Compte rendu
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Neologica
2020, n° 14. Perception, réception et jugement des néologismes - Auteur : Humbley (John)
- Pages : 261 à 268
- Revue : Neologica
Délégation générale à la langue française et aux langues de France (2019), Convergences et divergences dans la pratique terminologique. De la terminologie spontanée à la terminologie aménagée, Paris, Délégation générale à la langue française et aux langues de France, Ministère de la Culture, 179 pages. ISBN 978-2-11-13-9384-4.
REALITER (Réseau panlatin de terminologie, http://www.realiter.net/) est une organisation de coopération terminologique qui fédère les terminologues de langues romanes. Fondé en 1993, il reprend de nombreuses missions autrefois assurées pour le français par le Réseau international de néologie et de terminologie (RINT) mais élargies à toutes les langues latines. La principale activité des deux réseaux est la création conjointe de terminographies dans les domaines de pointe. Dans le cas de REALITER, un effort important est dévolu à la confection de vocabulaires spécialisés plurilingues, généralement hautement néologiques. Parmi les autres manifestations, il convient de mentionner tout particulièrement les journées d’études (qui en arrivent en 2019 à leur quinzième édition) car elles réunissent très heureusement les différents acteurs de la terminologie néologique : instances de normalisation, instituts de formation de traducteurs et d’interprètes, lexicologues, universitaires et autres, donnant ainsi lieu à une rencontre très fructueuse entre pratique et théorie. Le présent volume, qui représente les actes de la quatorzième journée d’études (Paris, 2-3 juillet 2018), ne déroge pas à la règle : il comporte de nombreux témoignages d’activités terminologiques marquées de différentes manières par la néologie, ainsi que des articles de recherche, qui représentent des avancées en théorie ou en méthodologie. Comme toutes les activités de REALITER, les actes sont multilingues : la plupart des articles dans le présent volume sont en français, mais le catalan, le portugais et le galicien figurent également comme langues de rédaction et d’étude.
Dans la « Préface », le Délégué général à la langue française et aux langues de France, Paul de Sinety, présente les objectifs de cette quatorzième journée scientifique du Réseau, dont le présent volume constitue les actes. Il souligne notamment le rôle des institutions publiques qui, en France en particulier, poursuivent une politique linguistique explicite, dont un 262des volets est le développement néologique des langues romanes. Ceux qui s’intéressent à la néologie terminologique en tant que témoignage des progrès scientifiques liront avec profit l’analyse qui est présentée de la question des nomenclatures savantes à la faveur d’un article de Daubenton, extrait du célèbre dictionnaire de Panckoucke, où le botaniste, tout en reconnaissant l’utilité d’une taxinomie d’origine savante, plaide pour la prise en compte des noms communs utilisés pour les plantes. La néologie est ainsi intégrée dans un aménagement linguistique global. Maria Teresa Zanola, Secrétaire générale de REALITER au moment de cette journée d’études, situe dans son « Introduction » les enjeux de la rencontre. Elle insiste sur la complémentarité du travail de terminologie sur le terrain, dans les laboratoires et ateliers, où les nouveaux termes émergent, et sur les efforts de normalisation qui doivent être consentis dans une perspective de communication plus vaste.
La première partie du volume est consacrée à une série de témoignages portant sur la place et l’apport des experts dans le cadre de l’aménagement terminologique. Manuel Célio Conceição, organisateur des quinzièmes rencontres (Faro, septembre 2019) et ancien président du Conseil européen pour les langues, souligne la dimension interdisciplinaire de tout travail en terminologie et le rôle fondamental que joue l’expert, y compris dans le cadre de l’aménagement. Alain Gouyette, professeur de cancérologie et contributeur au Dictionnaire de l’Académie nationale de Pharmacie, est lui-même à la fois expert et lexicographe. II analyse la politique de l’Académie en matière de réception de termes nouveaux. Sandrine Senaneuch, terminologue principale au Département linguistique de langue française à la Commission européenne, expose les difficultés rencontrées face à la nécessité de fournir aux traducteurs une terminologie néologique de qualité dans toutes les langues de l’Union. Enfin, Manuel Núñez Singala, auteur, linguiste et membre du service de normalisation linguistique de la langue galicienne, décrit le rôle que jouent les experts à chacune des quatre étapes qu’il postule pour tout chantier d’aménagement terminologique.
