Notice sur Croisilles
- Publication type: Book chapter
- Book: Nouvelles
- Pages: 287 to 288
- Collection: Classiques Jaunes (The 'Yellow' Collection), n° 759
- Series: Littératures francophones
Notice sur Croisilles
Avec Croisilles, qui parut le 1er février 1839 dans la Revue des Deux Mondes, se termine la série des six nouvelles « plus tard réunies en volume1 ». Balzac porta ce jugement sans appel : « Croisilles n’est ni une esquisse, ni une nouvelle, ce n’est rien2 ». Sans faire de ce récit un chef-d’œuvre, on peut être plus indulgent. Le personnage principal, Croisilles, qui ressemble par certains traits aux héros des premières nouvelles et annonce le couple farfelu du proverbe On ne saurait penser à tout, est attachant par sa malchance et son ignorance absolue des réalités. Son caractère permet des scènes cocasses, comme celle où il se rend chez le financier pour lui demander la main de sa fille. Le personnage de la blasée Julie (peut-être inspiré par Adine Jaubert, la fille de « la marraine3 »), à qui revient le mérite de dénouer l’intrigue, n’est pas non plus sans intérêt. Julie rappelle Mme de Léry, dans Un caprice, qui passe d’abord pour une coquette écervelée, mais se révèle pleine de finesse et de bon sens. Comme elle, et comme de nombreuses femmes dans l’œuvre de Musset, Julie tient entre ses mains les fils du destin des personnages.
Musset eut beaucoup de mal à achever cette nouvelle, comme le prouve sa correspondance. La fin est précipitée, pour ne pas dire bâclée. Ironie de l’histoire littéraire cependant : ce récit connaîtra une fortune inattendue, du moins le nom d’un de ses personnages, par l’intermédiaire de Balzac. Malgré l’opinion très négative qu’il avait de ce texte – ou peut-être à cause de cela –, l’auteur de La Comédie humaine allait en reprendre plusieurs aspects dans une pièce qu’il ébaucha dès 1839 mais qu’il ne lut devant les acteurs de la Comédie Française qu’en 1848, alors qu’elle 288n’était pas totalement rédigée : Le Faiseur. On y retrouve un mariage d’amour dont le père ne veut pas entendre parler, un personnage qui s’est enfui en provoquant la faillite de son associé, un financier qui brasse des sommes considérables, une fille qui se prénomme Julie – laide, celle-là – et surtout un personnage fantôme dont le nom est promis à un bel avenir : Godeau, orthographié comme dans la nouvelle de Musset. On ne relancera pas le débat sur le lien possible entre Le Faiseur et la pièce de Beckett, mais si l’auteur d’En attendant Godot a emprunté ce nom à Balzac, c’est à Musset qu’il convient de le rendre4.
Dans l’édition des Œuvres complètes en dix volumes (Charpentier 1865-1866), Paul de Musset placera Croisilles au début du volume VII, « Contes et Nouvelles II », avec les Contes. En 1879, Croisilles sera retiré du recueil des Nouvelles et placé dans celui des Contes aux éditions Charpentier.
1 Frank Lestringant, Alfred de Musset, p. 399.
2 Voir annexe III, p. 384.
3 Adine Jaubert, fille de Caroline, pour qui Musset aurait écrit en 1839 le poème « Non, quand bien même une amère souffrance… », était âgée de quinze ans. Hermine, la sœur d’Alfred de Musset, prétend que celle-ci a servi de modèle pour Julie Godeau. Voir Maurice Allem, Alfred de Musset, Paris, B. Arthaud, 1947, p. 178 et Pierre Odoul, op. cit., p. 331.
4 Voir Gilles Castagnès, « Entre Musset et Beckett, Le Faiseur de Balzac : l’intertextualité en question » (voir bibliographie).
- CLIL theme: 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
- ISBN: 978-2-406-14306-2
- EAN: 9782406143062
- ISSN: 2417-6400
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14306-2.p.0287
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-08-2023
- Language: French