Préambule
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Présences de Remy de Gourmont
- Authors: Gillybœuf (Thierry), Gogibu (Vincent), Schuh (Julien)
- Pages: 13 to 19
- Collection: Cerisy Colloquia - Literature, n° 10
Préambule
À la mémoire de Karl D. Uitti, pionnier des recherches gourmontiennes,
de Tiziana Goruppi, éminente gourmontienne transalpine,
de Paul Gorceix, fin connaisseur de la littérature française de Belgique,
et de René Le Texier.
Les Actes rassemblés dans ce volume regroupent l’ensemble des contributions apportées d’une part lors de la journée d’études organisée par l’Université Paris VII – Denis Diderot/BnF sur le thème « (Re)lire Remy de Gourmont », et d’autre part lors du colloque international au Centre Culturel International de Cerisy consacré aux « Présences de Remy de Gourmont ». L’ensemble de ces rencontres ont été organisées dans le cadre des célébrations du centenaire de la mort de Remy de Gourmont en 2015, centenaire inscrit aux Commémorations nationales. Ces contributions forment un ensemble d’une grande cohérence et d’un intérêt tout particulier pour les études gourmontiennes, mais aussi pour la période de l’entre siècles.
Cent ans après la disparition de l’« Ours à écrire », ce volume propose de réévaluer, avec le recul permis par plusieurs années fécondes en travaux universitaires, associatifs, éditoriaux, la place de cet écrivain singulier que notre époque, qui aime les classifications bien nettes, a tant de mal à appréhender. Vingt-cinq contributions apportent des éclairages neufs sur cette œuvre plurielle, permettant de replacer Gourmont dans les courants culturels de son époque, de mesurer son influence, de préciser ce qu’il doit et ce qu’il a apporté à la littérature de la France, de l’Europe et d’ailleurs, hier et aujourd’hui, en corrigeant l’image déformée que l’histoire littéraire conserve toujours de lui.
Loin de réduire Gourmont à une image unifiée, ces travaux contribuent à en approfondir les paradoxes au sein de sa complexité, en s’intéressant à l’écrivain reclus, à moitié défiguré, qui multiplie pourtant les amitiés 14avec de nombreux auteurs, sert de maître à la jeunesse, anime de multiples revues, donne le ton dans les débats d’idées, en France mais aussi à l’échelle mondiale ; au créateur protéiforme, novateur et créatif dans le domaine romanesque, accomplissant l’appropriation de la littérature décadente latine dans la littérature moderne, telle que Des Esseintes l’avait annoncée, en définissant les conditions de l’idéalisme littéraire fin de siècle ; au concepteur de nouveaux genres journalistiques, mais dépassant le Symbolisme qu’il a contribué à légitimer dans l’espace littéraire ; à l’anarchiste des Lettres qui soutient « la qualité des canons » en 1914 ; au libre penseur et à ses tendances mystiques, défenseur d’un illusionnisme à la Villiers mais passionné par les sciences contemporaines ; à l’historien de la littérature, qui a redéfini le panthéon de son époque et a œuvré méthodiquement pour créer l’histoire à venir de la littérature de son temps.
La journée d’études « (Re)lire Remy de Gourmont », tel un préambule de choix aux commémorations du centenaire, s’est tenue le 3 avril 2015 à la bibliothèque Seebacher de l’Université Paris-VII le matin et dans le petit auditorium de la BnF l’après-midi.
