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Mantheau mal taillé
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Nouveau Répertoire de mises en prose (suite). Récits brefs et autres genres (xiiie-xvie siècle)
- Auteur : Crosio (Martina)
- Pages : 153 à 159
- Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 75
- Série : Mises en prose, n° 11
Mantheau Mal taillÉ
(Martina Crosio)
(A) la prose
– auteur : anonyme ; Wulff 1885 (p. 349) a formulé l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’Henri de Tournon (voir infra), sans preuve à l’appui.
– dédicataire : dans le prologue et dans l’épilogue, le narrateur s’adresse à une cousinne anonyme et non identifiée.
– datation : milieu du xvie siècle ; datation indiquée par Wulff 1885 (p. 349) d’après l’écriture, et confirmée par Otzenberger 2020 (p. 153-154) sans preuve évidente. L’évocation de « Perseval le Galoys »dans le texte, qui pourrait renvoyer à la mise en prose éditée à Paris en 1530, fournirait un terminus post quem pour la rédaction du Mantheau.
– manuscrit unique :
Paris, BnF, fr. 2153 (Gallica). xvie siècle. Vélin ; 27 f. numérotés en chiffres arabes par une main moderne précédés de deux feuillets de garde ; 141 x 191 mm. Le premier feuillet de garde, blanc, est signé a i (comme le f. 2r) ; le second porte sur le recto une inscription tracée à l’envers : « Ce livre est à moy Henri de Tournon, et selui qui le emblera parmy les cou pendu sera si ne fest restutusion [sic] et il me fachera. Henry de Tournon » (le premier feuillet de garde et le recto du second ne figurent pas dans la numérisation de Gallica) ; au verso, très abîmé, on lit un bref passage du Mantheau mal taillé correspondant aux premières lignes du f. 18r. Le texte, sur longues lignes (14-15 par page), occupe les f. 2r-26v. Pour une description détaillée, cf. éd.Otzenberger 2020, p. 152-153.
Le manuscrit a appartenu à Henri de Tournon, gentilhomme issu d’une prestigieuse et puissante famille proche de la cour royale, qui a vécu au milieu du xvie siècle. Fils de Just Ier, tué en 1525, et neveu du cardinal 154François, diplomate et homme d’état de François Ier, Henri est mort sans postérité à une date inconnue. Deux frères aînés, évêques, moururent respectivement en 1562 et 1563. L’hypothèse qu’il fut aussi l’auteur de la mise en prose demeure sans preuves, ainsi que la supposition, avancée par Marzano 2014 (p. 218-219), que cet exemplaire formait un codex unique avec le ms BnF, fr. 2154, contenant le Conte du papegau.
L’origine géographique de la famille de Tournon, implantée dans le Vivarais, et la présence d’un régionalisme et d’autres éléments graphiques également attribuables à l’est de la France, pourraient fournir deux indices sur le lieu de production du texte (Otzenberger 2020,p. 153-154).
incipit :« [M]a damoyselle, ma cousinne, m’amye, pour ce que je say que vous prenez plaisir à ouyr compter des aventures qui advenoyent en la maison du noble roy Artus au temps de la Table Ronde, je vous en ay icy volu mettre une par escript, laquelle j’ay trouvee en ung tresancien livre que à peine pouvoye je lire » (f. 2r).
explicit : « Or vous ay je achevé mon compte, ce est du Mantheau mal taillé, sinon que j’avoye oblié à vous dire le nom de celle qui par sa bonté gaigna le dangereux mantheau : sachez que on l’appeloit… » (f. 26r).
Notices en ligne : Archives et Manuscrits ; Jonas
– organisation du texte
Titre : Le Compte du mantheau mal taillé (f. 2r). Seul le début du texte est divisé en paragraphes : l’espace pour cinq lettrines (f. 2r deux, 2v, 3v, 4v) est resté vide. Les principales innovations de la prose concernent l’encadrement du récit : tant dans l’introduction, dans laquelle il s’adresse à la destinataire de l’œuvre, que dans l’épilogue, le prosateur affirme sa présence. L’ajout des noms de personnages et de lieux propres à la tradition arthurienne (Guenièvre, Morgane, Lancelot du Lac, le royaume d’Angleterre et la ville de Camelot) constitue l’autre modification d’un certain poids dans le remaniement.
