Vision and Analysis According to Robert Heilbroner
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d'histoire de la pensée économique
2019 – 2, n° 8. varia - Author: Ferraton (Cyrille)
- Pages: 15 to 36
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
Vision et analyse
chez Robert Heilbroner
Cyrille Ferraton
Université de Montpellier
ART-Dev UMR 5281
Introduction
Robert Heilbroner (1919-2005) est l’auteur d’un best-seller économique, The Worldly Philosophers : The Lives, Times and Ideas of the Great Economics Thinkers (1953), qui masque aujourd’hui très probablement ses nombreux autres travaux portant sur la politique économique, le capitalisme, le socialisme, ou encore la méthodologie économique1. Ils puisent à des sources éclectiques non limitées aux seules références économiques. Néanmoins, les philosophes économiques (Worldly Philosophers), tout particulièrement Adam Smith, Karl Marx et Joseph Schumpeter, constituent ses auteurs de prédilection. Mais son principal mentor reste Adolph Lowe (1883-1985). Professeur à l’université de Kiel puis de Francfort, ce dernier doit s’exiler au début des années 1930 en Angleterre, puis aux États-Unis où il poursuit sa carrière au sein de la New School for Social Research à l’invitation d’Alvin Johnson alors à la tête de l’école. Favorable à une approche empirique de l’économie, ouverte aux autres 16sciences sociales, Lowe développe une méthodologie instrumentale pionnière, où à partir d’objectifs préalablement sélectionnés de manière démocratique, le travail du chercheur consiste à déterminer les moyens techniques, sociales, voire politiques qui permettent de les atteindre. Dans cette perspective, « c’était la réalité – et non la théorie – qui devait être modifiée, si nous voulions faire correspondre notre description et le monde social » (Heilbroner, 1980a, p. 242).
Critique de l’orientation prise par l’analyse économique post-keynésienne pour sa nature a-historique et dépolitisée, Heilbroner n’a eu de cesse de préconiser une approche située et historique qui tienne compte des déterminants et des conséquences sociologiques, politiques et morales des changements économiques, à l’instar des philosophes économiques (Adam Smith, John Stuart Mill, David Ricardo, Karl Marx, Thorstein Veblen, Joseph Schumpeter ou encore John Maynard Keynes). Il introduit au début des années 1970, notamment à partir de An Inquiry into the human Prospect (1974), une réflexion sur les dégradations environnementales suscitées par la croissance économique.
Ses réflexions l’ont ainsi amené à murement réfléchir sur l’essence du capitalisme à partir d’une analyse pluridisciplinaire intégrant notamment les apports de la psychologie et de la psychanalyse. Réduits à la simple étude technique du fonctionnement des marchés, les travaux économiques contemporains négligent le rôle fondamental de l’État dans leur fonctionnement, tout en évacuant les valeurs culturelles et les fondements sociaux et psychologiques sur lesquels repose le capitalisme. L’absence du terme de « capitalisme » dans le discours économique moderne, tout particulièrement dans les manuels économiques destinés aux étudiants en formation initiale, témoigne de la dépolitisation de l’économie moderne. La seule analyse des marchés est insuffisante à rendre compte de la « nature » et de la « logique » du capitalisme. L’accumulation du capital (capital) à des fins de pouvoir et de prestige échappe totalement à l’analyse économique, tout comme les interactions mutuellement dépendantes entre l’État et le marché. Selon Heilbroner, l’accumulation du capital permet de satisfaire un besoin de domination ancré dès l’enfance qui ne connait dans le capitalisme aucune inhibition, contrairement aux sociétés non-capitalistes qui avaient réussi à le limiter culturellement. La recherche du profit joue un rôle équivalent à la conquête territoriale pour les régimes militaires ou à l’augmentation des fidèles pour les 17religions. Hiérarchie, pouvoir et domination sont ainsi indissociables de l’accumulation du capital. L’analyse des choix individuels sur laquelle se focalise l’économie conventionnelle est incapable de rendre compte de cette logique d’ensemble seulement compréhensible à partir d’une approche sociopolitique.
Cette dernière critique de l’économie conventionnelle est constitutive de sa conception « interprétative ou herméneutique » des sciences sociales en général, de l’économie en particulier (Heilbroner, 1990a, p. 102). Selon Heilbroner, toute approche théorique repose sur une « vision », notion empruntée à Joseph Schumpeter définie comme « un acte cognitif préanalytique » (preanalytic cognitive act), faite de stéréotypes sociaux, de motivations politiques, etc., qui précède le travail analytique proprement dit. Cette vision inclut ainsi des préconceptions sur la « nature » humaine ou encore le besoin d’égalité ou de hiérarchie. Elle est indissociable de toute pensée sociale et représente, selon Heilbroner, une nécessité d’ordre psychologique, voire existentielle parce qu’elle permet de rendre plus intelligible la réalité sociale. Cette conception « herméneutique » s’oppose à celle dominante en économie qui recherche l’objectivité par l’intermédiaire d’une analyse strictement technique (Heilbroner, op. cit., p. 102). Elle introduit également « un rapport d’engagement personnel – même de responsabilité » du chercheur2.
Le diagnostic établi par Heilbroner est donc pessimiste : les économistes modernes souffrent d’une crise de la « vision » par leurs croyances dans la fertilité d’une science dépolitisée et socialement désincarnée, au moyen des techniques quantitatives. Cette conception « herméneutique » encore peu étudiée3 offre a priori quelques proximités avec l’institutionnalisme (Carroll, 1998), en particulier avec les approches développées par William Dugger (1992) ou encore Gunnar Myrdal (1958, 1962, 1969). Mais elle reste surtout indissociable du travail 18d’historien de la pensée mené tout au long de sa carrière sur les philosophes économiques (Worldly Philosophers)4. Ainsi, nous nous proposons de montrer en quoi cette conception « herméneutique » est redevable de son travail d’historien de la pensée économique. Nous débutons par une présentation du couple vision/analyse et des raisons avancées par Heilbroner pour expliquer l’impossibilité d’atteindre l’idéal d’objectivité (I). La partie suivante est consacrée à la caractérisation de la crise de la vision de l’économie moderne qui résulte principalement d’une mauvaise définition de l’objet économique chez ces économistes (II). La dernière partie porte sur le travail historique dédié aux philosophes économiques qui a favorisé le développement d’une conception « herméneutique » de l’économie (III).