Dans « La féminité gourmontienne au fil des allusions liturgiques : l’esthétique de la transsubstantiation au service du texte », Marie Kawthar Daouda révèle à quel point l’imprégnation sacramentelle et les emprunts liturgiques parsèment l’œuvre de Gourmont. Jean-Paul Morel par son « Remy de Gourmont et le cinématographe » présente l’auteur comme le premier « intellectuel cinéphile » qui accorde au cinématographe une importance paradoxale : Gourmont conserve une vision élitiste de l’Art et ne goûte guère que le cinéma constitue un divertissement pour le peuple, sans oublier qu’il ne le considère que comme un simple « moyen de reproduction mécanique ». Alexia Kalantzis présente « Remy de Gourmont “journaliste” : la chronique laboratoire des idées et des formes ». Acteur incontournable de l’édition, de la revue et de la presse, Gourmont au gré de ses publications dans les périodiques a défini par l’usage de la chronique un genre fragmentaire, lui conférant ainsi une esthétique originale. Marc Décimo analyse dans son « Marcel Duchamp, lecteur de Remy de Gourmont ? » la possible influence de Gourmont sur Duchamp, au travers des ouvrages qu’il a conservés dans sa bibliothèque, de la question de l’érotisme ou bien celle du bovarysme desquelles la dissociation n’est pas éloignée. Julien Schuh expose les liens 15de « Gourmont et l’art populaire » par une série de paradoxes (dans la droite ligne de la dissociation d’idées très gourmontienne) qui mettent aux prises les notions de culture de masse et de culture populaire, d’élitisme nietzschéen et de culture communautaire, de promotion de la singularité de cette culture tout en éprouvant ses limites. Pour inaugurer la séance de l’après-midi à la BnF, André Cariou analyse dans « Charles Filiger le fidèle » les liens qui unissent le peintre et l’écrivain : Filiger, durant les heures sombres de sa vie, a toujours trouvé chez Gourmont l’appui et le réconfort moral dont il avait besoin. Thierry Gillybœuf présente son travail sur la biographie de Gourmont, expliquant que la phase de rédaction n’est qu’une forme de l’aboutissement de plus de dix années de recherches, ponctuées de découvertes aussi régulières qu’inattendues. Si, dans la publication de ces Actes, il ne nous est pas possible de retranscrire la suite de cette après-midi, il convient néanmoins d’en rappeler le contenu. Une table ronde a réuni Thierry Gillybœuf, Vincent Gogibu, Denis Grozdanovitch et Julien Schuh. Entre chaque intervention de l’après-midi, les comédiens François-Régis Marchasson et Dominique Pinon ont lu des textes de Gourmont : parmi eux, in extenso, « Le Joujou patriotisme » (dans les murs mêmes de la BnF !), justifiant par là toute la pertinence du verbe et toute la modernité du propos gourmontien. Pour clore cette journée d’études, Michel Patient a projeté son film sur Remy de Gourmont où figurent notamment un entretien inédit avec Natalie Barney, un enregistrement de Paul Fort et des discussions avec, entre autres, Jean Chalon, Charles Dantzig et Michel Onfray.
Le colloque international « Présences de Remy de Gourmont » s’est déroulé du 1er au 4 octobre 2015 au Centre Culturel International de Cerisy sous la direction de Thierry Gillybœuf, Vincent Gogibu et Julien Schuh. Les Actes occupent ici la deuxième partie. Patrick Thériault ouvre la partie consacrée à « L’Art de la lecture » par son « Caveat lector, lecture et jouissance littéraires dans le prologue D’un pays lointain » dans lequel il développe les termes cardinaux de la conception de la lecture chez Gourmont, qui se déploie comme un véritable programme d’économie pulsionnelle et existentielle, et qui conduit par là même à une réflexion d’envergure proprement herméneutique. Gaël Prigent présente à travers son « Huysmans, (re)lecteur du Latin mystique » les nombreux points de divergence entre Huysmans et Gourmont, et expose 16clairement la dette indéniable que Huysmans a contractée à l’égard de Gourmont et qui apparaît évidente dans La Cathédrale. Dans la partie « Idéologies », Gérard Poulouin présente « Remy de Gourmont et la sainteté » où l’attention qu’il porte aux saints et saintes et étudie sous un angle académique dans Le Latin mystique, ou bien esthétique et érudit lorsqu’il s’attarde sur les légendes, les images pieuses et le folklore populaire. Plus largement ensuite, Gérard Poulouin expose comment Gourmont, mû par quelques convictions, en vient à s’opposer au protestantisme et à dénoncer l’école de la Troisième République. Thierry Gillybœuf poursuit cette réflexion dans « Gourmont ou l’anarchisme à particule » en démontrant