Nouvelle esthétique
- Publication type: Book chapter
- Book: Métamorphose des Métamorphoses. La réécriture de la version Z de l’Ovide moralisé
- Pages: 25 to 87
- Collection: Medieval Literary Research, n° 32
- Series: Ovidiana, n° 1
Nouvelle esthétique
Une version abrégée de l’Ovide moralisé ?
L’Ovide moralisé original1 étonne par son étendue d’environ 72000 octosyllabes2. Le texte contenu dans le remaniement Z n’a pas la même ampleur, puisqu’il compte près de 39 000 vers, soit un peu plus de la moitié du texte initial3. Il apparaît donc, à première vue, comme une version abrégée.
Suppressions
Une éviction systématique des allégories spirituelles
Des parties spécifiques du texte sont systématiquement supprimées : les allégories religieuses, par opposition aux expositions. L’adaptateur explique ainsi son choix de laisser de côté les allégories : « La causse si est, a voir dire, / Que lonc m’eust esté a escripre »(XV, v. 1191-11924). Il désigne donc sa recréation comme une version abrégée par l’amputation des interprétations religieuses. Cette coupe va de pair avec un effacement du concept même d’explication religieuse. Le mot « allegorie5 », qui désigne ce type de lecture, est effectivement banni du 26vocabulaire du remanieur, comme si ce dernier excluait toute explication spirituelle. Il ne l’emploie qu’à la fin de son ouvrage pour désigner ce qu’il n’a pas voulu recopier. Aucune rubrique ne porte non plus le nom d’« allegorie » ; aucune interprétation se désignant comme telle dans l’ouvrage de référence n’est conservée. Les trois types d’allégories qui figurent dans l’Ovide moralisé premier – typologique, tropologique, anagogique – ne sont pas représentés. Seules persistent, rarement, certaines exégèses tropologiques, mais elles se voient dépouillées de ce qui a pu paraître « trop » religieux. Ainsi, l’œuvre ressemble à « un livre de fables, qui sont expliquées selon le sens historique et, plus rarement, moral6 ». Par exemple, l’interprétation tropologique de la fable de Narcisse sur la vanité de la beauté et l’orgueil se mue en une simple lecture historico-morale. Le remanieur complète les éléments narratifs que l’interprétation initiale emprunte à la fable. Ainsi, il garde et développe les vers « Narcisus fu biaus a devise. / De lui fu dit que preu vivroit, / Si lonc terme de vivre avroit7 » (éd. C. De Boer, III, v. 1854-1856). En revanche, il supprime ceux qui évoquent le rapport entre Narcisse et les anges qui perdirent le Paradis (ce qui se rapproche de la tropologie8). Enfin, il ne s’appesantit pas sur cette chute. Il ne garde qu’une simple mise en garde contre l’orgueil, comme le signale cette comparaison :
Ovide moralisé original |
Ovide moralisé remanié |
Trop sont cil fol et non sachent Qui pour tel biauté s’orgueillissent Quant en si poi d’ore perissent, Quar nous n’avons point de demain : |
Ce fu son orgueil, et sa fleur Fu tost peri et sa valeur. Si se fait bon mirer en li, Non pas ainsi comme fit li, |
27
Teulz est riches ou biaus au main, Qui ains le soir a tout perdu. Trop a cil le cuer esperdu Qui pour tel vain bien et muable Pert la grant joie pardurable, Et se mire ou tenebreus font D’enfer en abisme parfont. (éd. C. De Boer, III, v. 1892-1902) |
Mes par ce qu’il l’en avint9 Pour le grant orgueil qu’il maintint. Si ne soit nullui ourguilleux, Car en riens ne peut valoir mieux. (III, v. 1648-1655) |
Le remanieur ne fait pas rimer le verbe « orgueillir » avec « perir » pour associer, dans une forme de mise en scène terrifiante, l’orgueil à la Chute. Il n’évoque pas non plus les réalités de l’au-delà, comme par exemple la « joie pardurable ». Le texte s’intéresse à l’interprétation morale de la mort de Narcisse, tout comme la première version, mais sans qu’il soit question de la vie après le trépas. En cela, le réviseur se détache de ce qui s’apparente à la tropologie, c’est-à-dire à la façon de se comporter selon le dogme pour atteindre le Salut de l’âme. Il maintient seulement la mise en garde contre l’orgueil qui reste le péché mortel par excellence.
Les coupes concernent donc les interprétations religieuses ou ce qui renvoie trop à la spiritualité, et ce de façon automatique. Telle est la spécificité la plus manifeste de ce nouveau texte. À l’inverse, le remanieur conserve un certain attrait pour l’histoire et la morale qu’il différencie d’une lecture tropologique qu’il ne prend pas en compte.
Il lui arrive, beaucoup plus rarement, de se défaire d’expositions physiques ou physico-historiques. Au livre II, deux expositions naturelles manquent : celle de la colère de Phébus ramenée à une éclipse de soleil, celle des larmes de Clymène lues comme l’humidité qui fait croître les plantes (éd. C. De Boer, II, v. 1029-1064 et v. 1142-1154). Le premier auteur associe l’éclipse au jour de la naissance du Christ. La référence religieuse peut expliquer la suppression du passage. Au quatrième livre, l’exposition sur Clytie n’est pas recopiée, mais le réviseur complète la fable par un commentaire conclusif ressemblant à une exposition physico-historique qui ne reprend aucun élément de l’interprétation évhémériste du texte original. Ce manque, qu’il soit conscient ou inconscient, est donc partiellement comblé, puisque le remanieur explique la symbolique de la fleur en laquelle Clytie s’est métamorphosée (IV, v. 1324-135510). 28La signification de la métamorphose de la mûre disparaît elle aussi (éd. C. De Boer, IV, v. 1170-1175) ; peut-être le réviseur considérait-il avoir déjà interprété la fable par l’ajout à valeur de vérité générale qu’il propose en conclusion de celle-ci11. Nous ne lisons plus l’interprétation selon laquelle la métamorphose de Salmacis et d’Hermaphrodite représente l’union d’un homme et d’une femme dans l’acte sexuel (éd. C. De Boer, IV, v. 2224-2249). Un facteur est probablement entré en jeu : le déplacement de l’extrait dans le modèle commun à Y et Z. Le passage se trouve, dans Y et Z21, relégué à la fin des allégories religieuses, ce qui laisse imaginer que le remanieur est passé à côté de cette interprétation. L’exposition physique de la fable de Ganymède, enlevé par Jupiter changé en aigle, n’est pas retenue (éd. C. De Boer, X, v. 3388-3405) ; celle de Hyacinthe non plus. La première explique la métamorphose de Jupiter comme un phénomène naturel, en associant l’aigle à l’air chaud ; la seconde interprète l’amour de Phébus pour le jeune Hyacinthe comme la floraison du glaïeul sous l’effet du soleil printanier. La suppression de ces deux expositions pourrait provenir du fait qu’elles sont intercalées dans une série d’interprétations spirituelles (éd. C. De Boer, X, v. 3388-3405 et v. 3426-3442). En outre, dans la version traditionnelle, la fable de Myrrha reçoit une exposition qu’on pourrait qualifier de « physico-morale ». L’auteur explique que la myrrhe aime excessivement la chaleur du soleil et qu’Adonis, aimé de Vénus, est le piment que l’on fabrique à partir de la plante et qui donne « appetit de luxure » (éd. C. De Boer, X, v. 3678-3747). Mais une fois encore, c’est peut-être la situation de ce passage, inséré entre des allégories religieuses, qui explique son absence. La récurrence de ces omissions d’expositions enserrées dans un contexte dense d’interprétations religieuses porte à le croire, sans qu’on puisse déterminer la véracité de cette hypothèse. En revanche, nous comprenons moins la disparition de l’explication selon laquelle Pomone figure l’abondance de tous fruits et Vertumne les quatre saisons (éd. C. De Boer, XIV, v. 5313-5376).
Quelques expositions évhéméristes sont aussi éliminées. Au premier livre, le remanieur ne transcrit pas toute l’interprétation des géants qui tentèrent de détrôner les dieux. Il supprime notamment la partie sur la multiplication des langues par Dieu, qui réfère à la Genèse (éd. C. De 29Boer, I, v. 1153-1184). La Genèse est pourtant considérée comme une matière historique, qui ne gêne pas le réviseur. Il transcrit, par exemple, l’intégralité de l’exposition sur Deucalion et Pyrrha renvoyant au Déluge et à l’histoire de Noé. La veine trop moralisante de cette exposition, qui met l’accent sur l’orgueil humain, a pu être un critère de rejet, même si l’exposition morale sur l’orgueil de Narcisse, par exemple, est conservée. Une interprétation historique sur les marins que Bacchus transforme en dauphins manque également : les marins sont ivres du vin que représente Bacchus (éd. C. De Boer, III, v. 2688-2740). Elle se situe à la suite d’une série d’allégories spirituelles, si bien que le réviseur a pu ne pas la remarquer. Au sein du livre IV, les témoins du groupe Z ne disposent pas de l’exposition historique sur la métamorphose de Clytie12 en fleur (éd. C. De Boer, IV, v. 1756-1783). Elle fait suite, dans la version commune, à une série d’interprétations sur Mars et Vénus déplacée dans Y. Par cette restructuration, elle s’insère à la suite d’allégories religieuses, et non avant comme d’habitude, si bien que le remanieur n’y a probablement pas prêté attention. En outre, les témoins Y disposent seulement des derniers six vers de ce passage13 qui ont pu se trouver noyés au milieu du bloc d’allégories. La signification historique de la métamorphose de Cadmus et Harmonie en serpents ne figure ni dans Z, ni dans A2 et Y (éd. C. De Boer, IV, v. 5200-521814). Par conséquent, son absence ne dépend pas du réviseur mais remonte plus haut. La lecture évhémériste sur Triptolème et Lyncus n’est pas transcrite, mais c’est aussi le cas de la fable et même plus largement de la fin du livre V dans laquelle ces passages s’inscrivent (éd. C. De Boer, V, v. 3747-3803). L’auteur initial explique concrètement le contenu de la tapisserie réalisée par Arachné, ce que ne fait pas l’adaptateur (éd. C. De Boer, VI, v. 731-773). Une fois de plus, l’extrait se situe après une série d’allégories religieuses. Nous ne disposons pas non plus de l’explication sur la fable de la dévoration d’Érysichthon par lui-même, qui a perdu tous ses biens pour satisfaire son appétit (éd. C. De Boer, VIII, v. 4308-4328). Cette lecture figure après plusieurs lectures religieuses, ce qui peut justifier son absence. En outre, le remanieur ne livre pas l’explication de 30la métamorphose d’Iphis en garçon, présentée comme une jeune fille qui ressemble à un homme et qui se fait fabriquer un membre postiche (éd. C. De Boer, IX, v. 3113-3157). On peut imaginer que l’obscénité du propos l’a gêné15. On ne retrouve pas non plus l’interprétation sur le fait qu’Orphée promeut l’homosexualité (éd. C. De Boer, X, v. 2494-2539). L’auteur originel explique, à la suite d’allégories religieuses, les aventures de Ganymède et de Pygmalion. Ganymède est hissé par Jupiter, roi de Crète, au rang de « bouteiller » (éd. C. De Boer, X, v. 3362-3387) ; Pygmalion aime une femme de rien qu’il parvient à instruire (éd. C. De Boer, X, v. 3560-3585). Le réviseur ne recopie pas l’explication sur Ganymède, mais en propose une autre pour Pygmalion : la nature, qui incite tout homme à l’amour, fait désirer à Pygmalion une femme qui est d’abord, comme une statue, froide à ses avances. Enfin, au livre XII, on ne lit plus l’explication selon laquelle le onzième frère de Nestor devient un aigle car il vit de rapine (éd. C. De Boer, XII, v. 3139-3160) ; l’extrait est encore entouré d’allégories. La rareté de telles lacunes, en comparaison avec la suppression systématique des moralisations christianisantes, indique combien le créateur de la branche Z reste attaché à une lecture concrète du texte. Si l’on admet que le remanieur n’a pas toujours regardé si des explications concrètes se cachaient entre les allégories spirituelles qu’il ne recopie pas, on peut penser que l’absence de ces passages n’est pas consciente.
Coupes au sein de la fable
Les passages interprétatifs ne sont pas les seuls à être abrégés. Les fables sont également raccourcies.Ces suppressions ont plus ou moins d’ampleur. Elles concernent des pans entiers de texte comme de menus détails. Elles s’attachent la plupart du temps à des parties spécifiques de la fable, par exemple des extraits qui évoquent le dogme chrétien au sein du récit, des descriptions techniques, des énumérations, les plaintes des personnages. Il y aurait donc une logique qui rejoint partiellement celle qui anime la suppression des allégories et qui participe aussi de la technique littéraire de l’abreviatio.
Les allusions à la spiritualité, au dogme chrétien au sein du récit sont souvent effacées. Au livre VII, alors que le peuple athénien fête le retour 31de Thésée, une digression accompagne la description des réjouissances dans la version commune :
Mes en mil joies terrienes
N’avroit pas une joie fine.
Nulz n’avra ja joie enterine
Fors cils cui Dame Dieux la done.
Quant pour son bienfet le corone
En sa gloire celestial.(éd. C. De Boer, VII, v. 2180-2185).
Un tel passage n’existe pas dans Z. Le remanieur a pu juger que cette partie désignait trop précisément le dogme chrétien et manifestait ainsi une dimension spirituelle que la fable antique n’a pas.
La suppression d’autres détails répond plutôt à l’exigence d’abreviatio. De petites précisions, qui ne renvoient plus à la religion, disparaissent çà et là. La description de détails techniques ou culturels est souvent supprimée ou raccourcie16. Les pratiques païennes ne sont pas toujours relatées, comme les ablutions des convives de Térée après qu’ils sont passés à table17 (éd. C. De Boer, VI, v. 2837-2841). Les longues listes de lieux mentionnés dans le récit se trouvent souvent amputées18, comme l’énumération des endroits que Phaéton dévaste parce qu’il ne parvient pas à conduire le char de son père (éd. C. De Boer, II, v. 455-458). La fin de l’extrait, où sont nommés les fleuves asséchés par le passage de Phaéton, se trouve écourtée par le résumé suivant :
Brief, tous lez fleuves du monde
Tarirent, ne d’eau ne onde
Ne remaint, ne puis, ne fontaine,
Ne lac ne source qui eaue amaine.
Eaue fut partout perie
Et par secharece terie. (II, v. 456-461)
32Ce bref extrait vient remplacer, non sans une certaine nonchalance, la longue liste du texte originel (éd. C. De Boer, II, v. 471-511). Comme le signale C. De Boer19 et comme le démontre L. Endress20, le premier traducteur des Métamorphoses a pris soin de développer considérablement l’énumération contenue chez Ovide. La suppression de ces noms contredit la dynamique d’enrichissement de la traduction des Métamorphoses par l’auteur initial, conforme aux conseils des Arts Poétiques et à un esprit encyclopédiste. Les coupes qu’opère l’adaptateur pourraient témoigner du refus de l’encyclopédisme21 sensible dans la version commune. Pourtant, le réviseur ne laisse entendre nulle part son rapport à cette tendance de l’Ovide moralisé, alors qu’il commente clairement à la fin de l’ouvrage la longueur du texte. Cette « excision22 » semble donc plutôt contourner une difficulté de compréhension, qu’attestent les variantes de nos témoins pour cette succession de noms propres. Cette suppression correspond aussi à une volonté d’aller directement à l’action et répond à la dynamique de condensation du récit23 que l’on retrouve dans certaines mises en prose24.
D’autre part, il n’est pas rare que le remanieur supprime quelques comparaisons qui ralentissent le récit, comme il le fait dans la fable d’Althée. Pour désigner le trouble intérieur d’Althée, Ovide compare son état psychique avec un navire en pleine tempête (Mét., VIII, v. 470-471), ce que traduit le clerc anonyme (éd. C. De Boer, VIII, v. 2517-2527), mais que ne retient pas le nouvel auteur. Il concentre le récit sur l’intrigue, sur ce qui lui semble essentiel pour la narration. Le premier prosateur de l’Ovide moralisé se défait lui aussi de cette comparaison et 33plus largement de tous les effets poétiques de ce style25. Le remanieur recherche probablement une construction plus linéaire qui mène le lecteur plus rapidement aux différents nœuds du récit, à la manière des prosateurs de son temps qui suppriment volontiers ce genre de développements et ornements poétiques26.
Des pans entiers de certaines fables sont également exclus, qui contiennent souvent de longues prises de parole. La réduction la plus importante se trouve au livre X : la fable de Myrrha passe de 880 à 470 vers. Elle est réduite de moitié par le résumé des nombreuses plaintes de Myrrha et du discours de la nourrice. Ces suppressions vont encore dans le sens d’une volonté de se concentrer sur l’intrigue27. Elles s’apparentent ainsi au style de la prose de l’époque qui retranche « des discours, des monologues, des dialogues, soit des parties d’œuvres qui ne constituent pas des parties essentielles de la narration28 ». Tel est le cas de la première version en prose de l’Ovide moralisé qui ne conserve, pour le récit sur Myrrha, aucune parole rapportée en discours direct. « Or la narration est chose capitale pour un remanieur qui veut avant tout livrer à son public ce que nous appelons une histoire29 ». F. Viellard témoigne d’ailleurs « du choix de l’Histoire » dans son étude d’une mise en prose du Roman de Troie, notamment par le fait que le prosateur, comme un historien, veut tout dire et aller à l’essentiel en même temps30. Une dynamique apparemment si anodine de réduction pourrait donc s’inscrire dans une perspective plus large à l’échelle de notre remaniement, et plus généralement dans le cadre des adaptations qui se développent à la même époque. Ce souci de faire bref se retrouve nettement dans la première mise en prose de l’Ovide moralisé (1466-1467) qui va très loin dans cette direction. Pour son éditeur C. De Boer, les « abréviations sont telles qu’on peut dire que notre “conversion en prose” de l’Ovide moralisé devient bientôt, en général, plutôt un résumé de ce texte qu’une34traduction31 ». La version Z et la seconde mise en prose de l’Ovide moralisé (ca 1470) n’offrent pas des coupes aussi radicales. La saveur du récit est maintenue, même si quelques détails sont omis.
Enfin, quelques fables très courtes sont entièrement supprimées. Il s’agit, par exemple, de l’histoire de Dercète, de Sémiramis et de Naïs (éd. C. De Boer, IV, v. 121-144). Il semble que ces dernières n’aient pas retenu l’attention de notre auteur qui souhaitait probablement se concentrer plutôt sur la fable de Pyrame et Thisbé qui l’intéresse tout particulièrement. Une autre fable n’est pas transcrite, celle de Triptolème et Lyncus (éd. C. De Boer, V, v. 3747-3803). Enfin, le résumé de la défaite des Piérides a disparu (éd. C. De Boer, V, v. 1018-1033). Ces deux fables, assez courtes, sont prises en tenailles entre de longues séries d’allégories. Le remanieur a pu ne pas remarquer qu’une matière narrative se cachait entre les interprétations spirituelles. Leur suppression n’est donc pas forcément volontaire.
L’absence de certains passages ne trouve donc pas toujours d’explication à nos yeux. Pourtant, la suppression d’autres éléments est plus récurrente, ce qui laisse penser que le remanieur répond à une certaine logique, qui consisterait en une mise en valeur du récit, de sa trame narrative. Cet aspect pourrait aller de pair avec la suppression des allégories, dans la mesure où l’attention au récit (le niveau sensible du texte) signale un intérêt pour les choses concrètes, par opposition à la matière spirituelle. L’adaptateur peut aussi considérer que les séries d’allégories coupent la narration et font perdre le fil du récit32.
