L’économie politique, science expérimentale ou science abstraite et déductive ?
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
2017 – 1, n° 3. varia - Auteur : Bensimon (Guy)
- Pages : 267 à 285
- Revue : Revue d’histoire de la pensée économique
L’économie politique,
science expérimentale
ou science abstraite et déductive ?
Guy Bensimon
INTRODUCTION1
Le livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg paru en septembre 2016, qui a suscité émoi et controverses, est avant tout un livre de combat2. On n’y trouve aucune thèse économique (ni méthodologique) nouvelle, son objet se réduisant à tenter de discréditer, au nom de la science, les économistes dits « hétérodoxes ». Le procédé est simple. Il existerait un consensus en sciences économiques, basé sur des expériences aléatoires ou naturelles tournées principalement sur l’évaluation des politiques publiques, et donné par les publications dans les grandes revues internationales, ce qui en garantirait le caractère scientifique. Les économistes qui ne souscriraient pas à ce consensus, les « hétérodoxes », sont par conséquent « négationnistes », en ce qu’ils nieraient des vérités scientifiques établies. Les deux auteurs proposent, pour combattre ce négationnisme un « mode d’emploi » (p. 207), une stratégie centrée sur les médias : « Toute la stratégie de la pseudo-science vise in fine à influencer les médias dans leur présentation des 268informations disponibles » (p. 209). D’où leur double appel : appel aux journalistes pour vérifier la compétence réelle, à travers leurs publications, des experts invités, et appel aux chercheurs compétents, c’est-à-dire « orthodoxes », pour s’investir dans les médias. En d’autres termes, après que « l’orthodoxie » ait conquis la plupart des positions académiques, dans les universités et les comités de sélection, les deux auteurs, qui se posent en représentants de l’orthodoxie scientifique, lui propose de se lancer à l’assaut des médias afin que cette économie « scientifique », c’est-à-dire ses représentants humains, étende son hégémonie intellectuelle et idéologique.
André Orléan, dans son commentaire critique de l’ouvrage (Orléan, 2016), ou plutôt dans sa contre-attaque, est apparu d’emblée comme le représentant des économistes « hétérodoxes » face aux deux auteurs. Il pointe ce qu’il considère comme étant plusieurs de leurs erreurs et incohérences, sur lesquelles nous ne reviendrons pas, n’étant pas partie dans la querelle entre « orthodoxes » et « hétérodoxes ».
Au-delà de ces controverses, les deux auteurs soulèvent, implicitement car ils ne le mentionnent ni ne le traitent, un problème sérieux, celui de la méthode et du statut de la science économique. André Orléan l’a bien perçu, remarquant que les deux auteurs n’avaient, au vu de leurs publications et de leurs références, qu’une connaissance au mieux très limitée en matière d’épistémologie des sciences expérimentales, ce qui lui permet de retourner contre eux leur propre argument : « Ce livre », écrit-il, « est leur première incursion dans ce domaine [l’épistémologie] de telle sorte que, si l’on suit leurs propres critères, leurs analyses doivent être rejetées. Nous sommes face à un livre qui contient sa propre réfutation ! » (Orléan, 2016). Néanmoins, il ne s’attarde pas sur la question. En fait, il ne s’agit pas tant d’épistémologie que de techniques ou de méthodes de construction des connaissances, les deux auteurs prétendant qu’une approche alternative dans la construction de la connaissance économique serait apparue, qu’ils croient être celle des sciences naturelles3, et qui serait fondée à notre époque sur la statistique.
269Leur thèse repose en effet sur l’idée que la science économique serait devenue une science expérimentale à l’instar de la médecine, ou même semble-t-il, selon eux, de la physique ou de la climatologie, et par conséquent présenterait tous les attributs de la connaissance scientifique. Ils exposent leur conception au début de leur ouvrage (p. 12 à 14, les guillemets et les italiques sont des auteurs) :
Ce n’est pas l’objet analysé qui importe, c’est la méthode employée pour valider les résultats qui distingue le savoir scientifique des autres formes de la connaissance. À ce titre, l’analyse économique est depuis longtemps une « science » comme les autres. Ses méthodes de validation, c’est-à-dire la manière d’accepter ou de refuser une conclusion, sont semblables à celles des autres disciplines scientifiques. Mais surtout, depuis plus de trois décennies, grâce à l’accès à d’immenses bases de données, à une démultiplication des capacités de traitement de l’information et à un profond renouvellement méthodologique, l’économie est devenue une science expérimentale dans le sens plein du terme.