I. L’analyse repose sur la vision de l’économiste
Heilbroner s’appuie sur la distinction entre vision et analyse introduite dans History of Economic Analysis (1954) par Joseph Schumpeter pour soutenir la thèse selon laquelle le travail de l’économiste est irrémédiablement normatif. La vision précède le travail analytique ; elle témoigne de « la manière dont nous voyons les choses (qui) peut à peine se distinguer de la manière dont nous souhaitons les voir » (Schumpeter, 1983, p. 76). Ainsi, selon Joseph Schumpeter, la General Theory of Employment, Interest, and Money (1936) de John Maynard Keynes part d’une vision correspondant au « capitalisme anglais sur le déclin, considéré du point de vue d’un intellectuel anglais » (Schumpeter, op. cit., p. 74). L’idéologie est constitutive de la vision et donc s’immisce dans le travail analytique5. Cependant, Joseph Schumpeter croit possible par l’application des règles 19méthodologiques propres au travail analytique d’évincer l’idéologie, ce que conteste Heilbroner (Heilbroner, 1988, p. 185-199 ; 1990a ; 1993b)6. Mais encore convient-il de bien qualifier ce qu’est l’idéologie, car celle-ci est plurielle et prend rarement la forme d’« une fausse représentation reconnue de la réalité sociale7 » ; elle correspond davantage à une représentation possible du réel reposant souvent sur des données empiriques ou des concepts pertinents (Heilbroner, 1990a, p. 103). L’idéologie autrement définie comme un « système de croyances » conduit à la « construction de la réalité sociale » ou encore à la détermination des « cadres à partir desquels les sociétés perçoivent et interprètent les arrangements qui organisent leurs existences » (Heilbroner, op. cit., p. 105). Ainsi, est-il impossible d’entamer une recherche d’un point de vue « désintéressé », autrement dit dans une position où le chercheur se montre totalement indifférent des résultats auxquels il aboutit. Heilbroner ne nie pas l’existence de l’idéologie sous la forme d’une représentation délibérément erronée de la réalité sociale, mais elle est plutôt l’exception que la règle. Surtout, même dans cette forme extrême, elle est défendue sur la base « d’une idée ou d’un intérêt » qui pour l’idéologue, dans la majorité des cas, est pleinement convaincu de la « droiture de sa cause » (Heilbroner, 1988, p. 185-186)8.
Ainsi, est-il nécessaire de distinguer ces deux types d’idéologie. L’idéologie comme « système de croyances » est dominante et inévitable, et même, souligne Heilbroner, pleinement légitime ce qui, là encore, l’oppose à Joseph Schumpeter. Les visions des économistes comme l’illustre l’histoire de la pensée économique ne sont que des interprétations différentes du réel. Leur légitimité se situe à au moins deux niveaux complémentaires : sans elles, aucune analyse économique ne serait possible, et, elles rendent intelligibles la réalité sociale relevant à ce titre de « nécessités psychologiques, voire existentielles » (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 7). Les croyances du chercheur constitutives de sa 20vision tient au fait qu’il ne peut entreprendre sa recherche d’une position neutre. Sa situation sociale, sa trajectoire, ses valeurs morales, etc. expliquent sa vision (Heilbroner, 1988, p. 191). La problématique des valeurs et de leur intrusion dans la recherche a été posée dès la fondation des sciences sociales, de la sociologie en particulier, mais nuance Heilbroner, celles-ci n’ont jamais vraiment trouvé de solution dans leur quête d’une science dénuée de valeurs sur le modèle des sciences « dures ». À cela, rien d’étonnant puisque la position sociale, mais aussi la position morale, du chercheur en sciences sociales influent nécessairement sur la manière dont il analyse son objet, et les résultats obtenus servent fréquemment « à justifier la position sociale du chercheur » (Heilbroner, 1974, p. 20-21 ; 1988, p. 191). L’objectivité est par conséquent un objectif chimérique. Une des tâches de l’économiste est précisément de reconnaitre la pluralité des visions et donc des catégories théoriques à partir desquelles un même problème peut être analysé. Cette « imperfection » originelle de toute investigation scientifique n’invalide pas pour autant le travail analytique qui consiste principalement à tester empiriquement les hypothèses théoriques, et à les modifier en conséquence. L’objet de la science est limité à « notre compréhension de comment fonctionne la réalité, non de comment nous la percevons » (Heilbroner, 1988, p. 194). Les catégories utilisées par l’économiste, comme l’utilité, la valeur, le travail ou encore le capital, ne résultent pas de l’analyse, mais sont créées par ses perceptions.
Outre l’emprunt à Joseph Schumpeter des notions de vision et d’analyse et l’influence d’Adolph Lowe, Heilbroner dans ses différentes contributions relatives à sa conception « herméneutique » s’appuie sur des auteurs variés comme Deirdre McCloskey, Philip Mirowski, Thomas Kuhn, Richard Rorty ou encore Peter Berger et Thomas Luckmann ce qui le rapproche indéniablement d’une conception « constructiviste » dans les sciences sociales9. Très tôt, il souligne le caractère « construit » 21de l’objet des sciences sociales, de l’économie en particulier, qu’il oppose régulièrement à l’objet des sciences « dures » qui à ses yeux constitue le modèle de référence des économistes : « Un des attributs décisifs qui distingue le monde social du monde physique est que les évènements sociaux ne sont pas seulement des interactions de forces, mais aussi des concours de volontés » (Heilbroner, 1973, p. 134). Il y a une part d’incertitude inhérente dans toute conceptualisation des activités économiques liée au fait qu’elles relèvent de motivations individuelles potentiellement évolutives et non réductibles au seul intérêt individuel comme le postule l’économie conventionnelle (Heilbroner, 1998, p. 5 ; 2004, p. 624-625).
Heilbroner soutient l’hypothèse que l’objet économique s’inscrit dans un cadre sociopolitique dans lequel le pouvoir est inégalement réparti entre les groupes sociaux et les individus impliquant obéissance et domination (Heilbroner, 1994, p. 327)10. Pour autant, il est nécessaire d’isoler dans la réalité sociale ce à quoi correspond cet objet économique. Très proche de l’analyse anthropologique de Karl Polanyi, Heilbroner propose une définition de l’économie qui tienne compte des configurations institutionnelles et des interactions sociales dans l’approvisionnement en ressources des sociétés11. Ainsi, distingue-t-il au-delà de l’économie capitaliste, l’économie traditionnelle et l’économie planifiée, mais toute économie reste transitoire, historiquement située et susceptible d’être soumise à des transformations futures (Heilbroner, 1988, p. 13-17).