Le remanieur n’abrège donc pas seulement l’ouvrage en laissant de côté les allégories, mais il opère également des coupes dans la traduction des Métamorphoses, selon une certaine logique. Son remaniement semble conscient, et sa spécificité repose sur le fait qu’il représente une version allégée de l’Ovide moralisé, surtout sur un plan spirituel. Pourtant, l’adaptateur ne cherche pas toujours à réduire la matière. Bien au contraire, il aime également la développer. Cette dynamique nuance l’impression que voudrait nous donner le nouveau rédacteur au livre XV, lorsqu’il justifie la suppression des allégories par leur longueur33.
35Ajouts
Ajouts et développements interprétatifs à teneur historique
Le nombre des expositions historiques supprimées demeure inférieur à celui des amplifications et ajouts en la matière. Onze de ces lectures sont éliminées, parfois de façon apparemment inconsciente, alors que quatorze sont enrichies ou additionnées.
Un premier phénomène apparaît dans ces enrichissements : la volonté d’expliciter tous les détails de la fable. Au livre III, la lecture physique de la fable de Tirésias est plus longue que l’originale (éd. C. De Boer, III, v. 1106-1136). Dans la version la plus répandue de l’Ovide moralisé, le texte se concentre sur le fait que Tirésias représente l’été et l’hiver, parce qu’il a été homme et femme. Le remanieur complète cette interprétation physique en établissant un lien entre la nature de Tirésias et sa sentence selon laquelle les femmes prennent plus de plaisir en amour (III, v. 1029-1031). Il développe ensuite l’autre exposition physique sur la dispute entre Jupiter et Junon (éd. C. De Boer, III, v. 1137-1188) en rationalisant un élément oublié du récit : le fait que Junon rend Tirésias aveugle et que Jupiter compense cette perte en le dotant de la faculté de prédire l’avenir (v. 1071-1074). Une propension à expliquer tous les éléments de la fiction s’affiche donc.
Il est également fréquent que l’exposition historique proprement dite soit amplifiée. C’est le cas de l’interprétation de la fable d’Europe. Dans la première version, sa trame est simple : « Jupiter, roi de Crète, enlève “en Tyr”, une princesse, nommée Europe, à l’aide d’un vaisseau “ou il avoit un toriel paint”34 ». Cette narration se déploie sur dix-huit vers (éd. C. De Boer, II, v. 5085-5102) au lieu de soixante-cinq vers dans Z (II, v. 2966-3031). Dans le remaniement, nous apprenons la raison pour laquelle Europe vient sur le rivage : Jupiter cherchait un moyen d’approcher cette dernière, il avait alors demandé son aide à Mercure qui par sa faconde avait réussi à faire venir la jeune fille sur la côte. Ensuite l’adaptateur révèle que l’apparence de taureau que Jupiter prend dans la fable correspond en réalité au déguisement de « bouvier » que revêt Jupiter pour séduire la jeune fille. Europe est impressionnée par la beauté de ce « bouvier » aux allures de chevalier et décide alors de le suivre. Jupiter parvient ainsi à ravir la jeune fille en lui parlant en même temps qu’il la conduit vers son bateau. Ce rapt provoque la profonde affliction de la damoiselle et de ses compagnes. Enfin, le remanieur opère un lien 36entre le navire sur lequel est peint un taureau (élément partagé avec la version originale) et l’habit de « bouvier » avec lequel Jupiter trompe Europe. L’explication historique n’est plus une simple rationalisation de la fable ; elle explique plus d’éléments de la fable et elle s’enrichit pour ressembler à une sorte de courte pastourelle. D’autres expositions prennent aussi de l’ampleur. L’« historial sens » de la fable d’Orphée et d’Eurydice est passablement étoffé (éd. C. De Boer, X, v. 196-219). Dans cette nouvelle35 exposition historique, le remanieur interprète la scène où Eurydice est mordue par un serpent36, à l’inverse de l’auteur original qui dans sa lecture évhémériste ne se concentre que sur le fait qu’Orphée aime les hommes. Le réviseur développe même l’interprétation par un nouveau « sens » : le fait qu’Orphée s’entoure d’hommes à la mort d’Eurydice correspond au fait qu’il est allé chercher des médecins capables de la ressusciter (X, v. 257-268). La lecture historique de la fable de Médée et de la Toison d’Or est largement enrichie par un ajout de quatre-vingts vers qui confère une tonalité arthurienne au texte (VII, 722-82437). Enfin, l’interprétation de la mort d’Hector est nourrie par une discussion sur la vérité de ce récit (XII, v. 2972-3205). L’adaptateur y exprime son mécontentement vis-à-vis d’Ovide qui défend Achille contre Hector38. Dans le développement de l’exégèse évhémériste s’exprime donc non seulement une prédilection pour l’histoire, mais également la recherche d’un accomplissement, voire l’expression d’un désaccord quant 37au traitement de certaines fables par le premier auteur. Le remanieur s’attache à une lecture concrète des fables, qui reste savante, érudite, sans être pourtant couronnée par le niveau d’interprétation considéré par l’auteur original comme le plus profond, le niveau religieux.
Celui qui reprend en mains l’ouvrage offre même de nouvelles expositions, signe de son attrait pour les vérités sensibles. Il dote ainsi le récit de Callisto d’une explication évhémériste. Le remanieur y présente la servante de Diane comme la victime de Jupiter, figure des hommes qui trompent les jeunes pucelles en prenant une apparence féminine (II, v. 1112-1197). Une nouvelle lecture suit aussi le récit d’Actéon (III, v. 582-684). Ce dernier surprend un couple en pleins ébats. La dame cherche à se venger d’Actéon, parvient à le faire exiler et mettre à mort39. La fable de Pygmalion est également interprétée d’une façon originale40. Après avoir vécu loin des individus de sexe féminin qu’il méprise, Pygmalion tombe finalement amoureux d’une jeune fille qu’il prie de l’aimer. Celle-ci, insensible comme une statue, le rejette puis cède finalement aux prières du garçon (X, v. 755-810).
De nouvelles interprétations sont aussi fournies pour Pasiphaé41 (VIII, v. 802-887), Ariane et Thésée (VIII, v. 888-957), Achéloüs et Hercule (IX, v. 223-272). Pasiphaé symbolise une reine tombée amoureuse d’un homme qu’elle voit passer devant la fenêtre de son palais et qui se rend au bordel. Elle lui déclare ses sentiments, mais il refuse ses avances. Pasiphaé conçoit alors de prendre les habits d’une courtisane pour parvenir à s’unir charnellement à l’objet de ses désirs. Ariane et Phèdre représentent des territoires conquis par Thésée. Ariane, l’aînée, figure un terrain plus grand que Phèdre et donc plus difficile à contrôler, ce qui explique que Thésée délaisse Ariane pour Phèdre. Enfin, au sein de la fiction, Achéloüs, mué 38en taureau, et Hercule combattent pour obtenir la main de Déjanire. Achéloüs est vaincu par Hercule, perd sa corne d’abondance et de dépit se cache sous les eaux. Dans l’exposition, le remanieur rappelle le contexte42, puis il identifie Achéloüs à la rivière sur laquelle Thésée veut naviguer pour rentrer chez lui. Thésée apprend alors qu’Hercule l’a emporté sur Achéloüs dans un combat : cela signifie que le héros a endigué la rivière. Normalement, les péripéties concernant Pasiphaé, Thésée et Ariane, Achéloüs et Hercule ne sont pas censées être lues à la lumière de l’histoire car elles ont un sens littéral acceptable, dans la mesure où elles se rapportent à l’histoire de Troie43. L’intérêt que leur porte le nouvel écrivain atteste donc de son goût prononcé pour l’histoire et signale qu’il ne cherche pas seulement à réduire le texte. Bien au contraire, il semble aimer garnir la matière, l’agrémenter d’interprétations plaisantes, comme par exemple celle concernant Pasiphaé. Il aurait ainsi la même vision de la fable que l’un des prosateurs de l’Ovide moralisé, qui se sépare lui aussi de la matière spirituelle, et pour qui « le mythe n’est donc plus révélateur de vérités chrétiennes, ni du point de vue du quid agas ni du quid credas, comme l’Ovide moralisé l’avait interprété44 ». « Les Métamorphoses sont ainsi surtout une œuvre d’histoire ancienne, de la Création jusqu’à Auguste45 ». Telle semble être la conception que d’autres auteurs du début du xve siècle se font de la matière antique. Jean de Courcy, dans sa Bouquechardière, met lui aussi la mythologie au service d’une histoire universelle.
Ces nombreux enrichissements et additions contredisent donc la logique dominante de réduction de la part exégétique de l’Ovide moralisé. Bien au contraire, le remanieur n’hésite pas à compléter les lectures physiques par des précisions historiques, à allonger les interprétations historiques en rappelant et en rationalisant tous les moments du récit fictif. Il propose même de nouvelles expositions évhéméristes alors que le sens littéral ne le nécessite pas. Il manifeste ainsi un intérêt profond pour une certaine matière (historique) plutôt que pour une autre (religieuse et spirituelle), qui témoigne du nouvel esprit qu’il insuffle à l’Ovide moralisé.
39Additions dans la fable
La dynamique visant à enrichir le texte se retrouve également au sein de la fable. Certains vers, de-ci, de-là, complètent le récit. Quelques précisions visant à introduire un lieu, un personnage et une intrigue apparaissent souvent, comme pour présenter Penthée : « Si ot alors en la cité / Un seigneur de mout grant puissance / Qui le devin, ne sa science / Ne prisa mie deux festus » (III, v. 1669-1672). Il se peut que de telles informations, qui aident le lecteur à se figurer l’intrigue et à entrer dans un nouveau récit, témoignent d’une volonté de faciliter la lecture. Ces aides à la lecture se retrouvent aussi dans d’autres remaniements, et surtout certaines mises en prose des xive-xve siècles, qui renforcent la vraisemblance du récit, notamment par le développement de transitions entre les épisodes ou le comblement d’ellipses temporelles46. Ainsi, de tels ajouts participent d’une évolution plus large, correspondant aux goûts de l’époque pour l’adaptation de textes antérieurs.
Cette attention au récit se retrouve parfois dans l’introduction d’une nouvelle péripétie qui nourrit le tissu narratif. Tel est le cas dans la fable de Pyrame et Thisbé : les amants mentent à leurs gardes pour pouvoir rester seuls dans la chambre. De nouvelles intrigues alimentent la fable : Étéocle abuse de la bonté de son frère en implorant sa pitié, puis le tue au moment où son frère souhaite se réconcilier avec lui47 (IX, v. 1587-1610). De petites actions, qui n’ont pas de conséquence sur l’intrigue, agrémentent aussi le texte. Lorsque Jocaste demande à ses serviteurs s’ils ont bien suivi son ordre de tuer son jeune enfant, le nouveau rédacteur complète la scène par ces vers : « Celle les menasse de mort / S’il ne dient la verité » (IX, v. 1334-1335). Toutes ces modifications attestent d’une volonté de plonger le lecteur dans un flot narratif plaisant et entraînant. 40Le réviseur répond ainsi à la tendance narrative caractéristique de la littérature des xive-xve siècle48.
La rédaction Z n’est donc pas seulement abrégée. Quand il s’agit de solliciter l’imagination du lecteur, son auteur n’hésite pas à développer un peu le récit. Ses opérations sont cohérentes et rendent compte d’un dessein propre : faire « un livre d’histoire49 ».
Une réécriture réfléchie
Le nouvel auteur instaure avec l’Ovide moralisé primitif un dialogue caractéristique de la réécriture, dans la mesure où certains mots, certaines formules sont à la fois des échos très nets de l’autre version et des transformations de cette autre version. Ce jeu de réemploi répond à un projet littéraire, clairement exprimé dans un prologue et un épilogue.
Projet littéraire et profession de foi
Le remanieur infléchit profondément le sens de l’ouvrage initial, en modifiant notamment le prologue et l’épilogue. Le prologue, par sa situation initiale, constitue la première entrée dans le texte et représente un lieu stratégique dans lequel l’auteur offre les clefs de lecture de l’ouvrage. De son côté, l’épilogue, par sa situation finale, permet de rappeler, de confirmer la spécificité de l’ouvrage. En réinvestissant ces deux moments du texte, le nouveau rédacteur entame un dialogue de fond avec le texte qu’il reprend.
La fin du prologue de la première version de l’Ovide moralisé (éd. C. De Boer, I, v. 37-70) est remplacée par quatre-vingt-un vers qui expriment une nouvelle conception des Métamorphoses. À l’autre extrémité du texte, l’épilogue original est nettement raccourci. Il passe de cent-vingt à treize vers. Cet extrait se lit dans les témoins de la famille Y à la fin de la fable dans laquelle Jupiter prédit la grandeur à venir d’Auguste. Étant donné qu’il n’est pas uniquement présent dans Z, il ne témoigne pas de la spécificité du texte de cette branche. En ce sens, il est moins utile pour comprendre en quoi le projet littéraire du remanieur diffère de 41celui du « translateur ». Un autre passage est à ce titre plus intéressant. Il s’agit d’une sorte de postface, qui ne figure pas véritablement à la fin du texte, mais qui peut être considérée comme telle, dans la mesure où le remanieur revient sur l’œuvre et explique ses choix. Ce passage se trouve à la suite du sermon de Pythagore (XV, v. 1142-1212) et constitue le remaniement d’une discussion au sujet du sens second des fables50.
Quatre points ressortent du prologue, et des deux « épilogues ». Le premier point concerne aussi bien la version du début du xive siècle que son remaniement : la référence à la tradition de l’integumentum et l’intégration dans ce mode de lecture du texte. Le second trait est également commun aux deux ouvrages : la référence aux premières mises en roman. Néanmoins, cet aspect est plus développé dans les copies de la famille Z. Enfin, les deux derniers aspects essentiels qui distinguent le projet de l’adaptateur de celui du premier auteur sont le rejet de la dimension spirituelle de l’ouvrage et l’importance accordée à l’histoire.
Comme l’auteur de la version commune, le remanieur se place dans la tradition de l’integumentum. Le premier commente ainsi la valeur des fables : « Qui le sens en porroit savoir, / La veritez seroit aperte / Qui souz les fables gist couverte » (éd. C. De Boer, I, v. 44-46). Ces vers ont leur équivalent dans la mention du fait qu’Ovide :
A couvert soubz ombre de fable
Mainte grant science notable,
Maint secret, mainte demoustrance (I, v. 99-101).
On retrouve de part et d’autre les expressions qui caractérisent le procédé de l’integumentum. La formulation « gist couverte » a sa contrepartie dans la référence au “secret” et dans l’emploi de l’expression « a couvert soubz ombre de fable51 ». Le nouveau rédacteur qualifie en outre les Métamorphoses de « parolle dite en figure » (I, v. 97), c’est-à-dire de parole exprimée « de façon imagée, symbolique52 », ce qui correspond 42à la définition de l’allégorie, au sens large et non pas seulement religieux, comme « similitude », « métaphore continuée53 ». Le prologue de la version remaniée oppose aussi le sens premier et le sens second de la narration fabuleuse :
Ly pouetes plain de science
Jadis en manieres obscures
Demoustroient leur escriptures
Pour leur doctrine reveiller54
Aux deligens et mieux celler
Aux negligens qui n’i font force.
Yceux n’en goustent fors l’escorse,
Mes qui soubtilment les conçoit
Pourfit et soulas en reçoit. (I, v. 102-110)
L’« escorse » (v. 108), qui s’applique au récit, à la fiction, cache effectivement la « doctrine » que les poètes veulent révéler (v. 105) à l’intelligence de ceux qui font l’effort de la chercher. En employant le mot « escorce », le réviseur renvoie directement à l’integumentum car l’« escorce », ce qui dissimule le fruit, l’essence de l’arbre, peut traduire le tegumen dont dérive le nom integumentum55. Boccace, faisant référence à Isidore de Séville, rappelle que « nous avons montré depuis longtemps que le manteau des fables signifie autre chose que <ce que dit> son écorce56 ». L’évocation des « negligens » renvoie une nouvelle fois au voile de la fiction, qui, selon Boccace toujours, permet de « dissimuler » les faits dignes de mémoire « avec tout l’art possible et les soustraire aux regards des balourds57 ». Notre texte décrit donc le processus allégorique au sens large (aliud dicitur et aliud significatur) et s’insère dans cette longue tradition. L’integumentum 43est encore convoqué au livre XV à propos du processus d’interprétation, dans les vers suivants, qui reprennent l’Ovide moralisé original :
Voirs est, qui Ovide prendroit
A la lectre et n’i entendroit
Autre sens, autre entendement
Que tel com l’aucteur grossement
Y met en racontant la fable,
Tout seroit chose mensongable. (XV, v. 1158-1163)
La confrontation entre la lecture « a la lectre » et la compréhension d’un « autre sens », d’« un autre entendement » désigne explicitement le mode de lecture allégorique. Le premier et le nouveau rédacteurs se placent ainsi dans la lignée de Macrobe pour qui les auteurs antiques cachaient un savoir sous un voile qui n’était accessible qu’aux sages58. Cependant, si l’adaptateur reconnaît la dimension philosophique et épistémologique de la mythologie, comme l’auteur de la version commune, il ne cherche pas comme lui à « accorder ces mots et ces récits au texte révélé, incontestable et univoque, celui de la parole divine59 ». C’est pourquoi il évacue implicitement la vérité chrétienne dans le prologue, dans l’interprétation du sermon de Pythagore et dans l’épilogue. Si l’auteur de la première version de l’Ovide moralisé et son adaptateur conçoivent que la fable propose un sens caché, ils ne sont pas d’accord sur la nature de cet altior sensus. Le remanieur supprime le mot « veritez », qui, actualisé par l’article défini « la », renvoie à la vérité chrétienne60. Le processus allégorique est désigné par une réalité beaucoup plus générale : « Mainte grant science notable, / Maint secret, mainte demoustrance » (I, v. 100-101).L’adjectif indéfini « maint » est répété, de façon à mettre en avant l’image d’une pluralité de sens. Le rédacteur de Z s’oppose ainsi à l’auteur de l’Ovide moralisé. Il ne lit pas les fables selon l’Évangile. Il nous semble confronter « la veritez »à la « science » (« Mainte grant science notable ») et choisit de remplacer la première par la seconde. Il marque donc l’inscription de son œuvre dans une conception antique de l’interprétation des fables. La suppression de la mention d’une vérité unique va dans le sens de ce qu’il ajoute au livre XV : « La fable ai pris tant seullement » (XV, v. 1193). L’adverbe « seullement » renvoie 44en contexte au fait de n’avoir pas dégagé le sens chrétien de la fable. Le réviseur écrit d’ailleurs noir sur blanc qu’Ovide n’avait pas pensé donner un sens de nature allégorique, c’est-à-dire religieux, à ses fables : « Ovide mesmes, qui les fist, / N’i entendi pas tel sens, sans dombte / Com l’alegorie nous note » (XV, v. 1196-1198). L’adaptateur ne nie pas qu’Ovide fût un philosophe qui se servait de fictions pour transmettre son savoir. Il considère seulement que son œuvre n’a pas une vocation spirituelle. C’est pourquoi il supprime, dans le passage du livre XV à propos du sens des fables, la mention de la Trinité et la mise du texte sous tutelle divine61. Dans l’extrait qui clôt l’ouvrage, les références à la Trinité, la louange de Dieu, de la Vierge et de Jésus sont en effet toutes supprimées. Le remanieur ne jure que par « saint Martin » (XV, v. 2480). Il n’invoque Dieu et Jésus-Christ qu’une seule fois, afin de réclamer la bonne santé et le Salut de l’écrivain62. Cette prière ne traduit en rien la nature spirituelle du texte ; elle fonctionne plutôt comme un lieu commun. Un dialogue se construit donc avec l’ouvrage de référence, qui oppose une vision commune et à la fois divergente du texte, caractéristique de la réécriture, au sens par exemple où l’entend D. Maingueneau63. Le réviseur reconnaît l’autorité de son modèle, mais son nouveau texte renforce aussi la légitimité de sa propre démarche.