Comme toute discipline de ce type, l’analyse économique contemporaine cherche à mettre en évidence des liens de cause à effet… À l’instar de la recherche médicale, l’économie s’attache à bâtir des protocoles expérimentaux permettant de connaître les causes des phénomènes observés. Pour connaître l’efficacité d’un vaccin ou d’un médicament, la recherche médicale compare ses effets au sein d’un « groupe test » auquel le médicament a été administré à ceux d’un « groupe de contrôle » n’ayant subi aucun traitement (ou ayant subi des traitements à base de placebo). Tel est le protocole expérimental standard pour savoir s’il y a un lien de causalité entre une intervention médicale et les effets observés.
Aujourd’hui, l’analyse économique procède de la même manière. Pour savoir si la dérégulation financière favorise la croissance, si le coût du travail a un effet sur l’emploi, si l’immigration crée du chômage, si les dépenses publiques relancent l’activité ou si la hausse des impôts la déprime ; et plus généralement pour toute question où l’on recherche un lien de cause à effet l’analyse économique compare des groupes tests au sein desquels ces mesures ont été mises en œuvre, avec des groupes de contrôle où elles n’ont pas été mises en œuvre. Répétons-le, l’économie est devenue une science expérimentale dans le sens plein du terme.
Ils écrivent plus loin : « En économie, toute “loi” est de nature statistique [guillemets et italiques des auteurs]. Il ne s’agit que de tendances générales » (p. 36) et insistent sur « le caractère statistique de la plupart des “lois” physiques ou économiques » [guillemets et italiques des auteurs] et même climatologiques (p. 202). Finalement « À l’ère du big data, l’économie est devenue une discipline expérimentale » (p. 47).
270En résumé : 1) c’est la méthode de validation des résultats qui importe, et non l’objet étudié ; 2) l’analyse scientifique dans les sciences expérimentales cherche à mettre en évidence des liens de cause à effet ; 3) grâce aux progrès du traitement de l’information et à la constitution d’immenses base de données, il est désormais possible de mettre en place des protocoles expérimentaux en économie permettant d’établir de tels liens ; 4) la science économique s’est donc élevée au rang de science expérimentale ; 5) les techniques économétriques d’évaluation étant au cœur de la mise en évidence des liens de cause à effet, les lois économiques sont des lois statistiques.
Avant de commenter ces différents points, il sera utile d’établir quelques distinctions concernant les sciences qui conviennent au but de notre discussion (section I). Ensuite nous examinerons quelques aspects de la méthode d’investigation des objets sociaux, la méthode de l’abstraction (section II). Enfin, nous nous intéresserons à la question de la causalité en économie, qui conduit à celle de la validation des résultats (section III).
I. Quelques considérations générales
sur les sciences
On distingue généralement les sciences formelles, la logique et les mathématiques, des sciences empiriques. Ce qui caractérise les premières, c’est entre autres qu’elles n’ont aucun contenu empirique, c’est-à-dire qu’elles ne disent rien sur le monde4. Les sciences empiriques au contraire ont pour objet l’analyse des phénomènes du monde, les objets et phénomènes empiriques, c’est-à-dire des objets dont les principales propriétés sont le fait qu’ils ont une dimension spatiale et temporelle (ils occupent un volume spatial, ils viennent à l’existence et disparaissent) et qu’ils changent (ils sont sujets de variations d’états)5. Parmi les sciences empiriques, on distinguera les sciences expérimentales 271des sciences abstraites. Cette distinction est à la fois méthodologique et pratique. Dans les sciences expérimentales il est possible d’effectuer des expériences artificielles, réalisées à l’aide de méthodes définies, sur les objets qu’elles étudient. Dans les sciences abstraites, cela est matériellement impossible, on en est réduit à l’observation des phénomènes, et s’il est possible de réaliser des expériences à partir de phénomènes dont l’existence est indépendante de la volonté de l’observateur, cela suppose un haut développement et un haut niveau d’abstraction de la science concernée. À titre d’exemple, en astrophysique, la découverte expérimentale récente des ondes gravitationnelles, issues de la collision de deux trous noirs, eut été impossible si la relativité générale n’avait pas prédit leur existence ; et si l’instrumentation nécessaire, issue d’autres théories physiques ainsi que de l’habileté des expérimentateurs, n’avait pas été conçue et réalisée. Qu’elles soient expérimentales ou abstraites, et quelles que soient leurs différences méthodologiques, le but des sciences empiriques est de formuler les lois qui gouvernent les phénomènes qu’elles étudient afin de les expliquer et d’en prédire l’évolution dans telles ou telles conditions.
Les objets sociaux, parmi lesquels l’économie, sont évidemment des objets empiriques. La thèse des deux auteurs relève de la question des méthodes de recherche adaptées à cette classe d’objets empiriques.
