Bible et liturgie dans la Correspondance de Mme de Sévigné
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue Bossuet Littérature, culture, religion
2018, n° 9. varia - Author: Garroté (Nicolas)
- Pages: 145 to 160
- Journal: Bossuet Studies
Bible et liturgie
dans la Correspondance
de Madame de Sévigné
Hanc igitur, dit Abélard au seuil de sa Correspondance, reprenant les mots du canon de la messe pour évoquer l’apparition d’Héloïse1. C’est ce que l’on pourrait aussi inscrire au frontispice des Lettres de Mme de Sévigné. Plus encore qu’avec les textes littéraires qu’elle lit, relit et mémorise, l’épistolière cultive avec les textes bibliques et liturgiques qu’elle entend, récite et peut-être médite tout au long de l’année (liturgique), un lien privilégié. Mais, précisément, parce qu’elle est quotidienne et intime, cette proximité avec ces textes religieux n’interdit pas certains jeux où référence ne rime pas toujours avec révérence. Avant d’analyser ces jeux, on étudiera la façon dont Mme de Sévigné s’approprie ces textes ; puis on verra comment elle met les références bibliques et liturgiques au service de l’expression de l’amour ; et enfin, comment, au crépuscule de sa vie et dans la deuxième partie de la Correspondance, elle leur rend leur vrai sens.
« Cela s’est familiarisé2 » :
une appropriation
Bible et liturgie ne forment pas seulement la matière d’heureuses applications dans les Lettres, elles contribuent à la formation de l’idiolecte de Mme de Sévigné, de sa langue intime, son « lexique 146familial3 ». Mme de Sévigné utilise de nombreuses expressions tirées des Écritures déjà présentes dans la langue – par exemple : « à la vallée de Josaphat » (le lieu du Jugement dernier), « des marguerites devant les pourceaux4 » (notre confiture aux cochons), le « tu autem5 », « la loi 147et les prophètes », etc. – mais elle emploie encore plus volontiers des expressions qu’elle forge elle-même, à partir de la Bible ou des offices. Ainsi, dans les Lettres, la dernière nouvelle devient « l’évangile du jour » ; les anciennes (et mauvaises) habitudes sont rebaptisées « le vieil homme » ; une indésirable (Mme Verdurin dirait « une ennuyeuse ») devient une « trompette du jugement » ; les plaintes sont les « lamentations de Jérémie ». Le non sum dignus de saint Jean-Baptiste et du « centenier6 » devient aussi une expression : ainsi, à sa fille, Mme de Sévigné écrit : « les lieutenants de Roi ne sont pas dignes de porter votre robe » (I, 322)7 ; et à propos de la Champmeslé : « je ne suis pas digne d’allumer les chandelles quand elle paraît » (I, 417). La formule de communi martyrum, empruntée au missel, est employée comme synonyme d’ordinaire : « c’est une Mlle de Mauron, qui est de communi martyrum dans le nombre des partis » (II, 806)8. Répétées de lettre en lettre, ces applications deviennent de véritables expressions : elles entrent dans le « lexique d’auteur9 » qui forme la trame des Lettres.
Du reste, sans qu’elles deviennent forcément des expressions, on trouve des applications singulières dans les Lettres, des trouvailles, forgées au gré des circonstances par une épistolière toujours prête à employer un mot pour 148un autre. Ainsi, pour exprimer la façon dont Louis XIV prétend « honorer » ses sujets par les charges de son domestique, Mme de Sévigné ne parle pas de la maison du Roi mais de « la maison du seigneur » (II, 791). De même, en 1680, le mariage du prince de Conti n’a pas lieu en plein jour mais « à la face du soleil », dans la chapelle de Saint-Germain (II, 798)10. En 1685, on attend la réponse aux lettres « avec beaucoup de crainte et de tremblement » (III, 232). En 1687, Mme de Sévigné dit qu’elle parle de son ami Moulceau « à temps, à contretemps » (III, 331), comme saint Paul (Timothée, II, 4, 2). Lorsque sa petite-fille Pauline emprunte un mot au duc de Vendôme, Mme de Sévigné dit qu’elle « se saisit ainsi de toutes les miettes qui tombent » (III, 851), exactement comme le pauvre de l’Évangile se saisit « des miettes qui tombaient de la table du riche » (Luc, 16, 21). En 1680, elle compare avec les mots mêmes du Christ (Jean, 8, 58) la nouvelle dame d’honneur de la Dauphine, Mme de Richelieu, à la fille de la marquise de Rambouillet, qui avait épousé Montausier : « avant que Mme de Montausier fût au Louvre, l’hôtel de Rambouillet était le Louvre » (II, 794). La même année, un paragraphe sur Montgobert, la dame de compagnie de Mme de Grignan, qui envoyait régulièrement des nouvelles de sa fille à Mme de Sévigné, nous fait assister en quelque sorte à la genèse d’une application :
Voilà ce qui s’appelle de l’amitié ; je m’en vais l’en remercier. Voilà ce qui s’appelle avoir des yeux, et vous regarder. Je me moque de tout le reste ; ils ont des yeux et ne voient point, et nous avons les mêmes yeux, elle et moi. Aussi je n’écoute qu’elle. (29 décembre 1679, II, 777)
On voit la préparation de l’application (voilà ce qui s’appelle avoir des yeux), son apparition (la citation biblique et sa suite sous-entendue : ils ont des yeux et ne voient point, des oreilles et n’entendent point) et son développement, à partir de la suite sous-entendue (aussi je n’écoute qu’elle). On voit ainsi toute la richesse du texte, et à quel point l’épistolière mise sur une connivence avec un lecteur – une lectrice – capable de déchiffrer une prose profondément ouvrée. Les applications de ce type sont dans les Lettres comme la postérité d’Abraham, c’est-à-dire comme les étoiles dans le ciel ou les grains de sable dans la mer, indénombrables.
