Éditorial Sur quelques effets du changement
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Bossuet Littérature, culture, religion
2021, n° 12. Bossuet et l’Angleterre - Auteur : Belin (Christian)
- Pages : 11 à 15
- Revue : Revue Bossuet
ÉDITORIAL
Sur quelques effets du changement
L’Angleterre a tant changé qu’elle ne sait plus elle-même à quoi s’en tenir…
Oraison funèbre d’Henriette-Marie de France.
La propagation d’un virus peut engendrer, par un effet papillon, une suite de conséquences inattendues en bien des domaines. Ainsi, de cause seconde en cause seconde, le corona 19 aura su imposer à notre Revue son propre calendrier. Mais si la situation sanitaire a « changé » le programme de ses publications, la Revue « sait » néanmoins « à quoi s’en tenir » quant à ses objectifs. Le colloque sur Le Moyne n’ayant pu avoir lieu à Montpellier en 2020, deux numéros thématiques se sont donc enchaînés : un numéro axé sur Bossuet et l’Angleterre succède ainsi au numéro consacré l’an dernier à Bossuet et l’Italie. Heureuse conjonction, en un sens, puisqu’elle permet de confronter l’un après l’autre deux régimes de réception : si l’Italie s’est montrée particulièrement attentive au prédicateur et à l’auteur spirituel, l’Angleterre aura surtout retenu l’œuvre de l’historien et du controversiste.
L’Angleterre préoccupait beaucoup Bossuet en ces temps de troubles liés à la Restauration (1660-1688) et à la glorieuse Révolution (1688-1689). Il écrit dans l’Oraison funèbre d’Henriette-Marie de France : « l’Angleterre a tant changé qu’elle ne sait plus elle-même à quoi s’en tenir ; et plus agitée en sa terre et dans ses ports mêmes, que l’océan qui l’environne, elle se voit inondée par l’effroyable débordement de mille sectes bizarres ». Frappé par un éclatement schismatique imprévisible, incompréhensible à ses yeux, Bossuet en fait un véritable leitmotiv de tout le livre VII de l’Histoire des variations des églises protestantes, où il s’efforce de saisir la genèse de l’anglicanisme. 12L’Angleterre, pour lui, restait la nation qui avait reçu la foi et le baptême de l’Église de Rome à travers la prédication de saint Augustin de Cantorbéry, envoyé par le pape Grégoire le Grand au vie siècle. Cette scène emblématique, embellie et magnifiée par la tradition ecclésiale, apparaît toujours à l’arrière-plan de ses propos d’historien, lorsqu’il tente de décrire les nombreux effets d’une rupture soudaine, constatant non sans amertume que « l’esprit de changement se mit alors tout à fait en Angleterre1 ». Le schisme anglican ne serait au fond qu’une anomalie (due en partie aux caprices d’un roi), une erreur de parcours, une espèce de dysfonctionnement de la tradition, que Bossuet aurait souhaité provisoire. Or c’est précisément son argumentaire traditionnel, catholique romain, qui intéressa les historiens et les controversistes protestants ou anglicans.
