Concert de voix
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Bossuet Littérature, culture, religion
2018, n° 9. varia - Author: Belin (Christian)
- Pages: 9 to 13
- Journal: Bossuet Studies
Concert de voix
Il eut de la force dans le génie, de la véhémence dans ses discours, une éloquence vive et impétueuse qui entraînait les peuples et les ravissait (…)1.
Les Amis de Bossuet se sont retrouvés à Meaux le 12 mai 2018 pour se mettre à l’écoute de ces voix qui retentissaient si magnifiquement en chaire au xviie siècle, « voix devant la Parole » qui, à l’image de Jean, le Précurseur, ne se rendaient éloquentes que pour mieux s’effacer devant le Verbe incarné et souverain. Placé sous le haut patronage de l’Académie française, le colloque portait sur la chaire des évêques au temps de Bossuet. Nous reviendrons sur ce contenu l’an prochain lorsque sera publié le texte des sept communications. Le colloque s’inscrivait dans le contexte de « la nuit des cathédrales », manifestation vespérale et nocturne destinée à faire redécouvrir le patrimoine architectural et spirituel des cités épiscopales. Une foule nombreuse, d’horizons très différents, eut la surprise d’entendre déclamer quelques textes de Bossuet par des artistes professionnels : Madame Nicole Rouillé (Directrice du Conservatoire de musique du pays de Meaux et intervenante à la Schola cantorum de Bâle) et Monsieur Pierre-Alain Clerc (Professeur à la Haute École de Musique de Genève et au Conservatoire de Lyon). Leurs déclamations étaient entrecoupées par des passages musicaux interprétés à l’orgue par Monsieur Clerc ou par l’organiste titulaire de la cathédrale, Monsieur Domenico Severin. Il y eut aussi de magnifiques pièces chorales chantées par l’ensemble vocal féminin FaSuperLa dirigé par Monsieur Yves Müller. Quelle ne fut pas la surprise du public lorsque monta en 10chaire Monsieur Clerc devenu acteur, et habillé en prédicateur, pour y faire entendre, in extenso, l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre ! La prestation fut en tous points remarquable et remarquée. Tout le monde comprit alors ce que signifiait concrètement la dimension vocale, physique, charnelle d’une parole prononcée avec conviction, habitée par une personne, proférée en hauteur et retombant sur les têtes dans une vibration acoustique tout à la fois matérielle et immatérielle.
Cette faste journée du 12 mai permit aussi au public de revisiter le musée Bossuet, qui non seulement accueillit le colloque mais organisa une exposition où furent présentées quelques-unes des pièces appartenant au fonds Bossuet (portraits, objets, lettres manuscrites, éditions originales) et en particulier les documents acquis récemment par la médiathèque de Meaux. Monsieur Denis Vassigh, conservateur du Musée, avait installé l’exposition avec beaucoup de goût dans l’ancienne chambre des évêques et dans leur cabinet de travail.
Nous remercions chaleureusement tous ceux qui furent les acteurs de ces rencontres. Les Amis de Bossuet ont également été très touchés par l’accueil que leur a réservé Monseigneur Nahmias, évêque de Meaux, qui assista au colloque et qui reçut si amicalement à l’évêché tous les participants. Rien n’aurait été possible sans le concours des uns et des autres, et notamment sans l’aide matérielle apportée par la municipalité de Meaux. Une association comme la nôtre ne pourrait continuer à exercer ses activités sans le soutien financier apporté par la mairie. En organisant cette manifestation à Meaux, nous voulions rappeler cet ancrage meldois, rue de Chaage, là où se trouve le siège de notre association, au sein même de la bibliothèque diocésaine Guillaume Briçonnet, dont le conservateur, Matthieu-Alexandre Durand est l’un de nos membres les plus dévoués. L’abbaye de Jouarre, enfin, si chère au cœur de Bossuet, fut représentée lors du colloque par une délégation de deux moniales particulièrement attentives et zélées. Ces liens d’amitié restent infiniment précieux.