Lorsque l’on parle « d’évaluation des résultats », cela suppose que l’on ait obtenu des résultats, c’est-à-dire une connaissance au moins provisoire sur l’objet ou certains des phénomènes dont il est le siège. Cela suppose donc que l’objet ait été investigué. Des siècles d’investigations pré-scientifiques et scientifiques d’objets empiriques ont permis de dégager des principes généraux ou plus particuliers des méthodes d’investigation des objets de la science, au point que leur analyse constitue une branche particulière de la connaissance, « la logique de la connaissance scientifique », explorée à la fois par les logiciens et une partie des philosophes des sciences6. Nous disposons donc d’un champ de la connaissance, les méthodes d’investigation des objets empiriques, qui nous apprend entre autres que la méthode d’investigation n’est pas la même selon la 272nature de l’objet dont on recherche la connaissance. Celle-ci est entendue comme une construction linguistique, c’est-à-dire un ensemble d’expressions linguistiques, de termes et de propositions, qui peuvent être mathématiques, et qui concernent l’objet étudié. Investiguer un objet revient à construire un tel ensemble, ou sous-ensemble.
II. La méthode de l’abstraction
Les objets sociaux, et donc l’économie, possèdent deux caractéristiques principales bien connues : 1) l’impossibilité de les soumettre à des expériences sur le mode des expériences physiques ou chimiques ; 2) leur complexité, par laquelle il faut entendre leur grand nombre, la multiplicité des phénomènes dont ils sont le siège, leurs interdépendances, leur caractère changeant, le fait qu’un phénomène particulier s’inscrit dans l’enchevêtrement de multiples chaînes d’autres phénomènes, ou qu’un même phénomène peut être à l’origine d’une multitude d’autres phénomènes emmêlés et parfois incompatibles entre eux.
La méthode conçue pour explorer de tels objets est, si l’on veut reprendre une expression de Marx, la méthode du passage de l’abstrait au concret, ou si l’on se réfère à Mill, la méthode a priori (Mill, 2003) ou encore « déductive concrète » (Mill, 1866, t. 2, liv. VI, chap. ix)7. Nous l’appellerons pour notre part « méthode de l’abstraction ». Elle consiste à sélectionner et isoler certains phénomènes et à procéder à leur analyse indépendamment des autres, au terme de laquelle certaines affirmations sont construites, puis à réintroduire progressivement ces derniers, de façon à obtenir des résultats – des propositions – plus ou 273moins abstraits ou plus ou moins concrets selon que l’on a réintroduit moins ou plus de phénomènes laissés de côté. La clause « toutes choses égales par ailleurs », qui signifie que seules les conditions énoncées sont les conditions retenues, illustre cette méthode. Lorsqu’on l’associe à une proposition, on fixe par là-même les conditions auxquelles on accepte la proposition. Ces conditions, fixées dans le langage, créent une situation artificielle de recherche, qui est l’analogue pour les sciences empiriques abstraites des laboratoires « matériels » des sciences expérimentales. Comme on ne peut prendre en compte toutes les conditions d’un phénomène, le résultat obtenu exprimera une tendance du phénomène, qui, dans son principe, ne se manifeste pas dans la réalité, ou seulement de manière approximative. Par exemple, un avion en vol est soumis aux lois de la propulsion, de la résistance de l’air, etc., et à la loi de la gravitation. S’il vole, il ne tombe pas, bien qu’il ait tendance à tomber du fait de la gravité. Ici, les lois et les mécanismes de la propulsion constituent l’une des « causes perturbatrices » de la loi de la gravitation.
La connaissance obtenue sur un objet social par cette méthode prend la forme d’un système déductif constitué de trois ensembles de propositions : 1) des propositions universelles, abstraites, qui consistent en certaines affirmations primitives sur l’objet et sur ses parties – dont leurs lois –, et qui constituent la théorie de l’objet, 2) des propositions sur les conditions dans lesquelles l’objet existe et qui déterminent son comportement, et 3) des propositions sur le comportement de l’objet ou de ses parties à partir de l’observation desquels on a construit les abstractions. Ces dernières propositions sont déduites des deux premiers ensembles. Selon les conditions retenues (deuxième ensemble de propositions) les propositions déduites sur le comportement de l’objet coïnciderons plus ou moins avec le comportement observé de l’objet ou de ses parties sujettes à l’investigation.
Parmi les propositions universelles de la théorie, on trouve les lois scientifiques. Les deux auteurs parlent, eux, de « lois statistiques », qui sont d’une tout autre nature. Le problème est que les économistes, du moins ceux qui s’adonnent à quelques travaux théoriques, utilisent sans cesse les lois économiques scientifiques, mais sans en avoir conscience vu l’absence de connaissance qu’ils ont, pour la plupart, du langage des méthodes logiques de recherche.
