Thinking the enterprise beyond its mutual interests The contribution of Jaurès' thought
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d’histoire de la pensée économique
2019 – 1, n° 7. varia - Authors: Celle (Sylvain), Fretel (Anne)
- Pages: 15 to 41
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
Penser l’entreprise
au-delà de ses intérêts communs
L’apport de la pensée de Jaurès
Sylvain Celle
CLERSE – UMR CNRS 8019
Institut Jean-Baptiste Godin
Anne Fretel
Université de Lille
CLERSE – UMR CNRS 8019
Introduction
L’entreprise moderne en tant que forme d’action collective est une invention récente datant du xixe siècle mais elle ne s’est réellement développée qu’au cours du xxe siècle. Il y a donc un décalage historique entre la création en droit de la société anonyme, qui a été introduite dans le code du commerce en 1807 puis libéralisée avec la loi de 1867, et l’émergence de l’entreprise moderne au tournant du xixe siècle au xxe siècle (Segrestin & Hatchuel, 2009). Le vide théorique et juridique qui existe depuis cette période autour de l’entreprise permet, en partie, de comprendre pourquoi les principes de la « corporate governance » ont pu s’imposer au cours des années 1970 et faire prévaloir, dans les objectifs de la société anonyme, l’intérêt des actionnaires (Segrestin & Hatchuel, 2012). Depuis quelques années, de nombreux travaux cherchent à repenser l’entreprise 16en réponse aux dérives de la gouvernance actionnariale (Ferreras, 2012 ; Postel & Sobel, 2013 ; Capron & Quairel-Lanoizelée, 2015 ; Segrestin & al., 2015). Un des projets de réforme conduit notamment à regarder de près le cas des coopératives de production où les salariés en sont aussi les associés majoritaires. Mais jusqu’où et à quelles conditions le modèle de la coopérative peut-il pallier les problèmes induits par la gouvernance actionnariale ? Car parmi les critiques qui lui sont adressées, outre le fait que la place des salariés semble avoir reculé par rapport à la place relative qu’ils occupaient dans le régime fordiste (Aglietta & Rebérioux, 2004), ce sont aussi les conséquences d’une valorisation de court terme de la stratégie d’entreprise qui sont pointées du doigt (la maximisation de la valeur actionnariale) laissant de côté des projets d’investissements qui demandent un horizon de plus long terme (Cordonnier & al., 2013). La question posée porte in fine tout autant sur l’articulation à trouver au sein de l’entreprise pour assurer un intérêt commun entre ses différentes parties prenantes (actionnaires, salariés, consommateurs, dirigeants, etc.) que sur l’articulation à trouver entre l’intérêt de l’entreprise et l’intérêt général. Si le modèle coopératif peut répondre pour une part au premier enjeu, est-il suffisant pour répondre au second enjeu ? Un retour sur les écrits de Jaurès, notamment ses réflexions menées au moment de la création de la verrerie ouvrière d’Albi en 1895-1896, nous semble avoir une valeur heuristique pour aborder ces questions.
Dans le champ académique, l’histoire du mouvement coopératif est relativement peu étudiée aujourd’hui (Toucas, 2005 ; Mélo, 2012 ; Dreyfus, 2016) et la pensée de Jaurès reste marginale dans les recherches universitaires (Antonini, 2004). Jaurès reste souvent cantonné à quelques travaux d’historiens, tout comme les coopératives qui intéressent peu les économistes. Sans chercher ici à retracer le cheminement de Jaurès vers le mouvement coopératif1 ou dérouler l’ensemble de l’histoire du mouvement coopératif dans ses différentes composantes (notamment agricole, de consommation, de production), nous souhaitons revenir sur la pensée de Jaurès de la coopération de production, et montrer comment il interroge le potentiel de transformation économique de l’entreprise 17coopérative. Il ne s’agit donc pas non plus pour nous de revenir sur la notion de coopération dans toutes les formes et telle qu’elle peut se décline dans des modèles utopiques – parfois mise en œuvre localement (on pense par exemple au projet de Phalanstère de Fourrier interprété par Godin à travers la création du Familistère de Guise) – mais de s’intéresser à la coopérative de production comme forme d’entreprise, c’est-à-dire comme statut possible, comme forme juridique d’organisation.
À l’instar des différentes mouvances socialistes (guesdiste, blanquiste, possibiliste, allemaniste), Jaurès ne croit pas dans les années 1890 à la solution coopérative pour transformer de l’ordre social. Au mieux, la coopérative assure la réalisation d’un intérêt commun (celui de plusieurs associés en lieu et place de l’intérêt du seul dirigeant), mais elle laisse de côté la promotion de l’intérêt général en divisant la classe ouvrière et en l’éloignant d’une dynamique de transformation plus radicale. Cette conviction de Jaurès va se trouver confrontée à une situation concrète : le conflit des verriers de Carmaux qui éclate en 1895. Face à l’intransigeance de leur patron Rességuier et son refus de toutes formes de conciliation, la seule perspective de sortie du conflit pour les ouvriers va être trouvée dans la création d’une coopérative de production. Comment alors penser les statuts de cette entreprise ? Comment faire d’une « œuvre de circonstance », une réalisation cohérente avec le projet socialiste ? Comment articuler intérêt commun et intérêt général ? Il s’agira pour Jaurès de démêler et de trancher l’alternative suivante : une « verrerie aux verriers » ou une « verrerie ouvrière » ?, l’enjeu pour lui étant que le projet économique de la coopérative puisse s’articuler au projet d’une économie politique socialiste. C’est là, nous semble-t-il, l’originalité de la pensée de Jaurès : sa façon d’articuler et non d’opposer (comme beaucoup de penseurs de la coopérative – et de l’économie sociale de façon plus générale – ont pu le faire [Fretel, 2008]) la coopérative de production et l’économie politique socialiste portée par l’État socialiste. Si nous prenons comme point de départ la série d’articles que Jaurès a écrits durant le conflit de Carmaux (1895-1896), nous ne nous en tenons pas à la simple présentation de l’édification de la verrerie ouvrière d’Albi, histoire connue via l’exploitation des archives effectuées par les historiennes Rolande Trempé (1965, 1971) et Marie-France Brive (1993). Nous prenons appui sur cet évènement pour mettre en perspective la position que Jaurès développe par ailleurs sur l’État, son potentiel régulatoire et son rapport aux groupements collectifs.
18Dans un premier temps, nous présentons les principales critiques avancées par les socialistes, dont Jaurès, à l’encontre des coopératives de production (I). Nous revenons ensuite sur l’engagement de Jaurès dans la création de la Verrerie ouvrière d’Albi et la particularité des statuts adoptés qui cherchent à concilier intérêt commun et intérêt général, questions économiques et questions politiques (II). Nous montrons enfin, dans une troisième partie, que la position que Jaurès exprime lors de cet épisode s’inscrit dans sa conception des groupements coopératifs et associatifs : ils ont leur place s’ils sont adossés à une vision politique et s’ils relèvent d’une praxis de l’État socialiste (III).
