Biographie de Pierre Guyotat

Biographie de Pierre Guyotat

Né en 1940 d’un père médecin de campagne, à Bourg-Argental (Loire), et d’une mère née en Pologne près de Cracovie, Pierre Guyotat fait des études secondaires dans des pensionnats catholiques, après une petite enfance marquée par l’engagement souvent tragique de membres de sa famille dans la Résistance et dans la France libre. En même temps qu’il peint, il commence à écrire à l’âge de quatorze ans. À seize ans, il envoie ses poèmes à René Char, qui lui répond et l’encourage. À dix-neuf ans, encore mineur, un an après la mort de sa mère, il s’enfuit à Paris où, tout en continuant d’écrire, il fait plusieurs petits métiers. Il envoie un premier texte à Jean Cayrol qui en perçoit aussitôt la valeur prémonitoire.

Pierre Guyotat écrit sa première fiction, Sur un cheval, en 1960. Le livre est publié au Seuil en 1961, dans la collection « Écrire », créée et dirigée par Jean Cayrol, où l’on trouve aussi les premiers textes de Philippe Sollers et de Régis Debray. Appelé en Algérie, en 1960, il est arrêté, interrogé pendant dix jours par la Sécurité militaire et inculpé d’atteinte au moral de l’armée, de complicité de désertion et de possession de livres et de journaux interdits. Après trois mois de cachot « au secret », au printemps 1962, il est transféré dans une unité disciplinaire. De retour à Paris, lecteur aux éditions du Seuil, il publie des articles dans Arts et spectacles puis dans France Observateur, où il entre en 1964 comme responsable des pages culturelles de l’hebdomadaire qui devient Le Nouvel Observateur.

En 1964, paraît Ashby (Le Seuil), prix Alfred-Née de l’Académie française. Guyotat travaille alors à Tombeau pour cinq cent mille soldats, dont il rédige la deuxième partie en Bretagne, à Raguénez-en-Névez, dans la maison de son grand-oncle Charles Viannay, chirurgien, ami de Georges Duhamel depuis la Première Guerre mondiale et dédicataire de Civilisation. Refusé par les éditions du Seuil, Tombeau pour cinq cent mille 236soldats paraît aux éditions Gallimard en 1967. Le livre connaît un grand retentissement : « Monsieur Guyotat n’est pas sans génie. C’est un génie quelque peu systématique et brutal mais qui mérite d’être encouragé » (Jean Paulhan). Michel Foucault lui écrit : « … J’ai l’impression (et je ne suis pas le seul) que vous avez écrit là un des livres fondamentaux de notre époque : l’histoire immobile comme la pluie, indéfiniment itérative, de l’Occident au xxe siècle ». Guyotat se lie alors d’amitié avec Philippe Sollers et Jacques Henric et fréquente le groupe Tel Quel, dont il se détachera peu à peu à partir de 1973. Par l’intermédiaire de Jacques Henric, à la même époque, il fait la connaissance de Catherine Millet. En juillet 1967, il est invité par Fidel Castro à Cuba, avec nombre d’écrivains et d’artistes. Un poème de Pierre Guyotat, illustré par le peintre Wifredo Lam, paraît dans le cahier Insolation no 3, aux éditions Fata Morgana, en décembre 1968. Ayant participé à la création de l’Union des écrivains de France, Pierre Guyotat adhère au Parti communiste, après avoir entendu un discours du général de Gaulle accusant ce parti de subversion. Il en démissionne en 1972.

Jusqu’au milieu des années 1970, Guyotat fait de nombreux séjours en Algérie et au Sahara. En 1970, Éden, Éden, Éden paraît chez Gallimard avec les préfaces de Michel Leiris, Roland Barthes et Philippe Sollers. Le livre est aussitôt interdit à l’affichage, à la publicité et à la vente aux mineurs. Une pétition internationale de soutien à l’ouvrage circule (signée notamment par Pier Paolo Pasolini, Jean-Paul Sartre, Pierre Boulez, Joseph Beuys, Pierre Dac, Jean Genet, Joseph Kessel, Maurice Blanchot, Max Ernst, Italo Calvino, Jacques Monod, Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute…). François Mitterrand, dans une communication orale à l’Assemblée, et Georges Pompidou, alors président de la République, dans une lettre à son ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, interviennent en faveur de l’ouvrage, mais l’interdiction n’est pas levée. Le jury du prix Médicis, à une voix près, couronne un autre livre et Claude Simon, membre du jury et grand soutien de l’œuvre de Pierre Guyotat, démissionne. L’interdiction du livre ne sera levée qu’en novembre 1981.