Prologue :
[M]a damoyselle, ma cousinne, m’amye, pour ce que je say que vous prenez plaisir à ouyr compter des aventures qui advenoyent en la maison du noble roy Artus au temps de la Table Ronde, je vous en ay icy volu mettre une par escript, laquelle j’ay trouvee en ung tresancien livre que à peine pouvoye je 155lire. Toutesfoys, pour vous cuider donner plaisir comme à celle à qui plus je desire le faire, je me suis pour ce effoursé le extraire pour le vous donner ; et donques, s’il vous plait, le lirez et l’appellerez Le Compte du mantheau mal taillé (f. 2r).
Épilogue :
Mais qui qu’en ait deuil, messire Karados s’en va avec s’amye tant joyeux et content qu’il n’estoit poussible de plus, et empourterent le mantheau et le garderent depuis toute leur vie bien cherement. Aprés leur trespaz, il fut miz en ung lieu secret, et n’y a plus personne de nostre temps qui sache où il est que moy, pour quoy je veulx bien advertir vous, ma cousinne, la premiere, que, quant il vous plaira l’assayer, il est en ma puissance le faire apourter, ou pour vous ou quelc’une de voz bonnes amyes. Toutesfoys, si vous voyez que on le doyve ancour laisser là où il est, qu’il y demeure, vous y penserez. Au regard de moy, je ne veulx sinon ce que vous voulez, car je suis et seray tant que je vivray vostre meilleur amy ; et puis que le mantheau vous seroit ung peu court, si ne lairroye je pas de vous amer. Or vous ay je achevé mon compte, ce est du Mantheau mal taillé, sinon que j’avoye oblié à vous dire le nom de celle qui par sa bonté gaigna le dangereux mantheau : sachez que on l’appeloit… (f. 25v-26v).
Dans l’épilogue du modèle en vers (complet dans le ms Paris, BnF, n.a.fr. 1104 uniquement : voir ci-dessous) comme dans celui de la prose, l’auteur informe qu’il est le seul à connaître le lieu où est actuellement conservé le manteau. Le discours ironique du remaniement toutefois est bien différent de celui de la version en vers : déclarant de laisser le choix à sa dédicataire de répéter ou non l’épreuve de fidélité, le prosateur suggère son échec et met en cause le mythe courtois. En outre, dans la prose la conclusion demeure en suspens, en omettant énigmatiquement le nom de l’héroïne.
(B) la source
Mantel mal taillé, récit arthurien en octosyllabes ; dans les manuscrits, le nombre de vers oscille d’un minimum de 664 à un maximum de 912 ; le contenu et le titre varient aussi. Texte difficile à classer, il est généralement considéré comme un lai, mais il s’apparente également aux fabliaux par le ton parodique et grivois de certains passages.
cinq manuscrits (sigles de Wulff 1885), les quatre premiers remontent à la seconde moitié du xiiie siècle, le dernier date du xive siècle :
156(1) Paris, BnF, fr. 837 (Gallica), f. 27r-31r (836 vers) (T) [Le Mantel mautaillé] ; (2) Paris, BnF, fr. 1593 (Gallica), f. 112v-115v (664 vers) (A) [Le Court mantel] ; (3) Paris, BnF, n.a.fr. 1104 (Gallica), f 48v-54v (912 vers) (D) [Lay du cort mantel] ; (4) Bern, BurgerB, 354, f. 93v-100v (e-codices) (881 vers) (B) [Le Cort mantel] ; (5) Paris, BnF, fr. 353 (Gallica), f. 42r-44r (726) (C) [Li Romanz de cort mantel]
On peut ajouter le ms Paris, B. Arsenal, 3320 (Gallica), copie de C exécutée pour Lacurne de Sainte-Palaye, avec corrections et annotations de sa main ; xviiie siècle (Lacurne mourut en 1781).
Quant au fragment de 29 vers mentionné dans la notice du ms Paris, BnF, fr. 2187 (f. 155v) dans le Catalogue des manuscrits français de la Bibliothèque impériale et repris par Marzano 2014 (p. 221), il faudra rectifier : il ne s’agit pas de l’incipit du Mantel mal taillé, mais de celui de la Vengeance Raguidel, roman en vers de Raoul de Houdenc.
Le ms D est le plus proche de la mise en prose : si le Compte n’est pas directement issu de cet exemplaire, il l’est d’un parent très proche.