274Une loi scientifique8 est un énoncé qui n’est vrai que dans certaines conditions. Si ces conditions sont réunies, l’énoncé est partout et toujours vrai, c’est-à-dire qu’il est vrai de tout objet de la classe des objets sur lesquels il affirme quelque chose ; par là, l’énoncé qui constitue la loi est universel et ne souffre pas d’exceptions. L’essentiel, ici, est que les conditions d’une loi scientifique ne sont jamais réalisées dans la réalité, ce qui donne son caractère d’universalité à l’énoncé et qui fait qu’une loi scientifique ne peut pas être vérifiée ou réfutée par l’expérience9. Une loi scientifique est donc essentiellement abstraite. Si les conditions de la loi étaient réalisées dans la réalité, la vérité de l’énoncé serait limitée aux seuls objets soumis à ces conditions, et, par suite, la loi ne serait pas universelle. On donne habituellement l’exemple de la loi de la mécanique selon laquelle si un corps n’est soumis à aucune influence extérieure, il conserve indéfiniment son état de repos ou de mouvement rectiligne et uniforme. La condition « n’être soumis à aucune influence extérieure » n’existe pas dans la réalité, et l’énoncé est vrai de tous les corps. Une loi scientifique ne requiert aucune explication, car elle constitue l’explication ultime de phénomènes précis. C’est à ce titre qu’elle intervient comme proposition primitive dans une théorie.
En économie de telles lois sont par exemple « l’homme recherche l’utilité (ou la satisfaction) maximale », « l’homme préfère le présent au futur », « le travail est une désutilité pour l’homme », « l’homme effectue ses choix de façon rationnelle10 ». Dans ces énoncés, aucune 275condition n’est mentionnée sur l’homme. Mais l’homme dont il s’agit est un homme abstrait, qui n’existe pas dans la réalité, que l’on suppose être animé seulement par le désir d’acquérir des richesses. C’est pourquoi, la partie conditionnelle de ces lois s’énonce ainsi : « si l’homme est animé par le seul désir de richesse ». Sous cette condition, qui n’existe pas dans la réalité, les énoncés précédents sont toujours vrais (acceptés), quel que soit l’homme auquel on a affaire, ils sont donc universels relativement au terme « homme ». Si on introduit des conditions plus concrètes, ayant par exemple rapport à la production, on en déduit des lois dérivées, comme par exemple, « produire une quantité donnée avec le minimum de ressources », « adéquation de la qualification à la tâche », « extraction d’un maximum de travail d’autrui », etc. Ces dernières lois restent abstraites, car elles ne mentionnent aucun type d’économie particulier, c’est-à-dire aucune condition concrète de l’activité productive. Finalement, comme l’écrit Zinoviev, « En utilisant les lois scientifiques et les faits relatifs à une situation concrète donnée, on peut expliquer les raisons qui ont conduit à cette situation et en définir les perspectives d’avenir » (Zinoviev, 1981, p. 63).
Comme on le voit, ces lois n’ont rien à voir avec les lois statistiques auxquelles les deux auteurs réduisent les lois économiques.
Une des conséquences de la méthode de l’abstraction est que les propositions que l’on obtient ne peuvent être ni infirmées ni confirmées par la réalité, mais aussi qu’elle incite à orienter la recherche empirique sur « les causes perturbatrices », c’est-à-dire sur les conditions du phénomène non prises en compte par la clause « toutes choses égales par ailleurs ». Par exemple, si au terme de l’analyse des économies occidentales contemporaines, on conclut que les salaires ont tendance à baisser, et que dans telle économie, on observe une hausse des salaires, cela n’infirme pas la conclusion, mais incite à rechercher les conditions qu’il faut prendre en compte dans l’économie en question pour expliquer la hausse. La méthode ne permet d’énoncer que des tendances des phénomènes, issues d’un raisonnement économique.