En 1973, Bond en avant, écrit pour la scène, est créé aux Rencontres internationales de musique contemporaine de La Rochelle avec Christian Rist, Marcel Bozonnet, Jean-Baptiste Malartre et François Kuki, puis repris à La Cartoucherie de Vincennes avec Alain Ollivier et François Kuki seulement. Durant cette période, Guyotat intervient publiquement, 237notamment pour les immigrés (interventions dans les journaux et au procès en assises de Mohammed Laïd Moussa inculpé d’homicide volontaire, puis assassiné après sa sortie de prison en mars 1975). Prostitution, qui intègre le texte de Bond en avant, paraît chez Gallimard en 1975. Ce livre marque le début d’une transformation de la langue qui durera toute sa vie. La même année, il écrit « Vive les bouchères de l’interdit » (Libération, 13 juin 1975), en soutien aux prostituées qui occupent l’église Saint-Nizier à Lyon, qu’il filme avec ses amis Carole et Paul Roussopoulos (Les Prostituées de Lyon parlent, 1975). En 1976, il écrit, pour le catalogue de l’exposition de l’artiste allemand Klaus Rinke, élève de Joseph Beuys, à Paris, un texte qui, augmenté, deviendra La Découverte de la logique.

De 1977 à 1981, le travail sur Le Livre et Histoires de Samora Machel (encore inédit) le mobilise tant que sa santé se dégrade. Début décembre 1981, au moment où Tombeau pour cinq cent mille soldats est joué dans une mise en scène d’Antoine Vitez au Théâtre national de Chaillot, Guyotat, tombé dans le coma, est hospitalisé en réanimation à l’hôpital Broussais. Après une période de dépression, il ne retrouve sa pleine santé qu’à l’été 1983. Il fera le récit de cette période critique dans Coma, en 2006.

En 1984, paraissent Le Livre (qui fera l’objet de nombreuses lectures-performances par l’auteur en Europe et en Amérique du Nord) et Vivre, recueil de textes et d’entretiens. En 1986, Michel Guy, directeur du Festival d’Automne, lui commande un texte pour la scène, Bivouac, que montera son ami Alain Ollivier. Pour ce même festival, Guyotat donne deux séries d’improvisations publiques, en 1989 et 1992. Au printemps 1988, avec le peintre Sam Francis, Pierre Guyotat travaille à Los Angeles à un livre d’artiste dont il écrit le texte : Wanted Female. En 1989, Ludwig Trovato réalise avec Jean-Pierre Thibaudat le film Pierre Guyotat : 52 minutes dans la langue, diffusé à la télévision dans l’émission Océaniques. En 1990, le président François Mitterrand commande à des artistes, pour le grand hall de la future Bibliothèque nationale de France à Tolbiac, des portraits de quelques personnalités contemporaines : le portrait de Pierre Guyotat est peint par Bernard Dufour. En 1997, Guyotat écrit le texte d’un spectacle de danse de Bernardo Montet, Issê Timossé, qu’il récite sur scène au milieu des danseurs (festival de Montpellier Danse et Théâtre de la Ville, à Paris).

Tout en continuant à travailler à de nombreux textes inédits, Pierre Guyotat commence la rédaction de Progénitures, dont la première et la 238deuxième partie paraissent chez Gallimard en 2000 accompagnées d’un CD d’une lecture par l’auteur. Un extrait est intégré par Jean-Luc Godard dans son film De l’origine du xxe siècle. De 2001 à 2004, Pierre Guyotat est nommé professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’université Paris VIII. Il y fait des lectures commentées de textes de la littérature française et étrangère depuis le Moyen Âge jusqu’à Paul Claudel, devant des étudiants, étrangers principalement, de premier cycle. En 2004, Guyotat fait don de ses archives à la Bibliothèque nationale de France, où elles sont conservées au département des Manuscrits. En 2005, paraissent les Carnets de bord (volume 1, 1962-1969). Après la parution de Coma (prix Décembre, 2006), Pierre Guyotat écrit Formation (2007), récit de ses premières années, dans lequel il revient longuement sur l’action de certains membres de sa famille dans la Résistance (Philippe Viannay et sa femme, Hélène, Suzanne Guyotat, Hubert Viannay). Les 11 et 12 mai 2007, un colloque international, intitulé Pierre Guyotat : motricités, organisé par Catherine Brun, ponctué d’une lecture de textes par Denis Lavant, se tient à la Bibliothèque nationale de France. Les textes des interventions feront l’objet d’une publication dans la revue Europe (no 961, mai 2009). Arrière-fond paraît en 2010 : « Plutôt que de reprendre le courant chronologique de Formation, j’ai procédé ici par journées souvent longues et suivies de leurs nuits, comprises entre la fin de juin et la fin d’août de l’année 1955. » En 2008-2010, Patrice Chéreau réalise une lecture-spectacle de Coma à Salonique, Rome puis Paris (théâtre de l’Odéon, musée du Louvre). Le spectacle sera repris à New York, Montréal et au festival d’Avignon, entre 2012 et 2014. En 2014, Pierre Guyotat est l’invité du festival Manifeste organisé par l’Ircam, à Paris, tandis que paraît Joyeux Animaux de la misère, texte de fiction qui met en scène une mégalopole, elle-même constituée de sept mégapoles dans l’une desquelles se trouvent un district « chaud » et son bordel. Une suite paraît en 2016 intitulée Par la main dans les Enfers. En 2016, paraissent un livre d’entretiens avec Donatien Grau, intitulé Humains par hasard et un numéro de la revue Critique (no 824-825) dirigé par Donatien Grau, contenant deux inédits, La Prison et Parlerie du rat. Idiotie, récit de la jeunesse de Pierre Guyotat, de son arrivée à Paris à l’épisode algérien, paraît en 2018 (aux éditions Grasset). Le livre est couronné par le prix Médicis.