I. La coopérative de production, une place secondaire dans le combat socialiste
Les premières coopératives de production apparaissent en France dans les années 1830, influencées par les idées des socialistes utopiques et des expériences comme l’Association des bijoutiers en doré créée en 18342. Après l’ébullition des associations ouvrières dans le moment révolutionnaire de 1848, elles renaissent prudemment sous l’Empire libéral des années 1860. Les rares coopératives de production encore existantes au début de la Troisième République s’organisent dans les années 1880 autour de la Chambre consultative des Associations ouvrières de production (1884) et de la Banque coopérative (1893) (Toucas, 2005). Le 19« temps des grandes espérances » de l’association ouvrière a cependant laissé place au « temps des divisions » entre coopération, syndicalisme et socialisme à partir des années 1880 (Espagne, 1996). Et malgré de soutien des élites de la République radicale aux coopératives de production, leur réalité statistique reste très modeste, et elles ne connaitront pas l’essor des coopératives de consommation à la même époque.
Dans les années 1880, les différentes mouvances socialistes (guesdiste, blanquiste, possibiliste, allemaniste) sont quant à elles unanimes pour considérer que la coopérative, notamment la coopérative de production, ne peut assurer la transformation de l’ordre social (I.1). Comme le souligne Gueslin (1998, p. 280), à partir des années 1870, « tout une partie du mouvement ouvrier nie sa fonction dans le processus de transformation du vieux monde », il faudra attendre la fin des années 1890 pour que les socialistes s’engagent à nouveau timidement dans la voie coopérative. L’influence du marxisme en France à la fin du xixe siècle, au détriment des proudhoniens et de l’associationnisme quarante-huitard, explique en partie le désaveu progressif du mouvement socialiste pour la coopération de production par rapport à l’action politique et syndicale. Jaurès partage aussi ce point de vue. Il est sceptique sur les perspectives socialistes que peut ouvrir la coopérative (I.2).
I.1. Des mouvances socialistes plutôt hostiles
à l’égard des coopératives de production
La troisième session du Congrès ouvrier socialiste, qui se tient à Marseille en 1879, revient sur sa position antérieure3 et met en garde la classe ouvrière contre la voie coopérative désormais considérée comme une « illusion4 ». Malon lui-même5 écrit en avril 1889 dans La Revue Socialiste :
20le mensonge, ou si l’on veut l’illusion, est plutôt du côté de ceux qui prétendent organiser socialement le travail par le seul moyen de la Coopération, c’est là maintenant une constatation de fait qu’il n’est plus besoin de démontrer, depuis la critique accablante de Blanqui […], depuis surtout tant d’échecs coopératifs (Malon cité par Gaumont, 1959, p. 21).
Deux critiques récurrentes se font jour à l’égard du mouvement coopératif. La première porte sur le fait que ces organisations évoluent dans un contexte capitaliste, ce qui les pousse à reproduire la logique de toute entreprise qui fait face à la concurrence du marché : in fine, les coopératives se comportent comme des organisations capitalistes. C’est donc ici, pour reprendre des termes plus modernes, le risque d’isomorphisme institutionnel (Di Maggio & Powell, 1983) qui est pointé. La seconde critique porte sur les travailleurs qui sont membres de ces coopératives et qui sont assimilés à une classe de travailleurs privilégiés n’œuvrant plus à la transformation de l’ensemble de la classe ouvrière. La coopérative est alors perçue comme un instrument de division de classe, ce qui explique pour les socialistes l’assentiment que lui octroient les conservateurs. Isidore Finance, lors de la séance du congrès de Marseille du 24 octobre 1879, considère qu’il s’est trompé lors du premier Congrès ouvrier de Paris en 1876 en pensant que le mouvement coopératif pourrait produire un élan similaire à ce qui s’est produit en 1848 :
La coopération, étant une solution essentiellement démocratique, puisque c’est l’application du suffrage de tous à l’organisation de l’industrie, il semblerait de prime abord que cette solution n’aurait dû rencontrer que des adversaires parmi les conservateurs et les fauteurs de réaction. Il n’en est rien (…). D’où venait donc, de la part de tous ces Messieurs les gouvernants, ce subit amour pour la classe ouvrière ? C’est qu’ils s’étaient aperçus que cette solution anodine de la coopération, non seulement ne leur faisait courir aucun danger, mais ne les obligeait à aucun devoir envers les prolétaires (…). Nos réactionnaires ont très bien vu que la préoccupation de la fortune à acquérir tuerait inévitablement chez les meilleurs des prolétaires, les grandes dispositions généreuses, les grandes aspirations politiques et sociales, en les livrant à de petites questions de boutique, en leur donnant un caractère bas, mesquin, en un mot, le caractère bourgeois. C’est ce qui est arrivé (…). La coopération, cette apparence de solution qu’on pourrait croire inventée par la bourgeoisie égoïste, tout exprès pour endormir et dégoûter les meilleurs d’entre nous, la coopération a été jusqu’à ce jour le tonneau des Danaïdes où sont venues se perdre et disparaître toutes les forces vives du prolétariat. Il faut au prolétariat une autre idée, une idée qui fasse un faisceau de ses forces éparses au lieu de les diviser (Finance, 1879, p. 323-329).
21Sur ce fond de condamnation, la coopérative garde néanmoins une place dans le combat socialiste, mais son usage diverge selon les courants de pensée, résumant de ce point de vue une des lignes de fracture qui se fait jour au sein de la mouvance socialiste. Pour résumer rapidement les choses, il y a d’un côté, la ligne portée par Jules Guesde ; de l’autre, celle portée par Jean Allemane. Pour Jules Guesde, l’action ouvrière doit se concentrer sur la conquête du pouvoir d’État pour préparer la dictature du prolétariat. Le collectivisme est la solution au problème social. La solution coopérative est alors perçue comme une « distraction » face à cet objectif. Si les coopératives de production sont admises6, c’est uniquement quand elles mettent leur action au service de cet objectif, c’est-à-dire que le développement de leur projet de propriété collective et d’autogestion démocratique assure des sources de financement pour l’action politique. Comme le résume Guesde, la coopération n’est donc, au mieux, qu’un auxiliaire du parti :
La coopération ne vaut donc et ne peut valoir que par l’usage qu’on en fait. Dans la mesure où cette forme de groupement ou d’association sert et appuie le parti socialiste, il est certain qu’elle devient une espèce d’arsenal apportant des armes au prolétariat en lutte. Mais c’est là le sens exclusif de la coopération socialiste (Guesde, 1901).
Jean Allemane7 voit lui, au contraire, le changement social dans le mouvement syndical. Il s’agit de sortir d’une solution fondée sur la lutte politique et le parti ouvrier (portée par Guesde) pour promouvoir une solution économique s’appuyant sur le « parti syndical8 ». « Seule la grève générale organisée par les syndicats permettra aux travailleurs, en restant sur le terrain qui est le leur, de s’approprier les instruments de production et de chasser les exploiteurs » (Brive, 1993, p. 31). Se référant à Marx, les allemanistes considèrent que l’émancipation doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Dans ce cadre, la coopérative est pensée 22comme un espace permettant aux travailleurs d’apprendre à se former à des tâches de gestion. La coopérative joue alors un rôle « d’éducation sociale à la portée immédiate des salariés » (Brive, 1981, p. 6), et c’est également un espace où les syndicats peuvent prendre le pouvoir.
