Politiques de l’autorité biblique Bossuet, Machon
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Revue Bossuet
2016, n° 7. varia - Auteur : Van Hamme (Clément)
- Pages : 47 à 64
- Revue : Revue Bossuet
POLITIQUES DE L’AUTORITÉ BIBLIQUE
Bossuet, Machon
Lier au nom de Bossuet celui d’un chanoine comme Louis Machon est sans doute une opération que l’évêque aurait désapprouvée. Elle est encouragée par la difficulté apparente des polémistes européens du xviie siècle à employer la Bible comme argument dans le cadre de la crise théologico-politique qui a mis en question, à partir de la seconde moitié du xvie siècle, les rapports entre la papauté et les pouvoirs politiques1. Les ecclésiastiques notamment ne semblaient pas utiliser la Bible avec autant de facilité qu’on aurait pu s’y attendre quand il s’agissait de défendre ou de réfuter l’idée d’un pouvoir indirect du pape dans les affaires temporelles. La question, ancienne, était revenue en force depuis l’affaire de l’Interdit vénitien de 16062. Jean Gerson3 et le Concile de Trente étaient dans le cadre de ce débat des autorités4 couramment utilisées : la Bible, autorité suprême puisqu’elle était dite parole inspirée directement de Dieu, semblait l’être avec beaucoup moins de facilité. C’est là, dit Bernard Bourdin, une des « impasses de 48l’apologétique5 » propre à cette époque et à de tels débats : le cardinal Bellarmin, théologien officiel de la papauté chargé d’en défendre les prétentions, l’admettait sans peine en affirmant que « des Écritures, nous apprenons seulement que Pierre et ses successeurs ont reçu les clefs du royaume des cieux : il n’est pas question des clefs du royaume terrestre, et la tradition apostolique est également muette sur ce sujet6 ». Si la polémique doctrinale était difficilement biblique, qu’en était-il alors plus généralement des discours et des démonstrations à portée politique ? Se demander si la Bible était utilisée comme argument politique permet de ne pas seulement s’intéresser à l’influence de la religion dans la pensée politique du xviie siècle, mais permet de voir les effets produits par la Bible sur des textes à valeur politique et permet d’interroger sa présence dans les réflexions qui voulaient se confronter aux rapports devenus problématiques entre pouvoir et religion : la présence du texte sacré dans la pensée politique du xviie siècle est le signe visible d’une conception sous-jacente qui en conditionne l’usage politique.
Cette présence se manifeste en un temps où l’idée d’autorité, scindée entre autorité religieuse et autorité politique, est en crise. « Tout bon Chrétien se doit soumettre à l’autorité de l’Église, et tout bon sujet à l’autorité Royale » : Furetière, à l’article qu’il lui consacre, parle séparément du sujet et du chrétien alors que les deux ne faisaient le plus souvent qu’un. La Bible telle que la pensée politique du xviie siècle l’emploie semble se rapporter à la notion d’autorité de deux manières complémentaires. Cette dualité tient au double sens du terme : elle fait autorité, elle parle d’autorité. Elle fait autorité d’abord, puisqu’elle est considérée comme le témoignage écrit de la Révélation chrétienne et qu’elle se définit comme une Parole divine issue de l’inspiration directe de Dieu, qui en s’adressant par le Saint-Esprit à des hommes de condition variée – les auteurs bibliques – en demeure l’auteur premier7. Elle parle d’autorité ensuite, et notamment d’autorité politique. Les livres historiques de l’Ancien Testament sont riches en accents politiques, 49puisque c’est l’histoire d’un peuple et que tout peuple se pose, à divers moments de son histoire, la question du pouvoir et de son organisation ; le Nouveau Testament, lui, pose en marge du sacrifice christique de nombreuses questions d’ordre politique8. Dieu, nous dit la Bible, est source de toute autorité9, et le Christ, figure centrale de la révélation chrétienne, est tout à la fois soumis à l’autorité de l’occupant romain et désigné comme l’incarnation d’une autorité politique nouvelle, dont le caractère propre d’autorité – qui se distingue de la puissance en cela qu’elle n’emploie pas la contrainte de la force10 – tient justement au fait qu’il se présente comme un simple homme, sans couronne royale ni ordination. L’autorité que la Bible détient et dont elle parle n’est perceptible qu’aux yeux de la foi chrétienne : pour quiconque la reçoit comme la Parole de Dieu – soit, au xviie siècle, la quasi-totalité de la société – cette autorité n’a pas besoin d’être défendue, mais elle doit être affirmée, de même que l’existence de Dieu.
Ce sont ces deux types d’autorité biblique qui rendent possible des exploitations rhétoriques dont Bossuet et Louis Machon donnent deux exemples. Alors que la Bible tient une place de choix dans l’ensemble de leur production, c’est la première qu’elle occupe dans la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture Sainte et l’Apologie pour Machiavel dont ils sont les auteurs respectifs, et où il est directement question de politique. L’intérêt qu’on reconnaît à ces deux ouvrages est d’entretenir un rapport étroit avec le texte sacré bien qu’il ne soit pas exclusif, rapport qui met en évidence des modalités bien précises d’exploitation politique de la Bible au xviie siècle. L’un emploie l’autorité du texte biblique au service de l’éducation d’un Dauphin, l’autre à la réhabilitation d’un auteur qu’il considère comme mal jugé par ses contemporains : tous deux donnent à voir ce qu’on appellera des politiques de l’autorité biblique, puisqu’ils ont recours à l’autorité biblique dans le cadre d’un discours à portée politique, selon des procédés qu’il s’agira ici de décrire.