La seconde partie des actes, intitulée « Convergences et divergences dans la pratique terminologique : de la terminologie spontanée à la terminologie aménagée », comporte les articles de recherche ainsi que quelques rapports circonstanciés d’expériences.
Jordi Bover, Directeur du Centre de terminologie TERMCAT et spécialiste des questions de la normalisation de néologismes, revient sur plus 263de trente ans d’activité terminologique en catalan. Dans « L’especialització temàtica del treball terminològic, una via per a guanyar efectivitat », il explique comment gagner en efficacité en profitant de l’expérience des experts, ces usagers quotidiens des termes.
Emmanuel Cartier, Claudio Grimaldi et Maria Teresa Zanola s’interrogent sur les possibilités offertes par les nouveaux médias, en particulier les réseaux sociaux, à ceux qui souhaitent pister l’émergence et la diffusion de néologismes. Prenant appui sur la plateforme Néoveille (voir Neologica 13 (2019) : 23–54), ils partent de l’hypothèse que les réseaux sociaux suscitent de nombreuses innovations spontanées au niveau de la langue, qui sont ensuite relayées par le marketing. Dans « Innovation lexicales, néologie de la communication et terminologie spontanée autour d’‘Instagram’ entre mode et marketing », ils prennent comme exemples les noms des réseaux sociaux (dont Instagram, qui se révèle particulièrement productif) pour repérer les dérivations et les compositions réalisées spontanément. Il en ressort que la très abondante néologie, qui est majoritairement produite par suffixation, est reprise par les commerciaux dans le cadre des activités du marketing de l’influence. Il n’y a pas que les linguistes qui sont à l’affût de néologismes.
L’article « La terminologie spontanée vs aménagée au cœur des discours sur le phénomène migratoire : le nommé et le caché » traite des termes liés aux phénomènes migratoires tels qu’ils sont reflétés dans la presse française, espagnole, portugaise et italienne. Les auteures Rosa Maria Fréjaville, Raphaëlle Dumont et Andreia J.O. Silva constatent un cheminement inverse de celui qui est présupposé par le titre du colloque : dans le cas de la terminologie de la migration, on part d’un vocabulaire structuré et relativement stabilisé, s’appuyant sur les définitions des grands organismes internationaux (ONU, Commission européenne, etc.). Le point de départ est donc relativement bien balisé. C’est au niveau de la réception de cette terminologie par l’ensemble des acteurs que la spontanéité s’impose. On relève ainsi des discours tantôt lénifiants, tantôt ouvertement idéologiques, polémiques, voire haineux, dont les répercussions se font sentir au niveau de la terminologie. La néologie peut véhiculer la manipulation.
Fernando Funari, linguiste spécialisé dans la médiation culturelle, illustre bien l’engagement de REALITER dans la pluridisciplinarité. Il commence, dans « Le terme ‘start-up’, de l’entreprise à la nation », par analyser les raisons de l’échec relatif de la francisation jeune pousse. Celui-ci s’explique en partie par l’explosion de l’emploi de l’expression 264start-up nation dans le contexte de ce que l’on peut appeler image de marque nationale ou marketing pays, connu en anglais sous la forme de country branding management (CBM), branche désormais incontournable du marketing à l’échelle planétaire. L’auteur examine l’évolution de start-up dans la communication en ligne de Business France, opérateur public du marketing pays, la construction d’une « mythopoïèse » nationale où l’on met en relation la France et une sorte d’entreprise, la start-up. L’analyse des collocations de start-up dans ce discours fait ressortir les associations voulues par les promoteurs de cette présentation, à commencer par le président de la République. Les acteurs ressentent finalement le besoin de définir ces concepts, illustrant, malgré la spécificité de ce cas, un cycle néologique connu. Cette contribution montre bien ce que l’analyse linguistique peut apporter à une problématique professionnelle, voire de civilisation. Visiblement il y a un rapprochement à faire entre les analyses présentées ici, et celles bien connues des linguistes français de la formule (Krieg-Planque 2009).