22S’inspirant des analyses psychologiques et psychanalytiques12, il propose un ensemble de réflexions sur les comportements politiques tout à fait iconoclastes de la part d’un économiste. Le rôle joué par la socialisation primaire serait ainsi primordial qui voit l’émergence des relations de subordination, d’obéissance et de domination consécutivement aux contraintes parentales imposées (Heilbroner, 1988, p. 18-19). Dans cette perspective, toute vision évacuant ce dernier type de relations sociales fait fausse route. Il pourrait être souligné à ce stade une forme d’incohérence dans la conception d’Heilbroner. N’exprime-t-il pas ici sa vision en niant la pertinence des approches négligeant les rapports de pouvoir ? En définitive, cela ne témoigne-t-il pas d’une absence de reconnaissance de la pluralité des visions sur la réalité sociale ? En fait, sa critique, qui reconnait-il par définition est idéologique, se situe à un autre niveau ; elle vise davantage à souligner l’irréalisme d’une conception a-politique et a-sociale qu’il identifie chez les économistes modernes croyant pouvoir atteindre une objectivité factice, et milite pour le retour d’une économie réellement politique.
II. La crise de la vision de l’économie moderne
Dans « Analysis and Vision in the History of Modern Economic Thought » publié en 1990 dans le Journal of Economic Literature, Heilbroner constate l’absence de « perception partagée » chez les économistes modernes quant à la dynamique de l’économie capitaliste (Heilbroner, 1990b, p. 1106). Depuis la remise en cause du keynésianisme, monétarisme, nouvelle économie classique ou nouvelle économie keynésienne n’ont pas été en mesure de fournir une vision commune (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 120). Le lien avec le réel et les problématiques sociales émergentes semble être devenu quasi-inexistant : « Le discours économique se caractérise par une tendance prononcée au formalisme, où la théorie du choix devient la principale manière de représenter les interactions 23des individus dans leur prise de décision » (Heilbroner, op. cit., p. 1106). Le formalisme croissant s’est accompagné d’une dilution de l’objet économique au profit d’une prétention explicative hégémonique au sein des sciences sociales. L’analyse moderne entend se conformer à des règles scientifiques utilisées par les sciences dures afin d’atteindre l’idéal d’objectivité. Cette nouvelle orientation repose sur l’attractivité qu’exerce la science, qui, conjecture Heilbroner, est probablement l’activité intellectuelle la plus prisée dans la société moderne (Heilbroner, 1998, p. 5). Mais l’objectivité visée conduit au développement d’une analyse économique qui paradoxalement tombe dans l’idéologie. L’absence ou la quasi-absence de références aux dimensions sociopolitiques des activités économiques apporte précisément une légitimité au capitalisme sur lequel s’appuie l’analyse économique. La disparition dans le discours économique de certains termes comme capitalisme au profit de termes plus techniques comme « société de marchés libres », notamment dans les manuels d’économie, représente un premier indice de cette dépolitisation du discours économique. Mais ce sont davantage encore les catégories mobilisées qui en témoignent. Par exemple, les présentations portant sur la maximisation de l’utilité introduisent le revenu sans que d’explication ne soit donnée quant à la manière dont celui-ci s’est formé ou a été distribué. Identiquement, les dépenses publiques qui incluent les dépenses d’infrastructure ou d’éducation apparaissent comme des consommations et non des investissements dans le produit national (Heilbroner, 1993b, p. 92). Le discours économique remplit donc une fonction idéologique en utilisant des techniques d’analyse qui masquent l’existence de rapports sociaux inégalitaires et hiérarchiques ou encore de rapports de pouvoir. Il apporte une caution morale au capitalisme en ne le qualifiant que d’un point de vue économique, en occultant ainsi ses dimensions politiques et sociales. Cette vision du capitalisme conduit à la formation de perceptions strictement économiques ignorant « tous les aspects de domination et de consentement » (Heilbroner, 1988, p. 192).
Heilbroner distingue trois grandes caractéristiques dans le capitalisme13 :
24–Il emprunte à Karl Marx l’idée selon laquelle l’accumulation du capital constitue la force motrice du capitalisme, mais en considérant comme nous le soulignions précédemment, les déterminants psychologiques et psychanalytiques qui sous-tendent cette logique acquisitive. La motivation principale de l’accumulation du capital se trouve du côté du pouvoir et du prestige que celle-ci confère. Il s’agit donc de satisfaire un besoin de domination forgé durant la socialisation primaire. L’analyse des choix individuels sur laquelle se focalise l’économie conventionnelle est incapable de rendre compte de cette logique d’ensemble seulement compréhensible à partir d’une approche sociopolitique.
–Les marchés qui permettent l’allocation des ressources et la coordination des activités économiques constituent la base économique institutionnelle du capitalisme. Mais pris isolément à l’instar des économistes contemporains, ils ne permettent pas de qualifier le capitalisme et notamment de comprendre la logique acquisitive.
–Enfin, la distinction entre un secteur public et un secteur privé, dans lequel se déploient les activités économiques marchandes, représente une dernière caractéristique centrale du capitalisme. Cette distinction constitue une particularité historique, car il n’existe pas dans les sociétés non ou pré-capitalistes d’activités économiques reposant sur des règles propres et autonomes du reste des activités sociales. Les sociétés n’isolaient pas non plus l’exercice de l’autorité dans un secteur privé délimité. Cette séparation est source de libertés car la dissidence politique peut trouver dans la sphère économique des sources d’expression inconcevables dans les sociétés non-capitalistes.