Comment juger dans ces conditions de la pertinence de la connaissance obtenue par cette méthode si elle est appliquée correctement, c’est-à-dire si elle respecte les principes logiques sur lesquels elle repose ? On peut 276reprendre à cet égard les critères de Thomas Kuhn (Kuhn, 1990, p. 426), bien qu’ils concernent principalement les théories physiques. Kuhn énumère cinq propriétés d’une bonne théorie scientifique qui sont ordinairement retenues : 1) la précision, c’est-à-dire l’accord entre les conséquences que l’on en tire et les expériences et observations existantes, 2) la cohérence, tant interne qu’avec les autres théories généralement acceptées sur des aspects reliés de la nature, 3) une large envergure : la théorie doit aller au delà des observations et des sous-théories qu’elle était destinée initialement à expliquer, 4) la simplicité, en mettant de l’ordre dans les phénomènes qui pris un à un, resteraient isolés, et pris dans leur ensemble apparaîtraient confus, 5) la théorie doit être grosse de nouvelles découvertes, elle doit permettre la découverte de nouveaux phénomènes ou de nouvelles relations entre des phénomènes déjà connus. Les résultats obtenus par la méthode décrite plus haut satisfont ces critères, compte tenu de la spécificité de l’économie politique et des autres sciences sociales. La présence des propositions universelles, dont les lois économiques scientifiques, dans une théorie, assure que les propriétés 3), 4) et 5) soient réalisées en ce que, tout en étant peu nombreuses11, elles élargissent le champ de la déduction du fait même de leur universalité. La propriété 2), pour sa partie cohérence interne, résulte de la structure logique des propositions associées à la théorie ; pour ce qui est de la cohérence externe, le problème est qu’il n’y a pas de théories généralement acceptées sur la société et l’économie, la part de l’idéologie y étant prépondérante. Enfin, la propriété 1) est restreinte au type de conclusions que l’on peut obtenir en économie politique et sur un objet social en général.
En résumé, la science économique se présente comme une science empirique, sans être une science expérimentale : ses conclusions résultent de la construction d’abstractions et de déductions à partir de ces abstractions.
Revenons maintenant à la thèse des deux auteurs. En prétendant que ce qui importe, ce n’est pas l’objet analysé mais la méthode de validation des résultats, ils négligent le fait fondamental que les résultats obtenus dépendent de la méthode utilisée pour obtenir des résultats sur l’objet12. 277À cet égard ils devraient s’interroger sur les raisons de l’échec de la théorie de l’équilibre général (théorèmes de non stabilité) et sur les maigres résultats, s’il en est, de la théorie macroéconomique néoclassique13.
Bien qu’ils revendiquent la priorité des méthodes de validation des résultats, ils ne proposent dans leur livre aucun résultat théorique à évaluer. Le chapitre sur les recettes keynésiennes, qui traite de l’effet des dépenses publiques sur la croissance et l’emploi, ne renferme pas un test d’une conclusion de la théorie keynésienne, mais consiste en une évaluation des conséquences de politiques ou de pratiques publiques de dépenses en différentes circonstances. On est loin de la proposition réelle de Keynes, d’après laquelle dans une économie développée (dotée d’un grand stock d’équipements) avec sous-emploi, l’insuffisance de l’investissement et l’excès d’épargne doivent être compensés par l’investissement public (la « socialisation de l’investissement ») d’une part, et simultanément par la redistribution d’autre part afin d’accroître la propension marginale à consommer de la communauté dans son ensemble et amplifier ainsi l’effet multiplicateur sur le revenu.
III. Les relations de causalité
et la validation des résultats
Les auteurs pensent que le but de la science est de rechercher des liens de cause à effet, comme s’il existait une signification unique du terme « cause ». Or, il n’en est rien14. Surtout, cette affirmation masque le fait que le but réel de la recherche scientifique, même s’il ne sera 278jamais totalement atteint, est de formuler les lois qui gouvernent les phénomènes du monde, recherche qui se situe sur un autre plan que la recherche de liens de cause à effet. Cette dernière se borne à analyser des situations concrètes, artificielles ou naturelles, à l’issue desquelles, certaines méthodes étant utilisée, on peut énoncer que a est cause de b. Mais il y a alors autant de significations du terme « cause » que de situations crées ou observées et de méthodes utilisées, puisque la signification de l’expression « a est cause de b » dépend dans chaque cas de la signification des termes et des propositions qui décrivent ces situations et ces méthodes. Toutefois, de façon générale, les énoncés sur les relations causales sont des énoncés conditionnels avec présence d’une relation temporelle « après cela », « avant cela ». Si A est un énoncé décrivant l’état a et B un énoncé décrivant l’état b, une relation causale prend par exemple la forme « Si A, alors après A, B », ou encore, « Si B, alors avant B, A », etc.15
Dans tous les cas, la recherche de relations causales est toujours relative à des situations particulières. Or comme on l’a vu plus haut, le but d’une science empirique, en construisant une théorie d’un objet, est d’aller au-delà des situations particulières, d’en englober le plus grand nombre possible, ce qui revient, en partant des situations et des observations particulières, à construire les abstractions à partir desquelles elles pourront toutes être expliquées de façon satisfaisante. C’est ainsi que procèdent les sciences expérimentales, en tant que sciences empiriques. Il suffit de se souvenir par exemple, en mécanique, du cheminement, en partie expérimental, qui a conduit aux abstractions de Newton ou d’Einstein.
