Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Neologica
2019, n° 13. La néologie à l'ère de l'informatique et de la révolution numérique - Auteurs : Makri-Morel (Julie), Humbley (John), Dury (Pascaline), Balnat (Vincent)
- Pages : 221 à 238
- Revue : Neologica
Enríquez Serralde, Javier (2017), Lexinario. Diccionario de palabras inventadas, Mexico, Neolog Eds. ISBN 978-1-946761-09-5
On a coutume de considérer la néologie comme produisant des unités destinées à un vaste ensemble de la communauté linguistique. Mais c’est oublier que la création lexicale peut aussi servir un autre objectif, bien plus personnel : celui de créer pour le plaisir de créer (en attestent les nombreux dictionnaires de mots fantaisistes, de mots-valises, de « mots qui n’existent pas », etc.)1.
L’ouvrage de Javier Enríquez Serralde se situe précisément à la frontière de ces deux démarches de création lexicale : en recensant une partie des unités que l’auteur et ses personnages ont créées dans diverses œuvres littéraires (le corpus d’inclusion est constitué de 4 romans de l’auteur : Las Primas Segundas (1997), Las Segundas Trinas (2000), Las Trinas Cuadras (2013) et Los Cuadros Quinos (à paraître)), on comprend aisément que l’objectif de ces « néologismes2 » n’est pas de répondre « à un besoin d’expression collective3 », mais plutôt, comme l’indique l’auteur dans l’Introduction, de « créer une symphonie de mots qui, à l’écrit comme à l’oral (…), provoquent un plaisir esthétique et une interprétation propre à chacun4 ».
Toutefois, et contrairement à des dictionnaires de mots créés « in vitro », ces créations ne sont pas isolées puisqu’elles sont toutes issues d’un contexte, certes littéraire et fictionnel, mais dans lequel un personnage a bel et bien manifesté un besoin lexical. Par conséquent, les unités recensées ne sont pas systématiquement ludiques, ni nécessairement formées sur le même procédé de création5.
222Ainsi, parmi les quelques 5 000 acceptions répertoriées dans ce volume de 239 pages6, on trouve de nombreux amalgames lexicaux (tel le mot-valise egolidaridad, formé sur ego et solidaridad), mais aussi des composés savants (eucracia, metacronía, fitocidio…), des dérivés de toutes sortes (transparlar, feromonal, incognitud, desterrizar, enlechugar…), des unités créées par conversion syntaxique (tel l’adjectif flauto, formé sur le nom féminin flauta, ou les verbes herpetearse et exodar, respectivement formés à partir de l’élément grec herpeto- et du nom éxodo), quelques emprunts (tels esnápside, de l’allemand Schnapsidee, ou encore flabergastia et pervasivo, respectivement de l’anglais flabbergasted et pervasive), de rares sigles (ESVIP), etc.7
En outre, de nombreux domaines sont couverts (45 sont répertoriés) : la langue générale reste la plus représentée (dans une variété de registres d’ailleurs), mais des termes recouvrant des domaines parfois très techniques figurent également dans cet ouvrage. On passe ainsi de la terminologie médicale (esfenositis, esteralgia) à la biologie (fantacito, embriosis), ou encore à la zoologie (dactilóptero)8. Les linguistes y trouveront aussi leur compte avec des termes tels que acentología, entelexia9, ou encore le suffixe -ismo (seul morphème lié recensé, auquel est octroyé un sens péjoratif).
Pour ce qui concerne l’élaboration de la nomenclature, l’ouvrage n’est pas théorisé et la méthodologie, bien que rapidement évoquée dans la partie introductive (p. 9-13), semble quelque peu aléatoire. Le Dictionnaire de l’Académie Royale10 constitue le seul corpus d’exclusion. Quelques critères lexicographiques sont rapidement évoqués pour la constitution des articles (et peuvent être discutés). Le choix des unités s’est notamment porté sur la difficulté d’interprétation : les unités nécessitant un moindre effort d’interprétation auraient été écartées (même si l’auteur avoue un certain caractère arbitraire concernant les critères de sélection).
Quoi qu’il en soit, l’auteur ne prétend pas proposer un dictionnaire, mais un « lexinario ». L’ouvrage est d’abord pensé pour les lecteurs fidèles aux œuvres de l’auteur, mais reste un objet « de curiosité, de réflexion et 223de distraction pour tout lecteur11 ». On ne parcourt pas le « lexinario » comme on consulte un dictionnaire.
On peut toutefois regretter l’absence d’indication sur la formation de ces unités, ce qui aurait grandement facilité leur compréhension12. D’autant plus que le sens des unités est rarement compositionnel : comme tout « occasionnalisme13 », leur sémantisme peut être plus ou moins difficile à saisir. En effet, si certaines de ces créations restent facilement interprétables (hemopiria, esprayar, incontrolabilidad14…), la plupart sont le résultat d’un glissement sémantique plus ou moins marqué (tels fitocidio, ginosofía, esnáiper ou etnófugo15) au point que le lien entre forme et sens est parfois totalement inattendu (tels factulidad, exmaniobrar ou encore futupretilar16). À ce sujet, l’auteur indique que les définitions proposées sont celles de ses personnages et sont donc toutes empreintes de leurs personnalités très diverses et de leur subjectivité. L’ouvrage est clairement un recueil de néologismes littéraires, à tout point de vue.
Si la macrostructure (nomenclature traitée de façon alphabétique notamment) et la microstructure (organisation des articles) sont proches de celles des ouvrages lexicographiques traditionnels, c’est manifestement dans la rédaction des définitions que cet ouvrage s’en distingue. On peut d’ailleurs à juste titre saluer l’incroyable créativité lexicale de l’auteur qui, bien qu’il ne soit pas linguiste17, maîtrise parfaitement sa langue et ses subtilités.