S’il y a un domaine où les besoins de correspondances terminologiques sont importants, c’est bien celui des échanges interuniversitaires. Les auteurs de l’article « L’encaix entre la terminologia espontana i la terminologia planificada : el cas de la nomenclatura interuniversitaria », Francesc Galera Porta, Marta Estella Clota, Silvia Llovera Duran et Montserrat Noro Castells, prennent comme exemple les problèmes d’équivalence de vocabulaire institutionnel relevés dans le cadre d’un réseau d’universités catalanophones, dont les membres se trouvent non seulement en Catalogne mais aussi ailleurs en Espagne, en France et en Italie. Ce qui frappe dans cette présentation est la domination de l’anglais dans tous les aspects de la question. Ainsi n’est-il presque jamais question des équivalences à chercher à partir du français ou de l’italien, pourtant langues de certaines universités partenaires. L’usage « spontané » favorise en réalité l’anglais non seulement comme lingua franca, mais aussi comme ce que l’on pourrait appeler les dénominations d’appel, en donnant aux établissements et aux formations des noms anglais. Le lecteur peut s’interroger sur les motivations qui prévalent à l’adoption simultanée des dénominations de langue anglaise et d’une conception anglo-saxonne de la formation supérieure.
Patrizia Guasco, dans « Le vocabulaire du gantier du xviiie siècle au début du xxe siècle : naissance et diffusion d’une terminologie spontanée », présente l’évolution de cette terminologie sur une période longue, d’un siècle et demi, en donnant un aperçu privilégié des formes que prend 265la néologie terminologique par rapport à la création et à la diffusion des techniques employées. Son analyse confirme globalement le passage d’une phase de création spontanée, individuelle, souvent fortement métaphorique, à une période de consolidation à la fois du métier et de son vocabulaire dont la néologie est caractérisée par « extension », pour reprendre un terme de Bernard Quemada (1978) qui désigne le fait que les nouveaux termes sont formés sur la base des termes existants. On note au sujet de la terminologie diachronique, appréhendée sous la forme d’une néologie rétrospective, le retour aux études plus anciennes, que ce soit celle de Quemada ou, plus près de nous, de Morgenroth (1994), dont les réflexions sur l’évolution du terme méritent d’être rappelées. Cet article est particulièrement précieux, car il retrace (trop brièvement, hélas !) l’historique de la terminologie d’un métier, qui mériterait un développement plus complet sous la forme d’un ouvrage.
Ce que Patrizia Guasco a pu faire sur une période de cent cinquante ans, Mariele Mancebo-Humbert et ses collègues Laurent Gautier et Ieda Maria Alves le réalisent en quasi synchronie pour les vins mousseux brésiliens. Dans « De la terminologie spontanée à une terminologie aménagée et vice-versa : parler des vins espumantes au Brésil », ils présentent les résultats d’une recherche menée sur une terminologie émergente, celle des vins pétillants en portugais brésilien, qui illustrent bien, mutatis mutandis, les étapes de créativité spontanée et d’aménagement conscient. S’appuyant sur deux corpus complémentaires, l’un issu de publications de spécialistes, l’autre, des résultats d’une enquête auprès d’une population d’amateurs, les auteurs rendent compte des caractéristiques de ces deux types de discours, tout en explorant d’autres paramètres. Parmi ceux-ci figurent les discours réglementaires ayant trait aux cépages ou aux procédés de vinification, qui comportent une terminologie normalisée de facto et employée surtout par les experts. Le vocabulaire sensoriel est développé pour les deux populations, les amateurs faisant preuve d’une grande spontanéité. Ce que l’on remarque dans les deux cas, c’est le rôle que joue le français comme modèle de terminologie : son adaptation en portugais donne lieu à un foisonnement néologique typique de ces situations. Si l’on peut faire une observation au niveau de la traduction, il est permis de douter que buveur de vin non entraîné, employé par les experts français,soit le meilleur équivalent français de untrained wine drinker. On songerait plutôt à des expressions moins recherchées comme simple amateur, plus typiques des stratégies de dénomination française.
