Introduction à la première partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Paul Léautaud, l’écrivain paradoxal
- Pages : 27 à 28
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 118
Introduction
à la première partie
De toutes les professions, dites libérales, il n’en est pas une, une seule, entendez-vous ? qui soit plus rude, plus décevante que la profession littéraire ! Sur mille qui combattent la plume à la main, un seul arrive, je ne dis pas à la gloire, mais à la réputation, ce fantôme de la gloire.
Baron Tanneguy de Wogan, Manuel des gens de lettres.
Faut-il considérer, comme a pu l’écrire Edmond Jaloux, que Paul Léautaud est un « mémorialiste qui n’a rien vu » ? Philippe Sénart, dans ses Chemins critiques, écrit même qu’« il ne sort pas de son “placard”1 » et qu’« il n’y cohabite, dans la solitude, qu’avec les rêves et les livres2 ». Si les grands événements historiques semblent lui échapper3, il s’intéresse cependant aux petits accidents du quotidien, ceux qu’on traite en une des journaux ou qu’on renvoie dans les échos. Il observe ses contemporains, parfois pour mieux les mépriser, et ne manque pas une occasion de montrer les innombrables travers des hommes de lettres dans le champ littéraire. Léautaud n’est pas le solitaire rêveur dont on nous a bien souvent dressé le portrait, passant sous silence, grâce à cette image commode 28mais fausse, le fait que son témoignage est l’un des plus riches qu’on ait sur cette époque. Ses observations sont cependant soumises à la place qu’il occupe dans le champ littéraire. Son entrée au Mercure en tant que secrétaire de rédaction va lui permettre de nourrir les pages de son Journal littéraire. Il n’a pas, dit-il, voulu « témoigner pour une époque », mais « montrer des hommes ». Cependant montrer les hommes, c’est déjà peindre une époque.
Les pages du Journal littéraire, si elles témoignent, même partiellement, du bouleversement du champ littéraire à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, permettent aussi, par l’entremise du regard aiguisé de l’écrivain du Mercure de France, de dresser une spectrographie du champ littéraire conçu comme champ éditorial. Léautaud, au moyen de catégorisations qui lui sont propres, de taxinomies sauvages faites au fil de la plume, dresse un portrait de cette ménagerie littéraire à laquelle il prétend ne pas appartenir.
1 Philippe Sénart, Chemins critiques, Paris, Plon, 1966, p. 138.
2 Idem.
3 Comme l’écrit Philippe Sénart, « le point de vue de la raison, c’est, chez Léautaud, le point de vue de Fontenay-aux-Roses » (Philippe Sénart, op. cit., p. 147). Le point de vue de Léautaud manque certes un peu d’ampleur, notamment au moment de la Première Guerre mondiale. Sa vision des événements de la Seconde Guerre mondiale n’est cependant pas sans intérêt. On se reportera à la thèse de Jean-Christophe Teyssier, Paul Léautaud : un écrivain en guerre (1939-1945), soutenue en 2000 à l’Université Paris X.