La Revue Bossuet publiera les Actes du colloque l’an prochain. Une année sur deux la Revue peut ainsi proposer à ses lecteurs un numéro à caractère plus thématique. Le cinquième centenaire de la Réforme (1517) reste encore présent dans les esprits ; la Revue commémore cet anniversaire en offrant une place privilégiée à certains aspects de la spiritualité protestante au xviie siècle, profonde et singulière, même 11lorsqu’elle se dissimule parfois sous les apparences de la controverse. Spiritualité et controverse restent souvent liées entre elles, comme le montrent la plupart des textes de Bossuet (fort nombreux) portant sur la Réforme. Quelles qu’aient été les situations, Bossuet s’efforçait d’être fidèle à la charge pastorale imposée par le ministère de la Parole. Il se voulait, il fut apôtre en son diocèse, même lorsqu’il dut s’engager sur le terrain de la controverse.
En dépit de nombreuses études, un important travail de clarification reste encore à venir, sur la question du rapport de Bossuet avec les églises issues de la Réforme, tant nombreux sont les malentendus, et si persistantes les idées reçues2. Des stéréotypes, voire des erreurs manifestes se répètent sans que l’on prenne toujours la peine de lire vraiment ce qu’écrivait Bossuet. L’Histoire des Variations des églises protestantes, que Gide admirait, mériterait une étude approfondie : l’ouvrage est souvent invoqué, mais rarement lu dans son intégralité. Émerveillé toute sa vie par la splendeur poétique et spirituelle des Écritures, Bossuet se familiarisa très jeune avec ce « patois de Canaan » qui devait si durablement inspirer la langue et l’écriture des réformés ; il ne cessa jamais de lire ou de commenter la Bible. L’amour des saintes Écritures trouve peut-être sa plus belle expression, chez lui, dans sa Dissertatio de psalmis ou dans L’Apocalypse avec une explication. Bossuet appréciait, dans les livres inspirés comme chez les prédicateurs, le dynamisme d’une parole dans l’expression de la foi. « Luther triomphait de vive voix », écrit-il dans les Variations3, et le réformateur allemand fut « un des orateurs les plus vifs de son siècle4 ». Bossuet ne pouvait rester insensible à la fougue persuasive et magistrale du grand réformateur : « il est vrai qu’il eut de la force dans le génie, de la véhémence dans ses discours, une éloquence vive et impétueuse qui entraînait les peuples et les ravissait ». On ne saurait mieux définir l’idéal d’une « voix » qui se pose et se place « devant la Parole ». Sous la plume de l’évêque de Meaux, et à l’intérieur d’un ouvrage de controverse, un tel éloge prend une importance considérable et devient hautement significatif. Une saine controverse n’est jamais dissociable d’une authentique spiritualité. La diversité des 12choix interroge les consciences et favorise la spéculation. L’Histoire des Variations, d’une écriture si rigoureuse, semble souvent n’être qu’une glose approfondie du mot de saint Paul : « il faut bien qu’il y ait des scissions parmi vous (oportet haereses esse)5 ». Bossuet ne sous-estime aucunement la force spirituelle du protestantisme : « Il ne faut pas croire que les hérésies aient toujours pour auteurs des impies ou des libertins, qui de propos délibéré fassent servir la religion à leurs passions6 ». Bossuet contemplait la Vérité dans une sorte de fixité cristalline et chatoyante, effrayé sans doute, mais aussi secrètement fasciné par la gamme très étendue des variations doctrinales ou ecclésiales. Sa hantise du schisme nourrissait ses rêves œcuméniques de réunion, comme le montre sa belle correspondance avec Leibniz7. Il est frappant de constater, par ailleurs, que Bossuet controversiste se montre beaucoup plus intransigeant avec Fénelon et les « quiétistes » qu’avec les protestants.