Et c’est là toute la singularité de cet ouvrage. À notre connaissance, il n’existe que très peu d’ouvrages similaires en espagnol18.
La néologie littéraire, comme la néologie « in vitro », est un des domaines de la création lexicale les moins étudiés (probablement en raison de leur 224faible impact sur l’évolution effective du lexique), et cet ouvrage, en fournissant un corpus complet et hétérogène d’innovations lexicales littéraires en espagnol, permet de contribuer à ce type d’étude. Par ailleurs, une version en anglais, Lexinary. Dictionary of invented words, a également été publiée en 2017 et pourrait notamment permettre de réaliser des études contrastives.
Julie Makri-Morel
CRTT
Université Lumière-Lyon 2
Références bibliographiques
Dal Georgette & Namer Fiametta (2016), « À propos des occasionnalismes », in Neveu F., Bergounioux G., Côté M. H., Fournier J.-M., Hriba L. et Prévost S. (éds), Actes du 5e Congrès Mondial de Linguistique Française, Tours, 4-8 juillet 2016, Paris, EDP Sciences, SHS Web of Conferences 27, p. 1-18
Léturgie Arnaud (2009), « Les Dictionnaires détournés : un trait d’union entre néologie et “pragmatique lexiculturelle” », Ela. Études de linguistique appliquée, 2009/2 (no 154), p. 205-218
Macchi Yves (2000), « L’acte de nomination : du percept au signifiant », in Chevalier J.-C. & Delport M.-F. (éds), La fabrique des mots : néologie ibérique, coll. « Ibérica-Essais », Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, p. 179-192
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Adamo, Giovanni, Della Valle, Valeria (2017), Che cos’è un neologismo, Rome, Carocci editore.
Peu d’aspects de la linguistique passionnent autant le grand public que la néologie. Il n’est donc pas surprenant que les livres de vulgarisation paraissent dans de grandes séries populaires, comme celui de Jean-François Sablayrolles (2018) pour le français, ainsi que le présent ouvrage pour l’italien. Les auteurs de ce dernier sont des spécialistes incontestés en la matière, ayant publié de nombreuses études et plusieurs dictionnaires de 225néologismes, dont le monumental Neologismi quotidiani (Adamo et Della Valle 2003). En outre, Giovanni Adamo est responsable depuis 1998 de l’Osservatorio neologico della lingua italiana (Onli) et par ailleurs membre fondateur du comité scientifique de Neologica. Valeria Della Valle, pour sa part, développe, à côté de ses recherches lexicologiques, une importante activité de vulgarisation de la linguistique à la radio, à la télévision et au cinéma.
Le format de ce livre est comparable à celui d’un « Que sais-je ? » (cf. Pruvost et Sablayrolles [2003] 2016 pour le français), ce qui impose des limites draconiennes et contraint les auteurs à des choix cornéliens. Nos collègues italiens ont opté pour une stratégie de présentation systématique et raisonnée d’un très grand nombre de néologismes attestés (sans doute le plus souvent par eux-mêmes), au prix d’une certaine redondance pédagogique, sur laquelle nous reviendrons.
Le livre est composé de quatre chapitres : le premier situe la question de la néologie, de ses origines, de ses définitions, de ses méthodes d’études et de sa typologie ; les trois autres constituent la présentation des grandes catégories de néologismes : affixale (chapitre 2), compositionnelle (chapitre 3) et sémantique et diverses (chapitre 4).
La recherche en néologie italienne est foisonnante et les auteurs puisent dans un vivier théorique et pratique très riche. Le premier chapitre donne en très peu de pages une idée de la diversité de ces travaux. Le lecteur français s’intéressera plus particulièrement au rôle pionnier des encyclopédistes du xviiie siècle dans la définition et l’acceptation de la notion de néologie. Ce n’est pas par hasard que la première attestation connue de neologismo figure dans un dictionnaire français-italien de cette époque. À partir du xixe siècle, les études de néologie italienne prennent une nouvelle importance, illustrée dans la section suivante. La fin de ce premier chapitre traite de la formation de mots nouveaux, définie de manière classique, ainsi que de leur typologie, fournissant ainsi un plan de lecture pour le reste de l’ouvrage.
Le deuxième chapitre est consacré aux néologismes dits dérivés, divisés en sept groupes selon le procédé concerné : suffixation, « altération » (en fait les diminutifs et augmentatifs), préfixation, formation parasynthétique, désacronymisation, abréviation/raccourcissement et adaptation. Sans surprise, c’est l’affixation qui se taille la part du lion en termes de productivité. La suffixation est sous-divisée à son tour selon la partie du discours concernée et celle d’origine de la base : on commence donc par les suffixes (sguattero > sguatteria – lave-vaisselle de restaurant), suivis des substantifs dérivés d’un adjectif, puis d’un verbe, puis le même traitement pour les adjectifs et les verbes. On relève également de nombreux 226affixes déonomastiques, par exemple -ino dans cinquestellino, partisan du Mouvement 5 étoiles. Cette option de présentation systématique a l’avantage de la clarté, ce qui n’est pas négligeable dans le cas de l’italien, dont les possibilités de suffixation dépassent nettement celles du français, mais on peut considérer qu’il entraîne une certaine redondance dans la mesure où les mêmes suffixes figurent sous plusieurs rubriques. Par exemple, tous les suffixes nominaux désadjectivaux figurent déjà en tant que suffixes nominaux dénominaux, et ainsi de suite. Les préfixes sont présentés selon un critère sémantique qui s’ajoute à celui de la partie du discours : on a donc des préfixes nominaux et adjectivaux de type spatio-temporel ou de type évaluatif ou conceptuel, ainsi que des préfixés déonomastiques.