50Bossuet : mettre le prince
devant la Parole
« Emportant tout dans son éloquence, et dans le mouvement d’une chevelure qui n’est pas une perruque poudrée11 », la magnificence oratoire de l’œuvre bossuétienne fait souvent oublier l’importance qu’y tient sa pensée politique. Elle est le résultat du travail conjoint d’un Bossuet-croyant, assidu depuis sa jeunesse à la lecture et au commentaire de la Bible à une époque où elle restait encore rarement lue de manière complète et systématique, et d’un Bossuet-membre du clergé, « grand politique chrétien12 », impliqué dans la réflexion sur les rapports que devaient entretenir la royauté, le clergé de l’Église de France et le Saint-Siège. De ce travail résulte une sensibilité gallicane difficilement lisible par le lecteur d’aujourd’hui, puisque la pensée politique de Bossuet se présente à qui cherche à la saisir de manière fragmentée, peu systématique et composée de ce que Jacques Truchet a appelé des « ruines13 » idéologiques. Les conceptions bossuétiennes de l’État et de l’Église ont été contestées dans les faits depuis qu’il les a formulées, ce qui a amené pendant un temps la critique à les réduire à une défense de la monarchie absolue et du droit divin des rois ; la pensée politique de Bossuet était pourtant à bien des lieues d’une telle caricature14. La Bible est au cœur de sa théologie, qui prend fréquemment des orientations politiques puisqu’il fut successivement précepteur du Dauphin et représentant du clergé français. La réflexion suivie sur Paul et Pierre dans le Sermon sur l’unité de l’Église montre que c’est pour lui la Parole de Dieu qui prévaut, tant en matière de politique qu’en matière de religion :
Quoique ces deux frères, saint Pierre et saint Paul, […] doivent consacrer ensemble l’Église romaine, quelque grand que soit saint Paul, en science, 51en dons spirituels, en charité, en courage […], il faut que la parole de Jésus-Christ prévale : Rome ne sera pas la chaire de saint Paul, mais la chaire de saint Pierre15.
La pensée politique de Bossuet surprend ceux qui y attendent des ruines, car elle repose d’abord sur la conciliation de vérités multiples, souvent contrastées et parfois antithétiques. Le pouvoir des rois est illimité ; mais le roi est soumis au lois. Toute révolte est interdite ; mais une autorité tyrannique la provoque. La justice doit être ferme ; mais elle doit se montrer clémente. Le souverain doit exprimer son pouvoir hérité de Dieu dans la magnificence ; mais Dieu condamne le luxe. En affirmant ces contraires avec force, Bossuet manifeste sa logique politique propre, c’est-à-dire celle d’un théologien nourri par la Bible plutôt que celle d’un politologue soucieux de la praxis. Il pense la politique en termes de vérité, et non d’action, en précisant qu’« il ne faut jamais abandonner les vérités une fois connues, quelque difficulté qui survienne quand on veut les concilier16 ». La Révélation biblique met en présence de contraires, et c’est par elle que Bossuet cherche à dépasser ces contrariétés. Il est en cela très proche d’un Pascal confronté aux contradictions de la nature humaine : c’est que la pratique biblique les lie.
Un ouvrage en particulier, long et méthodique, propose une synthèse de la pensée politique de l’évêque de Meaux qui a l’avantage de mettre en évidence son rapport à la Bible. Cette volumineuse dissertation, commencée en 1677 à l’occasion de sa nomination au préceptorat du Dauphin, arrêtée ensuite, puis reprise vingt ans plus tard pour être laissée inachevée à sa mort en 1704, est une Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte qui constitue, bien qu’elle ne soit pas exhaustive, son ouvrage le plus important en matière de politique et vers lequel la plupart de ses écrits convergent17. Le principe qui fonde l’entreprise — tirer une politique de l’Écriture seule — se justifie pour Bossuet dans la mesure où il ne considère pas seulement la Bible comme une source religieuse ou morale de bon conseil pour un État chrétien : il y voit la seule source possible de connaissance de l’art politique. Plus encore, la Bible seule 52détient à ses yeux une autorité suffisamment grande pour enseigner aux rois la conduite qu’ils doivent tenir. Cette idée, qui l’aide à surmonter la position inconfortable qui est la sienne de sujet chargé d’instruire les puissants, n’est pas nouvelle quand il entame la rédaction de sa Politique. Il la formulait déjà dans son Sermon sur le devoir des rois, en 1662 :
Dans le dessein que je me propose […] je me garderai plus que jamais de rien avancer de mon propre sens. Que serait-ce qu’un particulier qui se mêlerait d’enseigner les rois ? Je suis bien éloigné de cette pensée : aussi on n’entendra de ma bouche que les oracles de l’Écriture, les sages avertissements des papes, les sentences des saints évêques, dont les rois et les empereurs ont révéré la sainteté et la doctrine18.
L’originalité de l’entreprise dans le paysage des publications politiques du siècle19 est qu’elle fait de l’emploi du texte biblique une règle d’écriture presque exclusive : la Politique rejoint en cela le Discours sur l’histoire universelle, lui aussi tiré de la Bible, mais qu’il suit dans une structure linéaire là où la Politique élabore une synthèse thématique. La Politique est divisée en dix livres, scindés en plusieurs parties ; chacune de ces parties est divisée en articles, eux-mêmes divisés en propositions, ce qui a pour effet d’offrir au lecteur une succession de courtes dissertations sur des sujets précis. La brièveté extrême de certaines propositions n’empêche en rien l’abondance des citations bibliques : à la première proposition de l’article II du livre VI, qui n’excède pas deux pages, se trouvent cités dans l’ordre le deuxième livre des Rois, le Deutéronome, l’Épître aux Romains, l’Épître à Tite, le livre de la Sagesse, la première Épître de Pierre, l’Épître aux Éphésiens, l’Épître aux Colossiens, et l’Évangile selon saint Matthieu20. La Politique comporte ainsi près de 1 800 citations bibliques différentes, parfois reprises plusieurs fois chacune, aboutissant 53à un total de 2 400 citations : un dixième seulement de ce nombre total (237 citations) sont des citations du Nouveau Testament, et parmi elles, seules 103 sont extraites des Évangiles alors que le premier livre des Rois est cité à lui seul 173 fois21. À la suite du texte biblique viennent les références patristiques, à la tête desquelles saint Augustin, et enfin, beaucoup plus rarement, les références aux Anciens. La présence de ces Anciens dans une dissertation annoncée comme biblique rappelle l’importance de l’humanisme de Bossuet : cependant, le choix opéré dans la Politique est celui d’un dépassement de cet humanisme au profit de l’héritage biblique. Conscient de reprendre un héritage profane, Bossuet entend le placer sous la protection de la Révélation chrétienne. Ce que l’évêque de Meaux énonce : « Aristote l’a dit, mais le Saint-Esprit l’a prononcé avec plus de force22 ».