149La langue de l’Église ne fournit pas moins de matière à l’épistolière. Ainsi, pour annoncer le décès de l’abbé de La Victoire – l’évangile du jour du 9 décembre 1676 – elle reprend les mots du Credo : « L’abbé de La Victoire mortuus et sepultus est » (II, 454). En 1690, lorsque la Bretagne se voit attribuer un intendant de façon permanente, elle commente : « voilà qui est in sæcula sæculorum, et sur le pied des autres provinces, au grand mépris du contrat et des prérogatives de la duchesse Anne. » (2 avril 1690, III, 856).
L’appropriation est telle que Mme de Sévigné couple parfois des allusions bibliques entre elles, ou avec ses propres créations. Ainsi, en 1679, après avoir évoqué les charges et les dignités dispensées à l’occasion des mariages du Dauphin et de la fille de Monsieur, elle écrit : « Quand on ne peut aller par le maître, il faudrait que quelque ministre vous prît à tâche, et c’est la loi et les prophètes, mais le nombre est petit de ceux qui leurs sont agréables » (II, 658), où l’on retrouve tissées dans le texte à la fois l’expression biblique la loi et les prophètes et l’allusion au petit nombre des élus dont parle le Christ (Matthieu, 22, 14)11. Mieux, en avril 1694, au moment où l’on raisonne sur le mariage de son petit-fils, futur chef de la maison (ruinée) de Grignan, Mme de Sévigné dit :
à moins que, par un miracle, il ne se fît un prodige qui changeât les pierres en pain, comme par exemple la vente d’une terre, je ne crois pas qu’il y ait à balancer entre ce qui soutient votre fils et votre maison ou ce qui achèvera de vous accabler. (21 avril 1694, III, 1037-1038)
Après un jeûne de quarante jours dans le désert, le Christ est tenté par le diable, qui lui suggère de changer les pierres en pain (Luc, 4, 3). Dans la lettre précédente, Mme de Sévigné disait qu’il allait falloir « choisir entre l’or et les pierres » (III, 1034) pour marier son petit-fils. Changer les pierres en pain c’est donc faire un prodige comme celui que Satan propose à Jésus de faire, c’est changer les terres (les pierres) en argent (or ou pain). Mme de Sévigné reprend à la fois les mots de la Bible et sa propre métaphore pour forger cette expression unique. L’allusion est coulée dans le texte, suffisamment distinctement pour être reconnue et appréciée comme telle, suffisamment indistinctement pour n’être pas perçue comme un élément étranger mais, tout naturellement, comme 150un mot du lexique personnel de l’épistolière, de sa langue propre, de son idiolecte.
Richesse textuelle de ces applications, mais aussi sémantique : elles permettent souvent à Mme de Sévigné de commenter ce qu’elle énonce. Les citations fonctionnent alors comme des inscriptions, des légendes au pied d’une vignette qu’elles expliquent. Ainsi cette référence au livre de Job (1, 21), lorsqu’on apprend que les Grignan ne percevront plus les revenus du Comtat d’Avignon12 : « Je pleure le pape ; je pleure le Comtat d’Avignon : Dieu l’a donné, Dieu l’a ôté » (4 septembre 1689, III, 683). Souvent, la citation intervient pour commenter une perte ou un décès. Elle constitue alors une sorte d’épitaphe, de micro-oraison funèbre :
Qui nous eût dit : « Dans un an il [Lauzun] sera prisonnier », l’eussions-nous cru ? Vanité des vanités ! et tout est vanité. (2 décembre 1671, I, 385-386)13
Cette belle petite de Monchy a la petite vérole ; on pourrait encore dire : ô vanité ! (29 novembre 1679, II, 749)
La belle Fontanges est morte : sic transit gloria mundi. (30 juin 1681, III, 73)
On le voit, Bible et liturgie figurent parmi les fils les plus essentiels – les plus robustes mais aussi les plus élastiques – de la trame des Lettres. Pour reprendre un mot de Richard Simon, on peut dire que Mme de Sévigné fait « parler les évangélistes à la rabutine14 ». Reste à savoir si ce rabutinage est un libertinage.
151« Dieu me pardonne ! » :
les Écritures travesties
Mme de Sévigné aime les rapprochements irrévérencieux. Ainsi, en 1675, elle compare le pape à Trivelin, le valet de la comédie italienne : « Le bon pape a fait, ma très chère, sans comparaison, comme Trivelin ; il a fait et donné la réponse avant que d’avoir reçu la lettre. » (II, 5). L’année suivante, elle parle de « notre saint-père le Turc » (II, 296). Comme l’a bien noté la critique, « tout sert à Mme de Sévigné pour égayer les lettres, même le vocabulaire de la religion15 ». Elle détourne ainsi volontiers les textes bibliques et liturgiques, en les appliquant à des réalités profanes. Par exemple, en 1680, elle compare la guérison d’une maladie vénérienne que son fils a attrapée au contact de la duchesse de Villeroy au remède d’Élisée pour la lèpre de Naaman (Rois, IV, 5, 14) : « Il a abandonné huit ou dix jours de mauvais temps pour être ensuite comme s’il avait été lavé sept fois dans le Jourdain. » (III, 35)16. Il faut comprendre que Charles de Sévigné restera huit ou dix jours aux Rochers, dans leur domaine breton, avant d’aller à Paris se faire soigner par un médecin compétent. Et encore, quelques jours plus tard :
il ne faut qu’un bon traitement, et ce sera ce Jourdain dont je vous parlais l’autre jour, mais, en attendant, ma bonne, son état fait pitié. […] Nous avons tout déménagé en deux jours, et nous voici dévorés du désir d’arriver et de nous baigner dans le Jourdain, car c’est proprement cela. (23 octobre 1680, III, 47)
Mme de Sévigné détourne aussi volontiers les textes des prières. Ainsi, pour conjurer les désirs de son gendre (les grossesses de sa fille mettaient toujours sa santé en péril), elle n’hésite pas à reprendre les paroles du Pater, comme Voltaire17 : « M. de Grignan a bien du caquet ; 152il commence à gratter du pied, cela me fait grand’peur. S’il succombe à la tentation, ne croyez point qu’il vous aime » (6 janvier 1672, I, 411). Quelques jours plus tard, évoquant son attachement excessif à sa fille, elle récidive avec le Kyrie (ou les litanies) : « Monsieur Nicole, ayez pitié de moi » (I, 419).