I.2. La coopérative, une illusion
pour Jaurès dans les années 1890
Au début des années 1890, Jaurès est sur la même ligne que les socialistes concernant les coopératives. En 1894, il déclare à la Chambre, à propos d’une discussion sur la création de sociétés de crédit agricole :
Il n’y a qu’une chose à laquelle les socialistes ont refusé de souscrire : ils ont toujours refusé de déclarer que c’est dans le principe des coopératives que gît la solution définitive du problème social. Ils se sont bornés à reconnaître qu’il peut y avoir une utilité partielle et passagère dans l’usage de la coopération (Jaurès cité par Gaumont, 1959, p. 30).
En effet, pour Jaurès, dans la situation économique actuelle du capitalisme, la coopérative n’est qu’une promotion d’un patronat multiple : « aujourd’hui la plupart des coopératives ouvrières de production (…) ne tardent pas à se fermer, et [ne sont] bientôt qu’un patronat à plusieurs, exploitant les nouveaux venus » (Jaurès, 1895b, p. 142). Fonctionnant dans un univers économique marqué par la concurrence et l’accumulation privée des capitaux, les coopératives ne sont pas en mesure de produire une autre logique :
Quoi d’étonnant que les sociétés corporatives aboutissent à une résurgence du patronat ? C’est là, en réalité, qu’on l’avoue ou non, leur essence même. Quoi de surprenant qu’elles retournent au capitalisme ? Elles en viennent, elles en procèdent et elles en sont imprégnées. Les ouvriers qui souscrivent un petit capital dans une coopérative de production tiennent avant tout à la conservation et à la fructification de ce capital ; ils apportent leur épargne propre ; et la nation, de son côté, n’y ajoute rien. Il n’y a pas association entre quelques producteurs, et la nation : celle-ci ne leur donne ni capital ni sécurité. Elle n’entoure pas les coopératives d’une sorte d’enclos ; elle les laisse ouvertes à toutes les violences de la concurrence universelle, à toutes les surprises et à tous les assauts des gros capitaux conjurés contre elles (Jaurès, 1895b, p. 150).
Favoriser le développement des coopératives de consommation et de production n’est donc qu’une illusion aux yeux de Jaurès, une fausse réponse proposée par ceux qui ne veulent pas du socialisme :
23Ils proposent, dans l’ordre industriel, le système coopératif et la participation aux bénéfices. Les ouvriers industriels, d’après eux, peuvent réaliser des économies notables en entrant dans les coopératives de consommation ; avec ces économies, ils peuvent se constituer un petit capital et, en associant ces petits capitaux, fonder des coopératives de production. Les ouvriers associés deviennent ainsi peu à peu leurs propres capitalistes (…). Je ne discute pas toutes ces conceptions et combinaisons (…) chimériques (…) palliatives ; je les considère toutes, d’ailleurs, comme incapables de corriger sérieusement la société actuelle (Jaurès, 1893d, p. 291-292).
On retrouve donc chez Jaurès les deux critiques récurrentes adressées par les socialistes au mouvement coopératif : le risque d’isomorphisme institutionnel, l’échec des coopératives est lié au fait même qu’elles acceptent la lutte dans la société actuelle (« Et si d’ailleurs la plupart des coopératives, quand elles ne se durcissent pas en patronat, sont vaincues et dissoutes, ce n’est pas surtout par le défaut d’entente entre les associés, c’est parce qu’elles acceptent la lutte avec la société actuelle, sur son propre terrain, et avec des armes beaucoup plus faibles » [Jaurès, 1895b, p. 150]) et le fait que les coopératives de production deviennent « un patronat à plusieurs » et constituent une classe de travailleurs privilégiés séparés du combat ouvrier. Il rejoint en cela la position collectiviste qui devient alors dominante dans le socialisme français : l’émancipation du prolétariat ne pourra se réaliser qu’en prenant possession du pouvoir politique. Cependant un conflit entre les verriers de Carmaux et leur patron va conduire Jaurès à s’intéresser de plus près au modèle coopératif.
II. La Verrerie ouvrière :
une œuvre de circonstance
Un conflit sans perspective de conciliation des ouvriers verriers à Carmaux face à leur patron Rességuier conduit les socialistes, et aux premiers rangs desquels Jaurès, à se prononcer en faveur du projet de création d’une coopérative verrière (II.1). Mais au-delà de cet accord de circonstance, ce conflit pose concrètement la question de la forme des statuts à adopter pour la coopérative. Jaurès va alors faire une synthèse des solutions proposées et porter un statut d’entreprise original qui se 24distingue des coopératives existantes : une société anonyme dont la propriété est collective et indivise et portée par le prolétariat via les syndicats et les coopératives qui en détiennent les actions en son nom (II.2).
II.1. La création d’une verrerie coopérative :
seule issue possible au conflit ouvrier de Carmaux
Carmaux est une cité ouvrière du Tarn où Jaurès a été élu député en août 1893. Elle est une ville symbole du socialisme depuis l’élection d’un conseil municipal socialiste et ouvrier en 1892. Une telle victoire a conduit à une opposition vive du patronat local. Cela fait de Carmaux une ville où le contexte est particulier, et où les conflits politiques trouvent leur prolongement dans les conflits sociaux d’entreprises. Contestant les victoires des ouvriers aux élections locales, le patronat cherche à les invalider et dans le même temps à intimider les choix de la classe ouvrière en renvoyant des usines les leaders ouvriers qui sont aussi des leaders socialistes9. Le patronat bénéficie du soutien de l’administration préfectorale et de l’institution judiciaire ce qui conduit à une intervention régulière du Parlement dans les affaires de la ville (Brive, 1993). Une nouvelle provocation patronale a lieu le 25 mai 1895 : Jean-Baptiste Calvignac, leader minier et Maire de Carmaux, et Marien Baudot, leader verrier, sont condamnés à quarante jours de prison avec sursis et à la privation de leurs droits civils et politiques pour 10 ans – ce qui n’empêche pas la population de voter majoritairement pour eux aux élections. Le 30 juillet, Rességuier, patron de la verrerie de Sainte-Clotilde, décide du renvoi de Baudot ce qui provoque la grève des ouvriers de l’usine. Cette grève fait suite à plusieurs provocations de Rességuier dans les mois précédents (comme la réduction des salaires décidée du jour au lendemain), provocations auxquelles les ouvriers n’avaient pas répondu. Face à cette situation, Jaurès est appelé pour conseiller les ouvriers et suggère de mobiliser la procédure d’arbitrage10. Mais Rességuier se montre intransigeant, refusant l’arbitrage ou toute autre forme de négociation. Il choisit de mettre en place un lock-out au moment où les ouvriers sont 25prêts à reprendre le travail sans n’avoir rien obtenu. Comme le montre Brive (1981, 1993), le conflit devient un symbole de l’opposition de la classe ouvrière face au patronat.
D’un côté Rességuier met en avant
les arguments classiques du libéralisme économique : le contrat passé entre le patron et ses salariés est d’ordre strictement privé. Le syndicat, groupement collectif, constitue une atteinte intolérable à la liberté de l’employeur. La grève rompt les engagements pris antérieurement entre les deux parties. Une fois celle-ci déclarée, le patron est libre d’embaucher qui il veut aux conditions définies par lui seul (Brive, 1993, p. 18).