C’est donc un vaste éventail de références à l’Ancien Testament qui s’impose au lecteur de la Politique. Il offre en effet un matériau de choix pour soutenir des préceptes politiques, et à plus juste titre des préceptes monarchiques, puisqu’une foule de rois et de responsables politiques s’y presse, à la fois composée de personnages et d’auteurs du récit : David (à qui l’on doit les Psaumes), Salomon (auteur des livres de la Sagesse), Moïse (conteur de la Genèse), Saül, Balthasar, et leurs successeurs. L’avantage du personnage du roi biblique vétérotestamentaire, dans le cadre de l’éducation du prince à laquelle la Politique devait participer, tient au fait qu’il peut s’identifier aux rois qui ont été choisis pour guider le peuple sur lequel Dieu avait, aux débuts de l’histoire, exercé une théocratie directe, même si ces modèles ont une part d’imperfection que Bossuet ne manque pas de rappeler. De même, pour aider le futur roi dans le choix de son entourage, Bossuet « propose au prince divers caractères de ministres ou de conseillers, bons, taillés de bien et de mal, et méchants23 », parmi lesquels Samuel, Néhémias, Joab, Holoferne, et Aman. La Bible, qui constitue ainsi une réserve d’exemples qui illustrent des règles, des principes, des figures-type ou des caractères spécifiques, se voit paradoxalement conférée une autorité semblable à celle qui est 54attachée à une personne, soit une « autorité montrée24 », qui a ceci de particulier qu’elle ne vaut dans le texte sacré que dans le cadre d’une relation personnelle avec Dieu. Le Nouveau Testament, beaucoup plus bref et centré sur la révélation christique, est bien plus éloigné de préoccupations proprement politiques, bien que cela ne veuille pas dire qu’il ne comporte rien de spécifiquement politique25. Bossuet ne cherche pas à exploiter dans une perspective politique la lecture figurative26 de l’avènement du Christ relaté par le Nouveau Testament : il entend davantage effectuer une lecture politique des expériences historiques de la Providence divine que l’Ancien Testament recense. Son intention dans sa Politique n’est pas de proposer une théorie de la monarchie absolue appuyée sur l’autorité de la Bible, ni même de composer un traité de politique chrétienne, mais plutôt de définir, à l’aide des exemples fournis par la Révélation, les caractéristiques propres à toute puissance politique légitime. En prenant pour critère discriminant l’autorité de la Bible, il synthétise les conditions d’existence des exercices légitimes du pouvoir, qui peuvent tout à fait êtres réunies en dehors de la forme monarchique, et même en dehors de la religion catholique. L’évêque pose cependant comme une nécessité l’existence d’une forme de religion pour qu’un peuple devienne un État. Si la société veut subsister, nous dit-il, il faut que chacun croie à la parole de l’autre : la parole doit pour cela être garantie par un serment, serment qui doit être juré par une puissance supérieure fondée sur une autorité surnaturelle — l’autorité étant ce par quoi « on se laisse persuader27 ». C’est de cette autorité seule que naît l’autorité légitime, sainte parce qu’elle vient de Dieu, juste parce qu’elle conserve à chacun son bien et bonne car elle garantit l’ordre et la paix. Bossuet montre ainsi — il reste le précepteur du Dauphin — que la meilleure forme d’exercice du pouvoir est la monarchie, héréditaire de mâle en mâle. Si la majorité de son propos concerne la description des 55tenants et des aboutissants théoriques et pratiques de l’autorité royale, cela n’est pas tenu pour acquis mais amené à travers une rhétorique fondée sur la Bible.
Anne Régent-Susini a proposé il y a quelques années une analyse linguistique des pratiques citationnelles de la Bible dans la Politique28. Elle a entre autres montré qu’il ne faut pas se limiter, pour comprendre comment est construite l’articulation entre citation biblique et théorie politique chez Bossuet, aux citations dans lesquelles il prétend s’effacer au profit de l’oracle sacré. Bossuet compose un montage de citations hétérogènes, tirées de leur contexte, découpées et traduites de manière à assurer une continuité dans son discours, qui semble pris à la fois en charge par les auteurs scripturaires et par lui-même29. Un des procédés syntaxiques les plus courants de la Politique est de créer entre le discours citant et le discours cité une complémentarité qui rend l’un dépendant de l’autre :
« Dieu a répandu la sagesse sur toutes ses œuvres30. Dieu a tout vu, Dieu a tout mesuré, Dieu a tout compté31. Dieu a tout fait avec mesure, avec nombre et avec poids32. » Rien n’excède, rien ne manque. À regarder le total, rien n’est plus grand ni plus petit qu’il ne faut : ce qui semble défectueux d’un côté sert à un ordre supérieur et plus caché, que Dieu sait. Tout est épandu à pleines mains : et néanmoins tout est fait et donné par compte. « Jusqu’aux cheveux de notre tête, ils sont tous comptés33. Dieu sait nos mois et nos jours : il en a marqué le terme, qui ne peut être passé34. »
Bossuet, enfin, ne limite pas ses citations aux seuls passages bibliques qui vont dans le sens de ce qu’il doit montrer au Dauphin en bon précepteur. Il utilise également ceux qui ne sont pas toujours les plus adaptés à son propos, parmi lesquels le moment de la genèse de la royauté en Israël — grand moment politique de la Bible –, où Samuel met en garde le peuple contre les droits dont dispose un roi. Cette mise garde est d’autant plus inconfortable que la Bible précise qu’elle vient de Dieu lui-même :
56Samuel leur déclare […] que la puissance de leur prince sera absolue, sans pouvoir être restreinte par aucune autre puissance. « Voici le droit du roi qui régnera sur vous, dit le Seigneur. Il prendra vos enfants, et les mettra à son service : il se saisira de vos terres et de ce que vous aurez de meilleur, pour le donner à ses serviteurs, et le reste35. »
Cet inconfort permet à Bossuet de déployer dans son analyse une interprétation qu’il avait déjà plus longuement développée dans son Cinquième avertissement aux protestants36. Cette interprétation attribue au roi une place médiane entre Dieu et les hommes, indispensable à la reconnaissance de son autorité. Elle manifeste l’inévitable porosité de la frontière entre l’autorité biblique et la liberté du commentateur, qui opère un transfert d’autorité du texte au souverain, similaire au transfert de pouvoir du peuple au roi raconté par la Bible : « Est-ce qu’ils auront le droit de faire tout cela licitement ? À Dieu ne plaise. Car Dieu ne donne point de tels pouvoirs : mais ils auront le droit de le faire impunément à l’égard de la justice humaine37. » Si l’évêque de Meaux n’a pas entrepris dans sa Politique une justification biaisée de la monarchie de droit divin, il n’en reste pas moins, par le biais du commentaire biblique, un défenseur habile de l’idée gallicane d’un pouvoir monarchique dépendant de Dieu seul, en un siècle qui a participé à « consacrer, en renforçant l’un et l’autre, l’indépendance du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, dans une union qui progresse en dépit de tous les heurts38 ».