Mais l’irrévérence ne passe pas uniquement par le détournement. Le mélange du sacré et du profane y contribue aussi beaucoup. Ainsi, en 1679, parlant du mariage du prince de Guéméné avec son ancienne amante (primo amor del cor mio), et des économies entraînées par ce mariage secret, Mme de Sévigné affirme : « N’est-il pas vrai, ma fille, que tout tourne à bien pour ceux qui sont heureux ? L’Évangile le dit ; il le faut croire. » (II, 758). Elle couple ainsi un passage de saint Paul (Romains, 8, 28), sans doute connu à travers les Pensées de Pascal18, avec la citation d’une fable où La Fontaine disait, après avoir affirmé que le dauphin est l’ami de l’homme : « Pline le dit, il le faut croire19 ». La seconde citation ne dément pas précisément la première, mais elle invite à en rire, à en sourire, exactement comme La Fontaine repoussait ironiquement l’autorité de Pline. Ce n’est pas tant le mélange des genres (sacré et profane) qui est irrévérencieux, que la charge d’ironie attachée à la citation de La Fontaine, qui contraint, en quelque sorte, à rire de la Bible. Mais c’est une ironie qui en cache une autre : elle n’est pas à prendre au sérieux. On rit de l’à-propos de la citation, de l’audace du rapprochement, plus que du texte et de l’autorité (déchue) de la Bible. On rit d’avoir dû rire – on sourit.
Mme de Sévigné fait preuve de plus de hardiesse dans la parodie. En décembre 1678, à Bussy exilé, elle envoie une parodie du sermon sur la montagne ou sermon des Béatitudes (Matthieu, 5, 1-10) :
Ô gens heureux ! ô demi-dieux ! si vous êtes au-dessus de la rage de la bassette, si vous vous possédez vous-mêmes, si vous prenez le temps comme Dieu l’envoie, si vous regardez votre exil comme une pièce attachée à l’ordre de la Providence, si vous ne retournez point sur le passé pour vous repentir de ce qui se passa il y a trente ans, si vous êtes au-dessus de l’ambition et de 153l’avarice ; enfin, Ô gens heureux ! ô demi-dieux ! si vous êtes toujours comme je vous ai vus et si vous passez paisiblement votre hiver à Autun avec la bonne compagnie que vous me marquez ! (28 décembre 1678, II, 639)
Non contente de remplacer les béatitudes par les épisodes triviaux de la vie de campagne de son cousin, Mme de Sévigné remplace encore l’anaphore du Christ (Bienheureux les…, Bienheureux ceux qui…) par une formule tirée d’un huitain anticlérical du xvie siècle :
Mes beaux pères religieux
Vous soupez pour un grand merci.
Ô gens heureux, ô demi-dieux
Plût à Dieu que je fusse ainsi !
Comme vous, vivrais sans souci ;
Car le vœu qui l’argent vous ôte,
Il est clair qu’il défend aussi
Que ne payiez jamais votre hôte20 !
Elle se livre ainsi à une réécriture doublement burlesque, par le fond et par la forme, par les octosyllabes et par la prose, travestissant les Écritures comme Scarron avait travesti Virgile. Mais là encore, il ne faudrait pas donner un sens trop fort, trop voltairien, à une telle parodie. Il est vrai que plusieurs lettres de Mme de Sévigné témoignent d’un « esprit éclairé21 », mais elle n’est pas un esprit fort. Le temps de la « crise de la conscience européenne » n’est pas encore venu et la sincérité de sa foi est hors de doute22. Il faut plutôt replacer un tel travestissement dans le sillon de la plus pure tradition comique, celle de Rabelais. D’ailleurs, en parodiant le sermon des Béatitudes, Mme de Sévigné se souvient 154peut-être du Beati lourdes de Pantagruel23. En tout cas, comme dans Gargantua, tout cela n’est « que par ris24 ». Le vrai détournement, dans la Correspondance, consiste plutôt à mettre les références sacrées au service d’un amour profane, celui de sa fille.