De l’autre côté, les ouvriers cherchent à défendre le droit de grève et le droit syndical.
Comme le souligne Jaurès, « le prolétariat tout entier sait que son intérêt vital est engagé dans cette lutte. Si les verriers l’emportent (…) tous les travailleurs pourront librement user de la loi sur les syndicats et librement exprimer par un bulletin de vote, leurs préférences pour la République sociale » (Jaurès, 1895c, p. 350). Résumant le conflit Jaurès écrit : « Maintenant, puisque M. Rességuier n’est plus M. Rességuier mais le patronat tout entier, les verriers de Carmaux ne sont plus les verriers de Carmaux ; ils sont le prolétariat tout entier » (Jaurès (1895) cité par Brive, 1993, p. 19)11.
Ce combat prend donc une dimension nationale et l’action de Jaurès est alors déterminante dans la promotion qu’il fait du conflit en alertant l’opinion publique, en mobilisant les syndicats, les coopératives et le Parti socialiste pour que ce dernier apporte son soutien aux grévistes et alimente une caisse de grève, seul moyen pour les mineurs de pouvoir tenir pendant le conflit. Le gouvernement Ribot, qui soutient l’action de son administration et couvre les agissements du patronat de Carmaux, est interpellé à l’Assemblée par Jaurès fin octobre 1895 pour demander un arbitrage. Le vote est sans succès pour Jaurès, mais quelques jours plus tard le gouvernement est contraint à la démission suite à un scandale financier, il est remplacé par le gouvernement de Léon Bourgeois. Si le gouvernement se dit alors prêt à un arbitrage, Rességuier reste intransigeant. Aucune porte de sortie ne s’entrouvrant, Jaurès cherche un moyen d’éviter une défaite. Il voit dans la création d’une coopérative 26verrière le seul point de sortie envisageable du conflit12 : sa création permettrait de redonner un emploi aux ouvriers licenciés et de battre Rességuier sur son propre terrain. Jaurès prône donc l’abandon de la lutte ouverte pour aller vers un « champ d’action directe au prolétariat français (…). Édifier la verrerie, c’était donc, sous une nouvelle forme, continuer la même lutte » (Trempé, 1965, p. 201).
Jaurès présente l’idée de la coopérative aux socialistes parisiens et cherche leur soutien, qu’il trouve non au nom d’un attachement à l’idée de coopérative en général, mais en raison de la situation particulière de Carmaux. Ainsi, pour les socialistes, « la verrerie apparaît comme une œuvre de circonstance, non comme une création délibérée, faite en application d’un principe » (Trempé, 1965, p. 199). Le projet de verrerie est annoncé par Jaurès début novembre 1895. Il résume l’enjeu du projet par ces mots :
Nous savons bien qu’on ne pourra pas généraliser cet exemple, que les ouvriers n’auront jamais assez de capitaux pour multiplier ces entreprises, et que le prolétariat dans son ensemble ne sera affranchi qu’en prenant possession du pouvoir politique et en se débarrassant, par la loi souveraine, des vieilles formes sociales surannées et tyranniques. Nous savons bien aussi que la verrerie aura à lutter contre toutes les violences et tous les désordres du régime capitaliste (…). Ce n’est donc pas un modèle réduit de la société future que nous essayons d’instituer. L’ordre socialiste ne se fait point par essais fragmentaires : il ne pourra être établi que par une transformation d’ensemble (…). Non, la Verrerie ouvrière ne sera pas un morceau de la société collectiviste. Mais elle sera une vigoureuse réponse au défi patronal, à l’arbitraire et à l’arrogance des grands verriers, et elle sera aussi une affirmation éclatante des facultés d’organisation de la classe ouvrière (Jaurès, 1896, p. 360).
En ce sens, comme le souligne Brive [1981], le projet de verrerie devient un symbole du prolétariat, un « acte constitutif » de ce dernier.
II.2. Quels statuts pour la verrerie ?
« Verrerie aux verriers » ou « Verrerie Ouvrière »
Si la création de la coopérative fait l’unanimité, les statuts de cette verrerie font ressurgir des positions antagonistes entre socialistes. Deux conceptions possibles de cette coopérative vont être proposées. Jaurès 27propose alors de faire une synthèse et affirme ainsi sa vision de la coopérative.
La Commission d’Organisation, composée de représentants des syndicats et des coopératives parisiennes se trouve très vite être une source de financement possible de la future verrerie et, qui plus est, un client potentiel assurant des débouchés commerciaux. Jaurès se tourne donc vers elle pour discuter des statuts de la future coopérative. Cette Commission est proche du « parti syndical » (les allemanistes) et voit dans le projet de verrerie l’occasion d’affirmer son point de vue sur la coopérative face aux guesdistes (cf. I.1). La Commission défend le projet de « verrerie ouvrière », propriété de tout le prolétariat, administrée exclusivement par les organisations coopératives et syndicales.
En réaction, un autre comité – le Comité de vigilance – se met en place. Il rassemble les organisations ouvrières proches de la mouvance guesdiste, et se pose aussi en pièce maîtresse dans la réalisation de la verrerie dans la mesure où il abrite Rochefort – qui propose de faire un don de 100 000 francs au bénéfice du projet. Ce comité plaide pour une coopérative classique, une « verrerie aux verriers », c’est-à-dire une coopérative administrée par les seuls verriers de Carmaux, décidant seuls de l’utilisation des bénéfices.
Face au risque de cristallisation et de rupture de l’unité du mouvement ouvrier et socialiste obtenu jusqu’alors sur le projet, Jaurès essaye de concilier les deux approches. Il se rallie à la formule de la « verrerie ouvrière » (VO) tout en garantissant aux ouvriers verriers une place plus conséquente dans la coopérative. La verrerie prend au final la forme d’une société anonyme dont les actions sont possédées uniquement par des coopératives ou des syndicats. Au sein de la verrerie, les ouvriers sont rémunérés aux taux de salaires les plus élevés dans ce secteur et les bénéfices servent, d’une part, à renouveler l’outillage et, d’autre part, sur le restant, 40 % sont destinés à une œuvre pour l’ensemble du personnel (caisse de retraite) et 60 % réservés aux actionnaires qui en font un usage pour une œuvre d’intérêt général. Sur la gestion quotidienne de l’entreprise, six administrateurs sur neuf sont désignés par les verriers et les trois autres représentent un syndicat, une coopérative de consommation et une coopérative de production.
Les statuts adoptés font de la verrerie de Carmaux un type très particulier de coopérative. Première spécificité, la VO est définie dans 28le cadre du statut de la loi de 1867 sur la société anonyme (SA). C’est en effet à l’époque le seul cadre juridique envisageable (cf. encadré 1).