Le troisième chapitre est consacré à la composition, définie encore une fois de manière large. Les deux grands sous-groupes sont les composés patrimoniaux (juxtaposition de deux lexies, soudées ou non) et les mots confixés, ou la composition classique. Les classes mineures sont les conglomérats et ellipses (fuggi-fuggi (émeute) ; apri-e-chiudi (ouvre et ferme) ; da paura (comme tout), l’acronymie et la siglaison, les mots-valises ou compocations (cineristopizzeria ; melafonino ; cantascrittore), la transcatégorisation (biologico, intermittente) ainsi que les unités polyrhématiques N+adj : città metropolitana, N+N : piano rifiuti (plan de déchets). La composition « courante » prend la forme de syntagmes nominaux (N+A : biblioteca virtuale, N+N : lingua ponte ou V+N : abbattitasse, même A+A : verdeoro (équipe du Brésil)). Parmi les formes plus rares, on soupçonne parfois une influence étrangère ADV+ADJ : differentemente abile (anglais : differently able). Les confixes sont soit classiques (aéro-, agri-…), soit modernes (afro-, anarco-…), rangés encore selon la position : premier ou second élément. Les mots-valises (parole macedonia, dénomination traditionnelle, mais qui est encore plus mal motivée que l’équivalent français) sont définis de manière large, comme la réunion de deux, ou exceptionnellement de trois, mots généralement impliquant au moins une troncation, mais pas nécessairement celle d’un segment commun. Les auteurs constatent que ce type de néologisme est de plus en plus courant en italien.
Le quatrième chapitre est intitulé « néologismes sémantiques », catégorie parfois désignée sous le nom de néosémie, qui n’est pas reconnue par tous les linguistes italiens comme relevant de la néologie, malgré son omniprésence dans la langue. Les auteurs distinguent l’extension et la spécialisation sémantiques, la métaphorisation, la métonymie et l’antonomase et évoquent les phénomènes à peine sémantiques comme le phonosymbolisme, l’onomatopée et autres astuces phonétiques et orthographiques. La fin de 227ce dernier chapitre est consacrée aux catégories qui n’entrent pas dans ces trois grands groupes : les éléments dialectaux, les calques lexicaux et les emprunts. Ces derniers sont sous-divisés en forestierismi et prestiti, que l’on pourrait rendre par xénismes et emprunts. Le premier serait généralement monosémique, mais accompagné le cas échéant d’adaptation phonétique et/ou morphologique, distinction sans doute peu opératoire. Selon les auteurs, les linguistes estimaient naguère que la presse véhiculait davantage d’anglicismes que ce qui était courant dans l’italien parlé ; aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies d’information et de communication, les voies de pénétration se sont multipliées. Malgré un débat public sur la place de l’anglais en Italie, parfois considérée comme exorbitante, les expressions anglaises, parfois forgées en italien, prennent de plus en plus d’importance : les rédacteurs de cet ouvrage en veulent pour preuves trois exemples pris dans la vie publique et connus de tous les Italiens : Jobs Act (ou Jobact, le projet de loi sur le marché du travail de 2014), spending review (contrôle des dépenses) et stepchild adoption (l’adoption de l’enfant du partenaire, inconnue en droit italien). Compte tenu de l’importance de l’influence que l’anglais exerce sur l’italien, on pourrait considérer que les quatre pages consacrées à l’emprunt minimisent le phénomène. En réalité, la présentation et l’analyse des différentes formes de néologie italienne des deux chapitres précédents tiennent largement compte de la dimension « linguistique de contact », rectifiant ainsi la balance.
Cet ouvrage est destiné à un large public et conviendrait très bien également aux étudiants italiens ou italianisants de premier cycle, ainsi qu’à ceux qui s’intéressent à l’évolution des langues romanes. Il comporte un très grand nombre d’exemples tirés de la recherche que les deux auteurs mènent depuis longtemps s’appuyant sur une connaissance encyclopédique de la linguistique italienne sans oublier de nombreux auteurs étrangers. Il fait ressortir très clairement les atouts de l’italien, qui dispose d’une multiplicité de possibilités d’affixation, mais aussi de composition, qui souvent dépassent celles du français. Pour la dérivation, on pense aux nombreux suffixes qui n’ont pas d’équivalents en français, surtout ceux qui sont chargés d’affectivité, comme -ame (opuscolame, opuscule de peu de valeur). On relève également la facilité avec laquelle l’italien ajoute un suffixe à un radical emprunté, par exemple chattata, de chat, ou une *chattée en français). De même, le français ne connaît pas l’équivalent sémantique de la substitution de la marque du genre, par exemple mammo (l’homme qui fait la maman) ou pillolo (pilule pour homme). Même la composition comporte des procédés qui semblent inconnus en français : cibovagare : errer à la recherche de quoi manger, etc.
228Pour le spécialiste de la néologie, c’est un livre qui met l’eau à la bouche : on aimerait, par exemple, en savoir plus sur les critères qui permettent de distinguer affixes et confixes, xénisme et emprunt ; -are est-il un suffixe dérivationnel ou tout simplement une désinence, la néologie relevant plutôt de la conversion, comme megafonare ? La bibliographie, très fournie pour une publication de ce type, donne un accès aux études apportant des réponses à ce genre de questions.
John Humbley
Université Paris-Diderot
Références bibliographiques
Adamo, Giovanni et Della Valle, Valeria (2003), Neologismi quotidiani. Un dizionario a cavallo del millenio (1998 – 2003), Lessico intellettuale europeo, vol. 95, Florence, Olschki.
Pruvost, Jean et Sablayrolles, Jean-François ([2003] 2016), Les néologismes, Paris, PUF Collection « Que sais-je ? »
Sablayrolles, Jean-François (2017), Les néologismes : créer des mots français aujourd’hui, Paris, Garnier.
