquer cela.
51Est-elle exacte ? Cette question en amène une autre : quelles sont les sources utilisées par Jacqueline Hecht pour cette assertion ? Je hasarde la réponse que j’ai trouvée. Elle est contenue dans les premières lignes du discours de clôture des assemblées économiques de l’année 1773 chez Mirabeau, prononcé alors par Du Pont, et reproduit dans Knies (1892, t. 2, p. 108-115), et est moins précise que la formulation donnée par Jacqueline Hecht. En voici l’essentiel : « Une Dame d’un mérite distingué […] devina le prix de ces découvertes […] Elle empêcha la formule du Tableau Économique d’être prodiguée dans le Mercure. Elle sentit que (Quesnay) pouvait être […] secondé par l’éloquence patriotique de “l’Ami des hommes”62 ».
Si la source que je crois avoir devinée est bien celle consultée par Jacqueline Hecht, il est exact que la « bibliographie commentée » permet de la trouver63 (au bout de combien d’heures ?) ! Quoiqu’il en soit, il serait intéressant de savoir si cette phrase est exacte et d’abord si elle est corroborée par d’autres témoignages de l’époque. Du Pont était parfaitement capable d’enjoliver la réalité pour complaire à Mirabeau. Il faudrait scruter les mémoires de l’époque, ceux de Marmontel et les écrits de Bachaumont, notamment. À ma connaissance le Mercure n’a jamais publié autour de 1760 de texte théorique économique comparable au Tableau. On peut aussi observer que Du Pont ne dit pas en 1773 que « Quesnay avait songé à publier (le Tableau) dans le Mercure ». Si la chose fut envisagée, s’agissait-il d’une suggestion de Marmontel, ce qui semble douteux ?
52ANNEXE III
Un fait et des conjectures sur l’impression
de certains textes rarissimes de Quesnay
À la fin de cette annexe le lecteur trouvera une reproduction d’un feuillet (imprimé recto verso) conservé isolément à la Hagley Library64, qui donne tout le texte de Observation sur la conservation de la vue. Ce feuillet, présentement dérelié, était manifestement relié avec d’autres textes. Le ciseau du relieur rogna une inscription écrite à l’époque, apparemment par une personne proche de l’impression. Le lecteur, je l’espère, approuvera ma certitude que ce qui est lisible de l’inscription garantit que ce texte fut imprimé en mars 1760 dans une imprimerie particulière installée dans les appartements de Madame de Pompadour à Versailles et, très probablement, qu’elle collabora ou procéda entièrement à l’impression. Cela ne prouve pas l’exactitude de l’affirmation bien connue selon laquelle le Tableau fut imprimé à Versailles par ou sous les yeux de Louis XV, mais cela fournit la première preuve qu’un écrit de Quesnay, Observation sur la conservation de la vue, fut imprimé en mars 1760 à Versailles sous les yeux de, et probablement par, Madame de Pompadour, ce qui justifie entièrement la datation de mars 1760 donnée par Jacqueline Hecht en 1958 pour ce texte. Je ne puis cependant affirmer que Jacqueline Hecht avait eu connaissance de l’exemplaire de la HagleyLibrary et je ne connais toujours pas avec certitude ce qui lui a permis de dater de mars 1760 l’impression de l’Observation sur la conservation de la vue et sa localisation à Versailles.
Il est alors logique de considérer trois autres textes, rares et contemporains, de Quesnay, Aspect de la psychologie, et les éditions dites deuxième et troisième du Tableau économique. Comme un exemplaire de la seconde édition était joint très anciennement à Aspect de la psychologie et à Observation sur la conservation de la vue, je conjecture que cette édition et celle de l’Aspect de la psychologie furent imprimées toutes deux à Versailles avant mars 1760 ou autour de cette date.
