[Introduction]
- Publication type: Book chapter
- Book: Petites mémoires et écriture du quotidien. Cortázar, Perec et leurs échos contemporains
- Pages: 25 to 26
- Collection: Literature, History, Politics, n° 44
Après quelques tours du monde, seule la banalité m’intéresse encore.
Chris Marker, Sans soleil (1983)
Comment définir le « quotidien » ? Tout ce qui est accessible, compréhensible et familier en raison de sa récurrence, de son caractère répétitif, cyclique ou linéal peut être désigné par cette notion. La fréquentation habituelle dans notre environnement immédiat fait advenir ce rapport familier sous la forme de l’accoutumance. Le quotidien apparaît, en ce sens, plutôt comme un mode de manifestation qu’une qualité intrinsèque des phénomènes. Il est aussi lié à des formes de connaissance pratiques et expérimentales, basées sur notre expérience directe du monde. Articulant les dimensions individuelle et subjective mais aussi sociale et collective, le quotidien inscrit nos pratiques journalières dans une dimension socio-historique plus large.
Trois tendances majeures semblent se dégager du tournant vers le quotidien chez Georges Perec et Julio Cortázar. Tout d’abord, une tendance critique qui réfléchit sur les limites du réalisme et les modalités littéraires d’incorporation du réel dans les œuvres. Des notions comme celle d’« infra-ordinaire » de Perec ou celle du « fantastique quotidien » chez Cortázar sont des manifestations de cet intérêt critique. Les écrivains contestent ainsi le fonctionnalisme et l’obsolescence programmée des choses dans la société de consommation. De même, le désir de bouleverser les perceptions ankylosées par un dépaysement du regard devient un motif récurrent dans leurs œuvres. Dans un deuxième temps, entre 1960 et le début des années 1970, la thématique du quotidien évolue vers un stade ludique. Les écrivains s’intéressent désormais à des « tactiques », « manières de faire » et « stratégies1 » pour ruser avec le quotidien. Les « travaux pratiques » et les « modes d’emploi » de Perec mais aussi 26les « instructions » de Cortázar sont des exemples de cette approche ludique. Finalement, un volet davantage politique du quotidien prend forme dans les textes écrits entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Cette dernière voie sera abordée dans la quatrième partie de cette étude, notamment à partir de l’imbrication entre fiction et documentation. Commençons par déffricher le panorama critique et littéraire qui encadre la production de nos auteurs.
1 Il s’agit de la terminologie des « arts de faire » utilisée par Michel de Certeau dans L’invention du quotidien (1980) [Nouvelle édition établie et présentée par L. Giard], Paris, Gallimard, 1990.