57Louis Machon : sauver Machiavel
Il semble que les choses les plus saintes sont au-dessous de lui, ne se complaisant que parmi un tas de livres profanes, entre lesquels il s’en trouvera à grand peine un seul de dévotion, s’amusant à faire des apologies pour des auteurs infâmes et irréligieux, au lieu de lire les Saintes Écritures et enseigner le catéchisme à ses paroissiens39…
De Bossuet à Louis Machon, la distance n’est pas si infinie qu’il y paraît. La vie de cet ecclésiastique peu connu, chanoine apologiste de Machiavel à une époque où l’antimachiavélisme régnait chez les chrétiens, doit ses rebondissements à des polémiques théologico-politiques40. Né dans les premières années du xviie siècle, fils d’un conseiller de l’évêché de Toul (dans l’actuelle Lorraine) et nommé en 1633 archidiacre de Port (ville de l’Ain entre Bourg en Bresse et Genève, au nord-Est de Lyon), ce chanoine n’a pas manqué de se manifester au cours de différentes controverses politiques et a apporté à sa manière toute personnelle des réponses à la crise du temps. Il ne publia rien de moins qu’une Remontrance au Roi Louis XIII lors d’un différend survenu avec le pape Urbain VIII au début des années 1630, époque où il entreprit la rédaction d’un Traité politique sur les différends ecclésiastiques survenus entre les papes et les rois qui « n’a point eu de privilège pour être imprimé, à cause qu’il contient plusieurs erreurs contre la foi de l’Église41 ». Louis Machon, quoiqu’en dise le Factum cité à l’instant, fréquente et connaît bien la Bible. Il en nourrit, comme Bossuet, des dissertations théoriques touchant à des sujets politiques, mais selon des méthodes qui lui sont propres et dont le titre de son premier sermon publié donne une idée. Dans ce Sermon apologétique en faveur des femmes, le chanoine commente en le renversant un verset de l’Ecclésiaste, et conclut que la femme est 58l’égale de l’homme. Ce retournement déroutant pour son temps suggère assez bien la manière dont son œuvre se rapporte à la Bible : les écrits qu’il a produits témoignent simultanément d’une grande connaissance du texte et d’une occultation notoire du mystère chrétien qui se cache derrière lui. La préface de l’Apologie pour Machiavel, œuvre massive – longue de près de 1000 folios – sur laquelle il revint tout au long de sa vie et qui resta au statut de manuscrit42, prétendument commandée par Richelieu43, ne déroge pas à la règle. Le chanoine, comme l’évêque de Meaux, entend parler de politique à la lumière de la Bible, mais la formulation a de quoi susciter quelques réserves :
Tous les écrits de Salomon contiennent les maximes de la politique aussi amplement et solidement que celles de la morale la plus pure et la plus achevée. […] Il n’y a point de secret d’État dans Platon, dans Aristote, ni dans Tacite, qu’on ne puisse trouver dans la Sagesse et dans l’Ecclésiastique. Et je maintiens que ces deux livres peuvent enseigner aux plus grands princes la politique la plus fine et la plus délicate qui soit parmi les hommes. […] Je me suis aussi réglé sur l’Évangile pour joindre la politique nouvelle avec l’ancienne, encore que ses maximes soient indubitablement plus sévères et plus rigoureuses ; et n’est permis à personne de les adoucir, et moins encore de les changer ni les altérer44.
Cette affirmation de la profondeur politique de la Bible n’a rien d’original quand on considère la production politique du temps, mais il en ressort une très étrange compréhension du lien qui unit l’Ancien et le Nouveau Testament. Louis Machon les présente comme les lieux de théorisation d’une « ancienne » et d’une « nouvelle » politique, la seconde devant se joindre à la première, et semble par-là prendre ses distances avec la lecture figurative de la Bible traditionnellement pratiquée par les exégètes, qui 59régit pour les chrétiens la relation entre les deux Testaments. L’Apologie développe une conception pour le moins singulière de la Bible, en accord avec un projet d’ensemble fort inattendu : prouver que Machiavel a directement tiré ses préceptes politiques des exemples donnés par l’Écriture sainte. Elle présente à son lecteur « le spectacle paradoxal d’un homme d’Église qui tire de l’Écriture la justification d’une doctrine que la majorité des chrétiens a toujours repoussée avec horreur45 » ; cette justification se fait selon des modalités particulières d’emploi du texte biblique qui, en plus d’être inhabituelles, ne sont pas celles auxquelles l’auteur avait pensé en premier lieu. Car l’Apologie suggère l’existence de deux méthodes distinctes d’exploitation politique de la Bible en son sein, dont la première, expliquée à la fin du premier livre, n’aurait pas été réalisée dans le manuscrit fini :
Mon premier dessein touchant cette apologie était de mettre le texte de notre politique d’un côté de ce livre, et celui de la Bible, des Docteurs de l’Église, des Théologiens, des Canonistes, des Écrivains particuliers, et des approbateurs de cette maxime de l’autre ; et faire voir sans autre raisonnement et sans autre artifice, pas même sans aucune liaison, ni aucune conclusion de ma façon, que ce grand homme n’a rien écrit qui ne soit tiré mot pour mot, ou du moins qui ne corresponde à tout ce que ces doctes personnages en avaient dit devant lui, ou bien approuvé depuis46.