266Si les noms des objets d’étude en biologie moléculaire (enzymes, protéines, etc.) sont bien normalisés – l’anglais à base gréco-latine est souvent directement transposable dans les langues latines –, ceux des autres aspects du travail de laboratoire le sont beaucoup moins. Dans « La dénomination des appareils dans les laboratoires de biologie moléculaire : un exemple de terminologie spontanée ? », Sarah Pinto explore la variation en français et en italien de trois groupes de termes : outre les appareils nommés dans le titre, elle examine les expressions formées à partir de la base PCR ainsi que les verbes qui dénomment les actions spécialisées. Dans le premier cas, elle constate une différence entre le nom de produit anglais, très souvent utilisé en français et en italien, et la dénomination traduite de manière descriptive par une grande variété de constructions. Pour PCR (Polymerase Chain Reaction), l’auteure note d’abord que le sigle anglais est employé à l’exclusion des traductions française et italienne, mais surtout qu’il sert de base dans une multitude de termes composés réalisés de manière très diverse. Pour les verbes, enfin, on relève des emprunts à l’anglais convertis directement en verbes, en italien encore plus qu’en français. Dans ces trois cas, c’est le caractère spontané qui prédomine, ce qui n’est pas nécessairement à déplorer, selon l’auteure, vu que de nombreuses expressions ne constituent pas des termes à part entière.
Il est bien connu que le Dispositif d’enrichissement de la langue française dispose d’un ensemble de collège d’experts qui collaborent à l’élaboration des termes soumis à la Commission générale avant envoi à l’Académie française. Dans « L’aménagement terminologique en France bride-t-il l’expression des spécialistes ? Focus sur les termes étudiés et publiés dans le domaine des matériaux », Etienne Quillot, lui-même terminologue et responsable à la DGLFLF, lève le voile sur le fonctionnement de ces groupes d’experts en examinant le sort réservé à une centaine de propositions de termes : ceux qui sont écartés lors de l’examen par la Commission, ceux qui sont adoptés avec modification (mineure ou majeure), enfin ceux qui sont adoptés tels quels, et surtout les raisons qui justifient ces décisions.
Adam Renwick, dans « De la participation des non-spécialistes à l’aménagement terminologique », mène une autre étude sur le fonctionnement du Dispositif d’enrichissement, mais en se focalisant sur les travaux du collège des experts en spatiologie. Il prend le contrepied des autres études en examinant les conséquences de l’intervention de non spécialistes, en l’occurrence les instances de la Commission et de 267l’Académie française, sur les propositions émanant du collège d’expert. Enrichissement n’a visiblement pas le même sens pour experts et non experts.
Federica Vezzani, dans « Aménagement de la terminologie spontanée : un cas de collocation », décrit un projet de base de données terminologiques destinée aux malades atteints d’un cancer, et reprend la problématique de l’adaptation non seulement linguistique mais aussi de la terminologie en vue de la vulgarisation. Ce projet est très proche de celui que Valérie Delavigne (2014) a déjà réalisé. Un des avantages des rencontres comme celle de REALITER est de mettre en contact ceux qui travaillent sur des problématiques semblables mais dans des cadres différents.
Ce recueil est un bon exemple de l’ambition du réseau REALITER de rapprocher théorie et pratique dans le domaine de la terminologie. Les articles montrent bien que la néologie in vivo est bien la source principale de la créativité terminologique, mais que la néologie in vitro a également sa place dans le processus, selon le type de projet concerné. Le rôle de l’expert, qui peut prendre des formes très variées, se révèle primordial dans tout travail de terminologie, que ce soit au niveau de l’acquisition ou à celle de la normalisation. Encore une fois, les actes de REALITER prennent la forme d’un forum, permettant la communication entre les différents acteurs de la terminologie des langues latines, praticiens, universitaires, normalisateurs et agents de la politique linguistique : à ce titre ils sont précieux.
John Humbley
268Références bibliographiques
Delavigne Valérie (2014), « Peut-on ‘traduire’ les mots des experts ? Un dictionnaire pour les patients atteints de cancer », in Heinz Michaela (éd.), Dictionnaires et traduction, Berlin : Frank & Timme Verlag, p. 233-266.
Krieg-Planque Alice (2009), La notion de ‘formule’ en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté.
Morgenroth Klaus (1994), Le terme technique, approches théoriques, études statistiques appliquées à la langue de spécialité économique du français et de l’allemand, Tübingen : Niemeyer.
Quemada Bernard (1978), « Technique et langage. La formation des vocabulaires français des techniques », in Gille Bernard (éd.), Histoire des techniques. Technique et civilisation. Technique et science, Paris : Pléïade, p. 1146-1240.
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-406-10571-8
- EAN : 9782406105718
- ISSN : 2262-0354
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10571-8.p.0261
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/07/2020
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français