1. Le statut de société anonyme, seul cadre légal disponible pour les coopératives à la fin du xixe siècle
Les premières formes d’association qui émergent au début du xixe siècle n’ont pas de statut légal propre et évoluent souvent dans la clandestinité. Elles sont soumises au cadre répressif de toutes formes de coalitions ou d’associations (décret d’Allarde et loi Le Chapelier en 1791 ; renforcés par les articles 141 à 416 du Code pénal napoléonien). Cependant, des associations coopératives se développent au cours de la première moitié du xixe siècle en dehors des cadres juridiques en vigueur. Ce n’est qu’avec les Révolutions de 1830 et surtout de 1848 que l’association fait l’objet d’un intérêt de la part des législateurs – la Constitution du 4 novembre 1848 proclame le droit de s’associer et de s’assembler paisiblement et sans armes (article 8) et encourage les associations volontaires (article 13). Mais l’arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte à la fin de l’année 1848 met fin à cette aspiration à l’association. Ce n’est qu’avec la « libéralisation » du Second Empire, puis au cours de la Troisième République qu’on observe un assouplissement de la législation et les prémisses d’un cadre juridique propre aux coopératives. C’est véritablement la loi du 24 juillet 1867 sur les Sociétés (notamment le titre II sur la société anonyme) qui vient indirectement reconnaître l’existence des Sociétés coopératives et servir d’armature juridique à leur création jusqu’à la loi-cadre du 10 septembre 1947 portant sur le statut de la coopération. Le titre III de cette loi permet aux sociétés – quelles que soient leurs formes – d’adopter un statut à capital variable : elles concernent donc de manière implicite les sociétés coopératives de production, de consommation, et les coopératives d’épargne et de crédit (Seeberger, 2012, p. 35-39). Ce titre III en intégrant le nouvel outil de la variabilité du capital dans le fonctionnement coopératif est une opportunité pour le mouvement coopératif : les associés peuvent entrer et sortir librement du capital sans formalismes ce qui est conforme aux principes coopératifs de libre adhésion et de double qualité. Cette variabilité permet en outre de constituer une société à partir de faibles apports pécuniaires.
En 1895, lorsqu’éclate le conflit à la Verrerie de Carmaux, la plupart des coopératives de production sont donc régies par la loi sur les sociétés de 1867. Dans les guides publiés par le Musée social à propos des coopératives (Daudé-Bancel, 1899a, 1899b) il est conseillé aux coopératives de se constituer sous la forme de « société anonyme à capital variable, régie par les lois du 24 juillet 1867 et 1er août 1893 ». La loi de 1867 offre en effet un support juridique suffisamment large pour développer des projets coopératifs très divers que ce soit dans l’objet et la forme des coopératives, que dans « l’esprit » plus général qui guide leurs fondateurs.
Avec la Troisième République, la coopération fait l’objet d’un soutien important de l’élite républicaine – autant sur le plan législatif que financier. Pierre Waldeck-Rousseau, Ministre de l’Intérieur puis Président du Conseil défend la coopération 29comme un « outil de la paix sociale » et un facteur de promotion individuelle pour les ouvriers. C’est notamment lui qui commande une grande enquête sur la coopération en 1883, aboutissant en 1888 a un premier projet de loi unitaire donnant un statut autonome et moderne aux différentes familles coopératives (agriculture, production, consommation) – les discussions parlementaires seront cependant bloquées pendant dix ans par le lobby du petit commerce. Il soutient aussi la création de la Chambre Consultative des Associations Ouvrières de Production en 1884 – devenue Confédération Générale des SCOP en 1937 (Espagne, 1996). Plus largement, les législateurs au tournant du siècle participent à la fragmentation du mouvement social en attribuant des spécificités fonctionnelles entre les coopératives, syndicats, mutuelles et associations (Fretel, 2018) : cette dynamique qui commence avec la loi de 1867 sur les sociétés coopératives, se poursuit avec la loi du 21 mars 1884 relative à la liberté des associations professionnelles ouvrières et patronales – aussi appelée loi Waldeck-Rousseau – qui cantonne les syndicats à une action de défense professionnelle en leur interdisant de gérer directement des activités économiques ; c’est ensuite au tour de la mutualité avec une charte en 1898 ; et enfin des associations « non professionnelles » qui n’obtiendront un cadre juridique qu’à partir de 1901.
Seconde spécificité, la VO se définit, comme une « propriété prolétarienne, collective et indivise » : outre le don de 100 000 francs, le reste du capital est amené par une souscription ouvrière dont les coopératives et les syndicats sont techniquement les intermédiaires, mais qui symboliquement illustre que « l’assemblée générale des actionnaires de la Verrerie ouvrière sera en fait, de quelque manière qu’ils y soient représentés, un Congrès général des syndicats et des coopératives de France » (Jaurès, 1895d). Il s’agit pour Jaurès d’une première expérience de « propriété sociale », car « si tous les groupes corporatifs et coopératifs de France sont habilités à détenir des parts, celles-ci n’appartiendront en aucun cas individuellement aux membres adhérents » (Brive, 1981, p. 4). Ces parts appartiendront à la classe ouvrière. Cela se traduit par le fait que si la VO est gérée au quotidien par les verriers, elle est aussi administrée par les représentants nationaux des coopératives et syndicats et qu’une partie des bénéfices sert à des œuvres d’intérêt général. C’est-à-dire que la VO est gérée par des représentants du prolétariat pour le prolétariat. Jaurès, dans le cadre juridique existant, essaye de pousser au maximum l’idée de propriété sociale. Comme il le raconte dans La Dépêche :
On se heurtait à des lois restrictives. La loi n’a prévu, en somme, que la propriété capitaliste. Elle n’a pas prévu la propriété commune de l’ensemble des travailleurs. Quand bien même tous les ouvriers seraient syndiqués, quand bien même tous les syndicats seraient groupés en Fédérations de métiers et 30toutes les Fédérations en une Fédération générale du travail, on ne pourrait aujourd’hui constituer directement la propriété générale du monde du travail, car, si chaque syndicat isolé peut posséder, les Fédérations n’ont pas la personnalité civile ; plus, la loi oblige, s’il y a des bénéfices, à les répartir à chacune des organisations particulières, elle ne permet pas de les laisser à l’état de fonds communs dont le prolétariat tout entier aurait la disposition commune (Jaurès, 1895d, p. 356).
Jaurès propose alors que les organisations s’engagent à reverser volontairement les bénéfices perçus à une œuvre d’intérêt général, ce que Brive (1993) qualifie d’« amendement Jaurès ». Les bénéfices ne sont donc pas exclusivement perçus par les ouvriers ou les actionnaires de l’entreprise. Un tiers est introduit.
Les statuts assurent donc un équilibre entre intérêts communs des parties prenantes de l’entreprise (ses propriétaires en droit – les syndicats et coopératives – et ses salariés) et l’intérêt général, celui de la classe ouvrière. Le mécanisme des statuts de la VO assure cet équilibre en permettant d’introduire une propriété sociale, que Jaurès qualifie aussi de propriété commune du prolétariat :
L’assemblée générale des actionnaires de la Verrerie ouvrière sera comme une assemblée générale du prolétariat (…), la Verrerie ouvrière représente, autant qu’il est possible aujourd’hui une propriété ouvrière commune. Le prolétariat français s’y élève non seulement au-dessus de la propriété individuelle, mais au-dessus de la coopération, au-dessus même de la propriété corporative, pour atteindre à la propriété commune, dans la mesure où le permettent aujourd’hui l’ordre capitaliste, ses nécessités internes et ses lois (…) la Verrerie ouvrière est en quelque sorte à l’extrême limite du système capitaliste, et elle annonce, sans la réaliser, un type nouveau qu’est le collectivisme (Jaurès, 1898, p. 317).