Les années 2010-2020 coïncident avec le développement d’une importante œuvre graphique, plusieurs fois exposée. Du 22 avril au 12 juin 2392016, l’exposition Pierre Guyotat : la matière de nos œuvres, confrontant manuscrits, dessins et photographies de l’auteur à des œuvres d’artistes contemporains, se tient à la galerie Azzedine Alaïa, à Paris. En 2017, une exposition de dessins de Pierre Guyotat, accompagnés du manuscrit du Livre, se tient à la galerie Cabinet, à Londres (une première exposition avait eu lieu dans cette même galerie au printemps 1995). À cette occasion, un coffret est publié comprenant le vinyle de l’enregistrement du Livre par l’auteur, fin août 1979, et un livret d’accompagnement illustré. Deux dessins de Pierre Guyotat sont aussi exposés à ArtBasel sur le stand de la galerie Cabinet. Le 19 octobre 2017, à la galerie Azzedine Alaïa, à Paris, une lecture de Tombeau pour cinq cent mille soldats est organisée pour le cinquantième anniversaire de la parution du texte. Cette lecture était accompagnée d’un accrochage de dessins récents de Pierre Guyotat. En 2018, une exposition de nouveaux dessins, intitulée Mes figures ?, est organisée à la galerie-librairie Yvon Lambert, à Paris. La même année, l’exposition Figuren und andere Stimmen. Pierre Guyotat se tient à l’espace Diaphanes, à Berlin, à l’occasion de la parution des traductions en allemand de Coma et Arrière-fond. Des dessins sont également exposés à la Villa Médicis, à Rome, dans l’exposition Le Violon d’Ingres. Du 2 février au 30 mars 2019, l’exposition Scenes and stages présente un large choix de dessins de Pierre Guyotat et de Christoph von Weyhe à la galerie The Box, à Los Angeles. Du 26 mai au 25 juillet 2020, une exposition de dessins est organisée à la galerie Xavier Hufkens, à Bruxelles.

Pierre Guyotat a donné de nombreuses lectures-performances de son œuvre : au CIPM de Marseille (dernières pages de Progénitures, 2000), au Japon (Prostitution, avec la participation du danseur de butô Tanaka Min, 2005), à New York, San Francisco et Los Angeles (2011), à Paris (Indépendance, 2012), à Berlin (2016).

Pierre Guyotat est mort à Paris dans la nuit du 6 au 7 février 2020. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Le 9 septembre 2020, une lecture intégrale d’Éden, Éden, Éden est réalisée à la librairie Les Cahiers de Colette, à Paris, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la parution du livre, tandis que des lectures d’extraits du texte et des performances sont organisées dans cinquante lieux à travers le monde. En février 2021, un numéro spécial de la revue Lignes rassemble une quarantaine de contributions, sous la direction de Michel Surya et de Donatien Grau.

L’œuvre est traduite en allemand, en anglais (Royaume-Uni / États-Unis), en espagnol (Espagne / Mexique), en italien, en japonais, en néerlandais et en russe. Des traductions en arabe et en chinois sont en cours. Les films du réalisateur Jacques Kébadian, qui a capté les interventions et les séances de travail de Pierre Guyotat, sont en majorité conservés au département de l’Audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France. En 2021, l’intégralité de l’œuvre graphique de Pierre Guyotat, incluant un important fonds inédit de calques, fait l’objet d’une donation au centre Pompidou. Patrick Bouchain crée Clic-Clac, regard sur le cabinet de vie et de travail de Pierre Guyotat, tandis que l’artiste haïtien-américain Andy Robert se voit confier le matériel de dessin de Guyotat pour perpétuer le travail de création et de recherche de nouvelles formes d’expression.

Guillaume Fau

(2021)