« Je faisais de vous une idole dans mon cœur » :
un culte profane
Les textes sacrés sont en effet souvent détournés dans les Lettres pour célébrer Mme de Grignan, « le fond et le centre », celle auprès de qui « tout passe, tout glisse, tout est par-dessus et ne fait que de légères traces » (II, 976). En 1675, Mme de Sévigné se voit même refuser l’absolution par son confesseur janséniste à cause de son attachement excessif à sa fille : aversio a Deo, conversio ad Eam songeait sans doute le bon père. Dès 1671, Arnauld d’Andilly lui reprochait – citant Ézéchiel (14, 3-5) – de faire de sa fille « une idole dans [s]on cœur » (I, 238). Ce sera encore le jugement de Saint-Simon25 et, de nos jours, de certains lecteurs26. Il est vrai que Mme de Sévigné semble sourde à la parole du Christ qui veut que « celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi » (Matthieu, 10, 37). Elle en est d’ailleurs tout à fait consciente. Ainsi, en 1676 :
Vous me demandez si je suis dévote, ma bonne ; hélas ! non, dont je suis très fâchée, mais il me semble que je me détache un peu de ce qui s’appelle le monde. […] Mais, ma chère bonne, ce que j’épargne sur le public, il me semble que je vous le redonne ; ainsi je n’avance guère dans le pays du détachement (8 juin 1676, II, 313-314)
155Dans la Correspondance, en effet, Mme de Grignan est « révérée » (I, 726), « célébrée » (II, 467), « honorée » (III, 362) et, après quelques réticences (I, 419), « adorée » (III, 159 ; III, 370). Mme de Sévigné va même jusqu’à bâtir ce qu’on pourrait appeler une ecclésiologie amoureuse. À plusieurs reprises, en effet, elle applique à sa fille un passage de l’Évangile où le Christ définit le rapport de l’ecclesia à Dieu (« en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’elles » Matthieu, 18, 20) :
comme vous disiez, ma chère bonne, nous sommes tellement assemblés en votre nom, que nous ne pouvons plus souffrir de ne plus voir entrer cette chère bonne, que nous aimons si passionnément. Je parle en communauté, car votre enfant sent fort bien votre absence (22 décembre 1688, III, 440)
Ce m’est une véritable consolation de parler avec lui [le frère de M. de Grignan] de vous et de toutes vos affaires ; cela fait une grande liaison. On se rassemble pour parler de ce qui tient uniquement au cœur (11 avril 1689, III, 573)
En 1691, à propos de Mme de Vins, belle-sœur de Pomponne et amie de sa fille, elle dit : « Je n’écris plus à Mme de Vins, que j’aime et que j’estime au dernier point ; nous nous aimons dans le silence en Mme de Grignan » (19 janvier 1691, III, 957). Exactement comme Bossuet disait que « la consommation du divin amour, c’est d’aimer en Jésus-Christ27 », ou comme saint Paul saluait et exhortait les premiers chrétiens in Christo28.
Plus étonnamment encore, Mme de Sévigné va jusqu’à détourner les paroles de la messe pour célébrer Mme de Grignan :
Adieu, ma très chère et très aimable. Je ne puis jamais rien aimer tant que je vous aime, ni rien à l’égal ni rien après ; n’ai-je pas vu une oraison qui ressemble à ce que je dis ? J’en demande pardon à Dieu, mais il veut que ce soit une vérité et j’ignore pourquoi. (5 janvier 1680, II, 788-789)
Il s’agit en effet de l’oraison du cinquième dimanche après la Pentecôte, que Mme de Sévigné a pu lire en français dans les Heures de Port-Royal, sous le titre « Pour aimer Dieu en toutes choses, et plus que toutes choses » :
156Ô Dieu, qui avez préparé les biens célestes et invisibles, pour ceux qui vous aiment, répandez dans nos cœurs le mouvement et l’impression de votre amour : afin que vous aimant en toutes choses, et plus que toutes choses, nous puissions jouir un jour de cette félicité que vous nous avez promise, qui supasse tous nos souhaits et tous nos désirs29.
Non seulement des oraisons, mais aussi le canon de la messe. Se souvenant de la formule per ipsum et cum ipso et in ipso, qu’elle a également pu lire en français dans des ouvrages pieux, comme l’Introduction à la vie dévote de son « grand-père » saint François de Sales30, Mme de Sévigné dit à sa fille :
Enfin tout tourne ou sur vous, ou de vous, ou pour vous, ou par vous (23 mars 1671, I, 199) ;
Nous sommes toujours dans une grande amitié, le Chevalier et moi. Ne soyez point jalouse, ma chère enfant ; nous nous aimons en vous, et pour vous, et par vous (22 octobre 1688, III, 375) ;
Sollery vous a représenté notre société, qui ne subsiste qu’en vous et pour vous, car vous êtes notre véritable lien (27 décembre 1688, III, 446).
Étonnants détournements, auxquels l’épistolière se livre, comme dit R. Duchêne, « sans sourciller31 ». Ce ne sont pas seulement les mots de la Bible, c’est un certain rapport au Dieu caché, un mode de présence (ecclésial) et une voix d’adoration (sacramentelle) que Mme de Sévigné détourne au profit de l’expression de l’amour. La parole divine donne alors véritablement lieu – dans le texte – à un culte profane. Mais Mme de Sévigné, qui sent bien cette concurrence dans son cœur entre Dieu et sa fille, et qui la regrette (« je voudrais bien que mon cœur fût pour Dieu comme il est pour vous »), ne s’en tient pas là. Le temps et les lectures aidant, sans jamais que son amour pour sa fille en pâtisse32, elle parviendra à rendre aux Écritures leur vrai sens.