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« NEOLEX », sous la direction de Denis Jamet, ELAD-SILDA [en ligne], no HS 1.
URL : https://revues.univ-lyon3.fr/elad-silda/index.php?id=228
Le Centre d’Études Linguistiques (CEL) de l’Université Jean Moulin Lyon 3 publie une toute nouvelle revue, Études de Linguistique et d’Analyse des Discours – Studies in Linguistics and Discourse Analysis (ELAD-SILDA)19, sous la direction de Denis Jamet.
229Cette nouvelle revue, qui peut être téléchargée gratuitement en ligne, est la bienvenue, d’une part parce qu’elle accepte les contributions dans de nombreuses langues (par exemple le polonais, le russe, l’italien, l’arabe) qui ne trouvent pas toujours de place dans les revues traditionnelles de lexicologie, de linguistique de corpus et de terminologie ; de l’autre, parce qu’elle met l’accent sur l’analyse en corpus de discours spécifiques, un axe de recherche foisonnant et riche qui justifie qu’une revue tout entière lui soit consacrée.
Ce premier numéro, « NEOLEX », est un volume hors-série traitant de la néologie : il rassemble les interventions présentées lors du colloque organisé par le CEL, en juin 2017, à Lyon, sur le thème de « la néologie lexicale à travers les âges ». Ce volume illustre bien ce que de nombreux auteurs ont déjà montré au sujet de la néologie : qu’il s’agit d’un objet d’étude complexe et polymorphe, qui peut s’envisager selon de multiples points de vue. Siouffi (2017 : 261), dans l’introduction d’un compte-rendu fait pour Neologica sur La fabrique des mots français, autre publication sur la néologie, rappelle que :
Ce qu’on peut mettre derrière le mot usuel de néologisme, ou celui, peut-être plus large, mais finalement moins répandu de néologie, dépend tellement des conditions historiques, des paramètres énonciatifs dans lesquels les mots sont employés, et du rapport qu’on peut avoir avec la « langue » […] qu’il est difficile de parvenir à en donner une vision stable.
Malgré cette difficulté à trouver une définition de la néologie qui fasse l’unanimité parmi les chercheurs et malgré les risques de trop grande hétérogénéité que comporte parfois la publication d’un volume à partir des communications d’un colloque, le numéro hors-série NEOLEX évite assez efficacement l’écueil de la simple compilation d’articles en adoptant un angle d’analyse comparatif et diachronique volontairement large de la néologie, lexicale comme sémantique. On ne s’étonne donc pas, à la lecture du numéro, que des contributions à première vue aussi différentes que celle de Moreno Campetella sur les néologismes techniques dans le traité de Della cultura degli orti et giardini (1588-1596) de Giovanvettorio Soderini et celle d’Aliénor Jeandidier sur les buzzwords d’origine anglaise dans la langue française puissent cohabiter.
Dans l’introduction du volume, Denis Jamet propose de regrouper les contributions publiées selon deux axes d’analyse de la néologie : un axe qui consiste à « étudier le contexte linguistique et extra-linguistique de production des néologismes » et un axe visant à mettre en lumière « l’étude 230du contexte de la réception des néologismes, de leur éventuelle évolution et de leur fortune ». On pourrait également regrouper les articles présentés en deux ensembles, un ensemble abordant la question de la néologie sous un angle plus théorique, qui s’appuie éventuellement sur une problématique de recherche testée au moyen de l’analyse en corpus, et puis un second ensemble abordant la néologie de façon beaucoup plus descriptive.
Dans le premier ensemble, deux articles, celui de Jean-François Sablayrolles et celui de John Humbley, contribuent à enrichir et à renouveler la réflexion sur le sujet, en abordant des points souvent peu traités en lien avec la création néologique. Jean-François Sablayrolles, dans la première contribution du volume, propose une réflexion absolument nécessaire et parfaitement éclairante sur l’opposition stricte qui est souvent faite, à tort, entre évolutions sémantiques discrètes et progressives du lexique, qui se produisent souvent à l’insu des locuteurs, comme l’a montré notamment Nyckees (2006), et néologie sémantique, que Sablayrolles définit (au début du paragraphe 1.1.2) comme « l’emploi volontaire d’un mot dans un sens différent de son sens conventionnel, avec une figure […] et une intention énonciative ». Sa contribution met également en lumière le rapport trop peu souvent évoqué entre les néologismes et ce que l’on qualifie de manière insatisfaisante d’archaïsmes. Ceci montre bien que, malgré l’ampleur des travaux dont la néologie a déjà fait l’objet, il reste des territoires qui ne sont pas encore complètement explorés et la terminologie linguistique utilisée pour décrire ce qu’est la néologie en est certainement un exemple.
Le processus de néologisation et l’observation de l’émergence d’une terminologie scientifique et technique, qui sont au centre de la réflexion présentée dans la contribution de John Humbley, font également partie de ces pistes de recherche qui ne sont pas encore exploitées à leur juste mesure. L’article, ancré dans le domaine de la terminologie, propose en outre une réflexion très enrichissante sur l’onomasiologie, qui a été considérablement marginalisée dans les études terminologiques avec le développement de l’analyse textuelle en corpus, mais que Humbley réhabilite dans le cadre de la néologie. Après un rappel épistémologique très utile sur la place de l’onomasiologie en terminologie, l’auteur montre parfaitement, en s’appuyant sur l’étude des termes décrivant la fleur et le fruit des abricotiers dans les dictionnaires encyclopédiques et encyclopédies du xviiie siècle, comment l’onomasiologie peut être utilisée comme méthode de datation de la création néologique.
