Presentation
- Publication type: Journal article
- Journal: Neologica
2019, n° 13. La néologie à l'ère de l'informatique et de la révolution numérique - Authors: Altmanova (Jana), Zollo (Silvia Domenica)
- Pages: 19 to 22
- Journal: Neologica
Présentation
Les rapports que la linguistique et l’informatique entretiennent dans le cadre des études sur la néologie constituent le sujet de ce numéro thématique de Neologica, consacré à « la néologie à l’ère de l’informatique et de la révolution numérique1 ». Portée par le progrès technologique, l’offre des nouveaux supports de communication numérique se renouvelle en effet à un rythme effréné, contribuant ainsi au foisonnement de l’activité néologique. Parallèlement, l’interaction croissante entre les sciences du langage et l’informatique offre aux linguistes des moyens de plus en plus sophistiqués pour analyser les phénomènes langagiers. Par conséquent, cette relation entre néologie et informatique permet un dialogue interdisciplinaire sur la dimension numérique des recherches en sciences du langage, notamment en ce qui concerne les outils, les méthodes et les objets d’études. Dans cette perspective, le numérique semble être un chemin privilégié pour accéder aux conditions de production et de diffusion des savoirs en discours, même s’il reste encore de nombreux aspects à étudier, au premier rang desquels la dimension sémantico-pragmatique des néologismes.
Sans prétendre à l’exhaustivité, les contributions de ce numéro visent, d’une part, à ouvrir un espace de réflexion sur les méthodes d’investigation appliquées à divers cas d’études de créativité lexicale en lien avec le numérique. D’autre part, elles montrent, outre les problèmes de délimitation des deux domaines en question, la nécessité d’un dialogue interdisciplinaire avec l’informatique, en mettant clairement en exergue l’importance d’un processus dynamique de veille néologique tant sur le plan lexical 20que discursif. Suivant des approches diversifiées, ces réflexions soulèvent en particulier les questionnements suivants : dans quelle mesure la communication numérique influence-t-elle la formation de néologismes ? Quelles sont les potentialités des approches informatiques actuellement mises en œuvre dans les phases d’extraction ou de détection néologique ?
Le traitement informatique dans les études néologiques fait l’objet de trois contributions, celles de Emmanuel Cartier, de Jean-François Sablayrolles et de Jana Altmanova. Emmanuel Cartier présente le projet Néoveille qui consiste en une plateforme pour la détection automatique, la description et le suivi des néologismes, dans un corpus contemporain en sept langues. L’auteur expose les résultats obtenus au terme d’une analyse linguistique hybride (collecte automatique, validation manuelle et description linguistique) des innovations lexicales détectées, depuis 2015, dans la presse française contemporaine. Bien que les données linguistiques nécessitent toujours une interprétation « humaine », l’auteur souligne l’importance du traitement automatique dans les études néologiques, notamment en ce qui concerne la caractérisation socio-pragmatique des sources d’information.
Jean-François Sablayrolles fait le point sur les caractéristiques des outils informatiques permettant de dépasser les limites de l’extraction manuelle des néologismes. En effet, l’extraction automatique reste imparfaite : il faut chercher à éliminer des candidats indésirables (lacunes des corpus d’exclusion et divers types d’erreurs et à incorporer des néologismes formels (homonymiques ou nouveaux emplois de mots existants)). L’analyse des néologismes identifiés comme tels est chronophage et cette tâche ne peut guère être automatisée, que l’on s’intéresse à l’étude de la créativité lexicale individuelle ou à l’évolution du lexique.
La contribution de Jana Altmanova porte sur l’identification en discours des noms commerciaux en voie de lexicalisation et sur l’analyse de ce processus. Après avoir présenté un panorama théorique des possibilités de repérage des noms propres en corpus, elle montre les problèmes que rencontre le linguiste dans les phases de détection et de suivi des noms commerciaux en corpus. Pour pallier le manque méthodologique qui coupe les faits du contexte et ne tient pas suffisamment compte des facteurs extralinguistiques, elle opte pour une approche discursive, basée sur les indices linguistiques de lexicalisation qui entourent l’onomastique commerciale.
Maria Teresa Zanola, spécialiste de terminologie des arts et métiers, analyse, sur la base d’un corpus issu de la presse française, quelques 21emprunts néologiques issus du lexique de la mode et fait quelques propositions visant à mieux les appréhender. Pour l’auteure, le linguiste qui souhaite rendre compte de la productivité lexicale dans ce domaine devra prendre en considération les dimensions culturelle et commerciale dans la phase de repérage automatique des emprunts néologiques.
