Notice sur Les Deux Maîtresses
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Nouvelles
- Pages : 57 à 59
- Collection : Classiques Jaunes, n° 759
- Série : Littératures francophones
Notice sur Les Deux Maîtresses
Cette nouvelle paraît dans la Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1837. Elle est placée en tête du premier volume de l’édition originale des nouvelles (Dumont 1840) auquel elle fournit le titre. C’est en réalité la deuxième publiée par Musset, trois mois après Emmeline. L’édition en un volume chez Charpentier, en 1841, suivra la même organisation et adoptera le simple titre de Nouvelles.
Comme dans la fiction, les amours de Musset ont souvent fonctionné par paires, des premiers émois de l’adolescent en vacances auprès des sœurs Le Douairin, à l’admiration mêlée de désir de l’homme adulte pour deux célébrités de la scène, l’actrice Rachel et la cantatrice Pauline Garcia, courtisées par l’auteur des Deux Maîtresses1.
Deux œuvres ont pu également inspirer Musset : un récit de Gautier Celle-ci et celle-là2, où le héros est partagé entre son caprice pour une femme du monde et l’amour pour sa servante Mariette, et une comédie en un acte de Félix Arvers, représentée au théâtre du Vaudeville le 15 mars 1836, et intitulée déjà Les Deux Maîtresses3. Comme dans le récit de Gautier, et comme dans la nouvelle de Musset, cette pièce joue sur l’opposition sociale des personnages féminins : deux amis, Célestin et Arthur, sont amoureux respectivement d’une modiste à son compte et d’une veuve de vingt-quatre ans qui ruine son amant. L’opposition de la grisette et de la femme du monde n’est pas sans rapport avec notre histoire.
58Le personnage de Valentin réactualise le thème du double – de la duplicité aussi – si souvent présent dans l’œuvre de Musset. Les couples antithétiques que représentaient Octave et Cœlio dans Les Caprices de Marianne, Smith et Desgenais dans La Confession d’un enfant du siècle, reproduisaient les deux facettes de l’auteur, l’aspiration à l’idéal et l’attrait de la débauche. Dans Les Deux Maîtresses, le dédoublement du personnage se concrétise par la rencontre de deux femmes que tout oppose sauf la ressemblance physique. D’un côté l’attirance pour la vie mondaine, ses plaisirs et ses caprices ; de l’autre, le désir d’une relation durable, sincère et paisible. Si la nouvelle est placée sous le signe du roman libertin – la double quête amoureuse –, ce n’est guère qu’une « nostalgie libertine4 ». Les interventions du narrateur placent Valentin dans une distance stendhalienne à la fois affectueuse et ironique : comme son homonyme d’Il ne faut jurer de rien, « notre étourdi » s’imagine être ce qu’il n’est pas, un libertin. Que penser de ce dandy qui joue au séducteur capable d’infidélité, mais incapable de mensonge ? Que dire d’un roué qui serait, comme « notre héros », ému « jusqu’au fond du cœur » par la simplicité du langage utilisé par Mme Delaunay quand elle se croit trompée ? Le temps du libertinage est bien fini, et ce n’est pas la vie aventureuse avec la coquette marquise de Parnes que choisira le héros, mais le calme d’une vie sédentaire auprès de la sage Mme Delaunay.
Choix de l’amour sincère, qui seul peut en même temps assurer le bonheur du héros et satisfaire la mère de celui-ci ? Choix ô combien bourgeois, comme le remarquait déjà Balzac5 ; décision peu « romantique », si l’on entend par là les transports de l’esprit et des sens qui brisent les barrières sociales et morales, les tourments de la passion ou de la jalousie, jusqu’au crime ou au suicide à deux, qui ponctuaient les Contes d’Espagne et d’Italie et les Premières Poésies. Le lecteur ne manquera pas de penser que cette Mme Delaunay, avec sa « bonté », sa « tendresse » et sa « candeur », version affadie de la jeune-veuve-libre-mais-vertueuse qu’était la Brigitte Pierson de la Confession d’un enfant du siècle, dont l’univers se limite à une armoire, une fenêtre et un fauteuil, et qui brode en compagnie de sa vieille mère et de son petit chien, réserve au « jeune étourdi » un avenir aussi exaltant que les soirées qu’il passe déjà auprès d’elles.
59Le ton semble donné : les héros des Nouvelles évolueront dans un univers très éloigné de celui de leurs ancêtres libertins auxquels ils aiment parfois se comparer ; mais ils seront aussi bien différents de leurs frères aînés romantiques, dont on se souviendra peut-être avec nostalgie.
1 Sur les amours doubles de Musset, voir Frank Lestringant, Alfred deMusset, Paris, Flammarion, 1999, ch. xi, p. 353-390 etpassim.
2 Théophile Gautier, Celle-ci et celle-là, dans Les Jeunes-France, Œuvres, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1995 (première publication en 1833). Voir l’article de F. Court-Pérez (cité dans la bibliographie).
3 Félix Arvers, Les Deux Maîtresses, Paris, J.-N. Barba, Libraire, 1836. Cette source était signalée par Maurice Clouard : « Le sujet de la pièce n’a aucun rapport avec le conte de Musset. Toutefois on y trouvait quelques idées communes sur la maîtresse pauvre et sur la maîtresse riche. » (L’Œuvre de Alfred de Musset II, fonds Spoelberch de Lovenjoul, F 1014, f. 39-40.)
4 ValentinaPonzetto, Musset ou la nostalgie libertine, Genève, Droz, 2007.
5 Voir l’annexe III, p. 382.
- Thème CLIL : 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
- ISBN : 978-2-406-14306-2
- EAN : 9782406143062
- ISSN : 2417-6400
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14306-2.p.0057
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/02/2023
- Langue : Français