157« Voilà mon oraison » :
un chant sacré
La foi de Mme de Sévigné connaît en effet un tournant autour de 1680. Certes, elle n’est pas illuminée comme Pascal, ni touchée par la grâce, comme Conti ou d’autres, qui se convertissent subitement33. Mais à la faveur de ses « bonnes lectures » (saint Augustin, les écrivains de Port-Royal, la Bible et les Heures), des « réflexions morales et chrétiennes », voire des « abîme[s] de méditation » que lui inspirent la solitude, « la vieillesse et un peu de maladie » (celle de sa fille autant que la sienne), ainsi que la série de deuils qui la frappe (l’abbé Bayard, le cardinal de Retz, La Rochefoucauld, Fouquet), sa vie chrétienne connaît un infléchissement décisif. Elle commence alors à émailler ses lettres de citations bibliques, souvent tirées de ses lectures pieuses. « C’est saint Augustin qui m’a dit tout cela » dit-elle en juin 1680, après avoir cité saint Jean et saint Paul (II, 963-964). De même, quelques jours plus tard, elle cite des phrases de l’Apôtre qu’elle a lues dans les Conversations chrétiennes de Malebranche (II, 973) et dans La Prédestination des saints, un livre de saint Augustin « plein des passages de la sainte Écriture, de saint Paul, des oraisons de l’Église » (II, 983) qu’elle relit en Bretagne. Loin des allusions et des applications badines – qui ne disparaissent pas pour autant – les citations sont désormais signalées comme telles, et convoquées uniquement pour elles-mêmes. Pour être « appliquées » à la vie, non au texte – en esprit et en vérité, non à la lettre. Ainsi, le 14 juillet 1680 :
Jésus-Christ le dit lui-même : Je connais mes brebis ; je les mènerais paître moi-même ; je n’en perdrai aucune. Je les connais, elles me connaissent [Jean, 10, 14]. Je vous ai choisis, dit-il à ses apôtres, ce n’est pas vous qui m’avez choisi [Jean, 15, 16]. Je trouve mille passages sur ce ton ; je les entends tous. Et quand je vois le contraire, je dis : c’est qu’ils ont voulu parler communément. (II, 1010-101134)
158À partir de 1680, c’est aussi la prière qui fait aussi son entrée dans les lettres : « Fiat voluntas tua, sicut in coelo et in terra : devrait-on dire autre chose à Dieu, ma chère fille ? » (9 juin 1680, II, 967). Il arrive aussi que Mme de Sévigné rappelle à sa fille des textes qu’elles ont entendu à l’église, chacune de leur côté :
Quelle facilité ! Quelle éloquence ! Avec quel respect les mots viennent s’offrir à vous ! Et l’arrangement que vous en faites ! Vous êtes ingrate et insensible à ce que vous avez reçu de Dieu, car l’épître de dimanche vous assure que vous n’avez rien de vous-même ; ainsi on peut examiner ses bienfaits pour en avoir de la reconnaissance. Si on s’entendait bien, la vanité serait bannie du commerce des honnêtes gens ; on laisserait ce sot vice aux ignorants, qui se font honneur de ce qui ne leur appartient pas. (24 mai 1694, III, 881)
L’écriture épistolaire voisine alors, le temps de quelques paragraphes, avec la prédication : elle cite et explique la parole divine ; elle éclaire et exhorte son destinataire.
Conduite à « envisager les ordres de la Providence » avec plus de soumission35, Mme de Sévigné engage sa fille, mais aussi son cousin Bussy et ses autres correspondants, à s’y soumettre également. Alors qu’elle disait encore, en 1677, « nous devons nous soumettre à sa volonté ; cela est amer, mais nous ne sommes pas les plus forts » (II, 497), elle parle, à partir de 1680, de sa chère Providence et « ne trouve rien au monde de si aisé à comprendre » (II, 938). C’est ce qui l’engage à changer, comme elle dit, « [son] langage aussi bien que [ses] idées » (II, 897). Ainsi, tandis qu’en 1676, elle disait à propos des campagnes de Louis XIV « l’étoile du Roi sur tout » (II, 269), on voit apparaître36, après le long intervalle de 1680-1688 (pendant lequel Mme de Grignan résida à Paris), la formule « Dieu sur tout ! » (avec sa variante « Dieu et sa Providence sur tout ! »), que Mme de Sévigné répète de lettre en lettre, comme une prière ou une bénédiction. Mais surtout, lorsque son petit-fils Louis-Provence entre dans l’armée (à seize ans, comme Saint-Simon, avec qui il fut élevé) et participe aux combats de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, une autre formule apparaît, que les épistolières s’échangent de lettre en lettre :
159Mais Dieu le conserve ! De ce ton que je connais, qui sort de votre cœur et qui pénètre le mien (6 avril 1689, III, 571)
Dieu le conserve ! vous ne doutez pas du ton, ma chère enfant. (5 mai 1689, III, 592)
Dieu le conserve ! Il faut toujours en revenir là. (5 juin 1689, III, 609)
Enfin, Dieu le conserve ! Voilà ma chanson ordinaire. (10 juillet 1689, III, 637)
La formule est parfois appliquée à d’autres personnes, mais elle revient toujours à propos du « petit colonel ». Répétée, remaniée, déclinée, elle devient un véritable rituel, une « ritournelle37 » sacrée, qui innerve les lettres à la manière des citations latines dans les sermons de Bossuet38. Elle forme la matière d’un dialogue entre mère et fille qui confine à la litanie ou à la psalmodie, l’une la citant toujours à la suite de l’autre, comme les voix des chantres se répondent sous les voûtes d’un chœur. Mme de Sévigné et sa fille en viennent ainsi à forger une sorte de liturgie infime et intime, un rituel de poche, un bréviaire (au sens étymologique du mot, un abrégé), par lequel leurs deux voix, unies en un chant plain, conjurent leur crainte de voir le sang de cet enfant versé pour la gloire du Grand Roi.