Louis Machon, on le voit, exploite pour son projet apologétique la nature d’« autorité citée47 » de la Bible. Elle n’exige, dit-il, aucun raisonnement et elle exclut les stratégies argumentatives courantes. Comme pour respecter l’autorité de sa lettre, Louis Machon ne la traduit pas quand il la cite, mais il la paraphrase48. S’il postule que la Bible est une autorité, c’est pour faire de Machiavel lui-même une autorité : la Bible se veut donc chez lui une garante49 de Machiavel, et permet en retour à Machiavel de devenir un garant du monde politique. En faisant jouer l’autorité de la Bible sur 60les comportements politiques qui y sont décrits, l’auteur entend plus largement prouver que le message politique inhérent au christianisme s’est perdu dans la mauvaise foi et l’esprit courtisan, et que Machiavel fut le premier à avoir le courage de renoncer à cette hypocrisie : s’il est détesté des chrétiens, dit-il, c’est que le geste de dévoilement qu’il a réalisé est impardonnable à leurs yeux, eux qui n’acceptent pas la représentation de ce qu’ils sont et font vraiment. C’est l’autorité de la Bible qui doit assurer auprès du public le salut de l’auteur florentin – et par la même occasion de l’auteur qui assure son apologie50. Machiavel serait, à la lumière de la Bible, la vérité originelle du christianisme déguisée et corrompue par la fausse dévotion : le christianisme serait quant à lui, à sa source même, un machiavélisme51. Bossuet tirait une Politique de l’Écriture : Machon, lui, n’en tire rien de moins que le machiavélisme.
Le plan de l’Apologie est structuré par dix maximes extraites du Discours sur la première décade de Tite-Live et dix autres du Prince, telles qu’elles étaient formulées par les anti-machiavéliens dans leurs condamnations. Un chapitre est consacré à chacune d’elles : l’extrait italien visé par la maxime est en tête, suivi de sa traduction française d’abord, d’une introduction du chanoine dans laquelle il développe ses opinions personnelles ensuite, et enfin d’une réfutation de la formulation de la maxime, appuyée et défendue grâce à de très nombreuses citations. La stratégie argumentative qui régit la plus grande partie de la démonstration repose sur le principe la rétorsion, qui consiste à dénoncer les interprétations anti-machiavéliennes en montrant, après rectification de leur formulation, que les maximes de l’auteur florentin étaient pratiquées par les personnages de l’Écriture Sainte en plus de l’être par ceux qui se disent opposés à Machiavel. Éclairée au prisme de la Bible – et donc au prisme de la vérité divine – la seule intention de Machiavel serait alors de
décri[re] les princes et leurs ministres tels qu’ils sont, mais non pas tels qu’ils devraient être ; il les considère comme des hommes et non comme des Anges ; il les contemple dedans leur chute, et non dedans l’état de leur [condition] ; 61il connait que le monde n’est qu’un brigandage, il en découvre le mal, et ne le flatte point52.
La foule de citations auxquelles le lecteur est confronté, sur laquelle l’entreprise repose, laisse perplexe quant à la nature profondément biblique du projet. Elle révèle un étrange assemblage de citations empruntées à tous les horizons de la culture savante, dont notamment, après la Bible, la patristique et la théologie, les humanités grecques et latines, la casuistique, le droit romain, le droit canon, les philosophes, les moralistes, les historiens, les controversistes et les hommes politiques. Ce sont 320 auteurs différents qui sont utilisés, parmi lesquels Jean Bodin, Juste Lipse, Montaigne, Charron, Campanella, Gabriel Naudé, François de La Mothe Le Vayer, Guez de Balzac, Érasme, Grotius, Thomas More, Hobbes, Antoine Arnauld et Pascal. La quantité des références est préférée à la qualité des citations qui les régissent, qui sont parfois de seconde ou de troisième main. Louis Machon ne se situe aucunement dans une perspective de conciliation de l’héritage humaniste avec l’héritage chrétien, comme c’était le cas chez Bossuet. S’il rassemble les deux héritages, c’est sans reconnaître la précellence de l’un ou de l’autre :
Un illustre païen [Sénèque] dit [que le parjure, qui ne peut faire de vraie injure à Dieu qui est hors de toute atteinte par sa nature céleste] est puni pour avoir voulu l’outrager comme Dieu. Sa conscience l’oblige à une réparation pénale. [De officiis, VII, 7] Cela est fondé en Droit Divin, aussi bien que dans le naturel, Moïse nous l’ordonnant dedans l’Exode, quand il dit Diis non detrahes ; je dois l’honneur au Dieu que je crois, et que je reconnais53. [Exode XXII, 28.]