La qualité de ces deux contributions est complétée par la grande richesse d’analyse des autres articles présents dans le volume, qui, chacun 231à leur tour, permettent d’aborder des thématiques essentielles en matière de néologie : c’est le cas de l’étude proposée par Anne-Caroline Fiévet et Alena Podhorna-Polická, qui rend compte d’un travail mené sur la néologie des jeunes Français. Outre le fait que les résultats issus des enquêtes menées auprès des jeunes, présentés en fin d’article, permettent une exploration in vivo de ce que représente le sentiment néologique, tel qu’il a été défini par Gardin, Lefèvre, Marcellesi et Mortureux en 1974, cette contribution donne l’occasion de s’interroger sur la nature des corpus qui peuvent être employés en diachronie pour observer la néologie. Ici, les auteurs analysent des données issues de questionnaires et montrent bien comment, en matière de « néologie générationnelle », la nature des corpus doit être adaptée à l’objectif de la recherche. Enfin, l’étude présentée étant menée dans le cadre d’une chronologie interrompue (sur deux périodes de sept ans à sept années d’intervalle), on voit bien également à quel point la taille et le nombre des segments chronologiques analysés doivent faire partie de la réflexion menée sur la méthodologie de travail en diachronie.
Ce numéro hors-série met également en lumière le lien incontournable entre néologie et emprunt(s), puisque quatre contributions y sont directement consacrées. La première d’entre elles, proposée par Aliénor Jeandidier, retrace comment les buzzwords, que l’auteur définit dans son introduction comme des « lexies d’origine anglaise […] à la mode chez certains locuteurs français : enfants, adolescents, jeunes adultes, mais aussi journalistes, blogueurs, ou encore hommes et femmes politiques », se sont adaptés en français sur le plan sémantique, morphosémantique et phraséologique. Dans cette contribution, l’auteur procède à une analyse très intéressante des traits sémantiques du terme buzzword au moyen de cinq sites lexicographiques anglophones de référence ; elle met également l’accent sur le rôle social de la langue, ainsi que sur le lien très étroit entre néologie et évolution de la société.
L’emprunt est également au cœur de la réflexion de l’article de Denis Jamet et Adeline Terry, qui s’interrogent sur le rôle qu’il joue en matière de néologie lexicale dans la langue anglaise. Cette étude originale est faite dans une perspective diachronique large puisqu’elle couvre une période allant de 1050 à 2000. Elle s’appuie sur une réflexion théorique convaincante, une méthodologie solide et montre d’une part que la langue anglaise emprunte de moins en moins de termes au fil du temps et, de l’autre, que les emprunts deviennent de moins en moins productifs en anglais, la création néologique se faisant majoritairement, pour les périodes les plus récentes, à partir de matrices internes à la langue.
232Radka Mudrochová et Jan Lazar se penchent sur la diffusion des « emprunts néologiques », en diachronie courte et contemporaine, sur l’espace d’une année, dans le domaine de la mode, en tchèque et en français. Les auteurs s’appuient pour ce faire sur l’analyse d’un corpus ouvert constitué d’articles issus de la presse féminine et de la presse écrite généraliste. Cet article présente un contraste intéressant avec les autres contributions du volume car il porte sur une diachronie extrêmement courte, et se base sur l’exploration d’un corpus écrit, ouvert, et comparable. En outre, le domaine d’application choisi permet aux auteurs de faire explicitement le lien entre néologie et réalité extralinguistique, l’objectif étant ici d’observer si le changement des saisons a une influence, dans les deux langues et dans le corpus à l’étude, sur la fréquence et l’utilisation des emprunts néologiques.
Enfin, Vittorio Dell’ Aquila, Michela Giovanni et Fabio Scetti proposent une étude des néologismes en ladin qui sont issus d’emprunts, dans un contexte géographique très particulier de contacts inter-langues avec l’allemand et l’italien. Les auteurs montrent bien la dimension sociale très importante à l’œuvre dans l’intégration des emprunts et le rejet, par les locuteurs ladins, des règles de l’orthographe issues du français et de l’anglais pour adapter ces emprunts.
La question de la diachronie en néologie est abordée sous un angle différent dans l’article de José Carlos de Hoyos, dans celui de Moreno Campetella et dans celui d’Adeline Sanchez, tous trois portés par une réflexion ancrée dans la lexicologie historique et spécialisée. La contribution d’Adeline Sanchez repose sur un corpus historique composé de trois fragments de compilations manuscrites de textes médicaux, imprimées entre 1495 et 1509, et illustre bien le rôle de la création lexicale dans la traduction de textes latins vers le français, dont la langue de spécialité était à l’époque en pleine formation. L’auteur montre parfaitement par ailleurs que le nombre important de néologismes présents dans ces fragments ne sont pas le reflet d’un flottement conceptuel, mais, bien au contraire, l’expression dans la langue du besoin de transmettre et de diffuser des connaissances.
On ne peut s’empêcher, à la lecture de cet article, de constater combien la néologie est un vecteur de transmission des savoirs, et que les termes nouveaux, comme le rappelle Resche (2013), représentent des jalons de l’évolution des connaissances. C’est ce que montre également l’article de José Carlos De Hoyos, qui s’attache à décrire, du point de vue morphologique, la langue espagnole de l’économie du début du 233xixe siècle et qui montre, à partir du corpus étudié, qu’une nouvelle science, l’économie politique, est en train d’émerger. De façon tout à fait intéressante, l’auteur tente de dresser, à partir des tendances observées dans les résultats de l’analyse, ce qu’il appelle le portrait morphologique des néologismes qui se sont intégrés avec succès dans la langue de l’économie de l’époque.