Mais il y a plus. Les économistes sont familiers des phénomènes d’interdépendance, en particulier l’interdépendance des marchés qui n’est qu’un cas particulier de l’interdépendance générale des phénomènes sociaux et économiques. Une société et une économie sont constitués d’une infinité de phénomènes et de processus enchevêtrés et interdépendants. Comment dans ces conditions peut-on clamer que la science économique recherche des liens de causse à effet, alors que l’effet rétroagit sur la cause, produit d’autres effets qui annulent la cause, que des causes concurrentes surgissent produisant à leur tour leurs effets dont le cheminement est impossible à décrire ? Pareto avait en son temps 279compris que l’interdépendance des phénomènes économiques excluait les raisonnements en termes de cause.
Enfin, lorsque l’on observe les phénomènes économiques, ils se présentent simultanément à l’observation. De ce fait, aucun raisonnement causal n’est possible relativement à la présence d’un phénomène particulier, puisque la relation causale renferme une relation temporelle du type « après ». Le seul moyen intellectuel dont on dispose est de l’isoler par la pensée et de construire les abstractions et sélectionner les conditions qui permettent d’expliquer le phénomène par déduction. Peut-être les deux auteurs confondent-ils le schéma suivant avec une relation causale : si au cours ou au terme d’une analyse, on parvient à la conclusion que des propositions A, C et D suit logiquement la proposition B, et si C et D sont acceptées (vraies), alors on a la proposition « Si A alors B ». Cette dernière est une proposition conditionnelle, mais elle n’est pas une relation causale, puisqu’elle ne renferme aucune relation temporelle.
Finalement, en réduisant la science économique à une science expérimentale, les deux auteurs nient tout simplement la possibilité du caractère scientifique de cette science. D’ailleurs leur livre consiste à relater les résultats « d’expériences naturelles » éparpillées d’évaluations de politiques ou de pratiques publiques, qui, quel que soit le soin avec lequel elles sont menées, ne testent aucune proposition issue d’une théorie – du moins ne le mentionnent-ils pas – et dont la réunion en un ouvrage apparaît de ce fait comme parfaitement arbitraire, sans autre unité que la thèse bien fragile selon laquelle la science économique serait devenue une science expérimentale.
Selon les deux auteurs, la recherche de liens de causalité en science économique consiste à mettre en place des protocoles expérimentaux consistant à comparer des groupes tests au sein desquels des mesures ont été mises en œuvre, avec des groupes de contrôle où elles n’ont pas été mises en œuvre. Cette méthode expérimentale n’a rien de nouveau, elle fait partie de ce que l’on appelle parfois « les méthodes de Bacon-Mill » et son principe a été décrit par Mill dans son Système de logique16. Elle constitue un aspect de l’une des quatre méthodes de la recherche expérimentale qui y sont exposées, celle appelée par Mill « méthode de la différence ». Il faut trouver deux cas qui, semblables sous tous les autres rapports, diffèrent par la présence ou l’absence du phénomène étudié. Alors :
280S’il s’agit de découvrir les effets d’un agent A, il faut prendre A dans quelques groupes de circonstances constatées, comme ABC, et ayant noté les effets produits, les comparer avec l’effet des autres circonstances BC quand A est absent. Si l’effet de ABC est abc, et l’effet de BC, bc, il est évident que l’effet de A est a. (Mill, 1866, t. 1, p. 429)
D’où : « Un antécédent qui ne peut être exclu sans supprimer le phénomène est la cause ou une condition de ce phénomène » (id., p. 430). D’après cette méthode, ABC fait fonction de groupe test, et BC de groupe de contrôle. Mill assignait déjà des conditions strictes à l’utilisation de cette méthode : 1) elle est plus particulièrement une méthode d’expérience artificielle ; 2) les deux cas à comparer doivent être exactement similaires dans toutes les circonstances, excepté celle qui est l’objet de l’investigation, bien qu’on puisse faire abstraction des circonstances dont on sait déjà qu’elles n’ont aucune importance pour le résultat ; 3) l’opération qui consiste à produire le cas ABC à comparer à BC ne doit pas durer longtemps pour que des changements n’aient pas le temps d’affecter BC ; cette propriété est à rattacher à la précédente car c’est une condition de similarité. En d’autres termes, le changement introduit doit être parfaitement défini. Mill consacre un chapitre du Système de logique (Mill, 1866, t. 2, liv. VI, chap. vii) pour montrer qu’elle est une méthode « fautive » pour les sciences sociales, de même que les autres méthodes des sciences expérimentales.
