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Nouvelles dites de Sens
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Nouveau Répertoire de mises en prose (suite). Récits brefs et autres genres (xiiie-xvie siècle)
- Auteur : Crosio (Martina)
- Pages : 201 à 207
- Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 75
- Série : Mises en prose, n° 11
Nouvelles dites de Sens
(Martina Crosio)
(A) la prose
– auteur : anonyme sénonais
– commanditaire : Blanche des Barres, mentionnée dans la note de possession (f. 53r), peut avoir été la commanditaire du ms du Vatican (voir infra).
– datation : seconde moitié du xve siècle
– manuscrit unique :
Vaticano, BAV, Reg. lat. 1716 (en ligne sur le site de la BAV, DigiVatLib). Seconde moitié du xve siècle. Parchemin ; 2 + 53 f. numérotés en haut à droite, en chiffres arabes, par une main moderne ; 264 x 178 mm. Le texte est écrit à longues lignes (32 à 41 par page). Exemplaire de facture modeste, sans illustrations, il est copié en une graphie cursive du xve siècle très lisible. Seule décoration : lettrines et pieds-de-mouche rouges ; chaque pièce du recueil, sauf la dernière, est précédée d’un titre rubriqué en rouge. L’emplacement et la structure syntaxique des intitulés changent après le f. 35 : des blancs destinés aux titres ont été prévus jusqu’au f. 34 (fragment XXXII) ; les rubriques suivantes sont beaucoup plus brèves et semblent avoir été insérées après coup. Au moins pour la dernière partie du recueil, la numérotation des textes introduite par Langlois 1908 répond aux sections créées par le rubricateur plutôt qu’aux intentions du compilateur/copiste. La simplification et réduction des titres dans la seconde partie correspond au passage de la dimension narrative à la visée didactique du florilège. Certains intitulés, qui offrent plus d’informations que le texte qui suit, demeurent problématiques. La pièce finale, sans titre, peut avoir été ajoutée pour remplir les derniers 202feuillets du manuscrit (Colombo Timelli 2010, p. 89). Une main du xve siècle a copié dans les marges les rubriques à partir du f. 37, en offrant ainsi des points de repère utiles pour une lecture fragmentaire. Pour une description détaillée du ms, voir Colombo Timelli 2010, p. 81-84.
Comme l’atteste l’ex-libris autographe (f. 53r), ce volume a appartenu à une dame de Sens, Blanche des Barres, femme de Guillaume de Parnes. Les noms propres, renvoyant à des personnages historiques, permettent de situer la composition du recueil dans la seconde moitié du xve siècle dans la région sénonaise.
incipit : « Premiere nouvelle, de damoiselle Ysmarie de Voisines, comment par sa bonté Dieu la pourveut grandement… » (f. 1r).
explicit : « Et je prie Dieu qu’il nous doint sa grace, par quoy puissons bien croire, retenir et acomplir ce qu’est dit, et que sachons penser saintement, parler sagement et ouvrer proufitablement, especialment à nostre sauvement et des aultres. Amen » (f. 53r).
E. Langlois 1889, « Notices des manuscrits français et provençaux de Rome antérieurs au xvie siècle », in Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres Bibliothèques, 33/2, p. 226-229
J. Bignami-Odier 1962, « Le fonds de la Reine à la Biblioteca Vaticana », in Collectanea Vaticana in honorem Anselmi M. Card. Albareda, 1, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, p. 159-189
É. Pellegrin, J. Fohlenet al. 1978, Les manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, Paris, Éditions du CNRS, II, 1ère partie, p. 23-26
Notice en ligne : Jonas
– organisation du texte
Les Nouvelles dites de Sens doivent leur titre à l’origine probable de l’auteur : en faisant allusion au genre d’une partie des récits, l’intitulé s’avère approximatif (Colombo Timelli 2022, p. 199) ; le titre proposé par Terenziani 1999 (p. 39), Livre de Sens, rendrait justice aux différentes formes narratives qui coexistent dans le recueil. Le texte est dépourvu tant de prologue que d’épilogue.