C’est encore la néologie spécialisée, moyen de transmission de connaissances ici techniques, qui est au cœur de l’article de Moreno Campetella et du traité qu’il étudie, le Della cultura degli orti, rédigé par Giovan Vittorio Soderini et édité en 1814. La contribution de Moreno fait écho à celle de Humbley, car elle met en lumière, de façon complémentaire, ici du point de vue des savants, l’importance de l’onomasiologie en matière de création néologique. L’auteur montre en effet que l’invention de tout un vocabulaire lié à l’agronomie et à l’horticulture, et tout particulièrement la nomenclature des plantes et des fleurs, ainsi que les termes relatifs à la pédologie participent réellement à l’effort de conceptualisation, de hiérarchisation et de classement scientifique fourni par les hommes de sciences de l’époque.
En conclusion, ce numéro hors-série Neolex propose une grande qualité de contributions, et repose sur des analyses riches et souvent complémentaires de la néologie, en diachronie. Il ouvre également la voie à de futures recherches sur le sujet, notamment parce qu’il met en lumière la diversité des méthodes d’exploration possibles et la grande variété des corpus diachroniques (manuscrits, dictionnaires, revues, ouvrages et traités, questionnaires) qui peuvent être utilisés à des fins d’exploration néologique.
Pascaline Dury
Université Lyon 2
Références bibliographiques
Gardin, B., Lefèvre, G., Marcellesi, Ch. et Mortureux, M.-F. (1974) : « À propos du “sentiment néologique” », Langages, 36, p. 45-52.
Nyckees, V. (2006) : « Rien n’est sans raison : les bases d’une théorie continuiste de l’évolution sémantique ». Dans F. Gaudin et D. Candel (dir.), Aspects diachroniques du vocabulaire, Rouen : Presses Universitaires de Rouen, p. 15-88.
234Resche, C. (2013) : « Dénominations disciplinaires et nouveaux contours d’un domaine spécialisé : le cas de la science économique », ASp, 64, p. 29-50.
Siouffi, G. (2017) : « Compte rendu », Neologica, 11, p. 261-267.
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Néologie, corpus, méthodes d’analyse – recherches en langue de spécialité / Neologismen, Corpora, Methoden – Beiträge zur Fachsprachenforschung, sous la direction de Günter Schmale avec la collaboration de Jean-Marc Delagneau (2018), Saarbrücken : htw saar (Saarbrücker Schriften zu Linguistik und Fremdsprachendidaktik (SSLF) ; B : Sammelbände 5), 180 pages. Consultable sous https://sites.google.com/site/linguistikunddidaktik/home
Les contributions réunies dans cette publication en ligne sont issues de communications présentées lors de trois journées d’étude organisées par le Groupe d’Études et de Recherches en Allemand de Spécialité (GERALS) : La néologie en allemand de spécialité (Université de Strasbourg, 2013), Corpus et allemand de spécialité (Université du Havre, 2014) et L’allemand de spécialité à l’ère numérique (Université de Franche-Comté, site de Montbéliard, 2015). Ces thématiques correspondent aux trois parties de l’ouvrage, les deux dernières se trouvant inversées, sans raison explicite, par rapport à l’ordre chronologique des journées d’étude. Dans son avant-propos (p. 9-12), Jean-Marc Delagneau, président du GERALS, souhaite que cette première publication de ce groupe d’études donne une impulsion à la recherche dans le domaine des « langues allemandes de spécialité » en France : « L’enjeu est crucial, aussi bien pour la pérennité de l’enseignement de l’allemand en France […] que pour l’avenir des jeunes Français dans une Europe plurilingue » (p. 12).
La première partie, intitulée Néologie en allemand de spécialité (p. 27-92), met en lumière l’importance de la réflexion néologique pour l’étude des langues de spécialité. Elle s’ouvre par la contribution de Danielle Candel et John Humbley consacrée à « Johann Beckmann – pionnier de la terminologie allemande » (p. 27-43). Penseur de la politique économique, Beckmann (1739-1811) a joué un rôle central dans l’émergence de la technologie comme discipline scientifique et dans l’élaboration d’un vocabulaire spécialisé qui 235y a trait. Après avoir présenté l’évolution de cette discipline, les auteur.e.s retracent l’évolution sémantique du terme « technologie », soulignant que la conception de Beckmann – la technologie en tant que science qui étudie la manière dont les produits naturels sont transformés et les métiers qui s’y rattachent – devait s’imposer dans les pays de langue allemande, puis, « avec lenteur » (p. 32), en France. Candel et Humbley montrent ensuite que Beckmann, par la dimension encyclopédique, lexicographique, néologique et terminologique de ses écrits, en particulier de son Entwurf der algemeinen Technologie (1806), est à la fois l’héritier de la riche tradition encyclopédique et lexicographique européenne et le précurseur de la terminologie moderne, comme en témoignent son activité néologique (on lui doit de nombreux calques allemands – par ex. Abziehpflug « charrue à gouttières », issu de draining plough) et ses principes de normalisation terminologique, dont l’évitement de synonymes, qui préfigurent les réflexions du grand théoricien de la terminologie Eugen Wüster (1898-1977).
Achille Souili et Thierry Grass s’intéressent à la création terminologique au sein d’une base de données trilingue (français-anglais-allemand) consacrée aux termes de la méthode dite de « conception inventive » (p. 45-57). Issue de la « théorie de la résolution des problèmes inventifs » (dont l’acronyme est TRIZ) élaborée par l’ingénieur russe Genrich Altshuller, cette méthode francophone vise à améliorer les procédés techniques dans le cadre de l’invention par l’étude des brevets et la comparaison de problèmes rencontrés avec d’autres ayant été résolus dans des contextes similaires. Après avoir présenté la théorie d’origine – dont la langue vernaculaire est désormais, sans grande surprise, l’anglais – et son avatar francophone, les auteurs soulignent la nécessité de disposer d’une base terminologique plurilingue permettant l’emploi plus systématique des termes. Cet outil, conçu par Achille Souili et baptisé TRITZTERM, a pour langue de départ le français. Il repose sur 103 termes-clés de la théorie, auxquels s’ajoutent ceux issus de glossaires existants pour le français et l’anglais et d’articles Wikipédia consacrés à la TRIZ. Les informations récoltées sur les néologismes sont disponibles sous forme de fiches terminologiques dont le contenu ne cesse d’évoluer grâce à l’approche dite « participative » qui permet aux internautes d’évaluer ces fiches.