La VO est « une usine construite dans une société capitaliste, appartenant à tous en tant que collectivité, mais à personne individuellement » (Alibert, 1899). Revenant quelques années plus tard sur son expérience de la VO, Jaurès écrit :
C’est dans cet esprit que lorsque la Verrerie ouvrière fut fondée, je pris délibérément parti contre les amis de Guesde, qui, dans les réunions préparatoires tenues à Paris, voulaient la réduire à n’être qu’une verrerie aux verriers, simple contrefaçon ouvrière de l’usine capitaliste. Je soutins de toutes mes forces ceux qui voulurent en faire et qui en ont fait la propriété commune de toutes les organisations ouvrières, créant ainsi le type de propriété qui se 31rapproche le plus, dans la société d’aujourd’hui, du communisme prolétarien. (…). Les réformes ne sont pas des adoucissants : elles sont, elles doivent être des préparations (Jaurès, 1901b, p. 272).
Les statuts de la VO sont ainsi pour Jaurès une « œuvre de circonstance », mais une œuvre de circonstance qui permet d’avancer sur des principes qui fondent son approche des coopératives et des mouvements associatifs : mêler action politique et action économique au sein de groupements collectifs inscrits dans une praxis de l’État socialiste.
III. La conception jaurésienne des associations coopératives : une praxis de l’État socialiste
Suite aux événements de Carmaux, l’attrait de Jaurès pour la coopérative s’affirme (Gaumont, 1959 ; Gueslin, 1998 ; Celle, 2013) même s’il n’en oublie pas ses limites (cf. I.2). Plus qu’un apôtre de la coopérative en général, Jaurès devient un défenseur de la coopérative socialiste. Et c’est là qu’il se distingue tant de Charles Gide – principal théoricien de la coopération de consommation et de la République coopérative – que du soutien des républicains radicaux aux coopératives de production, et que d’une position guesdiste qui ne voit dans la coopération qu’un moyen de financement de la lutte partisane socialiste. Jaurès se pose la question de savoir à quelles conditions la coopérative, sa pratique et ses statuts, peuvent être conformes à l’esprit socialiste et donc porteurs d’une transformation sociale ? Pour Jaurès la réponse est claire : à condition qu’action économique et action politique soient mêlées et que la coopérative soit une praxis de l’État socialiste (III.2), ce qui renvoie à une certaine conception de Jaurès sur l’État (III.1).
III.1. La conception Jaurésienne de l’État
Jaurès a toujours tenu une place à part au sein du parti socialiste proposant une synthèse entre la tradition marxiste du socialisme de Guesde et le réformisme de Millerand. Ce qui l’oppose notamment aux plus radicaux, c’est sa conception de l’État qui le conduit à respecter les 32processus démocratiques et parlementaires. Cette position ne relève pas de son ralliement républicain opportuniste. Elle renvoie avant tout à une conception philosophique et politique de l’État qui le conduit à conclure au rôle positif de ce dernier pour la démocratie politique et l’avènement du socialisme. Pour Jaurès, l’État républicain est un État principe, porteur de l’intérêt général avant même d’être un organe central. C’est cette conception de l’État qui fait aussi l’originalité de Jaurès dans la pensée coopérative, que ce soit vis-à-vis des associationnistes de la moitié du xixe siècle ou des théoriciens de la coopération au tournant du siècle.
Pour Jaurès, le but à atteindre est bien le collectivisme, mais par rapport à d’autres tenants du socialisme, il se distingue par la méthode qu’il propose. Il estime en effet que « la démocratie est, pour le prolétariat, une grande conquête. Elle est tout ensemble un moyen d’action décisif et une forme type selon laquelle les rapports économiques doivent s’ordonner comme des rapports politiques » (Jaurès, 1904a, p. 1822). Pour lui, la démocratie politique est une condition de l’émergence du socialisme en France et la résolution de la question sociale passera par le plein déploiement de la République qui est au cœur du projet socialiste : « la République politique doit aboutir à la République sociale » (Jaurès, 1893c). La méthode jaurésienne de transformation sociale est donc bien réformiste. Comme le souligne Busieau (1980, p. 74) : « Jaurès restera, dans le mouvement socialiste, le porte-parole de ceux qui, tout en restant des partisans convaincus d’une transformation fondamentale de la société capitaliste, croient à la possibilité de conquérir, étape par étape, des réformes sociales importantes et des positions clés à partir desquelles le monde du travail pourra faire un nouveau pas en avant ». Pour Jaurès, il y a moyen, par des institutions démocratiques, telles que la Chambre des députés et le processus d’élaboration des lois, de réformer en profondeur la société. Le réformisme conduit au radicalisme par les avancées définitives que le jeu parlementaire induit. Faisant le point à la chambre des députés, en 1893, Jaurès déclare :
Vous avez fait les lois d’instruction. Dès lors, comment voulez-vous qu’à l’émancipation politique ne vienne s’ajouter, pour les travailleurs, l’émancipation sociale quand vous avez décrété et préparé vous-même leur émancipation intellectuelle (…). Et de même, quand vous avez fondé les syndicats ouvriers, qu’avez-vous prétendu faire ? (…) Est-ce que vous vous imaginiez, lorsque vous avez fait la loi sur les syndicats ouvriers, qu’ils seraient simplement ou une société de secours mutuel ou je ne sais quelle ébauche de société coopérative 33de consommation ? Non, toutes ces institutions d’assistance et autres existaient déjà (…). En instituant les syndicats ouvriers, vous ne pouviez faire qu’une chose : donner aux travailleurs, dispersés jusque-là, le sentiment d’une force plus grande (Jaurès, 1893c p. 237)
Mais qu’est-ce qui permet à Jaurès de considérer si positivement le rôle de l’État ? C’est parce qu’à ses yeux, il est sous-tendu par une vision de l’intérêt général. Jaurès voit dans l’État avant tout comme un principe et non un simple acteur au service d’une classe dominante. Sur ce point, Jaurès prend ses distances avec le matérialisme de Marx, lui préférant la notion d’idéalisme. Si l’homme est déterminé pour une part par son passé et son environnement – ce qui valide la notion de matérialisme historique –, il est aussi volontaire et tourné vers l’avenir, car doté d’un certain idéalisme. Jaurès rejette donc les thèses sur l’aliénation et l’exploitation complète des prolétaires. Pour lui « la vie de l’homme dans ses détails mêmes les plus familiers, est façonnée par les grands systèmes et les grands rêves (…) le cœur de l’homme (…) est gouverné à son insu par l’action secrète d’un idéal supérieur » (Jaurès, 1891, p. 184). Partant de là, il y a place pour une sphère politique13 au sein de laquelle l’homme peut évoluer et infléchir le mouvement économique. Pour Jaurès l’action socialiste est « tout à la fois scientifique et idéaliste (…) il y faudra l’organisation puissante du prolétariat tout entier : prolétariat ouvrier, prolétariat paysan, prolétariat intellectuel. Mais en démontrant que notre socialisme collectiviste répond non seulement aux nécessités historiques, mais à l’idée de justice » (Jaurès, 1893a, p. 282). Cherchant à qualifier la pensée politique de Jaurès, Antonini (2004, p. 11) indique que « la République – au départ simple régime institutionnel – n’est pas à comprendre seulement comme un simple mode de gouvernement et d’organisation des institutions de l’État, mais surtout comme un principe d’organisation de la société ». L’État, chez Jaurès, n’est pas analysé comme un simple organe central susceptible de faire barrage à la société. Il est pensé comme étant l’unité du corps social. Pour lui, la puissance publique « n’est qu’un instrument. Elle n’a pas de force propre, une volonté autonome, une politique à elle. Elle est (…) la servante du pouvoir civil » (Jaurès, 1910, p. 255).