Il est par principe impossible de trouver, dans une société ou une économie, deux groupes sociaux parfaitement similaires, étant donné qu’ils sont des fragments d’histoires différentes et des parties de chaînes de phénomènes différents. Pour juger de leur similarité, encore faut-il récolter un très grand nombre d’informations sur ces groupes. Or, les informations ne sont pas sélectionnées au hasard. Selon quels principes économiques, ou selon quelles conclusions obtenues à partir d’une théorie, sont-elles sélectionnées ? Il faut aussi tenir compte du fait que, si on sélectionne une information, on n’en sélectionne pas une autre. Il faut avoir en mains des principes bien définis pour se prémunir contre le fait que plus on sélectionne un nombre important d’informations, plus on en perd de vue d’autres. Dans les cas décrits par les deux auteurs, il y a en plus la question du temps qui s’écoule entre la décision de politique publique et l’analyse du résultat de la décision. Une fois la décision prise, il y a le temps durant lequel elle est 281mise en place17, laquelle amorce des processus. Ensuite il y les temps propres des différents processus initiés par la décision, en partie décidés par les expérimentateurs (après combien de temps décide-t-on que les résultats des processus sont pertinents au regard du but recherché ?). Durant cette période, les groupes tests restent les sujets de processus non initiés, mais influencés, par la décision, et plus généralement des processus en lesquels consiste la vie économique. Il en va de même pour les groupes témoins. Quelle est la part de tous ces processus dans les résultats obtenus ?
Conclusion
Les deux auteurs laissent à penser que les techniques économétriques d’évaluation seraient maintenant suffisamment avancées et sophistiquées pour surmonter ces problèmes. Or, il y a toujours des débats entre économètres et microéconomètres sur les meilleures techniques à utiliser selon les situations, car elles sont multiples et les résultats obtenus dépendent de leurs spécificités et de leurs hypothèses18. Quel que soit le perfectionnement de ces techniques, elles butteront toujours, en l’absence de raisonnement économique pertinent au regard des méthodes évoquées plus haut et sur lequel s’appuyer, sur la complexité des phénomènes sociaux. Mais surtout, elles ne peuvent par nature se substituer aux raisonnements dont l’objet est d’expliquer les phénomènes économiques. Angus Deaton, dans un article souvent mentionné dans la controverse initiée par les deux auteurs parvient, par un autre chemin, à une conclusion semblable (Deaton, 2010). Il constate que l’analyse économétrique est passée, au fil des ans, de l’analyse de modèles dérivés de la théorie vers les spécifications beaucoup plus pauvres que sont les représentations statistiques de programmes d’évaluation. Les évaluations de projets sont pour lui « peu susceptibles de dévoiler les secrets du développement, ni sans doute, à moins qu’ils ne soient guidés par 282une théorie qui soit elle-même ouverte à la révision, être à la base d’un programme de recherche cumulatif qui peut conduire à une meilleure compréhension du développement » (Deaton, 2010, p. 426). Il conclut :
En fin de compte, beaucoup de problèmes étaient simplement trop difficiles pour être résolus sans orientation théorique… je crois que nous sommes peu susceptibles de bannir la pauvreté dans le monde moderne seulement au moyen d’essais, à moins que ces essais ne soient guidés par et contribuent à une compréhension théorique (Deaton, 2010, p. 452).
Au fond, en proclamant qu’à l’ère du big data la science économique est devenue une science expérimentale, les deux auteurs proposent de ramener cette science à l’introduction d’immenses quantités d’informations dans des machines qui à leur tour fourniront une immense quantité d’autres informations. Cela revient à ramener la science économique à une pensée proche de celle d’un robot, c’est-à-dire à une absence de pensée.
283Références bibliographiques
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1 Sciences Po Grenoble. Je remercie Michel Damian, Alexandra Hyard, Faruk Ülgen, ainsi qu’un autre lecteur, pour leurs remarques qui m’ont permis d’améliorer une première version de ce texte, qui était achevée et a commencé à circuler fin septembre 2016. Je reste l’unique responsable de cette dernière version.
2 (Cahuc & Zylberberg, 2016). La référence à des numéros de pages, sans plus de précision, renvoie à l’ouvrage des deux auteurs.
3 Hayek (Hayek, 1953) avait, sur la base du « subjectivisme » et de « l’individualisme » en sciences sociales, rejeté l’application mécanique des méthodes des sciences naturelles dans les sciences sociales. Popper (Popper, 1988) préconisait quant à lui l’unité de la méthode des sciences théoriques, qu’elles soient naturelles ou sociales, toutes étant « hypothético-déductives » (voir notamment le chapitre iv). Sur les relations entre Hayek et Popper sur le scientisme, voir Nadeau (1986).
4 Voir Bensimon (2010).
5 On trouve une analyse détaillées des propriétés des objets empiriques dans (Zinoviev ; Wessel, 1975).
6 Comme l’écrit Carnap, la philosophie des sciences contemporaine s’intéresse à « l’appareil conceptuel qu’elle [la science] utilise, ses méthodes, la forme de ces énoncés et les types de logique qu’on peut lui appliquer. » (Carnap, 1973, p. 184) ; voir aussi (Carnap, 1935). Pour un aperçu général de la question, voir par exemple (Tavanec & Švyrev, 1970).