Cette caractérisation du capitalisme comme configuration institutionnelle historiquement située reposant sur des logiques sociopolitiques n’a plus cours parmi les économistes modernes, principalement focalisés sur l’organisation des marchés dans une perspective fonctionnaliste. Afin de mieux qualifier l’évolution de l’analyse économique moderne, Heilbroner distingue système et régime. Un système renvoie à une analyse de la société où les interactions entre ses membres sont dénuées de rapports de pouvoir et de domination, décrites uniquement à partir du langage de la science. Il s’agit du modèle d’analyse des économistes 25modernes. Un régime part de l’idée que toute organisation sociale est régie par des relations hiérarchiques et collectives (communal) qui ne peut être étudiée que par le prisme d’approches psychologique et politique (Heilbroner, 1990a, p. 107-108). C’est l’analyse adoptée par Heilbroner. Qu’un économiste utilise pour décrire la société la notion de système ou de régime, l’analyse restera inévitablement normative. Ignorer la vision relève de l’idéologie au même titre qu’une vision assumée, mais dans cette dernière perspective, il s’agit d’une idéologie « consciemment adoptée » (Heilbroner, 1994, p. 329).
L’étude des systèmes de prix et des marchés est ainsi foncièrement idéologique pour au moins quatre raisons (Heilbroner, 1990a, p. 110) :
–L’allocation des ressources qui résulte du fonctionnement marchand à partir de l’hypothèse de rationalité individuelle intéressée est principalement évaluée au travers de sa réussite à maintenir le statu quo et à ne pas remettre en cause la répartition du revenu, c’est-à-dire du point de vue du régime capitaliste duquel dépend l’analyse moderne.
–La liberté prêtée au fonctionnement marchand masque les rapports de pouvoir et de domination qui dans un contexte de pénurie, souligne Heilbroner, sont particulièrement évidents.
–La répartition du revenu est clairement favorable au capital au détriment du travail. Les surplus potentiels sont versés au capital. Quant à l’hypothèse de la productivité marginale qui conduit au résultat surprenant qu’il peut exister une économie capitaliste sans profit, c’est équivalent à l’idée qu’il peut exister une « monarchie sans roi » (Heilbroner, op. cit., p. 110).
–Enfin, les acteurs sont supposés accepter sans résistance ou contestation le fonctionnement marchand en termes de travail fourni, de mobilité, etc. Les économistes ignorent la fonction politique du fonctionnement marchand, en l’occurrence « sa capacité à mobiliser et à allouer le travail pour des fins qui ne sont pas celles des travailleurs eux-mêmes » (Heilbroner, op. cit., p. 111).
La crise de la vision partagée chez les économistes modernes s’explique principalement par la dépolitisation de la science économique. Les transformations dans les visions sont directement liées aux changements sociopolitiques. La vision moderne située au-dessus « des contingences » 26politiques et sociales ne peut dans cette perspective susciter une adhésion unanime de la communauté des économistes (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 158). Le diagnostic porté sur l’analyse moderne est sévère. Heilbroner estime en effet que l’apport de l’économie moderne comparativement aux contributions passées des philosophes économiques est « superficiel et pauvre » (Heilbroner, 1990a, p. 21)14.
Dans ce contexte, une nouvelle vision peut-elle voir le jour ? Selon Heilbroner, une vision alternative ne pourra émerger que si la nature politique de l’économie est reconnue. L’abandon de « l’idée de loi naturelle » au profit d’une « affirmation explicite du lien inextricable entre l’analyse économique et l’ordre social qui la sous-tend » semble un préalable (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 170). L’inspiration des politiques publiques par l’analyse économique lui semble également indispensable en particulier pour faire face aux incertitudes liées à la transnationalisation de la production et aux risques écologiques (Heilbroner, 1998, p. 6).
III. Le travail de l’historien
Dès le début des années 1980, Heilbroner constate la place marginale occupée par l’histoire de la pensée économique dans l’enseignement universitaire. Les auteurs passés ne sont étudiés que pour la manière dont leurs analyses ont posé les jalons de l’économie moderne, non pour « leur intérêt propre et leur importance » (Heilbroner, 1980b, p. 20). Contre l’idée d’un savoir cumulatif, Heilbroner souligne le fait que les problématiques de l’économiste ne sont pas a-historiques et changent d’une période à l’autre en fonction des configurations sociopolitiques. Dans cette perspective, toute progression dans le savoir économique apparait illusoire puisque les objectifs de l’analyse évoluent voire sont complètement modifiés. Les techniques d’analyse sont certes de plus en plus sophistiquées, mais elles ne permettent pas à elles seules une 27compréhension plus juste ou plus profonde des problèmes étudiés : « Les plus formidables avancées dans les méthodes mathématiques, statistiques ou philosophiques ne nous aident pas dans la formulation des formes (gesltats) et des visions à partir desquelles nous “saisissons” les problèmes de la société » (Heilbroner, 1980b, p. 23). Le statut dégradé de l’histoire de la pensée économique est directement lié à la vision de l’économiste moderne modelée sur celle des sciences dures.
Le travail historique est pourtant riche d’enseignements car si les philosophes économiques se sont fréquemment trompés quant aux futurs de l’économie capitaliste, ils ont su proposer des analyses qui ont donné un sens aux périodes dans lesquelles ils vivaient. Au moins deux raisons peuvent être avancées pour expliquer le jugement positif d’Heilbroner. Ces analyses d’un côté ne sont pas restreintes aux seules dimensions économiques, mais relèvent d’emblée d’une démarche de sciences sociales, ou pour utiliser la terminologie d’Heilbroner, d’économie politique. De l’autre côté et de manière complémentaire, leurs visions sont directement rattachées aux problématiques de leurs temps. Si ces visions peuvent venir légitimer la domination de certaines catégories sociales ou encore le changement social y compris par des moyens révolutionnaires, elles servent un autre objectif plus important : « avec tout leur contenu idéologique, et souvent à cause de lui, les visions déterminent à la fois la place historique de la société existante, et les possibilités imaginables pour l’avenir » (Heilbroner, 1993b, p. 94). L’utilité sociale des analyses des philosophes économiques est dans cette perspective pleinement avérée ; elle l’est beaucoup moins pour l’analyse moderne aux yeux d’Heilbroner.