Signe de l’évolution spirituelle (et poétique) de l’épistolière, ces mots qu’elle envoie à sa fille en 1690, à soixante-quatre ans, où se mêlent le souvenir du badinage impie (au passé), l’aiguillon de la crainte de Dieu (au présent) et la résignation teintée de nostalgie qu’inspire leur collision (au futur) :
Nous lisons ici des livres qui font trembler, ce que je dis bien sincèrement : Domine, non sum dignus, et dans cette vérité où je suis abîmée, je fais comme les autres. Vous souvient-il, ma bonne, quand vous me dîtes en cet endroit de la messe d’un certain prêtre : « Ah ! qu’il dit vrai ! » Jamais rien ne sera si plaisant (2 juillet 1690, III, 902)
Matière d’un badinage irrévérencieux, support d’un culte profane, les textes bibliques et liturgiques, qui appartiennent pleinement au dictionnaire tout à part soi de Mme de Sévigné, retrouvent finalement, dans la 160dernière partie de sa Correspondance et de sa vie, leur vrai rôle. Celui de médiateur, sans lequel il n’est point de commerce avec le Dieu catholique. Par un effet inverse, ce sont même, dans les années 1689-1690, les mots des deux femmes qui prennent le ton et la forme d’une prière. Ainsi, à la faveur du temps, de ses lectures et de ses réflexions, de ses transports et de ses deuils, Mme de Sévigné a su replacer dans l’ordre (de la Providence) les grandes matières de sa vie : « Dieu, moi, vous, vos lettres et mon livre » (III, 635).
Nicolas Garroté
1 Abélard et Héloïse, Correspondance, éd. R. Oberson, Paris, Hermann, 2008, p. 40.
2 Toutes les citations de Mme de Sévigné sont tirées de l’édition de Roger Duchêne (Correspondance, Paris, Gallimard, 1972-1978), dont nous indiquons le tome en chiffre romain et la page en chiffre arabe. Celle-ci provient de la lettre du 4 novembre 1676 (II, 439), à Mme de Grignan, fille de l’épistolière.
3 On ne trouve pas dans la Correspondance d’indications précises sur les lectures bibliques de Mme de Sévigné, ni sur ses éventuelles méditations de la parole divine. Ph. Sellier pense qu’elle ne la lisait guère (Port-Royal et la littérature II, Paris, Champion, 2012, p. 402). Elle en connaît pourtant de nombreux épisodes, y compris de l’Ancien Testament, et d’innombrables passages, par cœur. Tout porte à croire qu’elle disposait des traductions de la Bible de Port-Royal : elle se procurait toutes leurs traductions de saint Augustin et évoque en 1680 cette Écriture « traduite par les plus honnêtes gens du monde » (II, 931). On pourrait douter, à la lumière des travaux de L. Timmermans notamment, qu’elle en fasse grand usage. Ne serait-ce pas oublier l’énergie avec laquelle « ces Messieurs » de Port-Royal qu’elle admire tant se sont battus pour promouvoir la lecture de la Bible en vernaculaire dans les milieux laïcs ? Il est vrai que c’était une entreprise nouvelle, et que Mme de Sévigné a grandi dans un monde où les laïcs, et en particulier les femmes, n’avaient accès à la Bible qu’à travers des médiations – les offices et la prédication, mais aussi, pour elle, les Heures de Port-Royal (1650), le Missel de Voisin (1660) et toutes ses lectures pieuses (saint Augustin, Abbadie, Nicole, Le Tourneux, etc.), avec leur lot de citations bibliques. D’ailleurs, ne dirait-on pas que c’est à elle que pense B. Chédozeau lorsqu’il dessine le portrait du destinataire idéal des Heures de Port-Royal : « Ce fidèle laïc sait lire, point évidemment fondamental ; il sait se retrouver dans l’organisation complexe de l’ouvrage, dans les rubriques et renvois qu’il suppose ; il est cultivé (il lui est présenté le texte latin des psaumes et la traduction sur l’hébreu) ; il est pieux et cherche des réflexions méditatives, morales et de dévotion, plus que des explications historiques, philologiques – ou mystique. […] Ce fidèle a des exigences de qualité : il aime la langue française » (Port-Royal et la Bible, Paris, Nolin, 2007, p. 125). En tout état de cause, on ne peut affirmer, comme le fait E. Avigdor, que les connaissances bibliques de Mme de Sévigné « proviennent surtout de la lecture de la Bible dite de Royaumont ou Histoire du Vieux et du Nouveau Testament » de Nicolas Fontaine (Mme de Sévigné : un portrait intellectuel et moral, Paris, Nizet, 1974, p. 129), une série de gravures assorties de textes explicatifs illustrant l’histoire sainte, dédiée au Dauphin (et non au Roi, comme les Heures), que le prince de Conti lisait à ses enfants, et que Mme de Sévigné découvre en 1676, à cinquante ans…
4 D’où le fait que Mme de Sévigné dise marguerites alors que Sacy traduisait déjà margaritas par perles (Matthieu, 7, 6) : elle tire la formule de la langue, non de la Bible, exactement comme son cousin Coulanges et comme, en plein xviiie siècle, Saint-Simon. Toutes les références bibliques renvoient à la traduction de Port-Royal, aussi dite de Sacy (1667-1693), celle dont disposait très certainement Mme de Sévigné, et dont Ph. Sellier a procuré l’édition moderne (Paris, Robert Laffont, 1990).