Anthologie composite difficile à classer, les Nouvelles de Sens sont un recueil de quarante-cinq textes qui se signalent par leur diversité : des nouvelles, des exempla, des sermons. Au fil du temps les savants ont différemment réparti ce florilège : Vossler 1902 y discernait un diptyque dont le parcours 203pédagogique va des récits amusants de la première section aux textes édifiants de la seconde ; Langlois 1908 décelait une structure tripartite (histoires plaisantes, contes pieux, exhortations morales et religieuses), qui, loin d’avoir été prévue intentionnellement par l’auteur, serait le fruit du hasard. Sauf Rossi 1997, qui subdivise le recueil en 9 parties, chacune composée de 5 morceaux, les autres chercheurs (Terenziani 1999 ; Pierdominici 2000 ; Labère 2006 ; Colombo Timelli 2010) ont accepté cette division qui reconnaît trois typologies de textes : des pièces de nature profane, proche des nouvelles (I-X), des récits didactiques caractérisés par une certaine mixité de ton (XI-XXXIV), des textes homilétiques et de morale chrétienne (XXXV-XLV). Cette répartition n’est cependant pas nette et les frontières entre les différentes sections sont floues, avec des effets d’écho et parfois des récits apparemment hors contexte. Aux yeux de Labère 2006 (p. 562-563), les trois grandes sections sont elles mêmes soumises à des groupements internes.
D’après Vossler 1902, il s’agit d’un net chemin ascendant, du delectare au docere, dont le but didactique est évident. Les trois unités du recueil – de la vie mondaine à la vie contemplative, en passant par la conversion et la pénitence – sont l’allégorie de l’histoire de l’âme et du parcours du lecteur du profane au sacré. Colombo Timelli 2010 suggère : « pourquoi ne pas penser […] à une œuvre de commande, de la part de la dame des Barres éventuellement, voulant allier la lecture de quelques textes agréables – mais rarement vulgaires – à la méditation sur des questions plus profondes, à savoir mêler une énième fois utile dulci ? » (p. 94). Résistant à toute classification générique, les Nouvelles de Sens manquent en tout cas d’un narrateur, d’un récit-cadre et d’une structure reconnaissable. Le parcours éminemment édifiant et les parallélismes entre les unités du recueil prouvent en tout cas que l’assemblage des différents morceaux est concerté plutôt qu’accidentel.
En contraste avec la portée généralisante et l’anonymat habituel dans les récits brefs, l’auteur des Nouvelles de Sens attribue systématiquement une identité et un nom aux personnages anonymes de ses sources : cette pratique ancre les histoires dans la réalité contemporaine, et a permis de localiser (les environs de Sens) et de dater (seconde moitié du xve siècle) la composition du florilège. Les noms servent également à donner un aspect de vraisemblance et d’actualité aux aventures des personnages.
204Rédigés dans une prose sèche et dépourvue de tout ornement, les récits en sont réduits à leurs éléments essentiels. Le jugement sévère de Langlois 1908 sur le style de l’anonyme, « lourd et plat comme un texte de chancellerie » (p. VI), n’est toutefois pas partagé par Söderhjelm 1910, qui reconnaît au contraire « une allure de simplicité et de naturel qui produit une impression sympathique » (p. 217). Au sujet de la technique de prosification, Colombo Timelli 2011 affirme que « dans toute leur banalité, [les Nouvelles de Sens] offrent de nouvelles informations sur la ‘grammaire’ de la réécriture telle qu’elle fut pratiquée, au xve siècle surtout, dans tous les genres littéraires » (p. 48).
(B) la source
Les textes réunis dans les Nouvelles dites de Sens sont des remaniements de contes de diverses époques et d’origines différentes : le compilateur a visiblement puisé à des sources disparates, allant des fabliaux jusqu’à la Bible. Des rimes, des assonances et des consonances enrichissent parfois le texte : si Langlois 1908 les attribue toujours à un modèle en vers perdu, selon Söderhjelm 1910 cette tendance à l’homophonie s’explique parfois par le goût de l’anonyme « pour l’élément musical dans le style » (p. 221). Vossler 1902 et Langlois 1908 ont identifié la plupart des modèles, des contes pieux tirés de la Vie des Pères.