Un autre aspect, unissant le prologue à l’extrait qui sert d’épilogue à la suite du sermon de Pythagore, participe de ce rapport de dépendance/indépendance : l’influence de la tradition des premières mises en roman. Dans sa comparaison de la version de l’Ovide moralisé en vers et en prose, F. Mora souligne que l’auteur original
se situe ensuite dans la tradition des « mises en roman » du milieu du xiie siècle, qui professaient l’obligation de ne garder pour soi ni son savoir ni sa sagesse, car 45seul celui qui possède ces qualités détient la compétence nécessaire à l’élucidation des vérités cachées sous le manteau des « fables », des apparentes fictions64.
Notre réviseur reprend à son compte les vers qui traduisent cet aspect65. Dans un second temps, son prologue se distingue par le fait qu’il lie la lecture des fables et la découverte de leur sens profond non seulement au « profit », mais aussi au « soulas » : « Mes qui soubtilment les conçoit / Pourfit et soulas en reçoit » (I, v. 109-110). Dans de nombreuses mises en roman, la translatio est présentée comme une source de « profit » et de « soulas ». Par exemple, au début de son ouvrage, l’auteur du Roman de Thèbes écrit « ains me delite a raconter / chose digne por ramenbrer66 » (v. 11-12). Dans le Roman de Troie, le « translateur » rappelle qu’on ne doit pas dissimuler aux autres son savoir « Que l’om i ait pro et honor » (v. 5). Il exprime dans le même temps que son ouvrage a vocation à ce que les lecteurs « se puissent deduire el romanz67 » (v. 39). L’utilité et le plaisir du texte sont ici liés. Le remanieur reprend donc la topique du docere et placere et inscrit la traduction des Métamorphoses dans cette lignée, comme le premier auteur. Mais il se différencie aussi de la version initiale, dans laquelle les fables sont désignées comme étant seulement « bones et profitables »(éd. C. De Boer, I, v. 54). L’adjectif « bones »possède ici une valeur morale plutôt qu’esthétique, comme dans les prologues des chansons de geste où il apparaît très fréquemment. On trouve ce qualificatif au début de Girart de Vienne : « Bone chanson plest vos que ge vos die / De haute estoire et de grant baronnie68 ? » (v. 1-2). L’adjectif « bone », parce qu’il traite de « haute estoire » et de « grant baronnie », revêt dans cet exemple un sens moral69. Soumis à toutes ces influences 46littéraires, l’auteur du xive siècle emploie l’adjectif « bone » dans un sens uniquement moral alors que celui du texte remanié lui confère également une dimension esthétique. Il nous semble ainsi qu’il se rapproche davantage du prologue du Roman de la Rose70 :
Or vueil cest songe rimoier
Pour noz cuers faire aguissier
[…]
Ce est li romanz de la rose,
Ou l’art d’amours est toute enclose.
La matiere en est bone et nueve (v. 31-39).
Nous pensons que par la coordination des adjectifs « bone » et « nueve » l’auteur tire la morale du côté du plaisir esthétique. Le but du texte, « aiguisier les cuers », paraît aussi bien moral que sensoriel, puisqu’il s’agit de former mais aussi d’exciter les cœurs. Dans ce cas, le qualificatif « bone » a une signification à la fois éthique et esthétique. Il est possible que le remanieur s’inspire de cette définition implicite. Par le doublet synonymique qu’il forme avec le nom « soulas », le « profit » mentionné dans la branche Z renvoie lui aussi à un avantage, à un gain pour le lecteur sur un plan qui n’est pas seulement moral. Nous comprenons le « profit » comme un bénéfice de l’ordre de l’agréable, qui irrigue l’œuvre puisqu’au livre XV le réviseur souligne la vocation d’agrément de l’ouvrage :
Aus rudes mesmes, qui le sens
N’entendent pas, sont il plaisant,
Car la matiere est delitable
Et plaisant a oïr la fable. (XV, v. 1209-1212)
Le champ lexical du plaisir est mis en avant par la répétition de l’adjectif « plaisant » et l’emploi de « delitable ». Par sa rime avec « delitable », la « fable » est placée du côté de l’agréable. Cette notion de plaisir n’est pas absente de l’Ovide moralisé original, puisque l’auteur affirme à propos des fables mensongères que :
Se Dieux le m’otroie esclorrai
Au plus briement que je porrai
Pour plus plaire a ceulz qui l’orront,
Et maint profiter i porront. (éd. C. De Boer, I, v. 56-58)
47La matière ovidienne se trouve donc associée à l’agrément, mais sans jamais être dissociée du « profit ». La proposition « Pour plus plaire a ceulz qui l’orront » est effectivement coordonnée à « maint profiter i porront ». Dans l’extrait dans lequel il commente le sermon de Pythagore et l’interprétation des fables, l’auteur de la version commune affirme que l’explication sert « au preu de ceulz qui l’orront, / Quar maint, se Dieu plaist, en jorront » (éd. C. De Boer, XV, v. 2515-2516). « Jouïr » exprime ici la joie, la satisfaction, d’un point de vue plus intellectuel, éthique que sensible. Le divertissement n’est pas considéré pour lui-même, et l’auteur insiste plus volontiers sur le « profit » :
Et je pri que Diex, par sa grace,
Doint à ce dit tel efficace
Que cil y puissent profiter
Qui l’orront dire et reciter (éd. C. De Boer, XV, v. 7463-7466).
Au contraire, l’auteur de la version Z loue le charme des fables. Il conçoit que leur agrément n’est pas forcément lié au sens profond qu’elles abritent. La simple lecture ou récitation du texte procure de la satisfaction. M.-R. Jung souligne même que « fable ne rime ici ni avec mensongable, ni avec profitable, mais avec delitable71 » ; ce qui reste après l’élimination des allégories spirituelles est donc le plaisir du récit fabuleux. Comme les premiers traducteurs, qui n’augmentaient pas leurs ouvrages d’interprétations, le rédacteur de Z reconnaît que la fiction est en elle-même une source de joie. Les deux moments métatextuels de notre remaniement rattachent donc l’œuvre au moins autant au plaisir qu’au « profit », à l’image des premiers romans antiques, tel que le Roman de Thèbes dans lequel l’auteur « [se] delite a conter / chose digne de remembrer72 ». Le remanieur s’inscrit donc au sein d’une tradition littéraire73 dans laquelle l’interprétation n’est en rien la condition nécessaire à une lecture agréable et satisfaisante d’un point de vue sensible et moral. Il partage l’esthétique d’autres remaniements du xve siècle qui 48mettent eux aussi en lien le plaisir et le profit, comme le fait le prosateur du Roman de la Violette qui espère que « les plaisantes et gracieuses histoires des fais des nobles etvaillans princes jadis voz predecesseurs, et meismement de tous aultres nobles hommes74 » puissent « tourner et pourfiter a l’empliffication de la vaillance et recommendation75 » du commanditaire de l’ouvrage. S. Cerrito écrit, à propos de nos témoins, que « la fable a une valeur en soi, qui est dans sa fonction poétique et esthétique » et que « la delectatio est réaffirmée comme fonction primaire de l’œuvre ovidienne76 ».
Enfin, le réviseur confère une forte cohérence à son ouvrage et désigne sa nouveauté, en insistant sur sa dimension historique77, notamment dans son prologue. Avant d’évoquer Ovide, qu’il présente comme la figure centrale de ce passage et de l’ouvrage, il retrace les faits survenus avant sa naissance. Dans cette mise en perspective, il s’attache à marquer les liens entre les événements. Il reprend ainsi une conception « historique » du temps qui est chrétienne (il s’agit là de la seule conception temporelle du Moyen Âge occidental), malgré sa volonté d’extraire le dogme chrétien de l’œuvre78. Le rédacteur commence effectivement par relater une première étape : « Premier fut la loy de nature » (v. 51). Il continue le fil logique de sa pensée en signalant que « De celle vint la loy payene » (v. 56). La reprise de la « loy de nature » par « de celle » et l’emploi du verbe « venir » au sens de « provenir de (qch.) » miment l’enchaînement des faits historiques79. L’ordre des expressions – « loy de nature » puis « loy payenne » – permet encore d’insister sur la causalité temporelle. La référence à diverses « loys » rejoint une conception médiévale de l’histoire, héritée de la lecture de saint Paul par saint Augustin. Selon cette conception, il existe un monde ante legem, sub legem, sub gratia et enfin in pace, après la seconde venue du Christ80. Le remanieur réinvestit donc 49un schéma qui ancre le propos dans l’histoire. D’autres historiens font de même, comme Jean de Courcy qui recourt, dans la Bouquechardière (rédigée en 1416), à cette division temporelle pour « prouver l’appartenance de l’histoire antique (et donc mythologique) à l’histoire de l’humanité perçue81 ». Le remaniement Z évoque ensuite un troisième moment après l’ère païenne. Il s’agit de celui où « Jesucrist le filz Dieu nasqui, / Qui establi loy crestiene » (I, v. 66-67). La mention de cette époque réapparaît quelques vers plus loin pour introduire Ovide : « En se temps fu mout renommé / Un pouete Ovide nommé »(I, v. 83-84). La reprise de « Ou temps que Jesucrist nasqui » (I, v. 71) par le syntagme « en se temps » met encore en lumière la chronologie des événements passés. Ainsi, le rédacteur donne une dimension historique à son prologue parce qu’il traite d’une matière historique – Ovide et son livre – et situe son objet dans une perspective chronologique. Il replace même l’integumentum dans une optique historique, lorsqu’il rappelle que « Ly pouetes plain de science / Jadis en manieres obscures / Demoustroient leur escriptures »(I, v. 102-104). En cela, sa démarche se rapproche de celle de certains prosateurs qui font figure d’historiens, comme celui de la première mise en prose du Roman de Troie. F. Vielliard montre notamment que « les principes définis dans le prologue de Prose 1, qui remplace à la fois le prologue de Benoît et le résumé que ce dernier fournit en tête de son œuvre, sont clairement ceux d’une œuvre historique82 ». Notre réviseur marque donc sa différence vis-à-vis du texte qu’il reprend par l’empreinte de l’histoire que d’autres remanieurs définissent eux aussi comme le ciment de leur nouveau projet littéraire. Enfin, le rédacteur de la branche Z justifie qu’il termine la rédaction par manque de matière historique :
Et vous jure par saint Martin
Que de ce livre c’est la ffin.
Et vrayement a ma memoire,
Je n’é plus trouvé en l’istoire
Ne ne fut plus ne ne sera. (XV, v. 2480-2484).
La rime entre « memoire » et « histoire » est riche de sens. Elle signale que l’inspiration du réviseur repose sur la connaissance des faits passés. L’ouvrage se trouve donc encadré par l’histoire, présentée comme son élément structurant et comme l’expression de la spécificité du remaniement.
50Le nouvel auteur construit sa réécriture comme un dialogue implicite avec la version primitive de l’Ovide moralisé, en fondant une relation ambivalente d’adhésion et de rejet. Les changements opérés répondent en outre à une logique, à une volonté propre. Par la forme que prennent le prologue, l’épilogue, la discussion sur le sens des fables et par leur contenu se dessine un projet littéraire inédit. L’intention du rédacteur est claire : le texte ne sera plus une traduction spiritualisée, christianisée des Métamorphoses, mais plutôt une translatio agrémentée d’un integumentum de préférence historique.
Connaissance fine du texte initial
Le texte est réécrit de façon réfléchie étant donné que la version initiale n’est pas ignorée. Au contraire, le remanieur la connaît bien. Il n’hésite pas à puiser dans certains extraits, notamment les allégories qu’il a pourtant décidé de ne pas recopier, en même temps qu’il recompose le texte de façon à faire oublier l’existence d’anciennes interprétations religieuses.
L’adaptateur n’élimine pas automatiquement les passages dénommés « allegories », qui interprètent la fable à la lumière du dogme chrétien. Il a lu ces extraits et s’en est imprégné, puisqu’il les reprend parfois partiellement ou les contredit implicitement. Il se réapproprie donc le texte et ne cherche pas seulement à l’abréger en enlevant mécaniquement les interprétations spirituelles.
La moralisation de la fable de Penthée sur les adeptes de Bacchus associés aux « glotons » est effacée. Elle inspire pourtant la nouvelle « exposicion de Bacus » (III, v. 2280-2317). Le vers « Car de leur pance font leur dieux » dérive de « Et chascuns fet dieu de sa pance » (III, v. 2310 ; éd. C. De Boer, III, v. 2566). L’ajout d’une autre exposition historique pour la fable d’Actéon semble aussi influencé par un passage supprimé. Le remanieur fait disparaître une digression sur le pouvoir des femmes puissantes, à la suite du récit de la controverse entre Junon et Jupiter à propos du plaisir féminin et masculin. Or, l’interprétation inédite83 d’Actéon traite peu après du même thème : la façon dont le pouvoir d’une femme est susceptible de nuire (ici au jeune héros de la fable). Le remanieur connaît donc la version commune et ses allégories 51religieuses84 et puise parfois dans ce qu’il n’a pas recopié. Un dialogue implicite se noue toujours avec elle. Le réviseur choisit consciemment ce qui l’intéresse ou non, ce qu’il juge bon ou non de placer en tel ou tel lieu. Il possède ses propres critères de sélection, qui répondent à une volonté de réordonner la matière en laissant au récit ce qui est du ressort de la narration, et à l’exposition ce qui est du ressort de l’interprétation (digressions morales, par exemple). Le nouvel auteur fait aussi le tri entre les éléments propres à une lecture purement religieuse et ceux qui peuvent se rattacher à une interprétation historico-morale.
En outre, il se réapproprie habilement le texte puisqu’il prend toujours soin de modifier les derniers vers d’une fable lorsqu’ils font la transition avec le début d’une allégorie supprimée85. Par exemple, le récit sur Coronis et Phébus reçoit dans toutes les copies86, sauf B et Z, plusieurs types d’interprétations introduites par les vers : « Ces fables espondrai briement / Par histoire, et puis autrement » (éd. C. De Boer, II, v. 2455-2456). Dans Z, nous ne trouvons qu’une exposition évhémériste annoncée par : « Ces fables espondray briefment / Par ystoire. Encienement […] » (II, v. 1743-174487). Le fait d’avoir changé l’adverbe « autrement », qui suggère au lecteur que le récit n’est pas uniquement interprété selon l’« istoire », signale que le réviseur restructure le texte de façon volontaire, afin de répondre à son intention de se débarrasser des allégories religieuses.
Notre rédacteur recompose donc l’hypotexte selon un but clairement exprimé. Il développe un projet neuf qui instaure les principes d’une véritable réécriture. « Cette édition a été faite dans un esprit parfaitement laïque, aux deux sens du terme : elle élimine, d’un côté, toutes les allégories chrétiennes, et, de l’autre côté, elle ne doit rien à la clergie88 ». « L’édition de l’Ovide moralisé des manuscrits Z3 et Z4 est ainsi un texte 52très particulier, qui enrichit sensiblement la “vie des textes” à la fin du moyen âge89 ». Pourtant, le remanieur n’a pas travaillé ex nihilo, mais il a complété une esthétique déjà en germe dans son modèle, puisqu’on en trouve des traces dans les témoins de la famille Y.
Originalité ou prolongement ?
Suppression des allégories : évolution brutale ou progressive ?
Les changements mis en œuvre dans la famille Z semblent influencés par des modifications présentes dans l’archétype90 commun aux branches Y et Z. Le manuscrit B contient aussi certaines de ces évolutions, d’une manière pourtant indépendante de Z et de Y. Des tendances pourraient donc être à l’origine de tels aménagements. Cela expliquerait que certains traits se retrouvent dans des copies qui n’ont pas de parenté directe. Ainsi, le manuscrit B, qui date de 1390 environ, ne comporte pas toutes les allégories. Il est en cela souvent très proche des copies Z34. Selon S. Cerrito, les interprétations typologiques et anagogiques y sont systématiquement rejetées91, comme dans Z. Ces coupes sont également réfléchies, dans la mesure où le premier vers de l’allégorie supprimée, qui rimait avec le dernier de la fable, se trouve souvent changé pour éviter tout vers orphelin92. Certaines expositions morales93 y demeurent toutefois plus largement que dans Z34. Quoi qu’il en soit, « l’association des mythes à l’Évangile est gommée aussi bien que toute référence à ces allégories qui figurerait ici et là dans le texte94 ». Enfin, le prologue est également revu puisque le réviseur de B retire l’extrait où l’auteur primitif énonce son intention de révéler la vérité cachée des fables (éd. C. De Boer, I, v. 37-70). Cependant, le scribe-adaptateur de B ne va pas aussi loin que le rédacteur de la famille Z car il n’exprime pas un projet littéraire inédit. Ses suppressions ne répondent pas exactement à la même logique que celle de notre remaniement. D’après S. Cerrito, la partie religieuse aurait été évincée pour des soucis d’orthodoxie, motivés par le fait que des fables païennes ne peuvent être lues selon l’Évangile95. L’étude de nos 53manuscrits invite à penser que la suppression de la dimension religieuse ne répond pas à la même motivation ou du moins pas seulement96. Les rapprochements fortuits entre B et Z dans le traitement des allégories seraient donc le signe d’une évolution dictée par le temps. Nous ne pouvons effectivement pas nier que la suppression des allégories concerne des branches tardives de la tradition manuscrite, même si ce constat est nuancé par la réintroduction des lectures spirituelles dans Z21 ou celle d’autres lectures du même type par Colard Mansion97.
Quelques allégories spirituelles se trouvent également effacées dans les copies de la branche Y qui datent de la toute fin du xive siècle et du tout début du xve siècle. Dans Y comme dans Z n’apparaissent plus les deux interprétations sur les trois filles de Minyas comme les trois types de péchés, puis comme les trois états de perfection (éd. C. De Boer, IV, v. 2530-2785). Toutefois, le nombre d’allégories religieuses effacées est beaucoup moins important que dans B et Z34. Quoi qu’il en soit, nous remarquons une fois de plus que ces changements se rencontrent dans des versions tardives. Pourtant, d’autres témoins datant de la fin du xive siècle contiennent le texte dans son intégralité. Ces coupes ne sont donc pas systématiquement liées à la date plus ou moins tardive d’exécution de la copie. Elles ne répondent pas uniquement aux attentes de l’époque, même si cette donnée temporelle invite à penser que certains des derniers commanditaires de l’Ovide moralisé peuvent avoir moins d’intérêt pour la matière allégorique, qui fait pourtant la spécificité du texte original. Ainsi, notre version remaniée offrirait l’aboutissement le plus complet d’une nouvelle esthétique qui s’est peu à peu esquissée sans forcément s’imposer.
Évolution progressive98 commune à Y et Z
De nombreux changements, caractéristiques de l’esthétique de notre réécriture, sont le prolongement de modifications visibles dans l’archétype 54de Y et Z. Pour M.-R. Jung, le rédacteur du modèle de Y « n’a pas touché le texte dans son essence, mais il a voulu le présenter autrement, quitte à intervenir de temps à autre99 ». Il est vrai que contrairement à la branche Z l’œuvre n’est pas transformée en profondeur. Pourtant, la comparaison des familles Y et Z laisse entrevoir certaines innovations communes assez récurrentes. Une prédilection pour le récit et ses ressorts s’y retrouve, tout comme un souci d’expliciter certaines données et de compléter la traduction100.
Certains changements formels et effets de dramatisation attestent d’une tendance narrative. Dans sa traduction, l’instigateur de la version du début du xive siècledramatise déjà le récit, comme le montre M. Possamaï-Pérez101 : il étoffe le texte ovidien en insistant sur des aspects implicites dans les Métamorphoses. Le thème de la tromperie a notamment cet effet. Au livre III, Junon déguisée en vieille femme abuse de la confiance de Sémélé. L’auteur dramatise cet épisode en soulignant le jeu de masque auquel se livre l’épouse de Jupiter. Dans les Métamorphoses, le discours trompeur que tient Junon à Sémélé est résumé par :
Ergo ubi captato sermone diuque loquendo
Ad nomen venere Jovis, suspirat (Mét., III, v. 279-280).