5 L’expression n’entre dans le Dictionnaire de l’Académie qu’en 1762 (« façon de parler familière empruntée du latin, et dont on se sert pour dire, le point essentiel, le nœud, la difficulté d’une affaire »), mais elle était déjà répertoriée par Oudin dans les Curiosités françoises (1656) et on la trouve sous la plume de Rabelais, Brantôme, La Fontaine et Scarron. Elle est tirée d’une formule qui servait de clausule dans le bréviaire : Tu autem Domine, miserere nobis. Leo Spitzer l’a analysée, montrant qu’on la retrouve dans plusieurs dialectes romans (gascon, provençal, piémontais) et qu’un tel emploi parodique de la langue sacrée était caractéristique de la culture populaire du temps, profondément religieuse (« Dieu possible – die Grammatikalisierung der nomina sacra », Stilstudien, Munich, Hueber, 1961, t. I, p. 126-145). L’exemple de Mme de Sévigné et de ses cousins Coulanges montre cependant que de tels détournements n’étaient pas uniquement le fait de la langue populaire, ou du moins que cette langue n’était pas toujours dédaignée par la sanior pars du royaume.
6 Voir Jean, 1, 27 et Matthieu, 8, 8. La formule était aussi reprise dans le rituel de la messe. Le 18 septembre 1680, Mme de Sévigné cite à ce propos un bon mot de sa fille : « Nous approuvons fort votre préparation pour cette bénédiction de Flandre ; elle est bien meilleure que celle des bons prêtres à qui l’on répond toujours, quand on leur entend dire : Domine non sum dignus, comme vous fîtes si à propos aux Filles bleues : “Ah ! qu’il a raison !” Je m’en souviens comme de la plus plaisante chose du monde. » (III, 18-19).
7 M. de Grignan était lieutenant général, et exerçait les fonctions de gouverneur en l’absence du duc de Vendôme ; les lieutenants de Roi étaient les adjoints des gouverneurs et des lieutenants généraux.
8 Il s’agit de Marguerite de Mauron, la future belle-fille de l’épistolière. On retrouve l’expression en 1689 : « le maréchal parla fort bien, mieux qu’on ne pensait ; le Premier Président, de communi martyrum ; M. de Pommereuil fort vivement à sa mode, moins bien que Fieubert et de Harlay qui enlevaient par la beauté de leurs harangues. » (26 octobre 1689, III, 737).
9 Le mot est de Barthes, qui consacra un séminaire à ce thème en 1973-1974.
10 La formule permet à Mme de Sévigné d’évoquer la présence bienveillante et intéressée du Roi, qui mariait sa bâtarde, la première Mlle de Blois, à un Bourbon. Dans la haute aristocratie, les mariages étaient souvent célébrés après la tombée du jour. Ce fut justement le cas pour Mme de Sévigné.
11 Ce sera d’ailleurs le titre d’un sermon de Massillon, « Sur le petit nombre des élus » (1699).
12 À l’élection d’Alexandre VIII, pour aplanir les relations entre la France et le Vatican, Louis XIV fit restituer au pape le Comtat d’Avignon que M. de Grignan occupait en son nom, et dont il percevait les revenus.
13 Ici, la citation de l’Ecclésiaste est sans doute mêlée à un souvenir de l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre de Bossuet, dont c’était justement le texte (vanitas vanitatum, et omnia vanitas). D’autant que Mme de Grignan avait été attachée cette princesse, qu’elle connaissait bien, et l’a beaucoup regrettée. Ainsi, il faut peut-être lire la question qui précède la citation (l’eussions-nous cru ?) comme une réécriture resserrée de la question que posait Bossuet dans les premiers mots de l’oraison funèbre, juste avant de citer le même texte, également en français (« L’eût-elle cru il y a dix mois ? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu’elle versait tant de larmes en ce lieu, qu’elle dût si tôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ? », Oraison funèbre de Henriette d’Angleterre, Œuvres oratoires, éd. Ch. Urbain et E. Levesque, Paris, Desclée de Brouwer, 1911-1926, t. V, p. 653).
14 Richard Simon, Difficultés proposées au R. P. Bouhours sur sa traduction française des quatre évangélistes, Amsterdam, Braakman, 1697, p. 23 (la formule se trouve dans la réponse de Simon à la réponse de Bouhours, qui donne lieu à une nouvelle pagination).
15 R. Duchêne, Naissances d’un écrivain : Mme de Sévigné, Paris, Fayard, 1996, p. 230.
16 La référence donnée par R. Duchêne (III, 35, note 2) est erronée : le passage auquel Mme de Sévigné fait référence est tiré du livre des Rois, IV, 5, 14 (dans les versions modernes de la Bible : Rois, II, 5, 14).
17 Voir par exemple la lettre du 29 août 1762 au comte et à la comtesse d’Argental : « Mes chers anges, je ne ferai point imprimer Cassandre ; que votre volonté soit faite dans la terre comme aux cieux » (Correspondance, éd. Th. Besterman, Paris, Gallimard, 1978-1993, t. VI, p. 1031).
18 Pascal, Pensées, éd. Sellier, fr. 472 : « Tout tourne en bien pour les élus ». Dans l’édition de Port-Royal (Desprez, Paris, 1670), dont disposait Mme de Sévigné, le texte se trouve au chapitre xviii, p. 138. Le texte de l’épistolière est beaucoup plus proche de celui de Pascal que de la traduction de Sacy. C’est l’occasion de remarquer à nouveau combien ses connaissances bibliques passent (aussi) par des médiations.
19 Fables, IV, VII, « Le Singe et le Dauphin », v. 10.
20 Victor Brodeau, Poésies, « Huitain à deux cordeliers » (éd. H. M. Tomlinson, Genève, Droz, 1982, p. 121).
21 Par exemple, celle où elle doute de l’enfer (20 septembre 1671, I, 348) ou celle où elle expose sa vision « peu en usage » de la vraie dévotion (24 mai 1690, III, 881).