Au contraire, c’est par ce moyen qu’il réalise en partie la foisonnante juxtaposition envisagée dans le projet initial, avec laquelle il s’agit coûte que coûte, peu important le désordre, de « citer le témoignage54 » d’auteurs reconnus pour transmettre leur autorité à Machiavel. Les références, hétéroclites, tant sacrées que profanes, inondent l’écriture de Machon au point de ne pas toujours être explicitées à l’aide de notes en marge. Le chanoine, érudition oblige, ne se limite pas à la seule parole divine. Il exploite son autorité sans lui réserver dans la pratique la supériorité théorique qu’il affirme sans détour au hasard d’un paragraphe :
62Après la propre autorité du dispensateur des Royaumes, et du père de la Vérité, ce serait chose inutile d’en emprunter des hommes puisqu’elles ne persuadent qu’autant que la raison le peut permettre, ou celle-ci ne reçoit plus de contradiction quand elle est une fois prononcée55.
La Bible est donc loin d’être la seule autorité citée : si elle mérite de retenir l’attention du lecteur de cette Apologie, c’est qu’elle est celle qui subit le plus grand nombre de modifications dans le cadre de cette pratique d’ensemble. Découpée et regroupée, à bien des lieues du souci syntaxique de Bossuet qui la recomposait en un discours cohérent, elle n’est nullement préservée. Deux types de modifications peuvent être identifiées : celles touchant à l’ordre du texte et celles touchant à son sens. Celles qui engagent une modification du seul ordre appellent peu de commentaire : comme chez Bossuet, c’est par souci d’efficacité argumentative et de clarté que les passages de l’Ancien et du Nouveau Testament sont regroupés de manière thématique, sans souci de respecter l’ordre des livres bibliques. Chez Machon cependant, cette juxtaposition – qui fait partie du projet initial – est poussée à l’excès. Le texte biblique est mis en chaîne avec des textes profanes, mais il l’est aussi et surtout avec lui-même sur de très longs passages qui lui sont réservés : la réfutation de la troisième maxime du Discours sur la première décade (« Qu’il faut apaiser les séditions et émotions populaires par la force et la violence ») cite sans liaison et sur près de trois folios le livre des Proverbes, les deuxième et troisième livres des Rois, et les Actes des apôtres56. Le plus souvent, la modification de l’ordre du texte est appelée pour prouver le caractère machiavélien des protagonistes de la Bible. En cela, elle permet d’introduire une modification du sens du texte. En mettant en évidence les contradictions dont ils font preuve, Louis Machon, qui refuse de faire des auteurs et des personnages bibliques de simples instruments de la volonté divine, identifie ce qui serait leur ethos, qui excède et conditionne chez lui le sens du message biblique. C’est ainsi qu’il entend prouver que le Christ a lui-même pratiqué la dixième maxime extraite du Discours sur la première décade selon laquelle « il est permis de tromper pour le bien de l’État57 » :
63Jésus-Christ a dit faussement en saint Jean (ce sont les termes dont il se sert) que les Juifs n’ont pas connu Dieu, non cognovistis eum, ego autem novi eum [Jean VIII, 55], contre ce qui est porté dedans les Psaumes de David, que Dieu a été connu en Judée ; notus in Judaea Deus, in Israel magnum nomen ejus [Ps. LXXV, 2]. En ce même chapitre […] Jésus Christ dit encore : Abraham a vu mon jour, vidit, et gavisus est. [Jean VIII, 56.] Et néanmoins, incontinent après, se contredisant soi-même il dit ; antequam Abraham fieret, ego sum ; je suis avant qu’Abraham fut fait. [ibid., 58.] Ce qui sont autant d’équivoques et de feintises dont il se servait contre les Juifs pour faire réussir les desseins qu’il avait de ruiner leur État, et leur Religion58.
Louis Machon, mis face aux contradictions de la Bible, préfère les exploiter grâce à une lecture machiavéliste plutôt que les résoudre selon la théologie traditionnelle des exégètes. En assimilant sans le dire l’équivoque morale et le mensonge, et en détachant de la perspective de la Révélation chrétienne un texte censé reposer sur elle, il parvient à donner une interprétation politique des contradictions dont les personnages de la Bible – et même le Christ – sont porteurs. Une telle pratique n’est pas sans connaître quelques contre-performances. Louis Machon érige Hérode, qui dans la Bible feint devant les mages d’adorer celui qu’il veut supprimer, en modèle d’acteur politique. Il transforme donc en modèle le responsable du massacre des Innocents, pointé du doigt par les détracteurs de Machiavel comme le modèle d’une raison d’État criminelle :
Hérode ce Roi célèbre en cruauté, après s’être informé des mages qui allaient adorer notre seigneur et de la cause qui les portait à le faire, leur dit ; Allez, informez-vous exactement de cet enfant ; et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi moi-même l’adorer. [Mt. II, 8] On voit par ce passage considérable comme ce politique alarmé joue les deux principaux personnages qui font régner les souverains, celui de la dissimulation, et l’autre de vouloir accommoder la Religion à l’État59.
Proclamant l’autorité de la Bible, Louis Machon en modifie les enseignements : il renonce aux interprétations répandues par le clergé dont il fait partie, censées en préserver une juste compréhension, pour soumettre les personnages bibliques à l’analyse machiavéliste qui entend dévoiler la vérité des comportements politiques humains. Si « la force 64contre-performante de l’exemple […] laisse rêveur60 », la radicalité de la séparation du texte sacré et de se son interprétation chrétienne traditionnelle, elle, suggère combien les exploitations politiques de la Bible à l’époque où elle faisait encore autorité peuvent tout à la fois creuser et aider à parcourir l’« abîme qui sépare tout exégète actuel de la vision […] d’un bibliste du xviie siècle61 ». L’autorité inhérente au texte biblique, une fois appliquée à l’autorité politique dont il parle, le charge d’une capacité de persuasion sans équivalent qui a encouragé l’élaboration des deux « rhétorique[s] des autorités62 » que nous avons abordées. Tournées vers l’ordre politique et fondées sur une exégèse, la « rhétorique […] anti-autoritariste et anti-auctoriale63 » de Bossuet et celle de Louis Machon, polémique et provocatrice, peuvent donc être saisies ensemble et offrir par là même au principe biblique de conciliation des contraires un champ d’action aussi inattendu que leur rapprochement.