La date de composition d’un texte peut précéder d’un long laps de temps celle de son impression et peut être très difficile à déterminer. Quesnay 53avait écrit à Mirabeau à propos de la seconde édition du Tableau, autour de 1759-1760, ce qui suit65 : « J’en fais imprimer trois exemplaires […] je crois que sa place serait bien à la fin de votre dissertation pour le prix de la Société de Berne…la dissertation elle-même est déjà un bon préliminaire ». La correspondance de Mirabeau avec Sacconay montre ce qui suit : le 16 juillet 1759 Mirabeau écrit que le mémoire « est fait » et projette de l’envoyer bientôt. Le 11 août, il indique qu’il a « fait partir [le] mémoire ». En 1759 Mirabeau n’évoque jamais le Tableau dans ses lettres à Sacconay. Cela donne à penser que la lettre citée de Quesnay, qui semble considérer que la « dissertation est un bon préliminaire » et donc en a pris connaissance au moment où ‘(il) fait imprimer’ la seconde édition du Tableau, est postérieure à l’envoi du mémoire par Mirabeau et que Mirabeau reçut la seconde édition quand l’impression de son texte était déjà entamée ou achevée, ce qui explique qu’il n’ait pas agi selon le conseil de Quesnay, et donc que la lettre de Quesnay et l’impression de la seconde édition du Tableau datent au plus tôt du second semestre de 1759. Je conjecture de manière précise que la seconde édition du Tableau fut imprimée à Versailles chez Madame de Pompadour, mais une étude des caractères et du papier de cette édition et de ceux de l’Observation sur la conservation de la vue et de l’Aspect de la psychologie ne pourra être menée qu’à la Réserve de la Bibliothèque Nationale quand celle-ci conservera tous ces textes au même endroit. Je conjecture également que la troisième édition du Tableau fut imprimée dans les mêmes conditions à Versailles. Là encore il faut procéder à des comparaisons de papier et de caractères encore plus délicates à mener puisque la Bibliothèque Nationale ne possède aucun exemplaire de cette édition. Mon ignorance presque totale des caractères et des papiers de l’époque me commande de laisser aux spécialistes ces études.
54Fig. 1 et 2 – François Quesnay, Observations sur la conservation de la vue, [Versailles, 1760], 2 p., Library Stacks, Hagley Library, Wilmington, DE), cote : 08049283.
1 Hecht & Lévy (1956).
2 Voir Quesnay (1958, t. 1, p. 211-294).
3 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1331-1420).
4 Voir Ishii (1968).
5 Je remercie vivement le possesseur de cette lettre qui souhaite garder l’anonymat de m’avoir autorisé à la publier. L’extrait connu de cette lettre, reproduit un peu plus loin, et toutes les autres lettres citées dans cet article et non publiées sur papier, y compris la lettre de Tercier destinée à Louis XV dont il sera question plus tard,ont été numérisés depuis plusieurs années et sont accessibles via Electronic Enlightenment ou, pour les lettres de Mirabeau à son ami Sacconay, via https ://lumieres.unil.ch/projets/4/. Ma dernière consultation de ces sites eut lieu le 6 novembre 2021.
6 Les voici : « Votre livre excite aujourd’hui un déchaînement universel contre vous. On vous accuse d’attaquer ouvertement tous les principes moraux et physiques de la société […] J’y [sic] consulte sur cela des hommes de trop de génie pour être intolérants, et je les ai trouvés d’une chaleur qui m’a effrayé […] M. de Fénelon se condamna lui-même […] Pourquoi [sic] une belle âme de nos jours ne se sentirait-elle pas la force d’imiter une belle âme du siècle passé ? » Je ne m’étends pas sur deux erreurs de transcription (signalées par le mot sic) que la comparaison avec l’annexe I de cet article permet de déceler. Je remercie David Smith, principal éditeur de la correspondance d’Helvétius, de m’avoir confirmé le 16 décembre 2020, quand je lui ai fait part de la découverte de la totalité de cette lettre, que ses collègues et lui n’avaient jamais publié que cet extrait.
7 Voir Determinatio sacrae facultatis parisiensis…Censure de la faculté de théologie de Paris (1759, p. 11).
8 Le site suivant, accessible à tout un chacun, donne des indications précises sur toutes les lettres écrites par d’Alembert citées dans cet article et les dates avec précision : http://dalembert.academie-sciences.fr/Correspondance/index.php. – On pourra également consulter les volumes parus de la monumentale édition publiée par le CNRS de la correspondance de d’Alembert.