Le dossier rassemblé dans ce numéro défriche le terrain d’une polémique religieuse qui soulevait de vrais débats théologiques. Emma Gilby étudie en ce sens la traduction par Montaigu de l’Exposition de la doctrine catholique, et Steven Zwicker souligne le réinvestissement ou le déplacement de thèmes bossuétistes dans un contexte de controverse qui porte sur le statut de l’anglicanisme. Gesa Stedman éclaire le contexte historique des relations franco-anglaises au moment des oraisons funèbres prononcées à la mémoire des deux Henriettes. Michael Moriarty se penche quant à lui sur les positionnements respectifs de Bossuet et de Gilbert Burnet, l’auteur d’une History of the Reformation of the Church of England. Bossuet est ainsi lu comme un représentant autorisé de la tradition romaine, dont il exposerait l’orthodoxie avec un maximum d’authenticité. À partir d’une lettre latine inédite de 1687, conservée à la Bodleian Library d’Oxford, portant sur le prêt à intérêt, Jean-Louis Quantin analyse dans la même perspective les motivations et la stratégie de cette consultation technique, relevant de la morale des casuistes, pour laquelle Bossuet rédigea une réponse marquée par le sens de la mesure. Ces cinq études, dont nous remercions les auteurs, constituent un ensemble fort suggestif auquel se joindra l’an prochain une enquête menée par Jean Trouchaud, sociétaire fidèle des Amis de Bossuet, et inspirateur de ce numéro thématique. Comme l’écrivait Thérèse Goyet, exploratrice infatigable du corpus bossuétiste, « le plaisir, c’est d’aller sans limitation convenue, dans tous 13les champs où Bossuet a été appelé2 ». Nous découvrons cette même « diversité de Bossuet », pour reprendre l’expression même employée par Thérèse Goyet, dans l’Angleterre du xviie siècle, où l’on constaterait une présence de Bossuet beaucoup plus importante qu’on ne l’imaginait, bien qu’elle eût été ponctuelle, limitée et irrégulière. Ses œuvres se diffusent à travers une espèce de tamis sélectif qui ne lui en assigne pas moins un rôle non négligeable, dès lors que l’on envisage la circulation des idées religieuses ou le dynamisme des courants spirituels dans le second xviie siècle européen. Si l’on connaît mieux, surtout depuis les études menées par Jean Orcibal, la diffusion considérable des textes de Fénelon ou de Madame Guyon, d’inspiration « quiétiste », qui influencèrent, grâce à l’œuvre éditoriale de Pierre Poiret, aussi bien les Anglicans que les Quakers ou les Méthodistes du pasteur Wesley, peut-être a-t-on négligé la diffusion sans doute moins spectaculaire, ou plus souterraine, d’une œuvre considérée, du point de vue des Réformés, comme un témoin exemplaire et fort estimable de la tradition catholique contemporaine, avec laquelle un dialogue pouvait se révéler fructueux, et d’une hauteur intellectuelle que l’on retrouvera, dans un tout autre contexte, dans les lettres échangées entre Bossuet et Leibniz.
Notre Revue poursuit ainsi ses investigations bossuétistes tout en offrant à ses lecteurs un éventail d’explorations portant sur la culture chrétienne du xviie siècle, comme en témoignent les varia et les comptes rendus. Nous saluerons en particulier le recueil de textes publiés par Gérard Ferreyrolles : De Pascal à Bossuet. La littérature entre théologie et anthropologie. Il s’agit d’une véritable somme, tout à fait remarquable par la richesse de l’érudition et la profondeur des analyses. On y découvre toute une série d’études unifiées par une inlassable réflexion sur la fécondité et l’originalité (trop souvent inaperçue ou écartée) de la pensée chrétienne dans le domaine de la spéculation philosophique comme dans celui de la création littéraire. L’ouvrage a été justement couronné par l’Académie française (prix Émile Faguet), et toute l’équipe rédactionnelle de la Revue félicite son ancien directeur pour cette belle récompense, qu’elle partage avec lui de tout cœur.
Malgré les difficultés dues à la situation sanitaire, le site Web de notre Revue a connu une amélioration spectaculaire sous la houlette experte de Clément Van Hamme. Désormais nos articles mieux diffusés atteignent 14un public plus large, et le programme de nos activités est plus immédiatement disponible. Sous sa forme imprimée, publiée chez Garnier, notre Revue a pareillement gagné de nouveaux lecteurs, et l’on ne peut que se réjouir des échos favorables reçus, par exemple, du Japon (Universités Sophia, Aoyama, Osaka) ou du Vatican, en la personne du Père Bernard Ardura, président du Comité pontifical des sciences historiques. En cette année où les liens physiques se sont retrouvés si péniblement distendus, il est heureux d’avoir à remercier nos lecteurs et nos sociétaires pour leur fidélité, qui s’est souvent manifestée par des lettres personnelles. Je pense en particulier aux religieuses de l’Abbaye de Jouarre, si chère à Bossuet, mais aussi à des lecteurs qui soutiennent notre Association depuis des décennies. Ces soutiens moraux sont d’un prix inestimable, même si, bien sûr, ils ne dispensent pas d’une aide matérielle. La somme demandée (qui regroupe cotisation aux Amis de Bossuet et abonnement à la Revue) reste modeste, mais absolument décisive pour notre survie. Qu’il me soit permis de rappeler à tous nos lecteurs, en toute simplicité, qu’ils sont invités à ne pas oublier de verser leur cotisation ! La municipalité de Meaux, dont le soutien financier demeure sans faille, pourrait ici servir d’exemple.