comment Gourmont, s’il se laisse volontiers lire tel un contempteur tous azimuts de toute forme d’autorité incarnée par l’État, la société ou la religion, demeure cependant à l’opposé du mouvement anarchiste dont il peut partager certaines idées mais réprouve le modus operandi, ainsi que l’exprime son roman Le Désarroi dont Alexis Tchoudnowsky, dans « Remy de Gourmont, philosophe du désarroi ? », donne une lecture philosophique sous le regard croisé de Nietzsche et de Léon Chestov visant à révéler la singularité stylistique et théorique du roman et à en explorer les influences et congruences philosophiques. Dans la partie « Le problème du style », Philippe Geinoz s’intéresse à la facette poétique de Gourmont dans son étude « La Place du Commun : penser la fonction de la poésie après Gourmont » et s’interroge sur la redéfinition de l’image poétique, à la fois chez les poètes et les peintres au tournant des années 1910. Stéphanie Smadja dans « Remy de Gourmont et l’imaginaire du style » centre son propos sur la notion de style, liée à l’idée de littérature, et qui joue un rôle majeur dans le bouleversement des hiérarchies esthétiques et des frontières génériques qu’Antoine Albalat entendait bouleverser. La partie intitulée « L’Ymagier » permet à Cyril Barde d’exposer « Remy de Gourmont et l’Art nouveau » en soulignant les spécificités et les enjeux de la réception gourmontienne de l’Art nouveau, entre critique d’art et critique littéraire. Clément Dessy retrace dans « Quels illustrateurs pour Remy de Gourmont ? » le positionnement et la trajectoire de l’écrivain à travers ses illustrateurs contemporains dont l’œuvre participe de l’image publique que Gourmont donne à voir. Dans la partie « Défilé de masques », Colette Camelin expose par « Victor Segalen : convergences et divergences » les liens entre les deux hommes, leurs convergences esthétiques et 17philosophiques réunissant Nietzsche et Jules de Gaultier, et aussi leurs divergences, Segalen jugeant Gourmont trop journaliste. Vincent Gogibu s’attache à restituer la « Réception critique de Remy de Gourmont par Francis de Miomandre » qui fait apparaître tout un prisme de revues littéraires, françaises et européennes dans lesquelles écrit Miomandre, et qui révèle l’importance du réseau de Gourmont tout comme l’étendue de son influence. Franck Javourez esquisse une série de réflexions autour de thèmes communs à « Gourmont et Régnier, entre baveux hystérique et dahlia mélancolique » en croisant leurs poétiques respectives puis évoque l’estime et l’admiration que les deux écrivains se vouent. Dans la partie « Remy de Gourmont et la Normandie », Christian Buat étudie « Patois et français régional ciz Remy de Gourmont » et démontre la normanité de Gourmont et, partant, l’attachement profond à la langue de celui qui écrivait « C’est en fait de langage principalement qu’un peuple doit être nationaliste ». Puis, René Le Texier « À propos d’un buste. Coutances 1922 » revient sur les fêtes autour de l’inauguration du buste de Gourmont et le Pou qui grimpe, où comment la postérité régionale de Gourmont s’est concrétisée sous la forme d’un buste dans le jardin public de Coutances et a pris l’allure d’un regroupement d’amis sous le nom de Pou qui grimpe. La partie intitulée « Le journaliste » a pour ambition de présenter l’écrivain sous un autre aspect. Sandrine Schiano présente « Gourmont, médiateur, vulgarisateur et chroniqueur des sciences de son temps » et dresse le portrait d’un homme fasciné par l’évolutionnisme scientifique, grand lecteur de Jean-Henri Fabre, d’Alfred Giard et de René Quinton. Gourmont nourrit sa réflexion philosophique des avancées scientifiques et s’emploie à créer des passerelles entre les sciences et les arts. Alexia Kalantzis dans « Remy de Gourmont médiateur culturel : les petites revues et la littérature étrangère » s’attache à définir le rôle joué par Gourmont au sein des différents périodiques littéraires et artistiques dont la foisonnante diversité tisse un réseau international, et plus précisément son rôle de médiateur culturel au travers de ses chroniques de littérature étrangère parues dans des revues françaises et étrangères, son action d’intermédiaire entre les cultures. Julien Schuh dans « Gourmont et les masques : symbolisme et journalisme » reconstruit la genèse du Livre des masques et redéfinit la relation de Gourmont au monde du journalisme en expliquant par quels types de déplacements esthétiques et théoriques il configure un 18espace pour le discours des avant-gardes de son époque dans le champ médiatique fin-de-siècle.