Dans son étude de l’anglicisme Blockbuster en allemand (p. 59-79), Marie-Laure Pflanz analyse, au sein du corpus DeReKo et du magazine économique Capital, les marqueurs d’altérité susceptibles de renseigner sur le degré d’intégration des deux acceptions du mot, courante et pharmaceutique, dans la langue non spécialisée. La distinction opérée par 236l’auteure entre les types de marqueurs que sont l’« explication », l’« équivalent allemand » et le « marquage métalinguistique » mériterait toutefois d’être explicitée, la dernière catégorie, qui inclut le « commentaire métalinguistique », pouvant a priori recouper les deux autres. Pflanz montre que la présence de tels marqueurs ne signifie aucunement que le terme ne soit pas compris – du moins superficiellement – par les locuteurs, ceux-ci ayant spontanément recours au « plus petit dénominateur commun, à savoir […] le trait sémantique “succès commercial” » (p. 70). On peut toutefois se demander si, comme l’affirme l’auteure, « l’apparition en anglais du néologisme sémantique “Blockbuster”, qui est rapidement devenu un concept de référence pharmaceutique, a modifié la réalité extralinguistique, puisque cela a de facto poussé les entreprises pharmaceutiques à s’intéresser prioritairement à des futurs blockbusters » (p. 71) ou si ce ne sont pas plutôt les bénéfices juteux de la vente de ces médicaments qui ont contribué à diffuser l’emploi du néologisme dans le sociolecte médical puis dans la langue commune.
La contribution de Sabine Wintgen porte sur la présence massive d’anglicismes dans les langues de spécialité en allemand et son impact sur l’enseignement de l’allemand langue de spécialité à l’étranger (p. 81-92). Son constat est sans appel : « En voyant ce que l’on enseigne, il arrive qu’on se demande s’il s’agit encore d’un “cours d’allemand” et on est tenté de s’excuser auprès des étudiant.e.s de leur servir une telle mixture linguistique » (p. 82 ; traduit par nos soins). Le phénomène est bien connu : si l’influence de l’anglais, en allemand comme dans d’autres langues, concerne essentiellement le lexique, en particulier les noms (Outsourcing, Offshoring, Bachelor, Master, d’origine latine pour les deux derniers) et les verbes (downloaden, updaten), elle est perceptible également dans les domaines syntaxique et sémantique ; les exemples cités par l’auteure, entre autres la construction in + date, la reprise de l’auxiliaire dans les réponses à des interrogations globales (Ja, ich habe, sur le modèle de Yes, I have) ou l’emploi élargi de lieben, relèvent toutefois de la langue courante plutôt que de spécialité. Après avoir évoqué les principales raisons du phénomène et les positionnements des linguistes et des puristes sur le sujet, l’auteure plaide pour un « usage plus conscient et réfléchi de la langue maternelle » (p. 90, traduit par nos soins). Le lien avec la néologie reste toutefois en suspens, en particulier la question de savoir dans quelle mesure la forte concentration du nombre d’anglicismes dans les langues de spécialité est compatible avec le sentiment de nouveauté inhérent à la notion de néologisme.
237La deuxième partie est consacrée à l’allemand langue de spécialité à l’ère numérique (p. 93-129). Clémence Andréys, Kim Godin & Priscilla Wind proposent une analyse linguistique de trois sites de vente en ligne de vins en Allemagne (p. 95-114). Prenant appui sur les recherches dans le domaine du marketing interculturel, elles montrent l’importance des aspects culturels dans la présentation des vins et des acteurs de la filière, notamment par le recours aux clichés indémodables faisant appel au sentiment d’appartenance (l’art de vivre, l’attachement au terroir, l’élitisme, etc.), et constatent que ces clichés, dans le secteur dit « premium » à visée internationale, ont tendance à s’estomper.
Dans sa contribution, issue de sa thèse de doctorat, Veronika Görtz étudie les évolutions actuelles de la vente de voyages en Allemagne et en France (p. 115-129). Sur la base de 19 entretiens menés auprès de professionnels, elle expose les opportunités et les défis que représente la vente en ligne pour les agences de voyages in situ. L’étude – plus socio-économique que linguistique – souligne entre autres la nécessité de se spécialiser davantage, de développer de nouveaux produits et de s’adapter aux exigences de clients mieux informés et plus exigeants.
La troisième partie porte sur le rôle des corpus dans l’étude de l’allemand de spécialité (p. 132-177). Dans son article Analyse de corpus assistée par ordinateur et enseignement des langues allemandes de spécialité (p. 133-153), Jean-Marc Delagneau pointe les difficultés auxquelles est confronté actuellement l’enseignement des langues de spécialité en France : influence de l’anglais, manque de soutien des instances dirigeantes, faible niveau de formation des enseignants, qui privilégient souvent une approche plus didactique que linguistique, utilisation des technologies de l’information et de la communication qui « finit par donner une sorte de vernis technologique à un contenu qui l’est en réalité beaucoup moins » (135 sq.). L’auteur prône une approche intégrative des langues de spécialité qui tient compte des aspects lexicaux, syntaxiques, morphologiques et culturels, les informations issues de l’extraction automatique à partir de grands corpus pouvant être rassemblées dans des « dictionnaires combinatoires ». Pour conclure, Günter Schmale analyse, sur la base d’un corpus de conversations, l’emploi des termes médicaux en allemand dans les échanges entre patients et personnel soignant (p. 155-177). Après avoir rappelé que la langue médicale, comme toutes les langues spécialisées, n’est pas une langue à part, mais une variété fonctionnelle visant à rendre compte de connaissances spécialisées, l’auteur montre que certains termes médicaux, qu’ils soient d’origine 238germanique ou gréco-latine, ne font l’objet d’aucun commentaire de la part du patient ou du personnel médical ; il arrive toutefois que les locuteurs les explicitent au moyen de paraphrases ou aient recours exclusivement à des expressions de la langue courante et/ou des tournures idiomatiques. L’analyse de plusieurs séquences révèle enfin que la signification des termes médicaux n’est en rien figée, résultant de fait souvent d’une sorte de « négociation » entre les participants de l’échange.