34D’où tire-t-il cette confiance ? Du fait que l’homme est guidé par une force de progrès, un idéalisme. Tout mouvement politique, économique ou social est porté par cette force de progrès définie en commun. Jaurès a dans ses propos une double acception de l’État, en tant que principe général et en tant qu’acteur (Fretel, 2008). En tant que principe général, l’État prend la figure de la République adossée à l’intérêt général et synonyme de progrès. En tant qu’acteur, c’est une dynamique mettant en œuvre ce principe d’intérêt général ; Antonini (2004) parle pour ce second niveau de « praxis d’État ». Et c’est ici, dans cette seconde acception, qu’il y a une place pour d’autres acteurs comme la coopérative ou d’autres formes de groupements collectifs – la coopérative étant alors une praxis de l’État République.
III.2. L’association coopérative
comme praxis de l’État socialiste
Si Jaurès considère que « Kautsky a tort de ne considérer les syndicats et les coopératives que comme des instruments secondaires pour obtenir un résultat immédiat et passager ; c’est cela, mais c’est aussi la première forme de l’organisation générale et révolutionnaire de la classe ouvrière » (Jaurès, 1900, p. 136), il énonce, dans le même temps que l’association doit être subordonnée à la définition de l’intérêt général promu par la République, c’est-à-dire que la coopérative doit être socialiste :
Pourquoi dit-on que le mouvement syndical, que le mouvement coopératif, que les réformes préparatoires peuvent retarder le mouvement ? Ils le retarderaient s’ils étaient isolés de la pensée maîtresse du socialisme, mais si le syndicat, en même temps qu’il est syndicat, est socialiste, s’il se considère comme un moyen d’organisation, de préparation et d’éducation en vue du socialisme, si la coopérative est socialiste (…) alors d’innombrables fils rattachent toutes nos actions d’aujourd’hui à la révolution de demain (Jaurès, 1900, p. 135-136).
Une fois le socialisme advenu, l’association sera l’organe gestionnaire décentralisé de la Nation propriétaire. Davantage partisan d’une gestion associative que d’une gestion administrative dans le régime socialiste à venir, Jaurès envisage la République sociale comme une constellation d’associations responsables au quotidien de l’organisation de la production. En effet, pour lui, l’association est un organe gestionnaire plus performant et réactif que l’organisation administrative de la production. Mais elle n’est pas pour autant une sphère autonome. Son fonctionnement reste 35adossé à l’État, c’est-à-dire à la sphère politique. Jaurès est explicite sur ce point : « sans doute l’association est une grande force, mais l’État lui aussi est une association, la plus vaste et la plus haute de toutes, et cette association a bien le droit d’opposer à ses membres certains statuts » (Jaurès, 1904b, p. 369). De ce fait, une association ne peut fonctionner sur la base des seuls intérêts privés de ses membres. Comme le note Madeleine Rebérioux (1994, p. 22), « le cadre de l’usine, ou de la mine, n’est plus perçu pour Jaurès comme le lieu le plus important du combat syndical ». L’association jaurésienne doit s’ancrer dans l’intérêt général. Elle est une praxis d’État. C’est en ce sens que nous pouvons comprendre Jaurès lorsqu’il dit : « la mine aux mineurs peut être une tentative intéressante et utile ; elle peut familiariser certains travailleurs avec l’association et la République industrielle ; mais elle n’est pas la solution socialiste. Celle-ci c’est la mine à la nation » (Jaurès, 1895b, p. 154). La mine à la Nation assure la réalisation de la République sociale. Il renforce d’ailleurs son propos en soulignant : « le collectivisme que nous voulons réaliser dans l’ordre économique existe déjà dans l’ordre politique. À qui appartient la souveraineté politique ? À la Nation » (Jaurès, 1895a, p. 264). Comme le souligne Bruno Antonini, le peuple est propriétaire par la nation, mais c’est par l’État qu’il exerce cette propriété collective. Pour autant, la réalisation de cette propriété sociale par l’État « n’est pas étatisation, mais l’instauration par l’État d’un nouveau régime de propriété, où seule la Nation tout entière (ou “collectivité sociale”) est propriétaire, par le biais des syndicats et des coopératives ouvrières » (Antonini, 2004, p. 89).
Il importe donc que l’association ne perdre pas son lien avec la sphère politique. Jaurès refuse de la rabattre uniquement sur la sphère économique. Il en va de même pour les individus qui composent l’association : ils sont citoyens avant d’être des agents économiques : « l’ouvrier français, avant de se syndiquer, même quand il est syndiqué, est autre chose qu’un salarié, autre chose qu’un producteur ; il est l’héritier dépouillé d’une immense humanité de revendication et de combat » (Jaurès cité par Rebérioux, 1994, p. 65). On comprend mieux alors la conviction de Jaurès pour faire du projet de verrerie, une verrerie ouvrière et non une verrerie aux verriers. Les statuts de l’association supposent en effet, pour être conformes à l’idéal socialiste, que ce ne soient pas uniquement les membres de l’association qui la dirigent, afin d’éviter tout corporatisme. Chaque association doit être encadrée par les représentants nationaux 36des syndicats et des coopératives de consommation plus à même d’agir dans le sens de l’intérêt général.
De même que l’organisation du travail ne peut demeurer exclusivement administrative, et qu’elle doit se décomposer en un certain nombre de grandes coopérations relativement autonomes, de même elle ne peut aboutir au régime pleinement corporatif et perdre son caractère national et un. Car chacune de ces corporations, si elle était absolument indépendante, serait un État économique dans l’État économique. Elle aurait bientôt tous les vices et toutes les prétentions égoïstes du monopole (…). Elle recommencerait, en un mot, l’histoire des corporations d’ancien régime (Jaurès, 1895b, p. 137-138).
Si l’association est un instrument gestionnaire de la République sociale, elle n’en est certainement pas le fondement. L’association de Jaurès ne fonde pas une République industrielle14, si elle a des fonctions économiques, son but premier est politique, et elle est subordonnée à l’intérêt général.
Les associations particulières, restreintes, temporaires, peuvent protéger pour un temps des groupes restreints d’individus. Mais il n’y a qu’une association générale et permanente qui puisse assurer le droit de tous les individus sans exception (…). C’est donc dans la nation que le droit de tous les individus, aujourd’hui, demain et toujours, trouve sa garantie (Jaurès, 1901a, p. 350).