9 Le lecteur trouvera des approches riches et diverses de ces questions, qui sont évidemment plus importantes que celle évoquée dans cette section, dans de nombreux ouvrages dont Sonenscher (2007), Skornicki (2011), évidemment Weulersse (1910a) et … « La vie de François Quesnay ».
10 Irène Passeron date actuellement, dans l’inventaire en ligne de la correspondance de d’Alembert, cette lettre du mois de juin 1751, alors que Quesnay (2005, t. 2, p. 1165) l’a datée, à mon avis à tort, de novembre-décembre 1751 : Buffon et Rousseau à qui le Discours préliminaire fut adressé par d’Alembert, sans doute en même temps qu’à Quesnay, remercièrent d’Alembert de son envoi dans des lettres datées du 20 juin 1751 et du 26 juin 1751, voir Buffon (1884-1886, t. 13, p. 82-83) et Rousseau (1965-1998, t. 2, p. 159-162). Rien dans la lettre de Quesnay n’indique qu’il répond avec retard à l’envoi de d’Alembert.
11 Voir Griveaud (1935, p. 85-90). Le rôle de Turgot dans cette affaire est mentionné par Schelle (1913-1923, t. 1, p. 25).
12 Voir Ozanam (1956, p. 154).
13 Jean-Pierre Tercier (1704-1767) eut un rôle diplomatique important au Secret du roi et comme premier commis aux Affaires étrangères, mais eut une seconde activité comme censeur.
14 Voir Encyclopédie (1751-1780, t. 6, p. 528). L’insistance de Quesnay sur les investissements requis pour la grande culture est bien connue. Ce fut un des thèmes favoris des physiocrates.
15 Sa correspondance avec Sacconay condamne l’action gouvernementale de Turgot, dit pis que pendre de Lemercier de La Rivière et épargne seulement parmi les physiocrates Quesnay, Du Pont, Baudeau et, assez souvent, Butré.
16 Voir Shaw (1966, p. 150).
17 Voir Journal de l’inspecteur d’Hémery (1756-1758, f. 40r, daté du 2 juin 1757), Bibliothèque Nationale, Richelieu, ms.Fr.22160. Les libraires vendant le livre étaient Chabert et Hérissant à Paris ; la page de titre de l’édition originale indiquait faussement Avignon et la date de 1756 et omettait le nom de l’auteur, comme c’est presque toujours le cas pour les livres publiés avec permission tacite.
18 Les annotations de Diderot, Rousseau et Voltaire en marge de leur exemplaire sont reproduites dans Helvétius (2016) et confirment au total des réactions contrastées et mesurées.
19 Ce détail est fourni par Electronic Enlightenment.
20 Cette lettre fut publiée en 1913 par Jusselin, dont l’excellent ouvrage est bien connu de Smith (1965, p. 6, note 5), qui en a fait usage, mais sans mentionner que Helvétius fait allusion à Quesnay dans la correspondance publiée par Jusselin.
21 Voir Henry (1883, p. 98 et p. 140-151). Je mentionne pour être complet l’hypothèse de Smith (1965, p. 161), peu plausible à mon avis, selon laquelle Turgot en voulait à Helvétius pour avoir épousé en 1751 (Smith se trompe sur la date du mariage) l’intelligente et belle nièce de Madame de Graffigny, Anne Catherine de Ligneville d’Autricourt, qui avait charmé Turgot.
22 La bibliographie de l’affaire est copieuse et on peut diversement interpréter les écrits de l’abbé Jean-Martin de Prades (1724-1782), qui tenta une synthèse impossible du catholicisme et de l’Encyclopédie en soutenant en Sorbonne une thèse de théologie et fut contraint de s’exiler en Prusse. Burson (2010) le voit en héraut des « Lumières catholiques » (Catholic Enlightenment), approche raisonnable à laquelle je souscris. Il n’est pas besoin de s’étendre sur le fond de l’affaire ou sur ses censeurs, motivés surtout par sa collaboration à l’Encyclopédie. Je renvoie seulement à l’article de Goyard-Fabre (1984) que je résume ici et qui relate d’une manière objective les principaux épisodes du scandale.