Quand, après des propos captieux et de longs discours, elles en sont venues au nom de Jupiter, elle soupire102.
Le même passage n’est plus résumé dans l’Ovide moralisé,mais développé :
Juno, par paroles obscures
De lui decevoir s’entremet.
55De parole en autre se met,
Tant que de son ami parole.
Somelé, qui d’amors afole,
De ses amours se va vantant.
Juno, qui la vantance entant
En a grant duel, mes bien se cele,
Pour decevoir la damoisele,
Si jete un soupir par faintise. (éd. C. De Boer, III, v. 730-739)
La litote « Si jete un soupir par faintise » amplifie la traduction du verbe suspirat par l’addition du complément de manière « par faintise » insistant sur la ruse. La répétition de « decevoir » dans « de lui decevoir s’entremet » et « pour decevoir la damoiselle » exprime très explicitement les mauvaises intentions de Junon. Le passage devient plus théâtral, gagne en couleur. Un tel aspect est repris dans Y et dans Z ; il est même parfois amplifié. Dans le livre IX, Déjanire, l’épouse d’Hercule, apprend que son mari vit avec une autre femme. Sa rage vis-à-vis de l’amante s’exprime en certains termes dans tous les témoins de l’Ovide moralisé, en d’autres dans Y et Z :
Version commune |
Version de Y et Z |
Mes se la puis aux poins tenir, Je li ferai mes jeus puïr. N’est riens que doie tant haïr. L’amour mon seignor m’a toloite (éd. C. De Boer, IX, v. 643-645) |
Mes se la puis au poings tenir, De ses cheveulx ara le mains Et si yert ses viaires tains De sanc. Mar m’oste mon ament ! (Z, IX, v. 562-564) |
La proposition « je li ferai mes jeus puir » est certainement l’élément qui a suscité ce changement, dans la mesure où elle est mal comprise dans d’autres copies, et semble peu attestée103. La difficulté est surmontée par la mise en place d’une description plus violente. L’enjambement « De sanc » crée un effet de surprise qui souligne la fureur du personnage. Le constat « L’amour mon seignor m’a toloite » devient une exclamation dans laquelle l’adverbe « mar » fait ressentir la douleur haineuse de l’épouse. L’emploi de cet adverbe marque l’influence de la littérature romanesque, dans la mesure où il revient très souvent chez Chrétien de Troyes, par exemple. Ces changements semblent donc motivés par un goût pour la dramatisation typique des romans 56antiques104 et arthuriens. Le changement de forme des récits de Pyrame et Thisbé et de Philomèle et Procné dans Y et Z participe également de la « tentation narrative » que décrit J. Cerquiglini-Toulet pour la littérature des xive et xve siècles105. Dans la version commune, le récit des deux mythes se présente sous la forme d’un long poème narratif aux accents lyriques, partiellement formé d’un enchaînement de deux octosyllabes à rime plate et d’un vers de deux syllabes. Les versions Y et Z n’adoptent pas cette forme mais conservent le schéma habituel de l’octosyllabe. Cela modifie la tonalité du texte, car la forme initiale soulignait la dimension lyrique de la fable, alors que la seconde s’adapte mieux à la narration. Or, « le lyrisme s’oppose au narratif comme le discontinu au continu106 ». Ce que constate ici J. Cerquiglini-Toulet nous donne à penser que la restructuration mise en place dans Y et Z répond à une volonté de maintenir l’unité de la narration107. Comme l’analyse G. Genette, ce type de modification affecte « le mode de représentation108 » du texte originel. Il témoigne donc de la façon dont le scribe du modèle de Y et Z veut construire le texte autour d’une unité stable. La même dynamique se retrouve dans certaines mises en prose qui font disparaître les moments lyriques au sein du récit109. Par exemple, si la première mise en prose de l’Ovide moralisé garde une petite partie de la forme initiale des paroles entre Pyrame et Thisbé (enchaînement entre des vers de huit et de deux syllabes), la seconde ne conserve aucune trace de cette configuration aux élans lyriques. L’esthétique en germe dans le modèle de YZ s’intègre donc dans l’évolution générale de la littérature des xive et xve siècles. D’autres suppressions communes à Y et Z permettent encore de ne pas ralentir le récit, signe qu’un nouveau style s’affirme et se construit. Par exemple, au moment de la mort de Ganymède, le récit se focalise sur l’incapacité de Phébus à lui rendre la vie, par la suppression de la comparaison suivante :
57Ausi com flour de violete
Qui est esracie ou cueillete
Ou lis, ou pavot que l’en brise
Ne puet estre arriere reprise
Ne rejointe, ains seche et s’encline,
Aussi tint cil la teste encline
Aval vers l’espaulle pendue,
Quar tant ot la vertu perdue
Qu’il ne la pot mes soustenir110 (éd. C. De Boer, X, v. 818-826).
Dans une même tendance à la concision, le scribe du modèle de YZ a réduit la comparaison de l’immersion du bateau de Céyx avec l’assaut d’un château par une armée, ce qui permettait au premier auteur de faire référence à la peur du peuple, image de celle des « mariniers » (éd. C. De Boer, XI, v. 3298-3310). Dans la même fable, la suppression d’un large pan de la description des effets de la tempête sur le navire de Céyx111 resserre le récit sur l’action et efface la tonalité épique du passage. On laisse donc de côté, comme beaucoup de mises en prose, ce que G. Doutrepont qualifie d’« élément poétique » du texte original112 pour se focaliser sur la narration.
Cette prédilection pour la narration s’accompagne d’une volonté d’expliciter certains points concernant les personnages, les lieux évoqués, tout en en supprimant d’autres. Il semblerait que le rédacteur de l’archétype commun à Y et Z avait sous les yeux ou connaissait quelques vers des Métamorphoses qu’il a intégrés au texte. Par exemple, au quatrième livre, on retrouve un élément de généalogie qui est fourni dans les Métamorphoses, mais qui n’a pas été traduit par l’auteur original de l’Ovide moralisé. Le père de Leucothoé est dit être « Septieme roy aprés Bellion », et « Eurmone la mere avoit non » apprend-on (IV, v. 1226-1227). Au premier livre, une information, qui apparaît sous la forme d’une rubrique dans Y, est jointe au récit dans Z. Il s’agit de la précision 58« Ortigie est “l’isle des cailles” ou / “Deslos” nomee, et est vers Cipre » (I, v. 2255ab), qui suit et explicite la mention de l’« Ortigie ». En revanche, des indications géographiques sont mises de côté, comme la description des lieux parcourus par Numa en navire (éd. C. De Boer, XV, v. 1831-1844). La façon dont les habitants décorent leur ville pour fêter le retour de Thésée n’est pas relatée non plus dans Y et dans Z (éd. C. De Boer, VIII, v. 1939-1948). Il semblerait que la raison de l’ajout ou de la suppression de certaines précisions se trouve dans le rapport à la narration. Les détails ajoutés aident à se figurer le récit, en permettant au lecteur de situer l’action, ou d’identifier un personnage. De l’autre côté, des détails sont supprimés pour ne pas alourdir le récit, ne pas ennuyer le lecteur lorsqu’ils ne sont pas indispensables à la bonne compréhension du texte. Cette double tension se retrouve au livre IV lorsque Persée est sur le point d’arriver chez Atlas. Pour évoquer ce moment décisif, qui sera l’élément déclencheur de la conquête de l’arbre doré, l’auteur de la version commune cherche à accélérer le récit par l’emploi du vers : « Pour quoi feroie lonc sejor ? » (éd. C. De Boer, IV, v. 6220). Il préfère se concentrer sur l’arrivée de Persée chez Atlas. Ce vers est remplacé dans les manuscrits A2YZ par une traduction des Métamorphoses113 :
Goutes de sanc du chief chaïrent
Et en la terre se nourirent.
Serpens devint chascune goute
Encore en est la terre toute
En Libe garnie et peuplee,
Plus que n’est nulle autre contree. (IV, v. 3245-3250)
Le scribe à l’origine de l’archétype unissant Y et Z a donc souci de compléter son modèle et en même temps de l’alléger. Son rapport à la narration indique combien il s’intègre dans la dynamique littéraire qui parcourt les mises en prose du xive au xvie siècle. Les études sur ce type de remaniement témoignent effectivement d’un mouvement de clarification mais aussi d’une dynamique de concision, considérés comme deux facteurs de lisibilité114.
59Pourtant, comme le précise M.-R. Jung, le responsable de la version commune à Y et Z n’a pas revu la traduction car « il y a des passages, omis ou remaniés, où manque un détail qui remonte à Ovide et qui est nécessaire à la bonne compréhension du texte115 ». Ces apports résultent peut-être de l’intégration de gloses qui devaient figurer dans l’ouvrage que le rédacteur du modèle qui unit Y et Z avait sous les yeux. De telles additions ne manifestent donc pas un retour au texte latin, caractéristique du pré-humanisme, mais simplement une volonté d’expliciter certains passages pour permettre au lecteur de mieux comprendre tel ou tel événement et répondraient donc aux compétences d’un lectorat qui n’est pas expert en matière ovidienne et qui souhaite en apprendre davantage à ce sujet. Par exemple, l’exposition historique sur les aventures d’Actéon de la version commune n’explicite pas la correspondance entre la métamorphose d’Actéon en cerf et son interprétation, qui est simplement signifiée par les vers : « Celui puis la chace entrelaisa, / Par pouvreté qui l’angoysa » (éd. C. De Boer, III, v. 705-706). Dans Y et Z, l’explication est développée par la précision que le héros vit Diane nue « Qui le maldist pour la venue / : C’est Fortune qui l’acuilli / Et de tous meschiefs l’asailli / Et li promist mal et pouverte, / Qui est pire que plaie ouverte » (III, v. 696-700). L’évocation du mal et de la pauvreté que Diane souhaite à Actéon, lorsqu’il la voit nue, justifie la vie misérable que mènera Actéon. L’explicitation peut être lue comme une façon de justifier l’intérêt pour ces fables incroyables et de rendre le texte le plus clair possible pour que le lecteur s’en délecte à sa juste valeur. G. Doutrepont note effectivement dans les remaniements en prose une « tendance à rendre plus logiques et plus vraisemblables les récits des modèles116 » pour qu’ils soient « admissibles au goût de lecteurs “modernes” ». Ces ajouts ressortissent aussi à l’esthétique littéraire caractéristique de nombreuses mises en proses truffées d’éléments clarificateurs117. On mesure ainsi l’importance pour les rédacteurs de rappeler certaines données que le lecteur ne peut connaître, ce qui est déjà le cas dans l’Ovide moralisé original qui intègre lui aussi les gloses au texte des Métamorphoses, mais dans le but de constituer une « somme mythologique118 » exhaustive autant que d’apporter une aide ponctuelle à la compréhension du 60texte. La visée est plus circonscrite dans Y et Z, et surtout dans Z : elle correspond plutôt à un type de lecteur qui n’a pas toutes les clefs en mains pour comprendre les références mythologiques, géographiques, comparé à d’autres lecteurs plus savants ou plus curieux encore.
Narration et interprétation
Vers un art du récit : une « tentation narrative »
Toutes les modifications étudiées, qui unissent Y et Z, sont reprises et amplifiées dans Z. Le remanieur a su percevoir ce qui était « dans l’air du temps », déjà latent dans son modèle ou qui convient le mieux à son lecteur. Il amplifie lui aussi la valeur explicative de certains passages en même temps qu’il s’attache à la narration. Les effets de dramatisation que nous avons traités sont largement répandus. Le réviseur se focalise sur l’action, aux dépens des discours trop longs, et tend à rompre le moins possible le fil de la narration, selon la tendance littéraire que nous avons déjà évoquée.
La fable de Phrixus et Hellé est un bon exemple de la façon dont le remanieur reprend des traits partagés avec Y en les amplifiant. Par exemple, on retrouve, comme dans Y, la même dramatisation du récit par le recours au pathos119. L’émotion liée à l’exil des enfants est développée. Dans la version traditionnelle de l’Ovide moralisé, seuls Phrixus et Hellé sont tristes d’être exilés : « Triste et dolens et esbahis / Se metent li enfant a voie »(éd. C. De Boer, IV, v. 2873-2874). Au contraire, dans Y et dans Z, cette souffrance s’étend au père et au peuple entier, et le rédacteur de Z accroît encore la peinture de cette affliction généralisée :
61
Y |
Z |
Grant dolour ot et grant angoisse Le pere, quant il oy la nouvelle Du valet et de la pucelle. Grant tenrour ot et grant pitié. Tuit plorent pour leur amistié, Ceulx du paix et tuit se deuillent. (selon Y2, f. 80v.) |
Grant est le dueil que le roy maine. Trop se consenti a grant paine De ainssi exciller si enfant ; A pou que le cuer ne li fant. Grant dueil en font et grant pitié, Tous pleurent pour leur amistié, Ceus du païs grant dueil menoient. (IV, v. 1925-1931) |
La tristesse du père est encore accentuée dans Z par la description suivante :
Quant ces enffans despartir voient,
Le pere se pasme de dolour.
Fuit li le sanc, pert la coulour. (IV, v. 1932-1934)
Ainsi, l’adaptateur reprend et surtout développe les effets de dramatisation communs à Y et Z. Ce prolongement est encore plus visible concernant les aventures de Héro et de Léandre. Dans Y et Z, les seuls ajouts à la fable mettent en valeur l’amour de Héro pour Léandre, comme ces deux vers à propos de la jeune fille : « Toutes les nuis musse et atant / Et son ami vait regraitant » (IV, v. 2368-2369). L’hyperbole « toutes les nuis » dit l’intensité de l’inquiétude de l’amoureuse. La rime entre« atant » et « regraitant » suggère que le présent de l’attente se fond avec le passé du regret. Cet effet stylistique traduit la dimension tragique d’un amour qui ne pourra plus s’accomplir dans le présent, qui est condamné au souvenir ou à la vaine attente du futur. La notion du temps, qui confère une dimension éminemment tragique à la fable, est encore mise en lumière par une autre modification perceptible dans Y et Z :
Version commune |
Version de Y et Z |
Si ne sui mie moins destrois Que se ce fust la large mer, Quant cele que tant puis amer Ne puis a mon plesir avoir. (éd. C. De Boer, IV, v. 3287-3290) |
Et ne suis mie moins destrois De ce que des ·v· pars les ·iii· De ceste nuit sont ja passés, Les espasses sont ja allés Du grant deduit que seuil avoir, Quant celle je ne puis veoir Qui d’amer tant fort me semont. (Z, IV, v. 2172-2178) |
Le détail spatial (la largeur de la mer) disparaît au profit d’un détail temporel, ce qui accentue la fatalité de la situation. La séparation des amants est également mise en avant, comme un autre ressort du tragique. Par exemple, dans YZ34, la mer n’« enserre » pas les amants, comme dans la version la plus répandue120, mais les « deserre ». Ce changement fait ressortir la séparation plus que le piège. L’adaptateur de la famille Z insiste encore sur cette distance en signalant dès le début de la fable que les amants sont « a l’opposite » (v. 2047). Il poursuit ces effets de dramatisation dans l’ajout des v. 2212-2229121 qui comporte une description si précise du moment où Léandre traverse la mer déchaînée qu’elle s’apparente à une forme d’hypotypose pathétique. La description des gestes de Léandre qui lutte vainement contre le vent exprime effectivement la fatalité de son amour122 :
Celui estant en la mer sa brace,
Car amours et desir le chasse.
En nouant contre le vent
S’efforce, et va tant avant
Qu’il n’i vaut mes le retourner.
Le vent le chace en haulte mer,
Les ondes le vont tout courçant,
L’une heure ariere, l’autre avant,
Si comme le vent le dechace. (IV, v. 2212-2220)
Les effets visant l’émotion du lecteur, en germe dans la version commune à Y et Z, sont donc amplifiés dans Z. Le récit gagne progressivement en intensité, comme si le nouveau rédacteur cherchait les effets de la fiction qui plairont à son public.
Ainsi, le remanieur paraît sensible aux ressorts d’une narration qu’il lui importe de faire goûter aux lecteurs, notamment lorsqu’il concentre le texte autour du récit. Le changement de forme des fables de Pyrame et Thisbé puis de Philomèle et Procné dans Y et Z correspond à la recherche d’une continuité de la narration. Cette volonté paraît encore 63plus forte dans Z, pour d’autres épisodes. Elle se retrouve, par exemple, dans la transposition de certains discours directs en discours indirects. Le discours indirect permet d’intégrer les paroles au sein du récit : il n’y a plus de rupture dans la narration. Tel est le cas dans la fable des Cerastes dont Vénus veut se venger parce qu’ils la méprisent et sacrifient des pèlerins. Dans la version originale, la déesse dit :
[…] « Miex est sans faille
Que punisse la ribaudaille,
Qui a faite la mesprison,
Ou par essil ou par prison
Par mort ou par autre meschief » (éd. C. De Boer, X, v. 903-906).
Sa sentence est rapportée au discours indirect dans Z :
Si dist que pour celui meffait
Que les habitans y ont fait
Qu’el pugnira la ribaudaille
De leur pesché, ains con cel s’en aille,
Et comparront la mesprison,
Ou par exil ou par prisson,
Par mort ou par autre meschief. (X, v. 573-579)
L’harmonie et l’unité des modifications syntaxiques que requiert le passage du discours direct au discours indirect signalent que ce changement n’est pas fortuit. Le remanieur a choisi de ne pas rompre le récit. Cet agencement aurait pu avoir l’effet d’atténuer la valeur dramatique de cette prise de parole. Parce qu’il crée un décrochage dans la narration, le discours direct permet effectivement de mettre en valeur la sentence de Vénus et de faire ressentir la terreur qu’elle provoque. Pourtant, le nouveau rédacteur prend soin de transmettre cette émotion par l’emploi des futurs « comparront » et « pugnira ». Ce temps, contrairement au subjonctif qui figurait dans la version commune, met en valeur la détermination de Vénus. L’ajout du verbe « comparer » va dans le même sens. La tension du moment est finalement rendue, malgré le recours au discours indirect. Ainsi, l’emploi de cette forme correspond non pas à une volonté d’amoindrir la dimension dramatique du texte, mais bien à un souci de fluidifier le récit, que l’on retrouve dans les mises en prose. Par exemple, F. Vielliard observe que le prosateur du Roman de Troie « privilégie le discours indirect sur le discours direct123 ». M. Colombo 64Timelli remarque aussi, pour L’Histoire d’Erec en prose (xve siècle), que les dialogues, s’ils ne sont pas supprimés, sont transformés en discours indirects124.
Le traitement particulier des plaintes au discours direct atteste encore d’une volonté de maintenir le flux de la narration. Les plaintes de Byblis, par exemple, sont souvent résumées par un passage du discours direct au discours indirect. Les quarante-quatre vers de discours direct125 dans lesquels la jeune fille exprime son amour pour son frère sont synthétisés en quatorze vers dans Z, par le recours aux discours narrativisé et indirect126. Par la suite, un autre discours narrativisé récapitule la complainte de Byblis après qu’elle a écrit à son frère et que celui-ci l’a rejetée (éd. C. De Boer, IX, v. 2388-2473). Les sentiments ne sont pourtant pas laissés de côté. Les souffrances du personnage sont traduites par le narrateur, même si elles ne sont plus exprimées de façon directe. Le lyrisme de la fable de Byblis est ainsi atténué au profit de la narration, selon la tendance générale au récit caractéristique de la littérature des xive et xve siècles127, et notamment de certaines mises en prose.