The Worldly Philosophers (la septième et dernière édition est publiée en 1999 ; il fut traduit en une vingtaine de langues et s’écoula, pour l’édition en langue anglaise, à plusieurs millions d’exemplaires) est précisément organisé en fonction des visions dominantes des périodes historiques et des auteurs considérés. Adam Smith et David Ricardo sont distingués non pour le progrès analytique que les écrits de ce dernier ont permis, notamment en termes de rente différentielle, mais pour la vision différente qu’ils ont adoptée où le « surplus est détourné des mains de la classe productrice de richesses au profit de la classe consommatrice de richesses » (Heilbroner, 1994, p. 326). Les philosophes économiques développèrent des analyses de l’accumulation du capital qui embrassaient des aspects sociaux, culturels et politiques. Grâce à ces 28économistes, « l’ancien monde monotone et chaotique se transforma en une société vivante, avec une histoire et une signification propre. C’est cette recherche de la signification du monde qui constitue le cœur de la science économique » (Heilbroner, 1957, p. 10). The Worldly Philosophers rend ainsi compte de ces grands récits qui ont été proposés par les philosophes économiques pour donner sens au capitalisme de leur temps, récits qui ont pu aussi servir de repères et de soutiens aux interventions visant à agir sur le devenir des sociétés. Les récits proposés n’étaient pas en effet réduits à une analyse statique, mais envisageaient le futur probable du capitalisme. Ces trajectoires possibles sont définies comme des scénarios qui sont distingués des visions, même s’ils en découlent (Heilbroner, 1990b, p. 1111). Finalement, la fréquentation des philosophes économiques conduit Heilbroner à une conception de l’économie différente sur au moins trois points de l’économie conventionnelle :
–à la définition « formelle » de l’économie conventionnelle, il adopte une définition « substantive » très proche de celle proposée par Karl Polanyi (comme nous le notions précédemment) consistant dans l’étude des activités de production et de distribution, et des moyens de coordonner ces dernières activités « avec les objectifs de l’ordre social » (Heilbroner, 1988, p. 32).
–L’économie est d’emblée politique dans la mesure où toute investigation repose sur la vision de l’économiste. C’est pourquoi, selon Heilbroner, la politique (politics) prime sur l’économie (economics) (Heilbroner, 1984, p. 693).
–Les économistes élaborent des scénarios quant aux futurs économiques possibles visant à apporter une signification, optimiste ou pessimiste suivant la vision adoptée, aux questions économiques et sociales affectant la société, et même si la capacité des économistes à élaborer ces prévisions est limitée et que rétrospectivement, ces scénarios se sont révélés éloignés de la réalité (Heilbroner, 1990b, p. 1107-1109).
Dans l’étude historique sur la période s’étalant de 1939 à 1989 qu’il développe dans « Analysis and Vision in the History of Modern Economic Thought » (1990), complémentaire de The Worldly Philosophers, la périodisation proposée dans la pensée économique (limitée à la pensée anglo-américaine) s’appuie, là encore, sur les visions marquantes qui ont 29conduit à la constitution d’une « situation classique » au sens de Joseph Schumpeter. Ce ne sont pas les progrès analytiques qui ont permis la formation de ces situations classiques, mais l’adhésion qu’ont suscité les visions des économistes (Heilbroner & Milberg, 1998, p. 22). Trois périodes sont distinguées, mais l’appréciation de la dernière constitutive de l’économie moderne est mitigée.
–La première période correspond à la fin des années 1930. L’économie capitaliste suscite certaines craintes du côté des économistes, exprimées notamment par John Maynard Keynes dans la General Theory of Employment, Interest, and Money (1936) et Alvin Hansen dans Full Recovery or Stagnation (1938), alors que le socialisme soviétique reçoit des évaluations beaucoup plus optimistes en particulier de la part d’Oskar Lange dans On The Economic Theory of Socialism (1938)15.
–La seconde période s’étale de 1945 au milieu des années 1960. Alors que la synthèse néoclassique s’affirme, Heilbroner considère Capitalism, Socialism and Democracy (1942) de Joseph Schumpeter comme « la tentative post-dépression la plus ambitieuse et la plus impressionnante de prévision du devenir du capitalisme et du socialisme sur une grande échelle historique » (Heilbroner, 1990b, p. 1103), même si, comme pour la période précédente, les projections de Joseph Schumpeter, négatives pour le capitalisme et positives pour le socialisme, seront contredites par le cours de l’histoire.
–La dernière période jusqu’à 1989, contrairement aux deux précédentes, ne voit pas émerger de « situation classique », dénotant d’une crise de la vision comme nous le développions précédemment où le formalisme et l’abandon de l’histoire prennent le pas sur l’ancrage à la réalité sociale.
Cette dernière situation pose la question du devenir de l’analyse économique et de la place de l’histoire, de l’histoire de la pensée économique en particulier. Heilbroner la soulève dans ses travaux les plus tardifs, en particulier dans la septième édition de The Worldly Philosophers (1999), qui laisse peu de place à l’espoir d’une issue heureuse16. En effet, 30il ajoute dans cette dernière édition un dernier chapitre intitulé « The End of the Worldly Philosophy ? » (Heilbroner, 1999, p. 311-321). La « fin » renvoie à une double perspective :
–La fin au sens d’achèvement (termination) des philosophes économiques emportés par le formalisme, l’abstraction et la croyance moderne dans une économie désintéressée entraînant le défaut de vision partagée dans l’économie conventionnelle, et par extension l’incapacité de formuler une approche théorique du capitalisme contemporain.
–La fin au sens de finalité (purpose) de l’analyse économique. Alors que les philosophes économiques envisageaient une fin politique mobilisant facteurs sociaux, culturels, économiques, etc., par l’intermédiaire des scénarios esquissés, celle-ci aujourd’hui réduite à la seule dimension économique conduit à un appauvrissement des futurs économiques possibles et à une très faible compréhension du devenir du capitalisme.
L’abandon de l’histoire et la dépolitisation de l’économie moderne, motivés par l’impératif de caler l’analyse économique sur le crédo de la science, « la religion de la société séculière » (Heilbroner, 1994, p. 328), expliquent le déclin des philosophes économiques et, aux yeux d’Heilbroner, de la perte d’audience de l’économie parce que celle-ci n’est pas en mesure de donner un sens au capitalisme moderne.