Les différentes contributions rassemblées et présentées par Inès Kirschleger montrent l’arrière-plan spirituel qui sous-tend presque toujours les questions de controverse. Elles révèlent aussi toute l’ambivalence de ces textes polémiques où se côtoient parfois le sérieux et le dérisoire, la conviction sincère et la mauvaise foi, l’incompréhension évidente et le refus obstiné de toute compréhension, la haute compétence théologique et la mesquinerie grincheuse, l’objection réelle et le procès d’intention. Le contexte polémique impose en quelque sorte l’exhibition tonitruante des marqueurs confessionnels, alors même que certaines proximités pourraient être soulignées ou valorisées. L’Imitation de Jésus-Christ n’a pas moins influencé Luther qu’Ignace de Loyola ; l’on trouve plus de huit cents références à saint Augustin dans L’Institution de la religion chrétienne de Calvin. Et une même grave sérénité baigne Les Consolations de l’âme fidèle contre les frayeurs de la mort, du pasteur Charles Drelincourt, et les pages écrites par Bossuet sur le même sujet. Catholiques et protestants cependant veulent surtout montrer qu’ils ne sont pas l’autre et qu’ils défendent à eux seuls une saine et sainte orthodoxie de la foi. L’obstination à marquer leur différence explique les réticences à avouer un bien commun, de même que le refus crispé de toute connivence 13provoque à son tour l’exagération des moindres différences, bien qu’ici ou là, et le plus souvent à leur insu, les adversaires se rencontrent sur le terrain spirituel, dans la résurgence inévitable de thèmes consacrés par la tradition. Bossuet note avec plaisir que Calvin a souvent retenu la leçon des Pères de l’Église, avant d’ajouter avec beaucoup d’aménité : « nos Réformés sont souvent contraints par la force de la vérité à respecter le sentiment des Pères plus qu’il ne semble que leur doctrine et leur esprit ne le portent8 ». La rhétorique de controverse ne joue-t-elle pas savamment avec les effets d’une autocensure assumée ? L’historien Pierre Chaunu observe qu’en dépit de l’« éclatement » qui devait séparer « les deux chrétientés complémentaires de la continuité traditionnelle et de la reconstruction logique autour de l’Écriture sainte, il est impossible de présenter la dynamique des orthodoxies protestantes sans s’arrêter longuement à la reconstruction tridentine9 ». Le dossier présenté par Inès Kirschleger, sous le signe de la spiritualité, illustre la fécondité d’une telle démarche. Ce numéro thématique oriente ainsi le regard vers des horizons encore peu familiers, et il appelle à coup sûr d’autres études du même genre, dans un renouvellement des perspectives et la confrontation des voix plurielles.
Enfin, la rubrique des varia prolongera, notamment à travers la voix singulière de Madame de Sévigné, l’écho de cette polyphonie spirituelle que la Revue souhaite proposer à ses lecteurs.
Christian Belin
1 Jacques-Bénigne Bossuet, Histoire des Variations des églises protestantes, in Œuvres complètes, éd. Guillaume, Paris, Berche et Tralin, 1879, Tome troisième, Livre premier, VI, p. 167.
2 Un état des lieux fut dressé par Thérèse Goyet lors d’une conférence prononcée en 1985 ; le texte se trouve dans Les Amis de Bossuet, Bulletin no 18, 1989, p. 8-27.
3 Histoire des Variations, op. cit., Livre IX, LXXXI, p. 299.
4 Ibid.
5 I Corinthiens, XI, 19.
6 Histoire des Variations, op. cit., Livre V, I, p. 221.
7 Voir François Gaquère, Le Dialogue irénique Bossuet-Leibniz. La réunion des Églises en échec (1691-1702), Paris, Beauchesne, 1966.
8 Jacques-Bénigne Bossuet, Histoire des Variations, op. cit., Livre IX, LXXXIV, p. 300.
9 Pierre Chaunu, Le Temps des réformes, Paris, Fayard, 1975, p. 541.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-08785-4
- EAN: 9782406087854
- ISSN: 2494-5102
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08785-4.p.0009
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-11-2018
- Periodicity: Annual
- Language: French