Si l’adaptateur ne passe pas toujours du discours direct à l’indirect, il réduit souvent la part des paroles échangées entre les personnages. Il met ainsi en valeur l’action, le résultat des paroles plutôt que leur énonciation, selon une technique d’abréviation. Par exemple, dans la fable de Philomèle et Procné, il ôte une partie constituée de très courts échanges dans lesquels l’action n’avance pas, puisque Procné se voit seulement refuser toute explication quant à l’absence de sa sœur128, ce qui suscite pourtant pathos et suspens. L’adaptateur préfère en venir à l’essentiel : le mensonge de Térée concernant la mort de la sœur de Procné. Il en va de 65même lorsqu’il coupe les vers129 dans lesquels Térée discourt sur la mort, sur son universalité, invitant son épouse à ne pas déplorer la mort de sa sœur. Ces propos ont pu être jugés oiseux par le réviseur qui préfère, une fois de plus, aller à l’essentiel : la tromperie de Térée. Enfin, dans Z, trois vers130 résument le début de la plainte que Procné adresse à la Mort en seize vers dans la version commune131. La façon dont le remanieur réduit la longueur des prises de paroles, surtout celles qui sont source de pathos, marque donc une prédilection symptomatique de la littérature des xive-xve siècles pour la narration au détriment du lyrisme. Cette inclination se retrouve aussi dans les interventions du rédacteur visant à concentrer le récit sur l’action. C’est le cas dans la fable de Myrrha. Après avoir condensé en dix vers une digression sur l’amour et une plainte de Myrrha (éd. C. De Boer, X, v. 1129-1290 ; Z, X, v. 855-865), le remanieur reprend le texte original au moment où l’action se poursuit, quand le père rejoint sa fille. Il se concentre ainsi sur l’intrigue et ses rebondissements. Pour autant, le réviseur n’oublie pas d’enrichir la narration.
Le nouvel auteur complète notamment le texte en introduisant des topoï littéraires. Par exemple, à la fin de la guerre que Persée mène contre les sujets du roi Phinée, il n’évoque pas seulement le désir de partir du personnage, mais aussi ceci :
Le roi, la royne et l’espousee
Pleurent de joie et de pitié,
Quant voient Parseüs haitié.
Grant fu la feste qu’il menerent
Et leur gendre hounorerent.
Chascuns le cleime et l’escrie
« Fleur de toute chevalerie ».
Un temps fu en ycelle terre,
Depuis c’ot finé la guere ;
Puis ne voult plus la sejourner. (V, v. 637-646)
66Cette description donne plus de corps à la narration en répondant à quelques stéréotypes littéraires : la joie du peuple et des souverains devant la victoire du héros. Comme M. Possamaï-Pérez l’a démontré, et comme J.-Y. Tilliette le souligne132, l’auteur primitif de l’Ovide moralisé nourrit souvent la traduction par « plaisir de conter133 ». Le remanieur semble partager le même goût ou du moins s’adapte à celui de son public, lorsqu’il agrémente le texte de formules attendues, sans en changer fondamentalement le contenu. Pour introduire le récit des amours de Leucothoé et Phébus, l’auteur de la version traditionnelle développe moins la scène de première rencontre que celui de la version réécrite :
Version commune |
Version remaniée |
Li solaus est d’amour sorpris. Une pucelle de grant pris Simple, sage et de grant renon Ama, qui Leuchotoé ot non, Fille Orcamus, de Sable roi, Fel tirant et plain de desroi, Mes el ne li relignoit mie. (éd. C. De Boer, IV, v. 1372-1378) |
Phebus si vit d’aventure Une pucelle que Nature Avoit fourmee a devis. Tres belle de corps et de vis, Simple et saige et de grant renon. Lenthoé avoit celle non, Fille Artamus, de Sable roy, Fel tirant et plain de beuffray, Septieme roy aprés Bellion ; Eurmone la mere avoit non. Tant est Phebus d’amours supris Qu’il ne set s’il est mort ou vis. (IV, v. 1218-1229) |
Le coup de foudre du dieu pour la jeune fille est seulement sous-entendu dans le texte original par l’expression « est d’amour sorpris ». Le nouvel écrivain développe ce topos romanesque de l’inamoramento par l’évocation du hasard : « si vit d’aventure ». La mention de la beauté de la pucelle, cause implicite du désir de Phébus, développe aussi la description éculée du coup de foudre. En quelques vers, le remanieur a étoffé le stéréotype romanesque employé par l’auteur original, par habitude de lecture, d’écriture, ou peut-être pour rapprocher le texte de ce que son public connaît et apprécie. Une même disposition se retrouve concernant le personnage de Jupiter, tombé sous le charme de Danaé. 67Le simple constat que « Jupiter ama la pucele » (éd. C. De Boer, IV, v. 5438) devient :
La pucelle vit d’aventure,
Et son gent corps et sa figure,
Tant ama et tant desira
Qu’il dit que jamais bien n’arra
C’il n’est amé de la belle. (IV, v. 2889-2893)
Le rédacteur de la branche Z utilise la même expression que précédemment pour désigner le coup de foudre (« la pucelle vit d’aventure »), ce qui en souligne la nature stéréotypée. L’expression de la puissance des sentiments participe également du topos : « jamais bien n’arra / C’il n’est amé de la belle ». Cette façon de décrire les prémices de l’amour confère ainsi à la fable une saveur romanesque qui correspond probablement aux habitudes du lecteur. L’adaptateur va même jusqu’à étendre ce procédé à l’exposition, qui n’est pas censée être le lieu du romanesque, mais de la rationalisation. Cela invite à penser que les lecteurs de cette nouvelle version cherchaient un texte qui corresponde encore plus à leurs pratiques littéraires que l’Ovide moralisé initial qui emprunte pourtant déjà largement aux topoï romanesques médiévaux.
Ainsi, l’affirmation d’une « tentation narrative134 », communément partagée par Y et Z et accentuée dans Z,inscrit le remaniement dans les grandes tendances de la littérature des xive et xve siècles, et notamment dans celles des mises en proses. Le passage à la prose n’est pas anodin, dans la mesure où cette forme représente, comme la définit M. Zink, « l’expression naturelle de la narration135 ». Dans la première mise en prose de 1446 composée pour René d’Anjou, on retrouve cette dimension narrative. Ainsi on n’entend plus Héro et Léandre exprimer leur souffrance. Leurs paroles sont résumées par le narrateur, comme par exemple lorsque la jeune fille trouve son amant mort : « elle trouva son dit amy mort flotant sur l’eaue. Donc elle mena si grant dueil et fist si dures plaintes que assez racompter ne le pourroie136 ». Le prosateur travaille ici pour un lecteur peu soucieux des développements pathétiques, qui cherche seulement à connaître l’intrigue, l’histoire des personnages ovidiens. Peut-être ne cherche-t-il pas une lecture aussi érudite que celle de la première traduction-exégèse versifiée. Il opte pour une version 68plus au goût du jour : un pan des mises en prose de cette époque tend effectivement vers l’abrégement pour augmenter la lisibilité du texte137. Même si certains passages lyriques sont réduits dans Z, le remanieur ne fait pas du récit un pur résumé. Il reprend au contraire les éléments « romanesques » par lesquels le premier auteur enrichissait sa traduction, il dramatise lui aussi les intrigues.
La nouvelle lecture des fables que l’on distingue dans la famille Z est donc la continuation et l’aboutissement d’un processus déjà engagé. Elle repose sur une « tentation narrative » partagée avec les copies du groupe Y et avec d’autres reprises de la même époque. La narration se dote aussi d’une valeur rationalisante. Elle acquiert, encore plus que dans la version originale et Y de l’Ovide moralisé, une dimension totalisante. Elle permet la fusion du fabuleux et de l’allégorie.
Cohérence et cohésion du récit
L’auteur de l’Ovide moralisé initial, lorsqu’il traduit, se conforme aux préconisations des Arts poétiques, qui préfèrent l’ordre artificiel (ordo artificialis) à l’ordre chronologique (ordo naturalis) du récit. En revanche, « lorsque les additions lui rendent sa liberté, il revient à l’ordo naturalis[…] suivant la logique du récit138 ». On retrouve dans la version remaniée une même pratique, qui nous paraît motivée par un souci de cohérence, une volonté de parachever ce principe d’organisation logique.
Certaines modifications réagencent la matière pour l’ordonner encore mieux. Une part des premiers vers du livre IV (éd. C. De Boer, IV, v. 32-102) est déplacée dans Z à la fin du livre III. Ce transfert a une raison narrative. Il permet de distinguer ce qui dépend d’une fable et ce qui dépend d’une autre, ce qui concerne un personnage et ce qui en concerne un autre. Ainsi, la description des fêtes de Bacchus se retrouve à la fin du livre III qui évoque ce dieu du vin, alors que le début du livre IV se concentre sur les filles de Minyas. Ce déplacement permet au remanieur d’être conforme à l’ajout final qu’il fait de « l’exposicion sur Bacus » (livre III). Par ce réagencement, la matière concernant principalement Bacchus se trouve dans un seul et même livre. Comme le premier auteur, le réviseur se plie donc aux règles de la rhétorique antique, modèle des auteurs médiévaux, qui distinguait l’ordo naturalis 69de l’ordo artificialis139.L’exigence de l’ordre narratif conçu comme plus « naturel » apparaît également comme le moteur d’une rectification au livre IX à propos d’Œdipe. Dans la version commune, l’auteur fait une digression au moment où il raconte la rencontre fortuite de Tydée et de Polynice. On évoque alors le nom du père de Polynice : Œdipe. Une telle mention est l’occasion d’ajouter au récit celui de la vie du personnage. Le remanieur refuse cette digression, qui dans l’autre version introduit une causalité de type chrétien (celle du péché originel) en citant l’origine de la guerre des sept contre Thèbes140. Il sépare les deux fables et prend soin de présenter Œdipe et sa vie en amont. Une telle restructuration n’est certainement pas le fruit du hasard. Le remanieur a pu juger qu’il était plus logique de traiter chaque personnage, chaque intrigue au même endroit ; il a en outre cherché à supprimer toute référence à la causalité chrétienne. L’adaptateur suit donc lui aussi l’ordo naturalis141, même si son dessein correspond à un principe peut-être moins littéraire que rationnel. En effet, le texte se construit comme une unité signifiante, dans laquelle les étapes du récit répondent à une logique interne. Cela explique que le rédacteur souligne l’enchaînement des différents temps du récit et cherche à éviter tout saut temporel. Il rejoint en cela les invariants d’autres remaniements contemporains, axés sur la logique de l’enchaînement. On pense à la première mise en prose du Roman de Troie que le remanieur connaît sans doute. A. Rochebouet et F. Tanniou montrent à ce sujet que le prosateur « surenchérit dans l’expression de la cause et de la conséquence » et « propose une manière d’expliquer le monde en pensant la successivité d’une manière ordonnée142 ». Une telle continuité est nettement perceptible dans les transitions que l’auteur ménage en expliquant, par exemple, la raison de la présence d’un personnage. En comblant les blancs temporels, l’adaptateur se rapproche des procédés de la prose des xive et xve siècles, et s’éloigne peut-être plus 70que la version commune du style allusif et dense d’Ovide. Il partage ce souci pour la cohérence globale du récit et la limpidité de l’expression du déroulement des événements, que l’on peut lire comme « le signe de la nouvelle attention au temps caractéristique de la fin du Moyen Âge143 ». Par exemple, alors que la bataille entre Persée et Phinée a commencé, que les coups fusent, l’auteur de la version commune annonce que : « Pallas bateillereuse acourt / Qui son frere aide et secourt, / Si l’a de son escu couvert » (éd. C. De Boer, V, v. 186-188). Le second auteur modifie le passage en précisant que Persée :
Contre son deffans s’en appelle
Le dieu d’aidier a sa querelle.
La voult Pallas du ciel descendre
Pour aidier son frere et deffandre,
Si l’a de son escu couvert. (V, v. 94-98).
La mention de la prière de Persée justifie mieux la présence de Pallas que la simple précision du lien familial qui unit les deux personnages. En effet, si la proposition relative « qui son frere aide et secourt » peut avoir une valeur causale, celle-ci s’exprime plus directement par le vers « Pour aidier son frere et deffandre ». Ainsi, l’enchaînement des événements gagne en clarté aux dépens du rythme du texte, qui est déjà brisé par l’introduction, entre les vers 96 et 97, d’une rubrique : Coment Pallas la deesse vint en aide de Perseus son frere. Le ciment de la rationalité renforce donc la construction du récit, quitte à l’alourdir. Le réviseur ajoute d’autres petites précisions apparemment anodines qui soulignent la logique narrative, alors que l’intrigue n’est pas foncièrement ambiguë ni difficile à comprendre. Comme ces nouveaux détails n’ont pas toujours une grande utilité diégétique, nous les interprétons comme le signe d’une exigence plus logique que littéraire. Si le lecteur moderne peut penser que ces ajouts alourdissent le récit, l’auteur de la réécriture a certainement jugé qu’ils introduisaient au contraire une précision bienvenue. Il travaille en quelque sorte comme certains prosateurs. M. Colombo Timelli relève notamment, dans son étude d’une mise en prose d’Érec et Énide, que la structure est moins parataxique. Elle signale aussi que ce nouvel auteur « a recours à des 71formules, des diptyques, lui permettant d’exprimer la transition d’un personnage à l’autre » plutôt que de reproduire les « transitions parfois implicites de Chrétien144 ». Une telle propension se confirme dans le reste de notre texte, comme un aspect essentiel du style du nouvel auteur, qu’il partage avec d’autres auteurs de son temps. Le même type de configuration se trouve lors de la deuxième rencontre entre Jason et Médée. Médée avait réussi à contrôler sa passion jusqu’au moment où elle revoit Jason :
Au temple Hecates la deesse
Aloit Medea pour orer,
Et là aloit sans ja porter
L’amour Jason, ains ert remese :
Estainte estoit la vive brese.
Quant elle a le vallet veü,
Tantost qu’el l’ot aperceü
Fu sa morte flambe avivee. (éd. C. De Boer, VII, v. 484-492)
Le passage est globalement identique dans la version remaniée, mais Jason apparaît de façon moins abrupte, car le lecteur sait que :
En son chemin Jason encontre.
Medee lors rogi de honte
Et d’amour qui l’aguilllonnoit
Et en li grant guerre menoit,
Car quant elle ot le vallet veu
Et elle l’ot recongneü,
Sa morte flame est ravivee (VII, 513-519).
Plusieurs éléments préparent la rencontre de Jason, tel que le vers : « En son chemin Jason encontre ». Faire précéder la proposition « quant elle ot le vallet veu » de la conjonction « car » trahit également une volonté de créer une transition. Le remplacement du verbe « apercevoir » par le verbe « reconaitre » signale que Médée a le temps de comprendre et d’enregistrer ce qu’elle voit. Le réviseur cherche donc à rendre le récit moins abrupt plutôt qu’à souligner la force de l’amour, alors que dans le texte du xive siècle il suffit à Médée d’apercevoir Jason pour le reconnaître et sentir aussitôt son cœur s’emballer. L’enchaînement de l’intrigue l’emporte sur sa dramatisation, confirmant l’intérêt du remanieur pour la cohésion du récit. Comme l’auteur de la version 72commune145 de l’Ovide moralisé,il appliquedoncles préconisations des Arts poétiques en matière de structuration, mais il pousse plus loin ce désir de continuité en renforçant le lien entre les différents stades d’une même intrigue, en insistant sur leur lien. Cette attention à la « continuité » peut se rattacher au changement de perception du temps manifeste aux xive-xve siècles146. En ce sens, le réviseur se fait l’écho d’une attention au temps toute caractéristique de son époque147, en poursuivant et approfondissant la démarche du premier auteur, comme en témoigne aussi l’étude de la structure plus globale de l’œuvre.
Le réviseur ne perd pas de vue l’armature globale du texte. Il se préoccupe d’assurer la cohésion entre les fables, comme s’il cherchait à fondre ces différents contenus en une seule et même matière. L’absence d’allégorie peut être lue comme un moyen de renforcer cette cohérence, dans la mesure où le récit n’est pas entrecoupé par de longs passages qui font oublier l’enchaînement des intrigues. L’auteur original a conscience de cet aspect, puisque dans l’introduction d’un nouvel épisode il rappelle en quelques vers ce qui se passe dans le précédent. Ainsi, le lecteur ne perd pas le fil des événements. Ces micro-résumés de deux ou trois vers se trouvent supprimés dans Z, lorsqu’aucune exposition ne sépare l’épisode précédent du nouveau. En revanche, quand le nouvel écrivain ajoute une interprétation historique qui vient rompre la trame des fables, il s’efforce de rappeler encore plus d’éléments que l’auteur original à la suite des allégories religieuses. Tel est le cas au livre VIII après l’ajout de deux expositions, l’une concernant Pasiphaé et l’autre Ariane. Ces deux explications sont suivies du récit de la façon dont Dédale tente de s’échapper du lieu où Minos l’a exilé. Pour introduire cet épisode, un passage inédit rappelle la trame qui unit la précédente intrigue à la nouvelle :
Dessus vous ai dit et conté
La fraude et la grant mauvestié
De Pasiphe et de sa malice.
Le roi Minos, pour le servisse
Que Dedalus lui avoit fait
De l’angin qu’il avoit fait
73Par quoi au torel habita148,
Dedalus en desherita,
Et pour celle dite achoison
Le tint mout lonc temps en prison.
A Dedalus mout annuioit
D’estre enclos en tel destroit. (VIII, v. 958-969).
Dans la version initiale, l’auteur rappelle les exploits de Thésée (mise à mort du Minotaure, sortie du labyrinthe), que relate la fable précédente, c’est-à-dire la fable d’Ariane qui suit celle de Pasiphaé :
Dessus vous ai dit et conté
De Theseüs, plains de bonté,
Celui qui par son vasselage
Aquita le grief treüage
Et le monstre avoit conquesté.
Tant dis ot Dedalus esté
Pris en Crete, et moult li grevoit. (éd. C. De Boer, VIII, v. 1579-1585).
L’auteur primitif n’instaure pas de lien de causalité entre la nouvelle intrigue et la seconde. Au contraire, le rédacteur du remaniement évoque Pasiphaé parce qu’il considère qu’elle est responsable de l’exil de Dédale. Cette dernière avait effectivement demandé à cet ingénieur le moyen de s’unir au taureau ; et Minos, son mari, avait alors châtié Dédale. Le remanieur construit de toute pièce un lien logique entre les deux fables149. Ainsi, la nouvelle introduction de la fable met mieux en évidence l’unité des différents récits et consolide la structure globale du texte. Lorsque cela est nécessaire, notamment après une interprétation, l’adaptateur redouble donc d’efforts pour relier les épisodes entre eux, pour faire ressortir leur cohérence. Il a conscience que les interprétations peuvent faire perdre le fil de la narration et cherche alors à pallier cet inconvénient. L’attention portée à la narration et à la rationalisation s’interpénètrent, manifestant une même volonté de bâtir un édifice solidement charpenté.