Vaste recueil de contes édifiants en vers, la Vie des Pères comprend, sous sa forme la plus développée, 74 récits. Composés au xiiie siècle, ces textes ne constituent pas un tout homogène : une coupure certaine apparaît après le conte 42, tant dans la tradition manuscrite que dans le genre des contes. Les 32 textes suivants se divisent en deux groupes : la deuxième Vie (19 contes) et la troisième Vie (13 contes). Le recueil, qui a connu un succès durable, est transmis par une quarantaine de manuscrits plus ou moins complets, auxquels il faut aujouter six collections de textes religieux qui, à l’occasion, intercalent quelques contes empruntés de la Vie des Pères, et un certain nombre de récits isolés et de fragments. Pour la liste complète des témoins, voir Lecoy 1987 (p. XVI-XIX).
Quant au passage des vers à la prose, l’auteur ne se limite pas au simple dérimage, mais, en poursuivant une esthétique de la brièveté, il abrège ses modèles et supprime tant les réflexions morales que les développements 205littéraires. Il réintroduit les prologues moralisateurs des récits en vers sous la forme de sermons en les attribuant aux personnages eux-mêmes. Parmi les sujets de la Vie des Pères, le prosateur privilégie les exempla centrés sur des ermites :
VI : D’après Vossler 1903 (p. 16) et Söderhjelm 1910 (p. 219-220, n. 4), la source est le fabliau de Jean le Galois, la Bourse pleine de sens ; au contraire, Langlois 1908 ne croit pas que l’anonyme sénonais ait connu ce poème (p. 42)
XI : Vie des Pères 24 (Ermite accusé), éd. Lecoy, II, p. 33-49
XV : Vie des Pères 1 (Fornication imitée), éd. Lecoy, I, p. 3-14
XIX : Vie des Pères 33 (S. Paulin), éd. Lecoy, II, p. 169-182
XXI : Vie des Pères 3 (Sarrasine), éd. Lecoy, I, p. 28-41
XXII : Vie des Pères 27 (Païen), éd. Lecoy, II, p. 72-84
XXIII : Vie des Pères 12 (Meurtrier), éd. Lecoy, I, p. 185-209
XXIV : Vie des Pères 25 (Brûlure), éd. Lecoy, II, p. 49-60
XXV : Vie des Pères 35 (Ivresse), éd. Lecoy, II, p. 196-209
XXVI : Vie des Pères 37 (Usurier), éd. Lecoy, II, p. 215-228
E. Schwan (« La Vie des anciens Pères », in Romania, 13, 1884, p. 233-263) a essayé de grouper les manuscrits de la Vie des Pères sur la base de la disposition des contes de la première Vie : l’ordre des textes dans les Nouvelles de Sens ne semble correspondre à celui d’aucun témoin conservé, malgré une certaine proximité avec le troisième groupe (z) identifié par Schwan, dont la première partie (v), formée par les manuscrits M, P, R, S, L, T et C, V, présente l’ordre suivant : 1, 24, 25, 32-38, 41, 2-7, 39, 29, 20, 40, 42, 21, 11-15, 26, 16, 17, 8-10, 19, 22, 23, 27, 28, 30, 31.
éditions et traductions
F. Lecoy, La Vie des Pères, Paris, SATF, t. I, 1987 ; t. II, 1993 ; t. III, 1999 [éd. intégrale d’après le ms Paris, BnF, fr. 24301]
P. Bretel 2020, La Vie des Pères. Premier recueil, Paris, Classiques Garnier, [traduction]
(C) histoire de la prose
Les Nouvelles de Sens n’ont connu aucune diffusion ultérieure.