Annette Klosa-Kückelhaus s’intéresse quant à elle aux néologismes apparus en allemand dans les nouveaux médias et présente le Neologismenwörterbuch réalisé à l’Institut für Deutsche Sprache (Mannheim). Elle expose plusieurs exemples tirés de ce corpus, en montrant que ces nouveaux modes de communication sont une source importante d’enrichissement du lexique de l’allemand.
Silvia Domenica Zollo, pour sa part, analyse les mouvements néologiques observés dans un forum de discussion médiatico-politique. Après avoir analysé les procédés de création morpholexicale et sémantique des néologismes et leur fonctionnement en discours, elle mesure leur circulation sur la Toile au moyen de différents corpus contrôlés (Google et ses produits dérivés, Europresse, Néoveille et Logoscope).
Optant pour une perspective lexicographique, Michela Murano propose une étude sur les dictionnaires collaboratifs en ligne (Définistaire, Dictionnaire des verbes qui manquent, Dico2Rue, Dico des mots) qui permettent aux internautes d’enregistrer ou d’inventer des néologismes. Son étude repose sur trois paramètres : les conditions discursives et procédures de configuration lexicale et lexicographique, le statut des contributeurs et la fonction des néologismes repérés.
Caroline Benedetto examine, à partir d’un corpus d’articles issus de la presse américaine, certains néologismes du marketing caractérisés par une durée de vie très courte, approche qui permettrait, selon l’auteure, d’améliorer la connaissance des domaines spécialisés qui sont marqués par une évolution rapide des connaissances et des concepts.
Pour finir, Rosa Cetro soulève la question de savoir dans quelle mesure le verbe partager, en tant que vocable emblématique des réseaux sociaux, est affecté par une néologie sémantique et combinatoire. Elle étudie les cooccurrents syntaxiques de ce verbe dans un corpus de 200 millions de mots (1991-2000) et compare les résultats obtenus avec des attestations plus récentes de ce verbe.
Ce numéro montre que la réflexion sur les liens entre néologie et informatique poursuit des objectifs non seulement pratiques – quand ils donnent lieu par exemple à de nouveaux logiciels –, mais aussi qu’elle permet de soulever des questions d’ordre plus théorique. Il en ressort 22que le numérique ne constitue pas seulement une ressource à exploiter sous forme d’outils informatiques, mais qu’il joue un rôle déterminant dans la production de nouvelles unités lexicales dont la durée est souvent incertaine. En effet, l’analyse outillée permet aujourd’hui de franchir un nouveau cap et de cerner de plus près le caractère néologène des espaces de communication numérique qui semblent modifier considérablement le cycle de vie des néologismes et leur diffusion.
Bien que partielles, nous espérons que ces réflexions menées à partir de l’étude de données empiriques permettront de mieux saisir certains mécanismes à l’œuvre dans la « néologie numérique » et qu’elles pourront offrir, à celles et à ceux qui s’intéressent aux problématiques de l’exploitation informatique des néologismes, quelques pistes de réflexion utiles pour s’orienter dans ce champ de recherche en rapide évolution.
Jana Altmanova
Université de Naples « L’Orientale »
Silvia Domenica Zollo
Université de Vérone
1 Une partie des textes réunis dans ce numéro ont fait l’objet de communications lors de la journée d’étude Exploitation de corpus : l’informatique au service de nouveaux phénomènes langagiers, qui s’est tenue le 23 mai 2017 à l’Université « Parthenope » (École doctorale ESTL ‘Eurolinguaggi Scientifici, Tecnologici e Letterari’, organisation : Silvia Domenica Zollo, en collaboration avec Gabrielle Le Tallec-Lloret du laboratoire CNRS « Lexiques, Dictionnaires, Informatique » UMR 7187 de l’Université Paris XIII – Villetaneuse et Jana Altmanova de l’Université de Naples « L’Orientale »). Cette journée était inscrite dans le cadre d’un programme scientifique (appel à projet 2017-2018 pour jeunes chercheurs) financé par l’Ambassade de France en Italie.
- CLIL theme: 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN: 978-2-406-09663-4
- EAN: 9782406096634
- ISSN: 2262-0354
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09663-4.p.0019
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-13-2019
- Periodicity: Annual
- Language: French