Le réviseur modifie notamment certains épisodes à cet effet. Par exemple, l’ajout d’un passage à la fin de la fable de Héro et de Léandre 74nous paraît motivé par une volonté de faire résonner cette relation amoureuse avec celle de Pyrame et Thisbé. Selon D. Lechat, un parallèle implicite se dessine déjà entre la fable de Pyrame et Thisbé et celle de Héro et Léandre, dans le premier Ovide moralisé150. Ce rapprochement devient plus explicite dans notre texte151 par la mention de la réaction des parents de Héro et de Léandre à la découverte de la mort de leurs enfants : « Grant dueil firent, se dit la fable, / Quant les virent les parens d’eus » (IV, v. 2495-2496). Lorsqu’elle pleure la mort de son amant, Thisbé reproche à leurs parents respectifs d’avoir contrarié leur amour, aussi bien dans la version originale que dans son remaniement152. Ainsi, la référence finale à la tristesse des parents de Héro et de Léandre, qui n’ont pourtant pas été évoqués dans cette histoire et qui n’y jouent aucun rôle, peut faire écho à la fin du mythe de Pyrame et Thisbé153. Par ce biais, le lecteur est invité à tisser un réseau entre les fables qui traitent d’un même sujet, tel que l’amour impossible des jeunes gens. Ces changements subtils permettent d’associer des personnages dont l’histoire n’est pas reliée par l’enchaînement des fables. Par exemple, Hercule, au moment où il meurt, est implicitement rapproché d’Actéon, dans les copies de la branche Z. Son rédacteur change la comparaison entre la souffrance d’Hercule mourant et celle d’une bête qui court affamée. Il la remplace par la description d’un sanglier poursuivi par 75des lévriers (IX, v. 679-680), ce qui résonne partiellement avec la mort d’Actéon quand, métamorphosé en cerf, il est tué par ses propres chiens. Ces références établissent donc un réseau entre différents épisodes. Le remanieur accentue légèrement une dynamique déjà palpable dans la version originale. Il porte donc une grande attention à la structure globale de l’ouvrage, renforcée par les références explicites par lesquelles il relie des épisodes séparés mais unis par une même situation154. Il est attentif au continuum des fables.
Ce désir de créer un réseau textuel est si fort qu’il lui fait parfois perdre de vue le sens du texte. Au huitième livre, il tente notamment d’expliquer la guerre entre Nisus et Minos. Il rappelle alors un élément du livre précédent : la demande que Minos adresse à Nisus de l’aider à combattre les Athéniens. Il précise une nouvelle fois que Nisus représente celui
Qui au roi Minos fist reffu
Jadis de li faire aïe
De ses gens et de sa navie
A ceus d’Athenes guerroier.
Aler n’i voust ne envoier,
Pour ce qu’il fut leur alié
Nissus et par foi lié. (VIII, v. 742-748)
Or, cette information est erronée, car il y a confusion entre Nisus et Cacus. Ce contre-sens nous semble être la marque non seulement d’une connaissance parfois approximative des Métamorphoses, mais aussi d’une recherche de cohésion, coûte que coûte. Pour le nouvel auteur le récit ovidien doit former un tout uni, malgré l’impression que les récits se succèdent les uns aux autres sans principe unificateur autre que le thème de la métamorphose.
Il y a donc un effet de renvoi interne, mais aussi de bouclage de l’œuvre qui signifie que la narration se veut totalisante, au niveau de la macrostructure comme à celui de la microstructure. En ce sens, l’affirmation de l’histoire joue également un rôle important. Le rédacteur l’évoque dans le prologue et l’épilogue : elle encadre l’œuvre et 76dessine son ossature. Cette mise en perspective s’apparente à celle des romans antiques et historiques, dans lesquels le temps est celui du récit, ancré dans l’histoire des hommes. Elle ressemble encore plus aux mises en prose de ces mêmes ouvrages, comme par exemple celle du Roman de Troie que commente F. Vielliard en soulignant que le prosateur modifie le texte en vue de construire une « œuvre historique ». La mise en valeur de l’armature du récit inscrit donc la marque d’un temps humain. Ainsi, le renforcement de la cohérence du texte peut se lire comme l’imposition de ce temps humain aux dépens du temps théologique que représente l’allégorie religieuse155. Dans l’Ovide moralisé original, les thèmes récurrents des moralisations et notamment la recherche du Salut peuvent effectivement fonctionner comme des éléments structurants156. Ils donnent un cadre global à l’ouvrage et lient les récits les uns aux autres. Dans le remaniement, l’insistance sur l’enchaînement logique des épisodes rejoint le projet de suppression des allégories dans la mesure où elle fait prévaloir la rationalité. La rédaction Z n’est pas tournée et ordonnée vers un temps qui est celui du Salut, mais seulement vers un temps humain, qui est celui de l’histoire. L’allégorie spirituelle n’est pas le principe unificateur de notre ouvrage. Les fables elles-mêmes ont leur propre cohérence, que le réviseur s’efforce de souligner.
En quelque sorte, les deux auteurs tendent vers le même but – consolider l’unité des Métamorphoses – mais avec des moyens divergents. M. Possamaï-Pérez a montré que le clerc anonyme du début du xive siècle construit son ouvrage comme une cathédrale gothique. Son adaptateur veut, comme lui, structurer son texte. Il partage une perception du temps typique des xive et xve siècles, dont C. Marchello-Nizia rend ainsi compte : « Par le quadrillage du temps et des événements qui y sont opérés, on tente d’avoir prise sur la durée du passé, d’y trouver une cohérence, un sens157 ». Mais là où l’auteur originel de l’Ovide moralisé cherche un sens spirituel, son adaptateur préfère un sens concret, s’inscrivant dans ce que M. Zink nomme le « positivisme » des xive et xve siècles « qui limite le 77sens à l’événement et voit une raison suffisante à son récit dans sa seule existence et dans le désir d’en garder la mémoire158 ».
Tout expliquer, tout élucider
Cohérence dans la fable
Celui qui adapte l’Ovide moralisé poursuit cette tendance à renforcer la logique narrative en élucidant ce qui ne lui paraît pas limpide. Il donne l’impression de chercher à tout expliquer, tout embrasser, non seulement dans l’exposition, mais aussi au sein du récit fabuleux. En cela, il travaille comme l’auteur original de l’Ovide moralisé159, qui construit, selon M. Possamaï-Pérez, une « somme mythologique », intégrée dans une démarche de « thésaurisation du savoir160 ». Mais, corriger le premier auteur en ajoutant de-ci, de-là de petites indications nous semble surtout symptomatique de la façon dont le remanieur conçoit le processus de réécriture. C’est comme si le nouvel écrivain souhaitait parachever les travaux débutés par le premier en comblant ce qu’il considère comme des fissures ou des manques. Il affirme sans doute, par ce biais et de façon indirecte, que son œuvre représente une forme d’achèvement, que son texte est plus clair. Il lui arrive, par exemple, d’ajouter un couplet de vers pour souligner et compléter une information. Alors qu’Iris se rend chez le dieu du sommeil, il précise que « de la vient tout le dormir / Qui fait les gens tous estourmir » (XI, v. 2375-2376). Comme nous l’avons vu, ce genre d’adjonction peut servir à faire la transition entre différents moments de la fable et à renforcer la cohésion du récit, mais il s’interprète aussi comme un moyen de ne rien laisser inexpliqué, de tout combler. Le réviseur tend finalement au même but que l’auteur de la version du début du xive siècle, qui cherchait à « accomplir la matiere161 ». Ces efforts pour rendre le texte plus cohérent et pour le clarifier s’intègrent aussi dans le projet de suppression de la dimension 78religieuse de l’Ovide moralisé. Le premier auteur complétait la matière par son interprétation chrétienne. Le remanieur poursuit le même but, mais dans une autre visée. C’est pourquoi sa façon d’« accomplir la matiere » est essentiellement concrète, reposant sur l’ajout de données pratiques. La récurrence de ces efforts de clarification donne l’impression qu’il s’agit d’un véritable besoin, ou plutôt d’une pratique bien ancrée, que l’on retrouve dans les mises en prose contemporaines et postérieures dont « le dessein [est] de fournir aux lecteurs du temps des narrations ordonnées, liées, ou mêmes explicatives162 ». C’est exactement ainsi que travaille le rédacteur de la seconde version prosifiée de l’Ovide moralisé. Dans la fable de Persée et d’Atlas, il ajoute une petite référence qui souligne la cohérence du récit. Le narrateur signale au lecteur que Persée veut arrêter son chemin car il craint la nuit. Lorsqu’il demande l’hospitalité à Atlas, Persée convoque cet argument. Le prosateur instaure ainsi une cohérence entre les sentiments du personnage et ses actes. Il a exactement la même technique que le remanieur qui conçoit donc la réécriture comme une forme de clarification du texte source. Ceci explique le soin parfois excessif que le remanieur accorde à l’explicitation de certains faits, notamment lorsqu’il développe la justification de l’action d’un personnage déjà présente dans le texte original. Par exemple, dans la fable d’Actéon, la description de la source où Diane se baigne nue est l’occasion de justifier la présence de la déesse en ce lieu le jour où Actéon la surprend par hasard :
La se soloit Dyane nue
Baignier acoustumeement
Et venue iert nouvelement
Pour soi baignier en la riviere (éd. C. De Boer, III, v. 404-407)
Celui qui réécrit le texte ne peut s’empêcher d’amplifier ce qui est pourtant assez clair :
La se venoit Diane nue
Baigner acoustumeement,
Dont il avint lors tellement
Que venue la elle estoit,
Et a ses compaignes vouloit
Soy baingnier en la fontaine,
Dont l’eaue estoit doulce et saine. (III, v. 406-412)
79L’ajout de la proposition « Dont il avint lors tellement / Que venue la elle estoit » manifeste un désir d’explication. La présence de Diane est pourtant déjà nettement légitimée, dans le texte initial, par l’emploi du verbe « soloit » et de l’adverbe « acoustumeement ». La simple conjonction de coordination « et » suffit à admettre la présence de la déesse. La rime entre « acoustumeement » et « nouvelement » satisfait également la logique des faits. Il y a donc une forme de surenchère, qui nous semble révéler un fort besoin de clarté. Le nouvel auteur ne déclare pourtant nulle part dans sa copie que son texte de référence est mal ordonné ou pas assez précis. Ainsi, sommes-nous amenée à nous demander s’il s’agit d’un processus réfléchi ou s’il participe d’une habitude d’écriture (ou plutôt de réécriture). Cette tendance explicative peut simplement relever d’un effet de style notamment lié au fait que le remanieur se réapproprie un texte et qu’il est facile d’ajouter quelques vers de-ci, de-là. La récurrence de ce processus pourrait en attester. Néanmoins, cette même fréquence invite à penser que ces efforts d’éclaircissement traduisent un phénomène profond, lié à la volonté de l’auteur de rationaliser le texte. Il ne nous semble donc pas anodin que le remanieur mette particulièrement l’accent sur l’expression des motivations des personnages. En plus de révéler un trait propre à la fiction, comme l’exprime G. Genette163, et peut-être encore plus vrai pour la littérature des xive-xve siècles164, ce genre d’indication révèle que l’adaptateur envisage le réemploi comme une élucidation du texte. Nous pouvons également considérer comme Ph. Hamon que « la motivation psychologique » est « un élément de lisibilité et de cohérence165 » typiquement réaliste. Les procédés d’explicitation mis en place par le remanieur pourraient donc traduire une volonté d’ancrer les fables dans le réel, de se concentrer sur leur immanence, par opposition au premier auteur qui s’intéressait à leur possibilité d’interprétation transcendante, et ce dès le récit de la fable qu’il modèle selon son dessein d’édification spirituelle166.
80Cette démarche explicative mène parfois à une forme de lourdeur, alors que le réviseur s’efforce pourtant de donner à lire des fables plaisantes. Cela suggère qu’à ses yeux une lecture agréable repose sur la clarté du récit. C’est pourquoi, semble-t-il, il rappelle souvent au lecteur le statut de tel ou tel personnage. Par exemple, dans la fable de Salmacis, le rédacteur complète la périphrase « li diex qui les amans mestroies » (éd. C. De Boer, IV, v. 2079) en désignant plus directement l’identité du dieu par l’ajout167 : « Cupido le filz de Venus » (IV, v. 1497). De la même façon, il ajoute aux paroles de Leucothoé, qui évoque le dieu « ou tout bien habonde, / Qui ses rais espart par le monde168 » (IV, v. 992-993), un couplet de vers qui précise de quel dieu il est question : « C’est de Phebus, dieu du soleil, / Qui tout esclaire de son oeuil » (IV, v. 994-995). D’autres ajouts n’apportent aucune information nouvelle, mais soulignent seulement un élément crucial de l’intrigue. Pour le récit de Callisto mise enceinte par Jupiter, le remanieur complète les vers « Huit mois estoient ja passez / Et dou nueviesme encore assez » (éd. C. De Boer, II, v. 1545-1546) par « Que Caliste yere ençainte, / Dont avoit couleur palle et tainte » (II, v. 967-968). Cette précision n’est pas nécessaire, car le lecteur sait que Callisto est enceinte puisqu’elle refuse de montrer son corps nu à Diane. Le rédacteur juge opportun d’être explicite pour ne laisser aucun doute à son lecteur, se pliant, non sans lourdeur, au goût pour la clarté qui se retrouvera plus largement dans les mises en prose du xve siècle169. Les auteurs des deux mises en prose de l’Ovide moralisé procèdent de la même façon. Le premier prosateur évoque ouvertement le bienfait de reprendre certains éléments d’intrigues précédentes170. Le second, comme le rédacteur Z, est plus subtil mais tout autant à la recherche d’une narration claire. Par exemple, dans le récit de la venue de Persée chez Céphée, le second prosateur précise immédiatement le nom du roi de la contrée où se rend Persée, alors que 81ce nom est précisé juste après, dans l’Ovide moralisé en vers. Andromède, attachée à un rocher et prête à être dévorée, rappelle néanmoins à Persée dans le menu détail les raisons de son malheur, raison que le lecteur connaît déjà. Le remanieur, tout comme les prosateurs qui le suivront, va ainsi au-devant de ce qui pourrait être ambigu et cherche à clarifier ce qui lui semble trop approximatif. L’explicitation du texte est tellement exacerbée qu’elle peut conduire l’adaptateur à se répéter, ce que ce dernier ne semble pas considérer comme un frein à la lecture, bien au contraire.
Les détails qu’ils ajoutent pour éclaircir le récit concourent même parfois à embrouiller la fable plutôt qu’à la clarifier, menant au contre-sens. Ce paradoxe révèle l’exacerbation du souci de tout combler. Après avoir relaté les malheurs qu’a subis Niobé, l’auteur originel introduit une nouvelle situation. L’un des adorateurs de Latone prend la parole pour évoquer une nouvelle histoire :
Pour ceste presente victoire
Font tuit mencion et memoire
Et recordent les passez fais
Et les miracles qu’ele ot fais.
Li un dist : « Chier le compererent
Li vilain qui la despiterent.
En Libe avint une aventure
Trop grant, mes la chose est obscure
Pour les vilains qui vil estoient,
Qui la deesse despitoient. » (éd. C. De Boer, VI, v. 1591-1600).
Une erreur a dû survenir lors de la transcription, ce qui a empêché le remanieur de bien comprendre le passage. Au lieu de laisser les choses en l’état, il a voulu clarifier l’identité de l’énonciateur du nouveau récit. C’est pourquoi il précise que : « Pallas racompte une aventure171 » (VI, v. 705), ce qui est repris dans la rubrique Coment Pallas raconte aux ·ix· musses la fable coment les renoilles vindrent premierement, comant les villains y furent muéspar la priere Lathona la deesse. Or il s’agit là d’un contre-sens. Pour ne pas laisser le lecteur dans l’incertitude, le rédacteur a donc complété son énoncé avec une information dont il ne mesurait probablement pas la fausseté172. Cet exemple révèle une nouvelle fois 82l’habitude de l’adaptateur de clarifier le propos. Le réviseur inscrit à l’intérieur de la fable la marque d’une rationalité qui est le signe de sa nouvelle conception du temps. La temporalité du récit a pour fonction de combler toutes les brèches. Cet aspect signale que notre réécriture est conçue comme une façon de compléter le premier texte selon une logique rationnelle qui participe tout aussi bien des préoccupations du premier auteur que du remanieur. Mais la rationalisation ne sert plus l’interprétation spirituelle que le premier auteur avait en vue ; elle concentre seulement le texte sur lui-même.
L’adaptateur impose donc aux Métamorphoses une nouvelle unité. Il définit ainsi ce que représente pour lui le nouvel Ovide moralisé : une clarification du texte et une mise en ordre qui répondent à une lecture des fables rationnelle et non eschatologique. Cette volonté de combler toutes les failles de la narration se retrouve dans la façon dont il complète l’exposition et resserre le lien entre le récit fabuleux et son interprétation.
Rationalisation de l’interprétation
Le nouvel auteur complète fréquemment l’interprétation allégorique du texte par de petites explications, comme c’était déjà le cas dans la version commune à Y et à Z. Dans l’exposition naturelle de la métamorphose de Callisto en constellation de l’Ourse, l’auteur de la version originale explique qu’on l’appelle « Chars Tardis » parce que les étoiles qui la forment « Perdons nous souvient de veüe, / Si les voit l’en diversement, / Selonc le divers mouvement / Dou ciel en diverses saisons, / Et c’est, ce m’est vis, la raison / Par quoi l’ourse a non “Chars Tardis’, / Que l’en la puet veoir tous dis / Prez dou point, et tardivement / Fait, ce samble, tornoiement / Entour l’essiaul, sans loing mouvoir » (éd. C. De Boer, II, v. 2077-2087). Dans Z, le remanieur a modifié une mince partie de l’extrait pour, nous semble-t-il, clarifier l’explication du nom « Chars Tardis ». Il change « Et c’est, ce m’est vis, la raison / Par quoi l’ourse a non “Chars Tardis” » en « Et c’est, ce m’est vis, la raison / Pourquoy “Oursse” a non, en m’entente. / Pour ce qu’elle est parceuse et lente / Aussi l’appelle on “Char tardis” » (II, v. 1383-1386). La redondance de deux expressions synonymes (« ce m’est vis » et « en m’entente ») se justifierait par la recherche d’une rime pour l’explication que procure le vers « Pour ce qu’elle est 83parceuse et lente ». Une telle précision n’a rien de très scientifique ; elle ne développe d’ailleurs aucun concept astronomique. Elle aurait donc pour seul but de rendre le propos clair, de permettre au lecteur de bien comprendre l’interprétation. Si l’on conçoit que le récit fabuleux ne semble pas toujours très clair ou vraisemblable au remanieur qui y ajoute alors quelques transitions, quelques vers explicatifs, il est plus surprenant de retrouver le même processus de clarification dans l’interprétation de la fable. Les expositions historiques et naturelles de l’Ovide moralisé original offrent déjà une rationalisation de la fable. L’auteur les conçoit d’ailleurs comme la première étape, qui résout toutes les invraisemblances de la fable, avant de faire le « saut herméneutique173 » vers les sens spirituels du texte. Mais cela n’est pas suffisant pour le rédacteur Z qui surenchérit dans l’explicitation de l’explication.
Cette surenchère se manifeste également dans la façon dont le remanieur renforce la correspondance entre la fable et son interprétation. Il est rare qu’il laisse de côté des éléments du récit, lorsqu’il en révèle le sens historique ou physique. Le cas est frappant dans l’exposition de la fable d’Europe qui rationalise le fait que Jupiter s’est transformé en taureau pour ravir l’objet de son désir. Dans le récit fabuleux, le dieu fait appel à Mercure pour l’aider à rencontrer la belle : il le charge de conduire le troupeau de la montagne vers le rivage. Jupiter se métamorphose alors en taureau, intègre le troupeau, séduit la jeune femme et profite de la situation géographique pour emporter la jeune fille en passant par la mer. Dans l’exposition historique qu’il développe, le réviseur précise que Mercure est « dieu de lengage », une faculté fort utile lorsqu’il est question de tromper une demoiselle (II, v. 2977). Cette mention que ne rappelle pas ici la fable mais que le lecteur connaît permet d’expliquer comment Europe a pu être amenée à venir sur le rivage, lieu à partir duquel le dieu peut facilement enlever la jeune fille :
C’est a dire que un mesage
Envoia, sage et biau parliers
Et de toute honneur coustumiers,
Qui tant fist par son biau parler
Et par ces raisons ordener
Qu’il fist venir la fille au roy
Esbanoier et son conroy.