23 Arrest de la cour du Parlement, qui condamne deux livres intitulez : l ’ un, Histoire naturelle de l ’ âme ; l ’ autre, Pensées philosophiques, à être lacérez & brûlez par l ’ Exécuteur de la Haute-Justice, comme scandaleux, contraires à la Religion, & aux bonnes mœurs (7 juillet 1746).
24 Voir Recueil de pièces (1753, première partie, p. 28).
25 Voir Kors (1990, p. 357-379.
26 Voir Recueil de pièces (1753, première partie, p. 5).
27 Paul Mengal, voir Quesnay (2005, t. 1, p. 5), s’exprime ainsi sur les convictions de Quesnay sur les fonctions de l’âme : « cette position sera radicalisée par Descartes et prolongée par Malebranche jusqu’à devenir la doctrine de l’Église dans sa façon de concevoir les rapports entre l’âme et le corps. Quesnay se révèle donc d’une parfaite orthodoxie ».
28 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1189).
29 À noter que le frère de Jean-Jacques Le Franc de Pompignan, l’évêque du Puy, Jean-George Le Franc de Pompignan, s’illustra plus tard avec des critiques semblables et encore plus véhémentes en relançant l’accusation de « matérialisme » et d’athéisme contre De l’esprit, cf. Le Franc de Pompignan (1772, p. 86) : « les Lecteurs clairvoyants ne douterent pas, que (ce livre) n’eût été lâché…pour essayer les forces du Matérialisme, et pour engager le combat contre l’existence de Dieu ». On comprend donc que Smith (1965, p. 96, 152, 231) ait confondu les deux frères, l’évêque Jean-George et l’ami de Mirabeau, le poète et littérateur Jean-Jacques.
30 On ne sait à peu près rien de Desmarets, qui fut le confesseur de Louis XV. Quesnay avait choisi un garant bien placé.
31 Voir Ozanam (1956, p. 158) ou Smith (1965, p. 49).
32 Voir Quesnay (2005, t. 1, p. 66, section 20)
33 Smith (1965) consacre une longue analyse, à laquelle le lecteur intéressé pourra se reporter, à ce que le catholicisme acceptait (Condillac était un chrétien sincère et son Traité des sensations publié en 1754 n’avait provoqué aucune hostilité des dévots) et rejetait des doctrines sensualistes.
34 Voir Sabbagh (2020, Appendix 1, p. 154).
35 Voir Quesnay (2005, t. 1, p. 331, note 5). Un « carton » est un feuillet remplaçant pendant l’impression un feuillet déjà imprimé qui fut rejeté par l’auteur ou la censure. Les cartons sont généralement marqués d’un astérisque qui permet au relieur (et au lecteur) de les identifier, mais il y a, et pour de nombreuses raisons, des exceptions. Divers exemples sont donnés dans Sabbagh (2020) qui souligne les remaniements constants opérés par Quesnay dans ses textes. Je montrerai ailleurs que cela commença dès le premier livre, purement médical (si tant est qu’un ouvrage de Quesnay puisse être seulement médical), de Quesnay (1730).
36 Voir Quesnay (2005, t. 1, p. 5-60), qui reproduit Quesnay (1747, t. 3, p. 278-387).
37 L’exemplaire en question, ayant les cotes RES-8-TB7-51(A, 1, TB), puis (A, 2, TB) et (A, 3, TB) et RES-8-TB7-51 (A, 1, RES), puis (A, 2, RES) et (A, 3, RES, a manifestement une provenance remarquable, puisqu’il est relié en 6 tomes en maroquin d’époque (il est le seul exemplaire connu relié en 6 tomes à la parution) – ni Monsieur Chatelain, directeur actuel de la Réserve de la BNF, ni moi-même ne furent capables d’identifier le premier possesseur de cet ouvrage. L’exemplaire a été admirablement conservé et sa condition exceptionnelle interdit malheureusement de le numériser.