Conclusion
Le questionnement sur la fin des philosophes économiques est formulé tardivement par Heilbroner, mais la dissociation entre l’analyse économique et le capitalisme a une origine bien plus ancienne à la lecture des Worldly Philosophers. C’est dès la fin du xixe siècle qu’une partie des économistes commença à se détourner des problèmes auxquels était 31exposé le capitalisme : « l’ère victorienne a vu surgir un nouveau genre de chercheurs qui, s’ils étaient prêts à examiner en détail le mécanisme du système, n’avaient l’intention ni de se poser des questions pénétrantes sur ses mérites essentiels, ni d’émettre des doutes sur son sort éventuel » (Heilbroner, 1957, p. 155). Selon Heilbroner, Françis Edgeworth, bien plus que Léon Walras, est représentatif de cette nouvelle orientation caractérisée par une sophistication technique croissante reposant sur les critères utilitaristes introduits par Jeremy Bentham. Architecte d’un « beau Xanadu économique imaginaire », par le recours aux instruments mathématiques, il permit la rationalisation des « principes du conservatisme » (Heilbroner, ibid., p. 157). Pourtant les problèmes posés par le capitalisme dont la pauvreté ou les inégalités continuaient à être toujours aussi vivaces. C’est alors du côté des « hérétiques », et en particulier chez Thorstein Veblen, que furent développées les analyses les plus pertinentes parce que n’ignorant pas les dysfonctionnements du capitalisme. Par une « méthode presque anthropologique », Thorstein Veblen remis en cause les principes de l’homo oeconomicus sur lesquels s’appuyait alors l’économie conventionnelle, spécifiquement l’agencement bien ordonné de la hiérarchie sociale ou encore la répartition non problématique des revenus. Derrière cette figure censée incarner l’acteur économique, se révélaient en fait des mobiles marqués par l’irrationalité renvoyant aux « agissements purement instinctifs des primitifs » (Heilbroner, 1957, p. 206-207). Mais à l’identique de Karl Marx, Thorstein Veblen n’a pas été en mesure d’apprécier « la capacité d’un système démocratique à corriger ses propres excès » (Heilbroner, ibid., p. 213). Si donc Heilbroner partage de nombreuses idées avec Karl Marx et plus encore avec le courant institutionnaliste américain dont Thorstein Veblen est l’un des fondateurs (Corei, 1995), il s’en démarque en soulignant le poids croissant de l’État dans le contrôle du capitalisme moderne.
Vice-Président de l’American Economic Association en 1984 (son président est alors Charles L. Schultze), Heilbroner n’en demeure pas moins un économiste singulier non seulement par ses écrits critiques et alternatifs à l’économie conventionnelle, mais aussi par les essais publiés tout au long de sa carrière questionnant les futurs possibles de la société capitaliste (Heilbroner, 1961, 1974, 1993a, 1995). En 1968, Allan G. Gruchy au cours de l’allocution présidentielle de l’Association 32for Evolutionary Economics (1988, p. 54-55) distinguait deux types de « dissidence économique » :
– Les premiers dissidents critiquent les modes de coordination des activités économiques et leurs conséquences économiques et sociales. Généralement, ces dissidents ne sont pas des économistes.
– Les autres dissidents qui sont des économistes critiquent le faible réalisme de l’analyse économique dominante, mais leurs positions ne sont pas identiques ; trois sont identifiées par Allan Gruchy :
•Les premiers critiquent la trop grande abstraction de l’analyse économique et montrent la nécessité d’y intégrer des études empiriques, mais sans remettre en cause le corpus théorique de l’analyse standard.
•Les seconds considèrent que la perspective adoptée par l’analyse économique est trop étroite préconisant une approche interdisciplinaire, mais là encore, sans remettre en cause le corpus théorique de l’analyse standard.
•Enfin les derniers économistes dissidents remettent en cause globalement l’analyse économique dominante et proposent de lui substituer leurs propres approches de l’économie.
Heilbroner semble se situer entre ces deux dernières formes de dissidence. Les valeurs véhiculées par la vision de l’économiste et différentes des jugements de valeur qui sont explicitement formulés, sont parties intégrantes de la recherche. Elles délimitent l’objet, les finalités de l’investigation scientifique tout en influençant la construction des catégories théoriques. Cette conception qu’Heilbroner qualifie donc d’herméneutique explique aussi son parti pris réformiste, en insistant sur le caractère amendable de l’ordre social capitaliste. Depuis The Worldly Philosophers, Heilbroner a insisté sur l’impératif de l’économiste de s’attaquer aux grands enjeux contemporains, identiquement en leur temps aux économistes philosophes : la nature du capitalisme et son devenir, les conséquences négatives, notamment environnementales du développement économique, etc. Cette orientation de ses travaux a été accueillie favorablement par des économistes ne partageant pas nécessairement certaines caractéristiques de l’économie politique d’Heilbroner. Ainsi, Walt W. Rostow, dans une recension de The Nature and Logic of 33Capitalism (1985) souligne que si son analyse est critiquable en particulier pour l’influence significative exercée par les idées de Karl Marx, elle aborde des questions importantes et légitimes que l’économie conventionnelle a délaissées au profit d’une spécialisation accrue et d’une primauté donnée à la technique (Rostow, 1986, p. 577.). Identiquement, Robert J. Shiller et Virginia M. Shiller louaient récemment dans l’American Economic Review Heilbroner pour avoir suscité des carrières d’économistes grâce à son travail sur les philosophes économistes, et avoir montré en quoi l’économie devait se confronter à des enjeux moraux abandonnés par la discipline, qui s’est révélée incapable d’identifier les prémices de la grande crise financière de 2007. Les économistes philosophes étaient « impliqués dans les questions importantes de politique publique dans la perspective d’améliorer les conditions de vie des citoyens. Ils concevaient leur discipline plus largement, et davantage en termes d’impératifs moraux, que les économistes modernes semblent le faire » (Shiller & Shiller, 2011, p. 171). Si donc Heilbroner peut être considéré comme un économiste dissident, il l’est au regard de l’évolution contemporaine de la discipline. Ses travaux servent aussi à rappeler que l’économie a pu prendre des orientations bien différentes des orientations modernes.
34Bibliographie
Carroll, Michael [1998], A future of capitalism. The Economic Vision of Robert Heilbroner, New York & London, McMillan Press.
Corei, Thorstein [1995], L’économie institutionnaliste. Les fondateurs, Paris, Economica.
Dimand, Robert W. [2004], « Heilbroner and Polanyi : A Shared Vision », Social Research, Vol. 71, No 2, p. 385-398.
Dugger William [1992], Underground Economics : A Decade if Institutionalist Dissent, New York, M. E. Sharpe, inc.