Clément Van Hamme
CELLF 16-18
1 Sur cette crise, voir Sylvio de Franceschi, La Crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : le Saint-Siège face au prisme français (1607-1627), Rome, École française de Rome, 2009.
2 En refusant de retirer une loi restreignant les transactions immobilières de son clergé et de confier deux ecclésiastiques jugés pour délits de droit commun aux tribunaux de Rome, la République tout entière avait été excommuniée par un Interdit pontifical le 17 avril 1606. Pour lire en détail le récit de cette crise, de ses causes et de ses conséquences, voir Sylvio-Hermann de Franceschi, Raison d’État et raison d’Église : La France et l’Interdit vénitien, 1606-1607 : Aspects diplomatiques et doctrinaux, Paris, H. Champion, 2009.
3 Théologien français du xve siècle réputé pour sa participation au concile de Constance, qui y avait affirmé la supériorité des conciles nationaux et généraux sur le pape.
4 Selon le troisième sens que donne Furetière à l’autorité dans son Dictionnaire universel de 1690, soit « le témoignage d’un auteur qui a écrit, ou quelque apophtegme ou sentence d’une personne illustre qu’on cite, qu’on allègue dans un discours pour lui servir de preuve, ou d’ornement ». Le Dictionnaire d’analyse du discours (dir. Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Paris, Seuil, 2002, p. 85) la nomme « autorité citée » (l’auctoritas étant du fait de l’auctor, l’auteur), en opposition à l’« autorité montrée ».
5 Bernard Bourdin, La Genèse théologico-politique de l’État moderne, Paris, puf, 2004, p. 131.
6 Robert Bellarmin, De Romano Pontifice, cité dans Bernard Bourdin, op. cit., p. 116.
7 « Alors le Seigneur étendit sa main, toucha ma bouche, et me dit : “Je mets présentement mes paroles dans votre bouche” » (Jérémie I, 9). « Prenez un livre, et écrivez-y tout ce que je vous ai dit contre Israël et contre Juda, et contre tous les peuples, depuis le temps du règne de Josias que je vous ai parlé jusqu’à cette heure » (ibid. XXXVI, 2. Nos citations sont extraites de la traduction de Lemaistre de Sacy).
8 Voir César Cullmann, Dieu et César : le procès de Jésus, saint Paul et l’autorité, l’apocalypse et l’État totalitaire, Paris, Delachaux et Niestlé, 1956.
9 « Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures ; car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c’est lui qui a établi toutes celles qui sont sur la terre. Celui donc qui résiste aux puissances, résiste à l’ordre de Dieu ; et ceux qui y résistent, attirent la condamnation sur eux-mêmes » (Romains XIII, 1-2).
10 « L’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition : là où la force est employée, l’autorité proprement dite à échoué » (Hannah Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? », La Crise de la culture [1968], Paris, Gallimard, 1989, p. 123).
11 Constance Cagnat-Debœuf (éd.), Sermons : le Carême du Louvre 1662, Paris, Gallimard, 2001, quatrième de couverture.
12 Sainte-Beuve, Port-Royal, Paris, Hachette, 1848, t. III, p. 365.
13 Jacques Truchet, Politique de Bossuet, Paris, Armand Colin, 1966, p. 50.
14 On doit à Gérard Ferreyrolles d’avoir rendu son originalité à la pensée politique de Bossuet, dans les chapitres qu’il lui a consacrés dans un ouvrage collectif rédigé avec Béatrice Guion, Jean-Louis Quantin et Emmanuel Bury : Bossuet, Paris, pups, 2008 (Chapitres vii, viii et ix).
15 Sermon sur l’unité de l’église, Œuvres oratoires complètes, éd. Joseph Lebarq, Charles Urbain et Eugène Levesque, Lille, Desclée de Brouwer, 1905-1925, t. VI, p. 110.
16 Traité du libre arbitre, Œuvres complètes, éd. François Lachat, Paris, Louis Vivès, 1862-1866, t. XXIII, p. 451.
17 Jacques Truchet, op. cit., p. 27.
18 Sermon sur le devoir des rois, Sermons : le Carême du Louvre 1662, éd. citée, p. 233. L’avertissement au Dauphin de la Politique suit un semblable argument : « Dieu est le roi des rois : c’est à lui qu’il appartient de les instruire et de les régler comme ses ministres. Écoutez donc, Monseigneur, les leçons qu’il leur donne dans son Écriture, et apprenez de lui les règles et les exemples sur lesquels ils doivent former leur conduite » (« À Monseigneur le Dauphin », Politique, éd. citée, p. 1).
19 Ménochius, exégète jésuite, avait composé une Politique en 1625, elle aussi tirée de l’Écriture ; le duc de Montausier, gouverneur du Dauphin, des Maximes chrétiennes et politiques ; Nicole son Éducation du Prince, parue en 1670 ; le Père Le Moyne un Art de Régner en 1665 ; Guez de Balzac son Prince, en 1621.
20 Politique, VI/II/1, éd. citée, p. 192-193.
21 Nous reprenons ces statistiques d’un article de Lothar Schilling, « Bossuet, die Bibel, und der “Absolutismus” », dans Die Bibel als politisches Argument, éd. Andreas Pečar et Kai Trampedach, Munich, R. Oldenbourg, 2007, p. 349-370.
22 Politique, III/III/5, éd. citée, p. 77.
23 Politique, X/III, éd. citée, p. 409.
24 Voir supra, note 4.
25 Voir supra, note 8.
26 En théologie, la lecture figurative est celle qui voit dans un passage de l’Ancien Testament (appelé « figure ») l’annonce de la vie et du sacrifice de Jésus-Christ. Une figure biblique préfigure : c’est dans ce sens que Paul dit au Corinthiens à propos du peuple juif que « toutes [l]es choses qui leur arrivaient, étaient des figures ; et elles ont été écrites pour nous servir d’instruction » (1 Corinthiens X, 11).