Pour Jaurès, c’est la solution collectiviste qui prime c’est-à-dire que :
C’est la nation qui est propriétaire. Cela signifie que les travailleurs actuels ne pourront pas usurper la mine pour eux seuls, et se transformer en sorte de capitalistes plus ou moins oisifs, qui feraient exploiter, à leur place et à leur profit, par des salariés (…) la nation assure à perpétuité le droit individuel de tous les travailleurs, aujourd’hui, et demain et toujours, à la propriété absolue de leur travail » (Jaurès, 1893b, p. 289).
C’est par les statuts que cette assurance du travailleur doit être trouvée :
Il faudra qu’un conseil central élu, composé à la fois de représentants des toutes les industries et de représentants directs de la nation tout entière, dans sa généralité, soit investi de l’autorité supérieure pour déterminer les conditions des échanges la base des prix, et pour empêcher le détournement, l’accaparement du capital national par l’avidité corporative (Jaurès, 1895b, p. 138).
37Un tel conseil « dégagé de toute préoccupation corporative, [sera l’] arbitre naturel des intérêts en présence, le conciliateur des antagonismes possibles, les gardiens de la suprématie nationale contre les empiétements des groupes » (Jaurès, 1895b, p. 143). Pour Jaurès, il importe donc de trouver une articulation entre l’intérieur de l’organisation productive et son extérieur, c’est-à-dire le reste de la société.
Conclusion
Chez Jaurès, l’association, en dépit de sa présence en tant que force gestionnaire, demeure cependant dans une place secondaire. Elle relève du registre de la praxis de l’État socialiste. La coopérative de production en elle-même ne peut être une réponse socialiste si ses statuts n’intègrent pas la Nation – c’est-à-dire le prolétariat – comme seule propriétaire. Jaurès dans sa manière de penser la coopérative, et dans la façon dont il l’a mise en application au moment de la création de la verrerie ouvrière, cherche à ne pas cantonner la coopérative à la sphère économique. Pour lui, la gestion d’intérêts communs ne peut conduire qu’à une nouvelle forme de patronat, un patronat à plusieurs. Il importe d’ancrer la coopérative dans la sphère politique et donc d’articuler intérêt commun et intérêt général. Ce lien entre sphère économique et sphère politique dans la façon de penser la coopérative s’est progressivement perdu (Alcouffe & al., 2013). Pour autant ce retour sur l’histoire nous semble important au moment où l’entreprise est questionnée – en particulier par les économistes autour de la responsabilité sociale des entreprises et des communs –, et où l’on cherche à lui trouver de nouveaux statuts – que ce soit dans le modèle historique des Sociétés coopératives et participatives (SCOP) ou la proposition de Société à objet social étendu (SOSE) – qui trancheraient avec ceux de la société anonyme qui semblent aujourd’hui renforcer le pouvoir de l’actionnaire. La Verrerie ouvrière est une société anonyme. La protection qu’elle s’offre repose non pas sur un statut à part, mais sur ses parties prenantes : en étant ouverte sur la société, via les syndicats et les coopératives qui en sont actionnaires, l’entreprise s’assure de pouvoir orienter son projet commun vers l’intérêt général.
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1 Il ne s’agira pas ici de revenir sur le cheminement de Jaurès vers la coopérative. Sur le sujet, lire Gaumont (1959) ou Gueslin (1998). Gueslin (1998) considère que trois évènements ont joué un rôle central dans la conversion de Jaurès à la coopérative : la création de la verrerie à Albi, l’inauguration de la Maison du peuple à Bruxelles et la création de la Boulangerie socialiste de Mauss.
2 Comme l’a souligné un des rapporteurs une des expériences les plus emblématiques dans cette lignée est celle dans la deuxième moitié du xixe siècle du Familistère de Guise fondé sous l’impulsion de l’industriel socialiste Jean-Baptiste André Godin (Lallement, 2009 ; Dos Santos, 2016). Influencé par le modèle du Phalanstère de Charles Fourier, le Familistère s’inscrit dans un projet de « cité » dans la cité avec son usine, son théâtre, son palais social, sa nourricerie… Vu comme un modèle social, il nous semble que le Familistère ne s’inscrit pas en tant que tel dans les réflexions sur les coopératives de production portées par le mouvement ouvrier. Si Jean-Baptiste André Godin avait des liens avec le mouvement coopératif en France et à l’international, ce lien s’est progressivement estompé après sa mort en 1888. Pendant le xxe siècle, le Familistère de Guise n’a pas été considéré comme une « vraie » coopérative de production ou comme appartenant à ce mouvement, et ce n’est que récemment que l’héritage du Familistère de Guise a fait l’objet d’une réappropriation dans le mouvement coopératif et l’économie sociale et solidaire (Draperi, 2008).
3 Lors de la première session tenue à Paris en 1876, le Congrès ouvrier socialiste avait une position plutôt favorable à l’égard des coopératives y voyant un moyen d’émancipation immédiate (Espagne, 1996).
4 Trois congrès ouvriers (Paris en 1876, Lyon en 1878, Marseille en 1879) se sont tenus après la naissance de la IIIe République. Ils ont notamment eu comme ambition de définir le mode d’emploi des trois instruments d’action socialiste : l’association coopérative (et mutualiste), le syndicat, le parti.
5 Comme le rappelle Gaumont (1959), Malon avant son exil après la Commune avait fondé en 1866 l’une des premières coopératives de consommation et avait signé avec Tolain et Varlin un mémoire doctrinal coopératif au premier Congrès international de Genève.
6 J. Guesde est très critique sur les coopératives de consommation : « les guesdistes soutiendront alors qu’en provoquant une diminution du coût de la vie, la coopération de consommation risquait de provoquer une baisse des salaires, les deux étant directement liés » (Gueslin, 1998, p. 285).
7 Jean Allemane est typographe au sein l’imprimerie du journal L’intransigeant, communard, il quitte le Parti ouvrier fondé par Jules Guesde, pour créer le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR). Il est partisan de la grève générale comme moyen d’action révolutionnaire.
8 Expression reprise de M.-F. Brive (1981).
9 Pour une histoire plus détaillée de Carmaux et des tensions qui y règnent dans les années qui précèdent le conflit à la verrerie en 1895, voir Trempé (1971) et Brive (1993).
10 Loi du 27 décembre 1892 sur la conciliation et l’arbitrage facultatif en matière de différends collectifs entre patrons et ouvriers ou employés. Cette loi cherche à mettre sur pied des procédures de règlement pacifique des conflits collectifs du travail.
11 Jaurès, « Beaux salaires », 21 août 1895, La Dépêche, cité par Brive (1993, p. 19).
12 Le projet de création d’une coopérative verrière est suggéré dès le début du conflit, mais n’apparaît pas tout de suite comme une solution collectivement portée (Brive, 1993).
13 « Ce n’est pas seulement par la force des choses que s’accomplira la révolution sociale ; c’est par la force des hommes, par l’énergie des consciences et des volontés », Jaurès, cité par Busieau (1980, p. 83).
14 Société prônée par de nombreux auteurs partisans de l’association comme Eugène Fournière, contemporain de Jaurès, pour plus de détails voir Fretel (2008).
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-09425-8
- EAN: 9782406094258
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09425-8.p.0015
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-27-2019
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Jean Jaurès, cooperative, socialism, mutual interest, general interest