Si l’ouvrage s’adresse prioritairement aux spécialistes de linguistique allemande, les contributions, en évitant le recours excessif aux termes linguistiques, sont compréhensibles également pour les non-linguistes, bien que le style peu soigné de certaines d’entre elles soit susceptible d’entraver ponctuellement la compréhension. L’introduction bilingue français-allemand et la traduction des citations allemandes dans les articles rédigés en français témoignent de la volonté de rendre accessibles les contenus au lectorat le plus large possible ; dans cette perspective, il aurait été sans doute utile d’appliquer le principe du bilinguisme français-allemand également aux résumés qui, eux, ne sont traduits qu’en anglais (à l’exception de celui de J.-M. Delagneau). Si nous devions résumer en un mot l’impression générale qui se dégage à la lecture de ce recueil, nous opterions sans hésiter pour celui de « diversité » : diversité des sujets traités et des approches retenues, mais aussi des réflexions que suscitent certaines contributions, notamment sur le rôle des langues de spécialité dans l’évolution de l’allemand contemporain, la place de plus en plus ténue de l’allemand dans plusieurs domaines spécialisés – en contradiction avec ses nombreuses potentialités créatives – ou encore la place à lui accorder dans les enseignements de langue vivante. C’est là tout l’intérêt de ce recueil : livrer un aperçu de l’étendue des champs d’investigation qui relèvent du domaine des langues de spécialité, encore largement en friche au sein de la germalinguistique française. Souhaitons-lui d’ouvrir la voie à d’autres publications sur le sujet, qui ne manqueront pas d’intéresser toutes celles et tous ceux qui s’interrogent sur la manière de créer et de dire les savoirs à notre époque, largement dominée par le tout-anglais.
Vincent Balnat
Université de Strasbourg
1 Parmi les auteurs les plus connus, citons A. Finkielkraut, J.-L. Chiflet, ou encore A. Créhange.
2 Le statut de néologisme peut être discuté ici, ne s’agissant pas d’unités destinées à être diffusées ou à se répandre au sein de la communauté de locuteurs hispanophones. Peut-être faudrait-il dès lors distinguer néologie et création lexicale.
3 Y. Macchi (2000 : 180) définit le néologisme réussi comme « une trouvaille individuelle qui répond à un besoin d’expression collective ».
4 Traduit par nos soins. « crear una sinfonía de palabras que, al ser leídas u oídas (…), provoquen un placer estético y una interpretación única en quien las perciba » (p. 9)
5 Dans la typologie des dictionnaires détournés proposée par Léturgie (2009), cet ouvrage insolite trouverait sa place à la fois dans les dictionnaires néomorphologiques et néomorpho-sémantiques.
6 Il s’agit de la seconde édition ; la première édition est parue en 2013.
7 Nous n’avons pas observé de néologismes sémantiques.
8 Précisons qu’avant de s’adonner à la littérature et à l’écriture, l’auteur a d’abord été chirurgien et a consacré une grande partie de sa carrière à la recherche clinique, ce qui explique peut-être ce goût pour la néonymie.
9 Composé de ente (l’être/l’entité) et de lexia (la lexie), et dont la définition donnée est : « El verdadero significado de una palabra ».
10 Diccionario de la Real Academia española, l’édition n’est pas précisée.
11 Traduit par nos soins. « (…) este Lexinario podría ser objeto de curiosidad, reflexíon o risa para cualquier lector » (p. 10)
12 Seule l’origine des emprunts est signalée, tels ranquear ou brandicar (respectivement de l’anglais to rank et to brand).
13 Voir Dal G. & Namer F. (2016) pour les caractéristiques précises de ce type d’unités.
14 Respectivement « f. Med. Súbito calentamiento de la sangre », « tr. Esparcir líquido pulverizado en algo o en alguien », et « f. Cualidad de incontrolable ».
15 Respectivement « m. Destrucción de vida vegetal por diversión », « f. Se dice de la sabiduría que adquiere la mujer después del matrimonio », « (Del inglés sniper, francotirador). m. Francotirador que se esconde, ya sea por ser un buen tirador o por ser un cobarde », et « m. Se dice del estudiante de un país tercermundista que estudia en el extranjero ».
16 Respectivement « f. Probabilidad de que una circunstancia o un evento no sucedan », « intr. coloq. Acostarse con las manos fuera de las cobijas » et « tr. Imaginar diferentes presentes condicionales con diversas alternativas futuribles ».
17 « No soy ni pretendo ser lexicólogo ni semantista. Soy un médico y ciéntifico que escribe por placer, por arte y diversión » (p. 9-10)
18 Pour la néologie « in vitro » : José Luis Coll, Diccionario Coll del siglo XXI, Barcelone : Planeta, 2007. Pour la néologie littéraire : Jorge Mux, Exonario, Mexico : Grijalbo, 2012 (ebook).
19 Consultable à l’adresse suivante : https://revues.univ-lyon3.fr/elad-silda/index.php?id=358
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-406-09663-4
- EAN : 9782406096634
- ISSN : 2262-0354
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09663-4.p.0221
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/08/2019
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français