Vindrent es prés, sur la marine. (II, v. 2981-2988)
84L’emploi d’une proposition subordonnée circonstancielle à valeur consécutive « tant fist […] qu’il fist » rend la situation tout à fait naturelle. Le recours au verbe « faire » est également intéressant à ce sujet. En le faisant passer d’un emploi simple désignant l’action de Mercure (« fist par son biau parler ») à son emploi factitif (« fist venir »), le rédacteur manifeste la logique de l’enchaînement des événements. L’expression « ces raisons ordener » indique qu’il n’y a rien d’incroyable. La rime avec « biau parler » insiste sur le fait que l’action est le résultat de l’exercice d’un art, d’une maîtrise technique et non surnaturelle. Ces aspects révèlent l’effort de marquer la cohérence des faits. Dans l’exposition, il précise également que Jupiter avait pris la forme d’un « bouvier », ce qui lui permet d’expliquer sa métamorphose en bœuf :
L’ystoire dit que ou navie
Ou Eüroppa fu ravie
Il avoit un torel paint,
Et pour ce la fable nous faint
Que semblance de buef avoit,
Et pour ce que en guisse estoit
De bouvier […]. (II, v. 3022-3028)
Dans cette interprétation, l’adaptateur va plus loin que le premier auteur qui interprète seulement la métamorphose de Jupiter par la référence au rapt d’une jeune femme dans un bateau orné de la peinture d’un taureau174. Il déchiffre ce qui constitue déjà le dévoilement de la fable. Le déguisement en « bouvier175 » correspond très bien à la métamorphose en taureau, encore plus que la seule mention d’un bateau dont la proue représente un taureau. Cette image permet d’élucider toutes les étapes de la fable (la métamorphose en taureau et l’enlèvement). La forte cohésion que le réviseur souhaite construire entre la fable et son interprétation est le signe d’une volonté totale de clarification176. La 85raison humaine s’affirme ainsi comme l’unique principe interprétatif. La place essentielle que le nouvel auteur lui accorde signale la primauté que cette vérité a sur le dogme chrétien : son seul usage suffit à décrypter l’intégralité des éléments du récit mensonger, à dégager toute la science cachée sous les fables.
Le remanieur considère donc les Métamorphoses dans leur ensemble et tente d’en faire la synthèse. Cette tentative de totalisation opère à tous les niveaux : au sein de la fable, entre les fables. La narration est conçue comme un outil pour compléter les brèches du récit et de son interprétation. Il s’agit pour le réviseur de faire de l’ouvrage une unité cohérente. La clarification parfois excessive de certains passages indique que cette orientation temporelle cache un besoin d’achèvement et de structuration. La recherche d’une forte cohérence au sein du récit, entre les fables, entre la fiction et son exégèse, ne nous semble donc pas futile. Elle permet d’expliquer, en partie, la raison de la suppression des allégories, puisqu’elle correspond à une nouvelle conception du temps, qui n’est pas sotériologique. Cela n’empêche pas le rédacteur de convoquer dans son prologue la conception chrétienne du temps, lorsqu’il évoque l’opposition entre l’époque païenne et celle de la Révélation. Cependant, la référence à Jésus-Christ dans cet extrait n’est pas l’occasion de justifier une lecture eschatologique du texte, mais seulement de replacer les événements dans une chronologie humaine. L’unité des fables se construit donc selon l’histoire des individus (à travers la fiction et la vérité évhémériste) plutôt que selon le Salut. Selon A. Pairet, le clerc anonyme du début du xive siècle, avait « transpos[é] en termes herméneutiques le carmen perpetuum ovidien177 », en mettant en place un faisceau d’allégories religieuses. Son adaptateur réinvestit le même dispositif poétique, mais en restant dans un domaine sensible et concret. A. Strubel décrit l’univers de l’Ovide moralisé original comme « détaché du temps historique et de la nature178 ». On y trouve, certes, les interprétations concrètes qui se rattachent à cette temporalité, mais elles n’ont pas, pourrait-on dire, le dernier mot. Au contraire, l’adaptateur reconnecte les fables avec ce temps de l’histoire et de la nature. Il partage plutôt la conception dont rend compte J. Le Goff qui distingue, entre le xiie et le xve siècle, une transition d’un modèle de temps religieux (« le temps de l’Église ») à un modèle profane (« le temps des marchands »). Le temps se laïcise, s’extrait 86des connotations religieuses qui le définissaient de manière exclusive179. Cela se manifeste dans le souci de totalisation du remanieur, souci qui se retrouve chez d’autres auteurs, comme Jean de Meun qui possède « un goût pour un savoir totalisateur180 ». En ce sens, notre remanieur s’inscrit dans une certaine tradition littéraire dont il partage les préoccupations, qui ne sont pas d’ordre spirituel, comme elles l’étaient dans l’Ovide moralisé original, mais plutôt d’ordre scientifique, naturel, comme chez Jean de Meun, et historique. Plus précisément, son travail est bien ancré dans la littérature des xive-xve qui abonde en écrits historiques, signes de cette attention aux choses humaines, concrètes181.
Ainsi, un premier constat simple nous est apparu : les exemplaires Z34, que nous éditons, offrent un Ovide moralisé largement abrégé. Toutes les interprétations spirituelles sont rejetées ; ne subsistent que les expositions physiques et surtout historiques que le réviseur augmente ou ajoute parfois. Les fables sont également réaménagées, par la suppression ou l’addition de certains passages. On observe donc une double dynamique d’allègement et d’enrichissement de la version commune. Il est dès lors manifeste que le remanieur ne se fixe pas seulement l’objectif de raccourcir le texte. Il le remodèle selon un dessein propre, en mettant en place un projet littéraire dans lequel il prend ses distances par rapport à l’Ovide moralisé primaire. Il s’applique à faire entendre ses intentions au tout début et à la fin de l’ouvrage, c’est-à-dire en deux lieux très stratégiques. La réécriture du prologue, de l’épilogue et de la discussion sur le sens des fables situe le rédacteur de Z dans la même tradition de l’integumentum que le premier traducteur des Métamorphoses d’Ovide en français. Cependant, cet adaptateur rejette la dimension spirituelle que l’auteur original intègre dans ses commentaires. Il affirme son goût pour la matière historique à travers la forme et le contenu que revêt son prologue, tout en reproduisant une esthétique déjà perceptible dans la branche Y et le manuscrit B. Le réviseur s’intègre ainsi dans un processus d’évolution progressive de l’Ovide moralisé. Il marque aussi sa différence à travers la nouvelle portée éthique qu’il cherche à donner à l’Ovide moralisé.
La volonté d’ancrer le texte dans l’immanence explique pourquoi le réviseur s’intéresse notamment à l’amour, dans sa dimension terrestre 87et non transcendantale. À travers l’expression d’une nouvelle vision de l’amour et de la femme, il fait entrer son œuvre en résonance avec des thématiques chères à la littérature de son époque plutôt qu’à des considérations sur l’au-delà182. Ce positionnement implicite lui permet de dessiner une conception de l’amour, mais aussi de la vérité du texte, qui ne correspond pas toujours à celle de l’auteur original.
1 Pour ce type de dénomination, nous renvoyons à l’introduction de cette étude.
2 J.-Y. Tilliette, dans son article « L’Écriture et sa métaphore […] », évoque le jugement porté sur l’Ovide moralisé, longtemps considéré, avant les travaux de M.-R. Jung, comme un monstre en raison de sa dimension (Ensi firent li ancessor, op. cit., p. 543). Il renvoie notamment au jugement peu élogieux de Gaston Paris (« Chrétien Legouais et autres traducteurs ou imitateurs d’Ovide », Histoire Littéraire de la France, t. XXIX, 1886, p. 455-525, part. p. 518).
3 Dans son intégralité le texte compte très exactement 39209 vers.
4 Cette numérotation correspond à celle de notre édition des copies de la famille Z, à paraître. Lorsque nous renvoyons à l’Ovide moralisé du début du xive siècle, nous précisons « éd. C. De Boer » dans la parenthèse où figure la référence aux numéros des vers cités.
5 Il apparaît trois fois au livre XV : « Mes en la predicacion / Avons belle exposicion / Et allegorie notable » (XV, v. 1146-1147) ; « Mes en ce livre je n’é mie / Escripte nulle allegorie » (XV, v. 1189-1190) ; « Ovide mesmes qui les fist / N’i entendi pas tel sanz, sans dombte, / Com l’alegorie nous note. / Mout seroit fort chousse a escripre / Le droit sens de ce qu’il vost dire » (XV, v. 1196-1200). La première occurrence du mot, avec son sens d’« interprétation spirituelle », se présente à nos yeux comme une façon d’introduire la notion pour mieux la discréditer aux vers suivants, ou du moins la mettre à distance. Cf. introduction.
6 M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 274.
7 Le passage est étoffé dans Z : « C’est chouse vraie, sans faintisse, / Que Narcysus si fu jadis / Un nobles homs. De mout grant pris / Fu la lignee dont il yere. / Sa mere, qui de grant maniere / L’avoit pour sa grant biauté cher, / Si en fist par tout ensercher / Se li enffes gueres vivroit. / Li devins dit : “S’il ne se voit, / Sa vie ara assez duree” » (III, v. 1597-1606).
8 « Ou, s’il est en prosperité, / Puet il avoir adversité. / Biauté mondaine petit vault, / Qui si poi dure, et si tost fault, / Et met maint a perdicion / Par lor fole presumption, / Dont il perdent le cors et l’ame. / Orguelz desconfit home et fame. / Par orgueil cheïrent jadis / Li fol angle de Paradis » (éd. C. De Boer, III, v. 1868-1876).
9 La version Z regorge de vers hypométriques ou hypermétriques. Un point de notre édition leur est consacré, à paraître.
10 Cette trentaine de vers explique que la fleur s’appelle « fleur d’amour » parce qu’elle représente les amants trompés.
11 On lit en effet un constat à valeur morale : « Cest excemble doit bien noter / Tous ceux qui cuident destourner / Aux vrais amans qu’il ne s’entraiment. / Mais fous sont touz ceux qui s’en painent, / Car riens n’i vaut clef ne fermeure, / Ne grief menace ne bateure, / Car qui loyaument aime et fort, / Il amera duqu’a la mort. » (IV, v. 976-981).
12 Clytie se métamorphose en héliotrope, dite « fleur d’amour », car elle court partout pour chercher l’amour de son amant. On dit aussi que Leuchotoé se métamorphose en encens car la plante provient de l’endroit où Leuchotoé vit le jour.
13 On y lit ce qui correspond à peu près aux vers 1777 à 1783 (éd. C. De Boer, IV) : « Ou regne Orchamus le felon / Crut l’ensens premier ce dist on / Dont on fait le dieu sacrefice. / Phebus l’ama car cest espice / Est trop chaude et d’ardant nature / Et du soleil prend nourreture » (Y2, f. 74rb-74va).
14 L’histoire de Cadmus est assimilée à celle d’un paysan devenu vigneron. Sur les liens entre Z, Y et A2, voir l’introduction de notre édition, à paraître.
15 On remarque en effet que l’adaptateur est parfois plus pudique que le premier auteur. Dans le récit du mythe de Pasiphaé il supprime la référence au « vit » sur lequel fantasme la jeune demoiselle. Pourtant, nous pouvons aussi opposer à cette hypothèse le fait qu’il ajoute pour les fables de Pasiphaé et d’Actéon deux expositions plutôt érotiques.
16 Le caractère technique de ce vocabulaire a dû être difficile à comprendre pour le copiste et ne se rattache donc pas à son projet littéraire. Par exemple, deux vers qui mentionnent les techniques de tissage d’Arachné ne se trouvent pas dans notre texte : « Charpir, pignier et filer laine / Tant la savoit bien taindre en graine » (éd. C. De Boer, VI, v. 39-40).
17 Il peut s’agir dans ce cas soit d’accélérer le récit, soit de ne pas s’appesantir sur une pratique païenne.
18 Notons également que, communément à Y et Z, les noms que le peuple donne à Bacchus ne sont pas transcrits : « Liber, Bromis, et Lyeüz, / Seul bimere, et Nictiliuz, / Nises, et qui tondus ne fu, / Thyoneus, et nez de fu, / Plante vigne, Euam, Yacus, / Elenus et pere et Baccus / Et mains autres nons divers, / Que ne puis pas tous metre en vers » (éd. C. De Boer, IV, v. 53-60).
19 Ovide moralisé [ … ] , éd. citée, t. I, p. 167.
20 L. Endress, « Un répertoire du type De montibus et fluminibus caché dans l’Ovide moralisé ? À propos d’un passage interpolé et ses sources possibles », Ovidius explanatus […], op. cit., p. 39-65.
21 On peut penser, comme A. Strubel, que les explications concrètes, surtout physiques, participent de « la connaissance encyclopédique », cf. A. Strubel, « Allégorie et interprétation dans l’Ovide moralisé », art. cité, p. 145. Sur l’encyclopédisme de l’Ovide moralisé original, nous renvoyons à la thèse de M. Possamaï-Pérez : L’Ovide moralisé […], op. cit., p. 730-733.
22 Nous reprenons ici le terme de G. Genette.
23 C. Denoyelle rappelle notamment cette caractéristique des mises en prose dans « Les dialogues dans la réécriture d’Érec et Énide (xve siècle) », Réécritures […], op. cit., p. 28-52, part. p. 28.
24 Nous n’affirmons pas que toutes les mises en proses répondent à cette démarche. Plusieurs attitudes se distinguent, comme J.-C. Herbin le met bien en valeur à travers l’étude de trois remaniements de la Geste des Loherains. Il distingue un texte qui résume et conserve l’essentiel, un autre qui simplifie ou alourdit, et un dernier qui reste très fidèle au support versifié. Cf. J.-C. Herbin, « Trois conceptions de la mise en prose. L’exemple de la Geste des Loherains », Pour un nouveau répertoire des mises en prose. Roman, chanson de geste, autres genres, éd. M. Colombo Timelli, B. Ferrari et A. Schoysman, Paris, Classiques Garnier., p. 165-194.
25 En revanche, le second prosateur mentionne cette comparaison, qu’il ne développe cependant pas comme le premier auteur.
26 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 569. On pense aussi, pour une étude plus moderne, au brillant article de F. Vielliard, « Du Roman de Troie à la “vraie estoire de Troie” […] », art. cit., et particulièrement p. 184. F. Vielliard y montre comme le prosateur cherche à aller à l’essentiel, en ôtant les morceaux de bravoure, la description du tombeau d’Hector, des monuments élevés à Achille ou encore des armes ou des vêtements.
27 L’amour scandaleux de la jeune fille pour son père a également pu motiver ces coupes.
28 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 586.
29 Ibid., loc.cit.
30 F. Vielliard, « Du Roman de Troie à la “vraie estoire de Troie” […] », art. cité, p. 184.
31 “Ovide moraliséˮ en prose [ … ] , éd. citée, p. 12.
32 Nous contextualiserons plus en amont cette propension. Pour l’instant, nous en restons au constat.
33 « La causse si est, a voir dire, / Que lonc m’eust esté a escripre » (XV, v. 1191-1192).
34 Ovide moralisé [ … ] , éd. citée, t. I, p. 170.
35 Nous utilisons l’adjectif « nouvelle » car les détails de cette interprétation ne figurent pas dans la version originale et ne se retrouvent pas non plus chez les mythographes. On pourrait déceler, à travers la mention d’un médecin, les traces de l’influence de Fulgence qui évoque dans son interprétation tous les arts de la médecine.
36 La trame narrative de la fable est ici reprise, puis interprétée : « Orpheüs prist a espousse / Erudice la plaissant tousse. / Tres que Orpheüs l’ot espoussee, / Celle nus piés parmi la pree / S’aloit par l’erbe esbanoient. / ·i· pastour l’aloit danoiant / Qui la belle d’amour requist. / Celle li vee ce qu’il quist, / Celle s’enffuit pour n’estre prisse, / Et cil la suit qui l’a requisse. / La fuite que la fable entant / Veult dire que celle deffent / S’amour pour estriver mout fort, / Mes le serpent ou pié la mort, / Dont mort li en est ensuvie : / C’est que cil l’a tant poursuivie / Qu’elle plus ne se set deffendre. / Morte fu, et ce est a entendre / Que par cil elle fu honnie, / Quar a son mari l’a ravie. / Li pastours, qui pas ne gardoit / Berbis mes a garder avoit / Un païs et une contree / Qui estoit en une vallee, / En ce val en mena la belle. » (X, v. 198-222).
37 Pour une étude précise du passage, notamment sur la présence d’une exposition pour une fable qui traite d’une matière historique, cf. M. Possamaï-Pérez et P. Deleville « Médée et ses interprétations dans l’Ovide moralisé », Figures littéraires grecques en France et en Italie aux xive et xve siècles, dir. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, Brepols, 2020.
38 Le réviseur développe peut-être l’extrait pour prendre le contre-pied de l’exégète de l’Ovide moralisé dont l’attitude est ambivalente vis-à-vis d’Hector : il partage la présentation élogieuse d’Hector (et un planctus plein d’émotion au moment de sa mort), mais allégorise aussi Hector comme le diable.
39 Sur cet épisode, cf. P. Deleville, « Une réécriture de l’Ovide moralisé […] », Ovidius explanatus […], op. cit., p. 213-214.
40 Les ajouts des expositions de Callisto, et de la « vraye histoire »de la mort d’Hector sont mentionnés par M.-R. Jung,« Ovide, texte, translateur […] », art. cité, p. 89-90 ; ceux concernant les expositions d’Orphée, de Pygmalion, de Médée sont évoqués par le même auteur, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 272-273. L’exposition des aventures de Pygmalion vient ici remplacer l’interprétation historique de la même fable que contient la version originale : la fable raconte en réalité l’histoire d’un homme puissant qui remarqua un jour la beauté d’une de ses servantes, la nourrit, la rendit sage et l’épousa finalement (éd. C. De Boer, X, v. 3560-3585). Seulement, l’exposition est encadrée de blocs d’allégories religieuses que le remanieur a pu parcourir rapidement ou omettre totalement, ce qui expliquerait la nouvelle exposition qu’il propose.
41 Nous pensons que l’ajout d’une exposition historique se justifie par une volonté de rationaliser le scandale de l’amour zoophile de Pasiphaé. En effet, la matière est historique et ne nécessite pas une lecture évhémériste.
42 « Bien avez oï du fiert porc / Qui fu chassiés, dont a grant tor / Mourut et a grant desraison / Meleager par le tisson, / Dont, quant la chace fu finee / Et la chosse a chief menee, / Theseüs qui d’Athenes nés / Fu et ot esté mandés / A la chace et tuit li baron / Et plusieurs autres compagnon / S’en vouldrent retourner arriere / En leur païs […] » (IX, v. 225-236).
43 Nous ajoutons à cela les aventures de Médée, cf. P. Deleville et M. Possamaï-Pérez, « Médée et ses interprétations […] », art. cité.
44 S. Cerrito « L’Ovide moralisé mis en prose à la cour de Bourgogne », Mettre en prose aux xive-xvie siècles, op. cit., p. 109-117, part. p. 113-114.
45 Ibid ., p. 114.
46 É. Gaucher oppose le vers, « construit sur le modèle de la parataxe », et la prose qui ajoute au récit de nouveaux éléments clarificateurs. Cf. É. Gaucher, « Richard sans peur, du roman en vers au dérimage : merveilles et courtoisie au xve siècle », Du roman courtois au roman baroque, éd. E. Bury et F. Mora, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 123-134, part. p. 125 ; ead., « La mise en prose : Gilles de Chin ou la modernisation d’une biographie au xve siècle », Écriture et modes de pensée au Moyen Âge (viiie-xve siècles), éd. D. Boutet et L. Harf-Lancner, Paris, Presses de l’École Normale Supérieure, 1993, p. 196-207, part. p. 198-199. Nous renvoyons aussi aux travaux de M. Colombo Timelli, « Expression du temps et progression de l’histoire dans le “Conte d’Érec’, roman en prose du xve siècle », Temps et histoire dans le roman arthurien, éd. J.-C. Faucon, Toulouse, Éditions Universitaires du Sud, 1999, p. 75-82, part. p. 77 et 79.