38 Voir Quesnay (1958, t. 1, p. 305).
39 Voir Quesnay (1976, p. 401-402).
40 Voir Quesnay (2005, t. 1, p. 44).
41 Il s’agit de l’acquiescement de l’âme.
42 Théodore Tronchin (1709-1781), élève de Boerhaave dont les écrits influencèrent Quesnay et nombre de savants, fut le plus illustre médecin genevois de son temps.
43 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1161-1162)
44 « On vient de donner une seconde édition de l’Essai physique sur l’œconomie animale… », Journal desSçavans (1747, numéro de juin, p. 381).
45 Voir Quesnay (1747, t. 1, voir les feuillets généralement présents avant la page chiffrée 1).
46 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1162-1163).
47 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1375).
48 La lettre en question n’a pu être retrouvée. Tout repose sur une fiche de la librairie Charavay que Jacqueline Hecht avait certainement consultée et que l’on peut localiser par un détour considérable via Quesnay (2005, t. 2, p. 1169, note 54), qui ne fait aucun rapport avec La vie de FrançoisQuesnay. Il n’y a aucune raison de douter que Quesnay ait écrit une telle lettre, mais la fiche n’est pas nécessairement absolument exacte. François Boissier Sauvages de la Croix (1706-1767), botaniste ami et correspondant de Linné et médecin vitaliste de l’école de Montpellier, mérite d’être mieux connu des lecteurs de Quesnay : la lecture attentive de deux de ses textes ne laisse aucun doute sur le fait qu’il est le destinataire de la lettre de Quesnay publiée dans Quesnay (2005, t. 2, p. 1169-1171), qui commente deux mémoires reçus par Quesnay de son correspondant, ce qui confirme du reste une hypothèse émise par les éditeurs de cette édition, p. 1169, note 54. Il est probable que cette lettre et celle du 16 janvier 1756 sont strictement contemporaines.
49 L’affirmation selon laquelle l’édition séparée de 1765 est un tiré à part de la première édition, parue la même année dans le Journal de l’agriculture, du commerce et des finances, cf. Quesnay (1958, t. 1, p. 309), reprise dans la bibliographie révisée de Quesnay (2005, t. 2, p. 1430), est inexacte, cf. Sabbagh (2020). Il y a trois textes distincts pour Droit naturel.
50 Cet opuscule et d’autres permirent à Jacqueline Hecht de faire une de ses découvertes les plus utiles aux lecteurs de Quesnay, découverte relatée avec une concision spartiate dans Quesnay (2005, t. 1, p. 91) : Jacqueline Hecht découvrit à la Bibliothèque Nationale un recueil ayant appartenu au gendre et collaborateur de Quesnay, Hévin, qui contenait un des rares exemplaires de Aspect de lapsychologie, un des rares exemplaires de Observation sur la conservation de la vue, autre texte (d’une trentaine de lignes) de Quesnay, omis dans toutes les éditions de Quesnay, et un exemplaire corrigé par Quesnay de ce qu’on appelle la « seconde édition du Tableau économique », cf. Quesnay (2005, t. 1, p. 392), ainsi qu’une foule d’écrits de l’époque qui nous renseignent sur l’activité de médecin et de polémiste en médecine et chirurgie de Quesnay dans les années 1740-1755. La BNF détruisit l’intégrité de ce recueil en ôtant le Tableau économique (maintenant conservé tout seul à la Réserve sous la cote RES P-R-884, et non Res PR 884 fournie dans Quesnay (2005, t. 1, p. 392)) et en laissant le reste du recueil aux imprimés ordinaires, avec la cote générale T-18-121, ce qui rend difficile la consultation simultanée d’impressions rarissimes de Quesnay, que la BNF était la seule bibliothèque au monde à posséder dans le même volume, et la détermination de leur lieu d’impression.
