Foreword
- Publication type: Journal article
- Journal: Parade sauvage Revue d’études rimbaldiennes
2021, n° 32. varia - Authors: Saint-Amand (Denis), St. Clair (Robert)
- Pages: 11 to 13
- Journal: Parade sauvage (Wild Parade)
Avant-propos
En ouverture de la précédente livraison, nous revenions sur l’année qui s’achevait après avoir bouleversé nos repères, nos modes de sociabilité, nos échanges, nos façons de vivre et manières d’être, en espérant que l’espace des possibles de 2021 serait plus ouvert : ce ne fut hélas pas vraiment le cas, et l’ardente patience de découvrir le « monde d’après » semble désormais faire place à une prudence résignée. L’an dernier, nous célébrions les 150 ans des débuts rimbaldiens, depuis les tentatives de se faufiler parmi les Parnassiens jusqu’au séjour prolifique à Douai en passant par celui, plus frustrant, à Mazas. Cette année, il nous paraissait logique de poursuivre le sillon en célébrant le cent-cinquantenaire d’une année qualifiée par Victor Hugo de « terrible », mais qui se révèle peut-être l’une des plus cruciales pour l’histoire de la littérature française : si elle a vu naître Marcel Proust et Les Rougon-Macquart, 1871 est prolifique et décisive pour Arthur Rimbaud : c’est l’année des départs à pied vers un Paris en pleine ébullition révolutionnaire (« chaque libraire [a] son siège […] telle était la littérature du 25 février au 10 mars… ») ; c’est l’année donc des furieux désirs de se déterritorialiser : de se faire autre, de partir vers un ailleurs où le poète de dix-sept ans n’aurait plus cette impression de végéter tel un grotesque assis d’une province que l’on « ne trouve pas » (ou, disons, un « ange aux mains d’un barbier » se soulageant sur les fleurs les plus fines de la rhétorique et du vers). Mais c’est aussi l’année des ruptures poétiques : des deux lettres dites « du voyant », surtout, où s’énonce avec ferveur un art poétique aussi énergique qu’intransigeant et à tant d’égards engagé dans sa situation sociale et historique. (Que l’on n’oublie pas que, dans ces lettres des 13 et 15 mai, les poèmes qui accompagnent – sans doute à titre d’illustration – la théorie du dérèglement révolutionnaire des sens poétiques sont présentés comme des « psaumes d’actualité ».) L’année de la Commune de Paris – du « glorieux 18 Mars » jusqu’aux atrocités de la Semaine sanglante – qui 12marquera le devenir du poète de façon décisive et dont l’imaginaire innervera la totalité de son œuvre. 1871 marque pour Rimbaud l’année de la découverte – enfin ! – du milieu littéraire parisien, sur invitation de Verlaine, mais aussi de la déception aiguë provoquée par ce cadre où le jeune provincial comprend rapidement qu’il ne trouvera pas sa place ; c’est l’année du Zutisme, alternative secrète et potache au dogmatisme parnassien et au sein duquel Rimbaud, en compagnie de Verlaine, se dévoile plus zutiste que le Cercle lui-même ; l’année de l’exceptionnel « Bateau ivre », qui montre à qui sait les lire les traces de la répression versaillaise autant que la démonstration d’une maturité poétique ; l’année de ces « Voyelles » colorées si déroutantes et propices aux essais herméneutiques – une année riche et pleine au centre de la majeure partie des contributions de ce numéro, que nourrissent aussi des études sur les Illuminations, sur les rapports entre Rimbaud et John Ashbery ou sur le mystérieux Jef Rosman, peintre présumé d’un portrait du poète.
Au moment de composer cet avant-propos, il nous faut toutefois dire combien l’énergie et l’enthousiasme mis au service de la revue ont été bousculés par l’annonce de la disparition de Yann Frémy, ancien codirecteur de Paradesauvage, collègue brillant et, surtout, notre ami. L’esprit de partage, de curiosité et de générosité éditoriale, ainsi que sa finesse herméneutique n’ont cessé de nourrir les études verlainiennes et rimbaldiennes depuis deux décennies. Responsable avec Seth Whidden de Paradesauvage et de la Revue Verlaine, commentateur éclairé d’Une saison en enfer (auteur de l’essai « Te voilà, c’est la force » et directeur du collectif « Je m’évade ! Je m’explique. Résistances d’Une saison en enfer »), codirecteur avec Solenn Dupas et Henri Scepi d’Unconcertd’enfer, passionnante édition croisée des œuvres de Rimbaud et Verlaine, puis, avec Adrien Cavallaro et Alain Vaillant, de l’entreprise collective du Dictionnaire Rimbaud, Yann fut une véritable « main amie » au fil des ans pour une communauté de chercheurs et de chercheuses, d’artistes et d’écrivains et d’écrivaines s’étendant de la France au Japon en passant par l’Amérique du Nord ou le Royaume-Uni. S’il s’est brutalement éteint, ses travaux continueront de nous éclairer dans les pages de cette revue, dans nos propres recherches et dans celles des rimbaldiens et rimbaldiennes à venir, tandis que le souvenir de son rire nous aidera bientôt à dissiper la grisaille. Nous 13dédions le présent numéro à la mémoire vivante de ce collègue et ami que nous regrettons tant.
Denis Saint-Amand
et Robert St. Clair
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-12727-7
- EAN: 9782406127277
- ISSN: 2262-2268
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12727-7.p.0011
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-09-2022
- Periodicity: Annual
- Language: French