En troisième partie, sont publiés les Actes du colloque « Remy de Gourmont. L’Ours à écrire » d’octobre 2002. Premier élan du renouveau gourmontien, ces Actes demeuraient encore inédits. À la demande d’Édith Heurgon (Directrice du CCIC) nous les publions ici, tels que transmis par les directeurs du colloque de l’époque. Aucune mise à jour des notes n’a été réalisée. Le colloque de Cerisy en 2002 a initié une forme de renouveau des études gourmontiennes dont plusieurs publications sont le fruit, comme l’atteste la bibliographie. La recherche et les publications sur et autour de Remy de Gourmont ont, en quelque quinze ans, élargi considérablement les pistes de réflexion.
L’ensemble ainsi formé offre au lecteur un matériau de choix pour l’étude de l’œuvre de Remy de Gourmont. On perçoit dans cette œuvre diverse et protéiforme toute la richesse mais aussi le paradoxe d’un auteur qui emprunte à tous les genres. Son influence sur ses contemporains français et étrangers est clairement établie, une influence grandement servie par le Mercure de France les rendant indissociables l’un de l’autre. La postérité ne garde de Gourmont qu’un souvenir vaporeux et plusieurs raisons sont à invoquer à cela. En premier lieu Gourmont meurt assez jeune, en septembre 1915, au beau milieu du premier conflit mondial. Vient ensuite son œuvre rendue complexe par sa diversité, offrant dès lors peu de prise à toute volonté de « classement ». Gourmont n’est ni un symboliste, ni un avant-garde, ni un néo-classique, ni un romancier, ni un poète mais avant tout un critique. Il est aussi et à la fois chacune des précédentes assertions en ce que son œuvre annonce et préfigure par maints aspects la littérature en devenir. S’il clôt l’ère symboliste par son roman Sixtine, qui en reprend tous les codes pour mieux s’en départir, mais aussi par le Livre des masques, ce très élégant « who’s who » illustré par Vallotton qui offre un instantané d’une génération d’écrivains appelés eux-aussi, et pour la plupart, à se renouveler. Vient encore le mépris de Gourmont pour tous les « hochets de la vanité », suivi par une indépendance farouche et un idéalisme certain. Sans oublier le désintérêt de l’Université pour son œuvre, il est avéré qu’une postérité est gradement servie par les canons académiques. Et bien sûr André Gide qui, voyant en Gourmont à la fois trop et pas assez de lui-même, se mit en tête de l’abhorrer ouvertement d’autant plus qu’au Mercure la place 19était prise. La force de Gourmont est d’avoir été partout et nulle part, d’avoir conservé son esprit critique en dépit de tout, d’être un acteur du monde des revues parmi les plus prolifiques, d’être un romancier, un journaliste, un critique et un poète tout à la fois. La force de Gourmont est d’avoir porté la réflexion et la langue française au plus haut.
Relire Gourmont aujourd’hui revient à sauter du train en marge. Du train des certitudes. De cet express régional desservant les gares de Cliché, Pensée Unique, Bien Pensance, Idée Générale, Croyance ou Bêtise. Lire Gourmont revient à mettre son esprit à l’épreuve de sa méthode, la dissociation des idées, sorte de maïeutique socratique à la sauce normande. Gourmont est un agitateur d’idées, un penseur libre que d’aucuns qualifient de « créateur de valeurs » (Uitti) comme de « sophiste étincelant » (Ch. Buat) voire d’« encrier » (Maeterlinck) ou de « répugnant polygraphe » (Claudel).
Nous renvoyons les lecteurs, pour tout complément bibliographique ou biographique, au site très complet www.remydegourmont.org de Christian Buat.
Thierry Gillybœuf,
Vincent Gogibu & Julien Schuh
Nous remercions le Ministère de la Culture et la Commission aux Célébrations nationales, M. François Nida (BnF) ; MM. François-Régis Marchasson et Dominique Pinon ; M. Jean-Baptiste Auzel (Directeur des Archives Départementales de la Manche). Au nom du directeur du colloque de 2002 : M. Gilles Désiré Dit Gosset, (Dir. des Archives Dép. de la Manche en 2002).
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-10676-0
- EAN: 9782406106760
- ISSN: 2495-2788
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10676-0.p.0013
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-24-2021
- Language: French