Le texte en vers a également connu une ancienne diffusion en haut-moyen-allemand (O. Warnatsch, Der Mantel, Breslau, Koebner, 1883 ; W. Schröder, Das Ambraser Mantel-Fragment nach der einzigen Handschrift neu herausgegeben, Stuttgart, Steiner, 1995) et en norrois (G. Cederschiöld, F. A. Wulff, Versions nordiques du fabliau français « Le mantel mautaillié ». Textes et notes, Lund – Leipzig – Paris, Gleerup – Weigel – Nilsson, 1877 ; B. Vilhjálmsson, Riddarasögur, Reykjavík, Íslendingasagnaútgáfan et Haukadalsútgáfan, 1982, t. 1 ; M. E. Kalinke, Möttuls saga. Le Lai du cort mantel, København, Reitzel, 1987, p. 4-69).
éditions et traductions
F. Wolf 1841, Über die Lais, Sequenzen und Leiche. Ein Beitrag zur Geschichte der rhythmischen Formen und Singweisen der Volkslieder und der volksmässigen Kirchen- und Kunstlieder im Mittelalter, Heidelberg, Winter, p. 342-377 [texte de T, variantes de A et B]
G. Cederschiöld – F. A. Wulff 1877, Versions nordiques du fabliau français « Le mantel mautaillié ». Textes et notes, Lund – Leipzig – Paris, Gleerup – Weigel – Nilsson [texte français d’après T, texte islandais en regard]
A. de Montaiglon – G. Raynaud 1878, Recueil général et complet des fabliaux des xiiie et xive siècles imprimés ou inédits, publiés avec notes et 157variantes d’après les manuscrits, Paris, Librairie des Bibliophiles, 3, p. 1-29 (texte) et 289-323 (notes et variantes) [texte de T, variantes de A et B]
O. Warnatsch 1883, Der Mantel, Breslau, Koebner, p. 8-54 [version en moyen-haut-allemand de Heinrich von dem Türlin, texte français en regard d’après T]
F. A. Wulff 1885, « Le conte du Mantel, texte français des dernières années du xiie siècle, édité d’après tous les mss. », in Romania, 14, p. 343-380
N. E. Dubin 1974, The Parodic Lays : A Critical Edition, PhD Dissertation, University of Washington, p. 90-124 (texte) et 183-196 (notes) [texte de D]
Ph. Bennett 1975, Mantel et Cor, deux lais du xiie siècle, Exeter, University of Exeter, p. VII-XXVIII (introduction), p. 1-39 (texte), p. 64-87 (glossaire et index), [texte de D, variantes des autres mss]
Ch. Lee 1980, Il falcone desiderato, poemetti erotici antico-francesi, Milano, Bompiani [texte de T avec traduction italienne]
M. E. Kalinke 1987, Möttuls saga. Le Lai du cort mantel, København, Reitzel, p. 4-69 [version islandaise et texte de l’édition Bennett]
M. Lecco 2004, Il corno magico, Alessandria, Edizioni dell’Orso, p. 160-167 [deux extraits de l’éd. Bennett (v. 353-379 et 773-850) et traduction italienne]
N. Koble 2005, Le Lai du cor et Le Manteau mal taillé. Les dessous de la Table ronde, Paris, Éditions ENS Rue d’Ulm, p. 54-101 (texte), p. 103-171 (postface, glossaire et index) [texte de T, variantes de D, et traduction en français moderne]
G. S. Burgess – L. C. Brook 2013, French Arthurian Literature. Volume V : The Lay of « Mantel », Cambridge, Brewer, [texte de D et traduction anglaise ; en appendice : texte de B et de la mise en prose d’après l’édition du comte de Caylus ; voir ci-dessous]
A. Conte 2014, Le mantel mautaillé. Edizione critica e commento, Modena, Mucchi Editore [texte de T, variantes des autres mss]
Ph. Walter 2018, Lais du Moyen Âge. Récits de Marie de France et d’autres auteurs, xiie-xiiie siècle, Paris, Gallimard, p. 500-545 [texte en ancien français avec traduction en français moderne en regard]
158(C) histoire de la prose
Dans la liste des livres de la riche bibliothèque de Jean Piochet de Salins (1578) figure un exemplaire qui, vu le profil général de la collection, semblerait être un imprimé plutôt qu’un manuscrit.
Au moins une édition, perdue aujourd’hui, a sans doute circulé au xvie siècle : la Bibliothèque Françoise d’Antoine du Verdier (1585), témoigne en effet de l’existence d’un volume imprimé à Lyon par François Didier, imprimeur actif entre 1567 et 1581 (USTC, 94203 ; FVB, 36116). Didier a également publié « à l’enseigne du Fenix » les rééditions de Pierre de Provence et des Quatre fils Aymon (Renaut de Montauban→).