51 Jean-Paul Grandjean de Fouchy (1707-1788) fut le secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences de France et laissa plus de soixante éloges d’académiciens, dont celui, particulièrement intéressant, de Quesnay, reproduit intégralement dans Quesnay (1888, p. 15-38) et utilisant probablement des informations obtenues de la famille de Quesnay.
52 Voir Quesnay (1958, t. 2, p. 683, note 1) et Quesnay (2005, t. 1, p. 91).
53 L’exemplaire d’Adam Smith est conservé à la Goldsmiths Library, à Londres et numérisé par la collection The Making of the Modern World. LA BNF et la bibliothèque de l’Arsenal possèdent les trois autres exemplaires répertoriés. Le seul exemplaire situé hors de France de Observation sur la conservation de la vue est possédé par La Hagley Library à Wilmington, Delaware, États-Unis et a appartenu presque certainement à Du Pont, comme des renseignements fournis par cette bibliothèque semblent l’indiquer. Cet opuscule n’est toujours pas numérisé apparemment.
54 On se bornera à renvoyer à l’ouvrage le plus emblématique de l’auteur, Israel (2001), mais le lecteur est prié d’observer que Israel (2011, p. 641) révèle une méconnaissance totale des écrits de Quesnay (et plus généralement des physiocrates) relatifs aux impôts et au commerce et l’industrie.
55 Celles de Weulersse, Le mouvement physiocratique en France de 1756 à 1770, et de Belin, Le mouvement philosophique de 1748 à 1789 : étude sur la diffusion des idées des philosophes d’après les documents concernant l’histoire de la librairie, datant respectivement de 1910 et 1913. Weulersse consacre quelques lignes à comparer les positions d’Helvétius et celles des physiocrates. Belin (1913) est le premier auteur à avoir étudié sérieusement la publication de De l’esprit en se basant sur les documents qu’il avait découverts ; son ouvrage est évidemment aujourd’hui dépassé.
56 VoirQuesnay (1958, t. 1, p. 211) ou, sans aucune modification, Quesnay (2005, t. 2, p. 1331).
57 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1331). Christine Théré m’a indiqué que l’avertissement était conforme aux souhaits de Jacqueline Hecht.
58 Voir Quesnay (1958, t. 1, p. 321-322) ou Quesnay (2005, t. 2, p. 1533).
59 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1349 et p. 1374-1375).
60 Voir Quesnay (1888, p. 34) où Oncken contredit Grandjean de Fouchy à la note 1.
61 Voir Quesnay (1958, t. 1, p. 261) ou Quesnay (2005, t. 2, p. 1385).
62 Knies écrivit à la note 1 de la p. 108 que la « Dame distinguée » était la marquise de Pompadour (qui n’avait pas pour Mirabeau une affection débordante). Jacqueline Hecht fut plus perspicace en reconnaissant qu’il ne pouvait s’agir que de la marquise de Pailly, la maîtresse de Mirabeau.
63 L’ouvrage de Knies n’est pas omis dans cette bibliographie.
64 Numéro d’identification de la Hagley Library : 08049283.
65 Voir Quesnay (2005, t. 2, p. 1184). Les éditeurs de Quesnay (2005) datent à la p. 1181 cette lettre du premier semestre de 1759 mais ne donnent aucune raison convaincante pour cette datation.
- a letter of Mirabeau to Helvétius, the only one recorded between the two men, condemning Helvétius’s book and asking for its withdrawal;
- the fact that the Sorbonne listed and quoted one of Quesnay’s texts, published in the Encyclopédie, among the writings which inspired De l’esprit;
- a proof that a very rare text of Quesnay was printed in march 1760 at Versailles in Madame de Pompadour’s apartments and with her assistance. This establishes a claim of Jacqueline Hecht, whose biography was issued without its notes in its two publications of 1958 and 2005.
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-13254-7
- EAN: 9782406132547
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13254-7.p.0023
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-01-2022
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Mirabeau, Quesnay, Helvétius, Hecht, Encyclopédie, soul, censorship, printing.