Ferraton, Cyrille & Frobert, Ludovic [2016], « Ce qu’un manuel d’économie hétérodoxe peut être. The Worldly Philosophers de Robert Heilbroner », Revue d’histoire des sciences humaines, No 29, p. 89-116.
Forstater, Mathew [2004], « Envisioning Provisioning. Adolph Lowe and Heilbroner-s Worldly Philosophy », Social Research, 71 (2), p. 399-418.
Gruchy, Allan G. [1988], « Neoinstitutionalism and the Economics of Dissent », in Warren J. Samuels, Institutional Economics. Vol. I, Aldershot (GB), Edward Elgar, p. 53-67.
Haack, Susan [2004], « Science, Economics, “Vision” », Social Research, 71(2), p. 223-234.
Heilbroner, Robert [1957], Les grands penseurs de la révolution économique, traduction française de The Worldly Philosophers : The Lives, Times and Ideas of the Great Economic Thinkers (1953), Paris, La Colombe.
Heilbroner, Robert [1961], The Future as History. The historic currents of our time and the direction in which they are taking America, New York, Grove Press, 1959.
Heilbroner, Robert [1970a], Between Capitalism and Socialism. Essays in Political Economics, New York, Random House.
Heilbroner, Robert [1970b], « On the Possibility of a Political Economics », Journal of Economic Issues, Vol. 4, No 4, p. 1-22.
Heilbroner, Robert [1973], « Economics as a “Value-Free” Science », Social Research, vol. 40, No 1, p. 129-143.
Heilbroner, Robert [1974], An Inquiry into the Human Prospect, New York, W. W. Norton. Traduction française Réflexions sur l’avenir de l’humanité, Paris, Les Éditions ouvrières, 1976.
Heilbroner, Robert [1980a], « The Veblen Commons Award : Adolph Lowe », Journal of Economic Issues, 14(2), p. 241-246.
35Heilbroner, Robert [1980b], « Modern Economics as a Chapter in the History of Economic Thought », Challenge, Vol. 22, No 6, p. 20-24.
Heilbroner, Robert [1984], « Economics and Political Economy : Marx, Keynes, and Schumpeter », Journal of Economic Issues, Vol. XVIII, No 3, p. 681-695.
Heilbroner, Robert [1985], The Nature and Logic of Capitalism, New York – London, W. W. Norton & Company.
Heilbroner, Robert [1988], Behind the Veil of Economics. Essays in the Worldly Philosophy, New York – London, W. W. Norton & Company.
Heilbroner, Robert [1990a], « Economics as Ideology », in W. J. Samuels (ed.), Economics As Discourse, New York, Springer Science, Business Media, p. 101-116.
Heilbroner, Robert [1990b], « Analysis and Vision in the History of Modern Economic Thought », Journal of Economic Literature, Vol. XXVIII, September, p. 1097-1114.
Heilbroner, Robert [1993a], 21st Century Capitalism, New York – London, W. W. Norton & Company.
Heilbroner, Robert [1993b], « Was Schumpeter Right After All ? », Journal of Economic Perspective, Vol. 7, No 3, p. 87-96.
Heilbroner, Robert [1994], « Vision in Economic Thought. Remarks upon Receipt of the Veblen-Commons Award », Journal of Economic Issues, Vol. XXVII, No 2, p. 325-329.
Heilbroner, Robert [1995], Visions of the Future. The Distant Past, Yesterday, Today, and Tomorrow, New York – Oxford, Oxford University Press.
Heilbroner, Robert [1996], Teachings forme the Worldly Philosophy, New York – London, W. W. Norton & Company.
Heilbroner, Robert [1998], « The “Disappearance” of Capitalism », World Policy Journal, Vol. 15, No 2, p. 1-7.
Heilbroner, Robert [1999], The Worldly Philosophers : The Lives. Times and Ideas of the Great Economic Thinkers, 7e édition, New York, Touchstone.
Heilbroner, Robert [2004], « Economics as Universal Science », Social Research, Vol. 71, No 3, p. 615-632 (1re publication dans Social Research en 1991).
Heilbroner, Robert & Milberg, William [1995], The Crisis of Vision in Modern Economic Thought, New York, Cambridge University Press.
Heilbroner, Robert & Milberg, William [1998], La pensée économique en crise !, traduction de Philippe de Lavergne, Paris, Economica.
Khan, Daniyal [2012], « Heilbroner and Weber : The Crisis of Vision in Economics and the Potential of Weberian Sociology and Science », Issues in Political Economy, Vol. 21, p. 7-30.
Khan, Daniyal [2014], « Economics as a Science, Economics as a Vocation : A 36Weberian Examination of Robert Heilbroner’s Philosophy of Economics », Economic Thought, 3(1), p. 56-69.
Lavoie, Don [2011], « The interpretive dimension of economics : Science, hermeneutics, and praxeology », Review of Austrian Economics, No 24, p. 91-128.
Lemieux, Cyril [2012], « Peut-on ne pas être constructiviste ? », Politix, No 100, 4, p. 169-187.
Myrdal, Gunnar [1958], Value in Social Theory : A Selection of Essays on Methodology, London, Routledge & Kegan Paul Ltd.
Myrdal, Gunnar [1962], An American Dilemma, New York, Evanston, and London, Harper & Row, Publishers (1re édition 1944).
Myrdal, Gunnar [1969], Objectivity in Social Research, New York, Pantheon Books.
Polanyi, Karl [2017], « L’économie en tant que procès institutionnalisé » in Polanyi, Karl, Arensberg, Conrad M. & Pearson, Harry W. [2017], Commerce et marché dans les premiers empires. Sur la diversité des économies, Paris, Le Bord de l’eau.
Pollin, Robert [1999], « Robert Heilbroner : Worldly Philosopher », Challenge, Vol. 42, No 3, p. 34-52.
Ramrattan, Lall & Szenberg, Michael [2005], « A Review of Robert Heilbroner’s Contributions, In Memoriam (1919-2005) », The American Economist, Vol. 49, No 2, Fall, p. 16-32.
Rostow, Walt W. [1986], Review The Nature and Logic of Capitalism by Robert L. Heilbroner, Journal of Economic History, Vol. 46, No 2, p. 575-577.
Schumpeter, Joseph A. [1949], « Science and Ideology », American Economic Review, Vol. 39, No 2, p. 346-359.