27 Logique, titre du chapitre iii, 22, cité dans Anne Régent-Susini, Bossuet et la rhétorique de l’autorité, Paris, H. Champion, 2011, p. 250.
28 Anne Régent-Susini, « La mise en œuvre des citations scripturaires dans la Politique de Bossuet », Les Amis de Bossuet, bulletin no 36 (« Bossuet en politique »), 2009, p. 62-77.
29 Le passage suivant est tiré de la Politique, VII/VI/6, éd. citée, p. 277.
30 Ecclésiastique I, 10.
31 Ibid. I, 9.
32 Sagesse XI, 21.
33 Matthieu X, 30.
34 Job XIV, 5.
35 1 Rois VIII, 20. Politique, IV/I/3, éd. citée, p. 94-95.
36 « Il ne faut pas entendre que Dieu permette aux rois ce qui est porté au chapitre viii, si ce n’est dans le cas de certaines nécessités extrêmes, où le bien particulier doit être sacrifié au bien de l’État et à la conservation de ceux qui le servent. Dieu veut donc que le peuple entende que c’est au roi à juger ces cas, et que s’il excède son pouvoir, il n’en doit compte qu’à lui de sorte que le droit qu’il a n’est pas le droit de faire licitement ce qui est mauvais ; mais le droit de le faire impunément à l’égard de la justice humaine, à condition d’en répondre à la justice de Dieu, à laquelle il demeure d’autant plus sujet qu’il est plus indépendant de celle des hommes » (Cinquième avertissement aux protestants, Œuvres complètes, éd. citée, t. XV, p. 455).
37 Politique, IV/I/3, éd. citée, p. 94-95.
38 Jean Mesnard, « La monarchie de droit divin, concept anticlérical », dans Justice et force : politiques au temps de Pascal, éd. Gérard Ferreyrolles, Paris, Klincksieck, 1996, p. 115-116.
39 Factum pour Peyronne de la Carre, 1666, Archives de la Gironde, Bordeaux, G 676. Cité dans Jean-Pierre Cavaillé, Dis/simulations : Jules-César Vanini, François La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé, Louis Machon et Torquato Accetto : religion, morale et politique au xviie siècle, Paris, H. Champion, 2002, p. 269.
40 On renverra, pour connaître en détail la vie de Louis Machon, au récit qu’en a livré Raymond Céleste dans Louis Machon, apologiste de Machiavel et de la politique du cardinal de Richelieu : recherches sur sa vie et ses œuvres, Bordeaux, G. Gounouilhou, 1882.
41 Louis Machon, Traité politique sur les différents ecclésiastiques, Paris, 1643, première page.
42 Deux manuscrits existent : le premier, daté de 1643, est conservé à la B.N.F. (Fonds Français, 19046-19047), et le second, daté de 1668, se trouve à la bibliothèque municipale de Bordeaux (Réserve fonds Patrimoniaux, Ms 535). Un tapuscrit de l’exemplaire de Bordeaux a été réalisé par Pierre Angelesco (s.l., 1952, XXIV-IV-467 f., Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne, cote W4=1952-63). Le texte combiné des deux manuscrits, dont nous nous servons ici, a été mis en ligne par le grihl dans ses Dossiers (https://dossiersgrihl.revues.org/5950).
43 C’est ce que prétend la préface de l’Apologie, sans que le fait soit biographiquement vérifié : « Le Cardinal de Richelieu […] m’a fait l’honneur de me dire […] qu’il ne pouvait assez s’étonner de voir que tous ceux qui écrivaient de la politique donnaient tous atteinte à ce rare esprit, sans que pas un ait jamais eu le cœur ni le courage de défendre les maximes indispensables et raisonnables de cet écrivain solide et véritable » (Apologie, préface, fo 26).
44 Apologie, préface, fo 3.
45 Étienne Thuau, Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu [1966], Paris, Albin Michel, Bibliothèque de l’évolution de l’humanité, 2000, p. 334.
46 Apologie pour Machiavel, I, 10, fo 447.
47 Voir supra, note 4.
48 Louis Machon cite la Bible en latin. Nous reproduisons dans cet article toutes ces citations en italiques : par commodité de lecture, nous traduisons celles qui ne font pas l’objet d’une paraphrase immédiate.
49 Étymologiquement, l’auctor, détenteur de l’auctoritas, est un « protecteur, un défenseur, un garant » (Gaffiot). Chez saint Augustin, l’« autorité » est d’ailleurs synonyme de Sacra Scriptura (Cité de Dieu, 12, 3 et 1225, 31 : in nostris autoritatibus legitur…).
50 « Si mes […] discours contiennent quelque chose qui semble contraire à la doctrine catholique, apostolique, et romaine, […] je les révoque tout autant que je puis, et les désavoue de telle sorte que je les soumets entièrement à sa censure, à son examen, et à son jugement » (« Déclaration et protestation de l’auteur », Apologie, fo 946).
51 Nous reconduisons ici une des analyses proposées par la riche lecture de l’Apologie fournie par Jean-Pierre Cavaillé dans ses Dis/simulations (p. 183 sqq.). Sur l’emploi du terme « machiavélisme » au xviie siècle, voir Étienne Thuau, op. cit., p. 56 et suivantes.
52 Apologie, préface, fo 11.
53 Apologie, I, 5, fo 104.
54 Furetière. Voir note 4.
55 Apologie, I, 5, fo 87.
56 Apologie, I, 3, fo 29-31.
57 Apologie, I, 10, fo 390.
58 Apologie, I, 10, fo 412.
59 Apologie, I, 6, fo 248-249.
60 Jean-Pierre Cavaillé, op. cit., p. 321.
61 Philippe Sellier, « La Bible de Pascal », Port-Royal et la littérature I : Pascal, Paris, H. Champion, 2010, p. 94.
62 Anne Régent-Susini, op. cit., p. 31.
63 Id.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-06679-8
- EAN : 9782406066798
- ISSN : 2494-5102
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06679-8.p.0047
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/12/2016
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français