22 Sur ce point, on pourra consulter les études désormais classiques qui, après les pages d’Henri Busson (La Religion des classiques, Paris, PUF, 1948, p. 5-66), ont mis en lumière la nature et les enjeux de la foi de Mme de Sévigné : R. Duchêne, Mme de Sévigné, Bruges, Desclée De Brouwer, 1968 ; Bernard Chédozeau, « Religion et morale chez Mme de Sévigné », Marseille, no 95, 1973, p. 53-60 ; Eva Avigdor, Madame de Sévigné : un portrait intellectuel et moral, op. cit., p. 153-201 ; Mireille Gérard, « Mme de Sévigné et Port-Royal : le milieu familial (1619-1644) », Chroniques de Port-Royal, no 38, 1989, p. 9-31 ; Bernard Chédozeau, « Quelques notes sur la religion de Mme de Sévigné », Europe, no 801-802, 1996, p. 113-122 ; Ph. Sellier, Port-Royal et la littérature II, op. cit., p. 369-447.
23 Au chapitre xi, Baisecul se livre lui aussi à une parodie du sermon des Béatitudes, affirmant que « comme disent les canonistes : Beati lourdes, quoniam trebuchaverunt. » (éd. Defaux, Paris, LGF, 1994, p. 371).
24 Gargantua, XVI, op. cit., p. 89. M. Bakhtine et M. Screech ont parfaitement montré le sens qu’il faut donner aux formules bibliques, aux kyrielles de saints et de martyrs burlesques et autres facéties à consonnance liturgique dont l’œuvre de Rabelais est pétrie. Une grande partie de leurs analyses peut aussi s’appliquer au « rire scripturaire » de Mme de Sévigné.
25 Mémoires, éd. Coirault, Paris, Gallimard, 1983-1988, t. I, p. 282.
26 Par exemple J. Rohou, qui voit en Mme de Grignan « le Dieu caché de son anxieuse mère » (Histoire de la littérature française du xviie siècle, Rennes, PUR, 2000, p. 308).
27 « Sermon pour la fête de l’Annonciation », Œuvres oratoires, op. cit., t. IV, p. 294.
28 Philippiens, 4, 19 ; Thessaloniciens, I, 5, 18 ; etc. C’est l’occasion de prendre la mesure du détournement que Mme de Sévigné fait subir à de telles formules. Malgré les irrévérences que nous avons relevées, elle n’aurait jamais écrit comme Voltaire à Mme d’Épinay : « je vous salue en Belzébuth » (c. 10 août 1760, op. cit., t. V, p. 1050) ; ou à d’Alembert : « je vous embrasse en Confucius, en Lucrèce, en Cicéron, en Julien » (15 octobre 1759, t. V, p. 641).
29 L’Office de l’Église, Paris, Le Petit, 1672, p. 274 (nous soulignons). C’est bien à l’oraison du cinquième dimanche après la Pentecôte que pense Mme de Sévigné, et non au graduel, comme le dit R. Duchêne dans les notes de son édition.
30 On y trouve en effet la formule suivante : « Il est la lumière du monde, c’est donc en lui, par lui et pour lui que nous devons être éclairés et illuminés » Introduction à la vie dévote, II, I (Œuvres, éd. Ravier, Paris, Gallimard, 1969, p. 79). C’est pour plaisanter que Mme de Sévigné appelle François de Sales, l’ami en Dieu de sa grand-mère Jeanne de Chantal, son « grand-père » (III, 690). Elle connaît bien l’Introduction et la cite plusieurs fois dans les Lettres.
31 Madame de Sévigné et la lettre d’amour, Paris, Klincksieck, 1992, p. 269.
32 On se souvient qu’au contraire, pour entrer en religion, sa grand-mère sainte Jeanne de Chantal n’avait pas hésité à enjamber le corps de son fils, étendu à terre pour l’en empêcher.
33 D’où la difficulté à dater, voire même à apprécier, à travers les lettres, sa « conversion ». R. Duchêne, la situe à la fin de 1680 (Mme de Sévigné, op. cit., p. 84 et 101). Ph. Sellier, qui préfère parler d’un « approfondissement », au printemps de la même année (Port-Royal et la littérature II, op. cit., p. 396-400).
34 Cela se poursuit jusqu’à la fin de la Correspondance. Voir par exemple les lettres du 4 mars 1689 (III, 533), du 15 février 1690 (III, 839), du 20 juillet 1694 (III, 1049).
35 Notamment à la lumière de ce traité de Nicole qu’elle lit et cite souvent, « De la soumission à la volonté de Dieu » (Essais de morale, I, II).
36 Ou plutôt réapparaître, car Mme de Sévigné la connaissait déjà, par Montreuil, qui la lui avait envoyée trente-huit ans plus tôt, dans une lettre du 19 janvier 1651 : « Mais Dieu sur tout : c’est une sentence que je viens de trouver dans mon almanach » (I, 15).
37 Voir la lettre du 18 septembre 1689 : « Dieu le conserve ! je ne changerai point cette ritournelle » (III, 698).
38 Pour une étude de ces jeux et de leurs effets musicaux, on pourra consulter l’étude d’Agnès Lachaume, Le Langage du désir chez Bossuet, Paris, Champion, 2017, p. 486-491.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-08785-4
- EAN: 9782406087854
- ISSN: 2494-5102
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08785-4.p.0145
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-11-2018
- Periodicity: Annual
- Language: French