En 1746 le Comte de Caylus base son édition sur le manuscrit BnF, fr. 2153 ; dans la notice, il cite le témoignage de du Verdier à propos de l’édition de François Didier et affirme que « les exemplaires imprimés ont échappé à toutes les recherches qu’on a pû faire ». Une édition sans lieu ni date tirée de celle de Caylus a circulé au xviiie siècle (voir infra).
La Bibliothèque Universelle des Romans de février 1777, qui ne base pas son résumé sur le manuscrit de la BnF mais déclare sa dette à l’égard de Sainte-Palaye, confirme l’existence d’un imprimé de la mise en prose datant du xvie siècle. Cependant, contrairement à ce qu’affirme Cappello 2013 (p. 142), la BUR ne mentionne pas de manière explicite l’édition Didier : « Le troisieme Conte ou Fabliau, dont nous sommes redevables à M. de Sainte-Palaie, & qui a quelque rapport à la Cour d’Artus, est intitulé, dans le Recueil des manuscrits de la Bibliotheque du Roi : Le Court Mantel. Il en existe un petit Imprimé, qui doit être du commencement du seizieme siecle, & qui est intitulé : Le Manteau mal taillé. Cet Imprimé est infiniment rare ; cependant nous le connoissons, & il ne tiendroit qu’à nous de le copier ou de l’extraire fidélement » (p. 112-113).
Dans Fabliaux ou contes, fables et romans du xiie et du xiiie siècle (1779), Legrand d’Aussy, qui mentionne également l’édition de Didier et la publication du comte de Caylus, déclare avoir tiré son abrégé d’une édition anonyme sans lieu ni date : il s’agit de l’édition anonyme reprise de celle du comte de Caylus signalée ci-dessus.
– Bibliothèques du xviii e siècle
A.-C. P. de Caylus, Les Manteaux. Recueil, La Haye, 1746 : t. 1, p. 143-181 (texte) ; t. 2, p. 111-128 (notice) ; repris dans Œuvres badines complettes 159du comte de Caylus, Amsterdam – Paris, Visse, t. 6, p. 453-457 (texte) ; t. 7, p. 75-88 (notice). L’extrait et la notice ont été aussi publiés à part dans une édition anonyme sans lieu ni date (BnF, Y2-50450, Gallica). L’édition du comte de Caylus a été republiée par A.-A. Renouard, Fabliaux ou contes, fables et romans du xiie et du xiiie siècle traduits ou extraits par Legrand d’Aussy. Troisième édition considérablement augmentée, Paris, Jules Renouard, 1829, t. 1, p. 126-156 (Gallica) ; et par G. S. Burgess et L. C. Brook 2013, French Arthurian Literature. Volume V : The Lay of « Mantel », Cambridge, Brewer, [texte en appendice].
Bibliothèque Universelle des Romans, Paris, Lacombe, février 1777, p. 112-115 (Gallica) [sous le titre Court Mantel et dans une forme condensée et modernisée, ce résumé contient des éléments qui ne sont pas présents dans la version manuscrite]
P. J.-B. Legrand d ’ Aussy, Fabliaux ou contes, fables et romans du xiie et du xiiie siècle traduits ou extraits d’après divers Manuscrits du tems, Paris, Onfroy, 1779, t. 1, p. 60-82 [version abrégée et en partie modernisée de l’éd. de Caylus]
(D) bibliographie
(1) édition
P. Otzenberger 2020, « Le Compte du mantheau maltaillé en prose. Édition critique », in Romania, 138, p. 152-191
(2) bibliographie critique
F. A. Wulff 1885, « Le conte du Mantel, texte français des dernières années du xiie siècle, édité d’après tous les mss. », in Romania, 14, p. 349-350 (Gallica)
S. Cappello 2013, « Décalages contre-textuels : la mise en prose du Manteau mal taillé au xvie siècle », in Études Romanes. Hommages offerts à Florica Dimitrescu et Alexandru Niculescu, 2 vol., București, Editura Universității din București, vol. 1, p. 135-144
S. Marzano 2014, « Une mise en prose inédite du xvie siècle, Le Compte du mantheau maltaillé », in Pour un nouveau répertoire des mises en prose. Roman, chanson de geste, autres genres, Paris, Classiques Garnier, p. 213-227
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-15796-0
- EAN : 9782406157960
- ISSN : 2261-0804
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15796-0.p.0153
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/04/2024
- Langue : Français