206(D) bibliographie
(1) éditions
E. Langlois 1903, Le fumet du rôti payé au son de l’argent, in Études Rabelaisiennes, 1, p. 222-224 [éd. du n. IX]
E. Langlois 1908, Nouvelles françaises inédites du quinzième siècle, Paris, Honoré Champion (Genève, Slatkine, 1975) [éd. in extenso des n. I à X, XII à XVII, XX, XXIV à XXVII, XXIX à XXXII ; éd. partielle des autres textes]
C.R. : W. Söderhjelm, Neuphilologische Mitteilungen, 10, 1908, p. 159-175 ; A. Thomas, Journal des savants, 1908, p. 670 ; A. Thomas, Romania, 37, 1908, p. 612-614 ; A. Biedermann, Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen, 122, 1909, p. 413-414 ; L. Clédat, Bibliothèque de l’École des chartes, 70, 1909, p. 372-373 ; W. Küchler, Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, 34, 2, 1909, p. 178-179 ; K. Vossler, Literaturblatt für germanische und romanische Philologie, 31, 1910 p. 202-204
P. A. Terenziani 1998-1999, Édition complète des Nouvelles dites de Sens, d’après le manuscrit Città del Vaticano, Bibliothèque Vaticane, Reginense Latino 1716, Lizentiatsarbeit der Philosophischen Fakultät I, Universität Zürich (sous la dir. de L. Rossi)
L. Pierdominici 2000, « Editando, “concordando” : l’esempio delle prime due Nouvelles de Sens », in Quaderni di filologia e lingue romanze, 15, p. 193-263 [éd. des deux premières nouvelles] ; réédité in L. Pierdominici 2002, Prose francesi del xv secolo. Antoine de La Sale, Martial d’Auvergne, le “Quinze joies de mariage”, le “Nouvelles de Sens”, Pisa, Istituti editoriali e poligrafici internazionali, p. 145-247
C.R. : M. Colombo Timelli, Studi francesi, 140, 2003, p. 420-421
M. Colombo Timelli 2008, « De Olivier de Blanche Espine, qui fut a tort vituperé par Olimpiade (Nouvelles de Sens, XI) », in Quant l’ung amy pour l’autre veille. Mélanges de moyen français offerts à Claude Thiry, Turnhout, Brepols, p. 393-402 [éd. du n. XI]
M. Colombo Timelli 2010, « Le ms. BAV Reg.lat. 1716 : un recueil de nouvelles ? Quelques remarques sur le manuscrit des Nouvelles dites de Sens », in Le recueil au Moyen Âge. La fin du Moyen Âge, Turnhout, Brepols, p. 79-100 [éd. des n. VII, XXI, XXXVIII]
M. Colombo Timelli 2011, « Réécrire en prose au xve siècle : l’exemple 207des Nouvelles dites ‘de Sens’ (fragment XIX) », in « Ravy me treuve en mon deduire », Fano, Aras Edizioni, p. 37-55 [éd. du n. XIX]
M. Colombo Timelli 2015, « Nouvelles de Sens et Vie des Pères : une mise en prose ? », in Desir n’a repos. Hommage à Danielle Bohler, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, p. 227-238 [éd. des n. XXII, XXIII]
M. Colombo Timelli 2022, « Nouvelles de Sens et émotions : un couple (im)possible ? », in Histoire d’entalenter. Les émotions dans le récit bref europeén entre Moyen Âge et première modernité, Fano, Aras, p. 199-217 [éd. du n. XXXIII]
traduction en français moderne
N. Labère 2010, Nouvelles du Moyen Âge, Paris, Gallimard, p. 103-125 [traduction des n. IV, VII, XI, XXXVIII]
(2) bibliographie critique
K. Vossler 1902, « Zu den Anfängen der französischen Novelle », in Studien zur vergleichende Literaturgeschichte, 2, p. 3-36
G. Paris 1903, « Le cycle de la Gageure », in Romania, 32, p. 490-491
A. L. Stiefel 1903, « Eine französische Novelle des 15. Jahrhunderts und ein indisches Märchen », in Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen, 111, p. 158-169
W. Söderhjelm 1910, La nouvelle française au xve siècle, Paris, Honoré Champion (Genève, Slatkine, 1973), p. 217-222
J. M. Ferrier 1949, ‘L’Histoire de messire Guido de Plaisance et de Fleurie sa femme’and Its Antecedents. A Study in Fifteenth-Century Narrative Methods, Manchester, Manchester University Press
L. Sozzi 1971, « La nouvelle française au xve siècle », in Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, 23, p. 67-84
L. Rossi 1997, « Entre fabliau et facétie : la nouvelle en France au xve siècle », in La Nouvelle de langue française aux frontières des autres genres, du Moyen Âge à nos jours, Ottignies, Quorum, p. 28-39
E. Archibald 2001, Incest and the Medieval Imagination, Oxford, Clarendon Press (De Alixandre, Roy de Hongrie, qui voulut espouser sa fille, p. 149, 168-169, 170, 173, 175, 253-254)
N. Labère 2006, Défricher le jeune plant. Étude du genre de la nouvelle au Moyen Âge, Paris, Honoré Champion (passim)
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-15796-0
- EAN : 9782406157960
- ISSN : 2261-0804
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15796-0.p.0201
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/04/2024
- Langue : Français