À propos de cet ancrage à Meaux, rue de Chaage, au siège administratif de notre Association, saluons la nomination de Marie-Laure Gordien, nouvelle responsable de la bibliothèque diocésaine Guillaume Briçonnet, qui abrite nos archives, et dont le site Web sera mis en interrelation avec le nôtre. Un projet d’envergure se dessine à Meaux par ailleurs, concernant la rénovation et la réhabilitation du musée Bossuet où sont déposées des œuvres d’art appartenant aux Amis de Bossuet. À la demande de la municipalité, notre Association a été intégrée au comité scientifique préparatoire. Cinq réunions ont eu lieu depuis janvier 2021. Avec un élargissement considérable de sa surface, le nouveau musée s’efforcera de proposer aux visiteurs un parcours historique autour de la cité épiscopale, en soulignant la diversité du patrimoine architectural et artistique meldois. Il s’agira également d’offrir un cadre plus adéquat aux tableaux généreusement donnés au musée Bossuet par Jean-Pierre Changeux, le célèbre neurobiologiste, qui est aussi un esthète collectionneur hors-pair. La plupart de ces tableaux (xviie et xviiie siècles) relèvent d’une thématique religieuse, et notre Association s’est engagée à organiser des conférences chaque fois qu’une exposition devrait avoir lieu en rapport avec la culture religieuse de l’époque classique.
15Le prochain numéro de la Revue réunira des textes consacrés au Père Le Moyne, versions écrites des communications orales du colloque qui aurait dû se tenir à Montpellier. Pour ne pas renoncer totalement aux effets positifs d’une vraie rencontre, et même s’il convient de rester très prudent, une table-ronde sera néanmoins organisée à l’Université Paul Valéry de Montpellier au printemps 2022, autour du Père Le Moyne et de l’écriture des jésuites, avec le soutien de l’Institut de Recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (IRCL), UMR 5186 du CNRS. À propos de l’écriture spirituelle ou mystique, signalons également le premier colloque consacré à l’œuvre tout à fait singulière du carme Jean de Saint-Samson, dont la plus grande partie des textes reste inédite, colloque qui se tiendra à Rennes du 29 septembre au 1er octobre 2022, à l’initiative de François Trémolières et de de Georges Provost3.
D’autres rendez-vous sont d’ores et déjà prévus pour 2022 : une journée d’étude sur Molière et la question religieuse, et un récital Bossuet qui serait donné par des élèves du Conservatoire en l’église Saint-Roch à Paris, comme un bol d’air frais salutaire après ces temps de confinement.
Christian Belin
1 Histoire des variations des églises protestantes, Œuvres complètes de Bossuet, Paris, Berche et Tralin, 1879, Tome troisième, Livre VII, LXXXIV, p. 267.
2 Les Amis de Bossuet, Bulletin no 24, 1996, éditorial, « Diversité de Bossuet ».
3 Pour de plus amples informations, se reporter au site suivant : https://sites-recherche.univ-rennes2.fr/cellam/articles/jean-de-saint-samson/
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12552-5
- EAN : 9782406125525
- ISSN : 2494-5102
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12552-5.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/12/2021
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Angleterre, anglican, réformé, protestant, controverse, Bossuet