Schumpeter, Joseph A. [1954], Histoire de l’analyse économique. Traduction française sous la direction de J.-Cl. Casanova, 3 vol., Vol. I, L’âge des fondateurs (Des Origines à 1790), Paris, Gallimard, 1983.
Shiller, Robert J. & Shiller, Virginia M. [2011], « Economists as Worldly Philosophers », American Economic Review, Vol. 101, No 3, p. 171-175.
1 Parmi ses publications les plus significatives, figurent : A Primer on Government Spending (avec Peter Bernstein) (1963), Between Capitalism and Socialism. Essays in Political Economics (1970), An Inquiry into the Human Prospect (1974), Marxism. For and Against (1980), The Nature and Logic of Capitalism (1985), The Essential Adam Smith (1986), Behind the Veil of Economics. Essays in the Worldly Philosophy (1988), The Crisis of Vision in Modern Economic Thought (avec William Milberg) (1995).
2 La qualification de cette conception « interprétative ou herméneutique » est relativement tardive dans les écrits d’Heilbroner. Les textes y faisant explicitement référence sont publiés durant la deuxième moitié des années 1980 et les années 1990 (voir en particulier Heilbroner, 1988, 1990a, 1993b, 1996). Néanmoins, les réflexions d’ordre méthodologique à partir desquelles Heilbroner esquisse cette conception sont beaucoup plus anciennes (voir notamment Heilbroner, 1970a, 1970b). Voir Lavoie (2011) pour une synthèse de la tradition herméneutique en économie notamment au sein du courant autrichien.
3 Quelques textes ont traité au moins partiellement de cette conception, voir Carroll (1998), Forstater (2004), Ferraton & Frobert (2016), Haack (2004), Khan (2014), Pollin (1999), Ramrattan & Szenberg (2005).
4 La publication de The Worldly Philosophers (1953) précède de plusieurs années l’obtention de son doctorat (1963) et du statut d’enseignant (1968) à la New School for Social Research. Heilbroner travaille tout au long de sa carrière sur les philosophes économiques, tout particulièrement Adam Smith (Heilbroner, 1987). Il continue de s’y intéresser au cours de son éméritat (Heilbroner, 1996).
5 Schumpeter distingue l’idéologie des jugements de valeur : « on peut porter des jugements de valeur sur des faits établis de façon irréprochable et sur les relations entre ces faits, et on peut s’abstenir de porter tout jugement de valeur sur des faits aperçus dans une lumière que l’idéologie a déviée » (Schumpeter, 1983, p. 69). Voir aussi Schumpeter (1949, p. 345-347).
6 Ainsi, selon Schumpeter, « il est toujours possible d’établir si une affirmation donnée, en référence à un état donné des connaissances, est vérifiable, réfutable ou non » (Schumpeter, 1949, p. 350).
7 Notre traduction.
8 L’approche d’Heilbroner offre d’indéniables proximités avec l’analyse wéberienne, mais Heilbroner ne cite pas explicitement cette influence, même si l’on peut supposer qu’elle a été réelle. Voir sur ce point Khan (2012).
9 Le constructivisme se développe dans les sciences sociales, et tout particulièrement en sociologie, surtout après la publication de The Social Construction of Reality de Peter Berger et Thomas Luckmann publié en 1966. Cyril Lemieux le définit comme « la doctrine selon laquelle les phénomènes descriptibles dans le monde, qu’ils soient réputés ordinairement sociaux ou naturels, n’existent pas antérieurement et extérieurement au travail accompli pour les catégoriser ». Cette doctrine prévient ainsi toute orientation objectiviste dans les sciences sociales dès lors que celles-ci prennent « pour modèle l’épistémologie naturaliste et physicaliste des sciences de la vie » (Lemieux, 2012, p. 172-173).
10 Heilbroner souligne : toute société « présuppose des structures de subordination (…), de coopération et de résolution des conflits, d’exécution et d’utilisation du pouvoir » (Heilbroner, 1990a, p. 109).
11 Pour Karl Polanyi, l’économie dans son sens substantif « tire son origine de la dépendance de l’homme par rapport à la nature et à ses semblables pour assurer sa survie. Il renvoie à l’échange entre l’homme et son environnement naturel et social. Cet échange fournit à l’homme des moyens de satisfaire ses besoins matériels ». Il la distingue de son sens formel qui « dérive du caractère logique de la relation entre fins et moyens » et renvoyant « à une situation bien déterminée de choix, à savoir entre les usages alternatifs des différents moyens par suite de la rareté de ces moyens. Si les lois gouvernant le choix des moyens sont appelées logique de l’action rationnelle, nous pouvons désigner cette variante de la logique par un concept nouveau : l’économie formelle » (Polanyi, 2017, p. 307). Cette dernière définition est développée notamment par Lionel Robbins dans Political Element de An Essay on the Nature and Significance of Economic Science (1935). Voir Dimand (2004) sur les proximités entre l’approche de l’économie de Karl Polanyi et celle d’Heilbroner.
12 Il cite comme principales sources : Childhood and Society (1963), The Life Cycle Completed (1982) d’Erik Erikson et Group Psychology and the Analysis of the Ego (1951) de Sigmund Freud.
13 Les textes portant sur le capitalisme, son émergence et son évolution sont nombreux. Son texte le plus complet reste The Nature and Logic of Capitalism (1985). Cette approche du capitalisme repose sur les travaux des philosophes économiques mais aussi d’historiens (Fernand Braudel étant cité) et de sociologues, en premier lieu Max Weber (Heilbroner, 1988, p. 50).
14 Il convient de souligner que le diagnostic développé par Heilbroner durant ces années 1990 semble principalement porté sur l’analyse macroéconomique. L’émergence de nouvelles branches de la science économique, l’économie expérimentale par exemple, ne semble pas être prise en compte dans cette appréciation négative de l’évolution de la pensée économique.
15 Texte publié sous forme de deux articles en 1937 et republié avec un texte d’Oskar Lange en 1938.
16 Heilbroner se montre plus optimiste dans d’autres écrits légèrement antérieurs à la publication de cette septième édition où il croit possible l’avènement d’une économie politique renouvelée sous l’égide des économistes dissidents (dissenting) (Heilbroner, 1996, p. 336).
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-09845-4
- EAN: 9782406098454
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09845-4.p.0015
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-17-2019
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Hermeneutic, analysis, history of political economy, values