7 Il est habituel de considérer que Hegel en est le père fondateur et Marx le disciple conscient (« l’analyse des formes économiques ne peut s’aider du microscope ou des réactifs fournis par la chimie ; l’abstraction est la seule force qui puisse lui servir d’instrument » (Marx, 1950, liv. I, t. 1, p. 18) ; voir aussi l’« Introduction générale à la critique de l’économie politique » de Marx (Marx, 1859). Pourtant, on en trouve, avant Marx et indépendamment de Hegel, un exposé complet dans l’Essai cité de Mill (Mill, 2003). Alexandre Zinoviev en définit les principes logiques (Zinoviev, 1973, 1983). Il en donne un exposé « littéraire » dans plusieurs de ses essais, en particulier (Zinoviev, 1981) ainsi que dans sa Logique sociologique (2003, en russe). Voir aussi Bensimon (2012).
8 Pour plus de détails, voir (Bensimon, 2007).
9 Milton Friedmann développe une idée semblable. Si l’on accepte que ce qu’il appelle « postulats d’une théorie » est quelque chose de semblable aux lois économiques universelles, et que ce qu’il appelle « hypothèse » est quelque chose de moins fondamental dans une théorie que ses postulats et dérive de ceux-ci, alors les lois sont par essence « irréalistes ». La raison en est que le champ de déduction d’une loi englobe une grande variété de cas concrets : « En général, plus une théorie est significative, plus ses postulats sont (au sens que le terme peut prendre ici) irréalistes. La raison de ce phénomène est simple. Une hypothèse est importante si elle “explique” beaucoup à partir de peu, c’est-à-dire si elle extrait les éléments communs et cruciaux de l’ensemble des circonstances complexes entourant les phénomènes à expliquer, et permet des prévisions valides sur la base de ces seuls éléments. Une hypothèse, pour être importante, doit par conséquent avoir des postulats empiriquement faux ; elle ne doit prendre en compte et ne rendre compte d’aucune des nombreuses autres circonstances connexes, dans la mesure où son efficacité même révèle la non-pertinence de ces circonstances connexes pour expliquer les phénomènes concernés. » (Friedman, 1995, p. 11).
10 Ces formulations sont la traduction néoclassique bien connue des lois déjà énoncées par Mill : préférence pour une richesse plus grande à plus petite, aversion pour le travail, préférence pour la jouissance immédiate de plaisirs coûteux, capacité de juger de l’efficacité comparée des moyens pour parvenir à une fin.
11 Comme le remarquait Pierre Duhem à la suite de Mach, l’utilisation de lois scientifiques, en se substituant à une multitude de faits concrets, contribue à la simplicité, à « l’économie intellectuelle » (Duhem, 1989, p. 27-28 ; p. 77 & sq.).
12 Nous avons pour notre part utilisé la méthode de l’abstraction pour l’investigation de l’économie communiste à travers son modèle concret, l’économie soviétique. Les résultats obtenus sont d’une autre nature que ceux de la pensée économique du socialisme issus des modèles d’économie concurrentielle, des modèles de déséquilibre ou des modèles d’économie de la pénurie ; le lecteur curieux pourra le vérifier dans (Bensimon, 1996).
13 Sur l’état actuel de la théorie économique « orthodoxe » (néoclassique) voir par exemple (Kirman, 2012 ; Guerrien, 2007, 2015).
14 On trouvera un bilan de l’analyse contemporaine de la causalité dans (Kistler, 2004) ; l’ensemble du numéro de la revue est consacré à la relation causale ; de même, la revue Philosophie a consacré son numéro 89, 2006/2, à la causalité. Bertrand Russell a initié le débat au xxe siècle (1912) en rejetant la notion de causalité dans les sciences (Russell, 2006). On peut aussi se référer par exemple aux discussions de Ernest Nagel (Nagel, 1982), de von Wright (Wright, 1971), de Carnap (Carnap, 1973), de Zinoviev (Zinoviev, 1983) sur la notion de cause.
15 Pour l’analyse des formes des relations causales, voir (Zinoviev, 1983, p. 219-223).
16 Dans les chapitres viii et ix du Livre III (t. 1).
17 Durant ce temps, les agents concernés par la décision peuvent former des anticipations et accomplir des actions en conséquence.
18 Voir sur ces points : Fougère, 2010 ; L’Horty ; Petit, 2011 ; Zamora, 2011.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-06967-6
- EAN : 9782406069676
- ISSN : 2495-8670
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06967-6.p.0267
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/06/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Causalité, hétérodoxe, orthodoxe, logique économique, épistémologie