47 Cet ajout provient, nous semble-t-il, d’une prise de position, de la part du réviseur, pour Polynice contre Étéocle.
48 J. Cerguiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme », art. cité, p. 277. Nous y reviendrons par la suite plus en détail.
49 M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 274.
50 M.-R. Jung évoque cet aménagement dans « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 270. De son côté, J.-Y. Tilliette étudie de près le passage de la version commune dans un article où il montre que « le mythe païen et la vérité chrétienne convergent » : J.-Y. Tilliette, « Ovide et son moralisateur au miroir de Pythagore. Figures de l’auteur de l’Ovide moralisé », Ovide métamorphosé […], op. cit., p. 201-222, part. p. 221.
51 La notion de couverture apparaît également dans le Roman de la Rose à propos des songes, comme celui de Macrobe, qui expriment « Maintes choses covertement / Que l’en voit puis apertement » (v. 19-20), cf. Guillaume de Lorris, Le Roman de la Rose, éd. et trad Armand Strubel, Paris, Le livre de poche, 1992. Il s’agit donc bien là d’un vocabulaire topique.
52 http://www.atilf.fr/dmf/definition/figure, consulté le 3 septembre 2018.
53 Nous reprenons ici une des définitions fournies par A. Strubel selon la Rhetorica ad Herennium qu’il cite d’après Rhétorique à Herennius, éd. et trad. G. Achard, Paris, Les Belles Lettres, IV, 34, 36. Dans ce texte, l’allégorie, entendue dans son sens large et non pas dans son sens d’interprétation spirituelle, est définie ainsi : allegoria est permutatio per similitudinem « l’allégorie est une substitution par similitude », (cf. A. Strubel, « Grant senefiance a » […], op. cit., p. 20).
54 La forme reveiller est employée pour reveler ; ce trait est courant dans les témoins Z3 et Z4.
55 Nous nous appuyons sur le rapprochement que J.-J. Vincensini opère entre escorce et tegmen, à propos de Macrobe, cf. J.-J., Vincensini, Pensée mythique et narrations médiévales, Paris, Honoré Champion, 1996, p. 23.
56 Boccace, LaGénéalogie des Dieux païens (Genealogia Deorum gentilium). Livres XIV et XV. Un manifeste pour la poésie, trad. Y. Delègue, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001, p. 48 pour la traduction du texte de Boccace et p. 89 pour la référence de l’éditeur à Isidore de Séville.
57 L’extrait est traduit par P. Maréchaux, « Mythologie et Mythographie dans la Généalogie des dieux païens de Boccace », Boccace humaniste latin, dit. H. Casanova-Robin, S. Gambino Longo et F. La Brasca, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 215-249, part. p. 238.
58 Macrobe, Commentaire au songe de Scipion, livre I, éd. et trad. M. Armissen-Marchetti, Paris, Les Belles Lettres, 2001, § 11 et 17, p. 7-9.
59 J.-Y. Tilliette, « L’Écriture et sa métaphore. Remarques sur l’Ovide moralisé », art. cité, p. 555.
60 « La veritez seroit aperte / Qui souz les fables gist couverte » (éd. C. De Boer, I, v. 45-46).
61 Il supprime ces références qui apparaissent dans le passage suivant de la version commune : « Or me doint Diex grace et savoir / De bien espondre et metre à voir / Le sens et l’exposicion / De la grant predicacion / Que Pictagoras nous a faite, / Qui grant fable nous a retraite, / Si que ce soit premierement / A la gloire, à l’eslevement, / De la parfaite Trinité, / Que Diex est en simple unité, / Por cui tout ai ceste oeuvre emprise, / Et à l’onor de sainte Yglise, / Et au preu de ceulz qui l’orront, / Quart maint, se Dieu plaist, en jorront » (éd. C. De Boer, XV, v. 2503-2516). L’extrait est effectivement écourté : « Le grant sermon avons retrait / Que Pitagoras nouz a fait, / Mes pou aroit sanz ne savoir / Qe ce qu’il dit tendroit pour voir. / Mes en la predicacion / Avons belle exposicion / Et allegorie notable » (XV, v. 1142-1148).
62 « Foi que doi Dieu et saint Michel, / Qui vueillle mener l’ame ou ciel / De l’escrivein qui l’a escript / Que Jhesus li envoit pourfit, / Et si le maintiengne en santé. / Amen, Amen, par charité » (XV, v. 2486-2491).
63 Nous le citions déjà en introduction : cette pratique « vise moins à modifier qu’à exploiter dans un sens destructif ou légitimant le capital d’autorité attaché à certains textes ». Cf. D. Maingueneau, L’Analyse du discours, op. cit., p. 155.
64 F. Mora, « Deux réceptions des Métamorphoses au xive et xve siècle », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistiques, 9, 2002, p. 83-97, part. p. 85.
65 « Et cui Dieus done eür et grace / De conquerre sens et savoir, / Il ne doit pas sa bouche avoir / Trop chiere au bien dire et espondre, / Quar nulz ne doit son sens repondre, / Quar ne vault sens que l’en enserre / Ne plus qu’avoirs repost en terre » (éd. C. De Boer, I, v. 8-14).
66 Le Roman de Thèbes, éd. A. Petit, Paris, Champion Classiques, 2008, p. 78.
67 Quand on pense que le Roman de Troie semble être une source du remanieur, le lien est d’autant plus probant, cf. notre étude des sources dans l’introduction de l’édition du texte à paraître.
68 Bertran de Bar-sur-Aube, Girard de Vienne, éd. Frederic G. Yeandle, New York, Columbia University Press, 1930.
69 Marie de France qualifie elle aussi ses lais, comme par exemple celui de Guigemar, de « bone mateire » (v. 1). Lais de Marie de France, éd. et trad. Alexandre Micha, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 34.
70 Guillaume de Lorris, Le Roman de la Rose, éd. citée.
71 M.-R. Jung, « Ovide, texte, translateur […] », art. cité, p. 93.
72 Roman de Thèbes, éd. citée, v. 11-12.
73 La référence au plaisir se trouve dans bien d’autres textes, comme par exemple Aucassin et Nicolette : « Qui vauroit bons vers oïr / del deport du viel antif / de deus biax enfans petis, / Nicholete et Aucassins » (v. 1-4), éd. Mario Roques, deuxième édition, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 1. L’auteur de Guillaume d’Angleterre mêle vérité et plaisir : il contera parmi « les estoires d’Angleterre / Une qui molt bien fet bien a croirre / Por ce que plaissant est et voire », éd. critique A. J. Holden, Genève, Droz, v. 11-14.
74 Histoire de Gérard de Nevers, mise en prose du Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil, éd. critique M. Marchal, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2013, p. 106.
75 Ibid., p. 107.
76 S. Cerrito, « Entre Ovide et Ovide moralisé[…] », art. cité, p. 166.
77 P. Deleville, « Une réécriture de l’Ovide moralisé […] », art. cité, p. 208-209.
78 Sur la conception du temps, voir par exemple J. Le Goff, À la recherche du temps sacré, Jacques de Voragine et la Légende dorée, Paris, Perrin, 2011.
79 Définition fournie d’après le sens de la construction « venir de qch. » donnée dans leDMF : http://www.atilf.fr/dmf/definition/venir, consulté le 3 septembre 2018.
80 Nous remercions bien chaleureusement D. Burghgraeve qui nous a donné cette référence et nous a permis d’accéder à ses travaux, De couleur historiale et d’oudeur de moralité : poétique et herméneutique de l’histoire antique dans la Bouquechardière de Jean de Courcy (1416), sous la direction de J.-Cl. Mühlethaler et de M. Szkilnik, soutenue le 1er avril 2019, p. 407.
81 Ibid., loc. cit.
82 F. Vielliard, « Du Roman de Troie à la “vraie estoire de Troie” […] », art. cité, p. 181.
83 Nous qualifions l’exposition d’« inédite » car elle ne figure ni dans la version commune de l’Ovide moralisé, ni chez les mythographes que le premier auteur a l’habitude de pratiquer. Nous espérons un jour en savoir plus sur le sujet, mais pour l’instant, nous devons avouer que nous n’avons rencontré nulle part ailleurs un récit exactement similaire.
84 Il pratique plutôt l’œuvre presque intégralement : il lui arrive seulement de ne pas recopier une exposition historique placée entre des allégories religieuses. Il est plus assidu dans la première partie du texte, mais semble aller plus vite pour la fin. On pense par exemple au livre X où il ne recopie même pas l’exposition historique qui suit immédiatement la fin des fables de ce livre, ni les autres lectures évhéméristes qui s’intègrent dans la longue série d’interprétations sur la matière orphique.
85 Cet aspect est démontré par L. Endress et R. Trachsler, « Économie et allégorie […] », art. cité, p. 350-366.
86 Le copiste du manuscrit B (Lyon, BM, 742) change lui aussi les transitions entre la fable et les allégories qu’il ne recopie pas, par souci de cohérence.
87 Notons que les allégories religieuses qui suivent sont présentes dans Z21, bien que les vers introducteurs de celles-ci soient modifiés comme dans Z34 où il n’y a pas d’interprétations religieuses.
88 M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 274.
89 M.-R. Jung, « Ovide, texte, translateur […] », art. cité, p. 93.
90 Pour les rapports de parenté entre les différents témoins, nous renvoyons à l’étude de M. Cavagna, M. Gaggero et Y. Greub, « Prolégomènes […] », art. cité.
91 S. Cerrito, « Entre Ovide et Ovide moralisé […] », art. cité, p. 161.
92 M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 258.
93 S. Cerrito, « Entre Ovide et Ovide moralisé […] », art. cité, p. 161.
94 Ibid., p. 161.
95 Ibid. p. 161.
96 Voir le chapitre « Auctorialité et vérité », p. 116-128.
97 Voir à ce sujet nos éléments de synthèse, p. 149-160 et notre article « Lectures conjointes et divergentes de l’Ovide moralisé », Traire de latin et espondre. Études sur la réception médiévale d’Ovide, dir. C. Baker, M. Cavagna et E. Guadagnini, collab. P. Otzenberger, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 197-208.
98 Cette évolution progressive s’étend même dans une certaine mesure à A2, Y et Z, A2 étant lui aussi un témoin tardif. Par exemple, au livre VI, dans la narration de la fête en l’honneur de Térée, le couplet commun à A2YZ (« Et li queux et li panetier / N’ont cure de plus atargier ») synthétise la description de l’affairement du personnel (« Li panetier, li eschançon, / Chascuns ot cure et cusançon / D’atorner et d’apareillier / Ce qu’apartient a son mestier »,éd. C. De Boer, VI, v. 2801-2804). Un autre exemple signale cette accélération du récit : la suppression dans A2YZ de « Et plus de mil foiz la retorne, / Quant d’antrer an la nef s’atorne, / Si la retient tant come il puet, / Et quant retorner l’an estuet » (éd. C. De Boer, VI, v. 2915-2918).
99 M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 269.
100 On note également une fois un réagencement de la matière commun à Y et Z, et qui permet de regrouper les éléments d’un même sujet. La fin de la fable de Mars et Vénus est déplacée dans Y et Z (éd. C. De Boer, IV, v. 1342-1371). Cette restructuration a l’intérêt de ne pas séparer ce récit de son exposition. En effet, dans les autres témoins de la tradition, l’interprétation est entrecoupée de deux autres aventures : la fable de Leucothoé (éd. C. De Boer, IV, v. 1372-1453) et la fable de Clytie (éd. C. De Boer, IV, v. 1454-1487). Le texte enchaîne ensuite, dans Y et Z, sur les mésaventures de Leucothoé, introduites par la fin de l’histoire de Mars et de Vénus qui résume le récit précédent et qui prépare le nouveau en évoquant le désir de vengeance de Vénus, dont Leucothoé sera l’objet.
101 M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé[…], op. cit., p. 235-253.
102 Ovide, Métamorphoses, éd. et trad. G. Lafaye, Paris, Belles Lettres, 2008, t. II.
103 Le Gdf relève cette expression dans le Roman de Renart, ce que note aussi le Tobler, et dans un mystère joué à Troyes à la toute fin du xve siècle.
104 La forte influence de ces romans antiques apparaît dans le remaniement, notamment lorsque le nouvel auteur s’inspire du Roman de Troie (pour amplifier l’histoire d’Œdipe) ou le cite comme une autorité, dans l’exposition de la fable de Médée et dans l’ajout qu’il fait au livre XII sur la mort d’Hector.
105 J. Cerguiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme », art. cité, p. 277.
106 Ibid., p. 276.
107 On pourrait dire la même chose d’un réagencement commun à Y et Z que relève M.-R. Jung et qui correspond mieux à l’ordre du récit. Cf. M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 267.
108 G. Genette, Palimpsestes […], op. cit., p. 340.
109 Cet aspect est traité par G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 563.
110 Cette comparaison de type épique est ajoutée par l’auteur de l’Ovide moralisé, alors que les Arts poétiques conseillent de supprimer ce genre de passages. En ce sens, le remanieur est ici plus proche du récit ovidien.
111 Le premier auteur amplifie le texte ovidien en décrivant la force du trouble de l’eau qu’il assimile à l’enfer, le bruit de la tempête qui ressemble à celui de bêtes féroces, l’abondante pluie qui fait grossir la mer et laisse penser que le ciel va s’abattre sur l’équipage, les éclairs qui donnent à voir ce spectacle terrifiant (éd. C. De Boer, XI, v. 3220-3270). Sur ce passage, voir M. Possamaï-Pérez, « Le souffle épique dans l’Ovide moralisé », Le Souffle épique. L’esprit de la chanson de geste, dir. S. Bazin-Tachella, D. de Carné et M. Ott, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2011, p. 435-444.
112 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 643. On pense ici aux analyses de F. Vielliard, « Du Roman de Troie à la “vraie estoire de Troie” […] », art. cité, p. 184.
113 Cumque super Libycas uictor penderet harenas, / Gorgonei capitis guttae cecidere cruentae / Quas humus exceptas uarios animauit in angues (Mét., IV, v. 617-619). Traduction : « tandis que, victorieux, il planait au-dessus des sables de la Libye, des gouttes de sang tombèrent de la tête de la Gorgone ; la terre qui les reçut les anima et les changea en reptiles de différentes espèces », éd. citée, t. I, p. 116.
114 Pour plus de précisions, nous renvoyons au compte-rendu limpide établi par N. Arrigo sur les tendances de ces études, « La réécriture française : quelques éléments pour un état des recherches », art. cité, p. 299-318, part. p. 314-315.
115 M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 265.
116 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 532-533.
117 Nous pensons une fois de plus aux travaux d’É. Gaucher, « Richard sans peur, du roman en vers au dérimage : merveilles et courtoisie au xve siècle », art. cité.
118 Sur cet aspect, nous renvoyons aux travaux de M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé[…], op. cit., p. 256-262, p. 730-731.
119 Le rédacteur de la seconde mise en prose de l’Ovide moralisé conserve lui aussi ces effets dramatiques. La portée pathétique du texte est même parfois augmentée, comme par exemple dans le récit du sort de l’innocente Andromède attachée à un rocher et condamnée à être dévorée par un monstre marin. Le prosateur change l’ordre de la narration : Persée est d’abord ému par la vision des parents d’Andromède en pleurs, puis « plus piteux fut encores d’elle mesme », c’est-à-dire d’Andromède, lorsqu’il l’aperçoit attachée au rocher. Dans la version initiale et dans Z, Persée voit d’abord Andromède puis ses parents. La prose ménage un crescendo dans le pathos là où les vers reposent plutôt sur un effet de surprise. Le prosateur réinvestit en outre tous les effets pathétiques du texte versifié, comme la peinture émouvante du dénuement et du désespoir d’Andromède.
120 « Et ceste mer tant nous enserre / Que je ne puis aler a soi » (éd. C. De Boer, IV, v. 3295-3296).
121 Le passage continue sur : « Celui que folle amour chace / Cuide a Fortune estriver. / Riens ne li vaut son estriver. / Tant ot les menbres lassés / De nouer que tous fu cassés / De soutenir les flos de l’onde. / Plus de ·c· foiz celui afonde. / Que vous yroie racomptant ? / Celui puis haut, puis bas va tant / Qu’il n’ot mes nulle force en soy » (IV, v. 2220-2230).
122 Pour un commentaire plus précis, nous renvoyons à notre article « Lectures conjointes et divergentes […] », art. cité.
123 F. Viellard, « Du Roman de Troie à la “vraie estoire de Troie” […] », art. cité, p. 187.
124 L ’ Histoire d ’ Erec en prose, roman du xv e siècle, éd. critique M. Colombo Timelli, Genève, Droz, 2000, p. 38.
125 Éd. C. De Boer, IX, v. 2187-2231.
126 « Biblis se quide chastoier / Et retraire de fouloier. / Souvent se blasme, mes n’i vaut. / Trop li livre amour dur assaut. / Si n’y a plus de l’endurer. / Il li convint voie trouver / Pour allegier sa maladie, / Mais tallent n’a qu’elle le die / A cil de qui le mal li vient, / Car trop la vergoigne en recraint. / Si dit qu’elle li escripra / Et tout l’estat regeÿra / Ou est pour lui et sa doulour / Et le requerra de s’amour » (IX, v. 1899-1912).
127 Nous renvoyons une fois de plus aux études de J. Cerquiglini-Toulet, et notamment au Précis de littérature française du Moyen Âge, op. cit., p. 277.
128 « “Voirs est. Por moi l’avez vos dit. / Ma suer ne vient mie, ce cuit”. / “Non, voir, dame, n’est pas venue”. / “Quel essoine l’a dont tenue ?” / “Quel ? Dame, ja nel vos dirai”. / “Porquoi ? Por ce et je irai. / La d’outre a li s’il ne vos poise.” / “Dame, ne feistes mie noise, / Car je vos an dirai le voir, / Puis que vos le volezsavoir ; / Mes ja mon vuel nel vos deïsse. / Voir m’estuet que vos regehisse, / Que que ce soit ou biens ou maus.” » (éd. C. De Boer, VI, v. 3129-3141).
129 « “Ce nos covendra toz paiier, / Ja ne savrons tant delaier ; / Et des que tel est l’avanture / Que morz a prise sa droiture / Que vostre suer li devoit randre, / N’an vueilliez trop grant duel anprandre, / Mes sofrez sanz trop grant corroz / Ce que sofrir covandra toz” »(éd. C. De Boer, VI, v. 3173-3180).
130 « Lors pleure et crie et fiert sa face. / Tant a doulour ne set que face. / La mort appelle qu’a lui viengne » (VI, v. 2026-2029).
131 « “Mors, fet ele, trop mespreïs / Quant tu ma seror oceïs, / Et mout t’an doit haïr Nature / Quant la plus bele creature / Qu’ele onques feïst as ocise. / Mors, mout deroies grant franchise, / Se tu avuec li me metoies. / Morz, qu’atanz tu que tu n’anvoies / M’ame avuec la soe deduire ? / Morz, mout me tarde que je muire, / Car je ne quier ja mes plus vivre. / Morz, car vien et si t’an delivre, / Si me secor a cest besoing / Mors par quoi es de moi si loing / Que tu ne m’oz ne ne m’antanz ?” »(éd. C. De Boer, v. 3195-3209).
132 J.-Y. Tilliette, « Pourquoi Bellérophon ? Le sens et la composition du livre 4 de l’Ovide moralisé », Sens, Rhétorique et Musique. Études réunies en hommage à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, éd. S. Albert, M. Demaules, E. Doudet, S. Lefèvre, C. Lucken et A. Sultan., Paris, Honoré Champion, 2015, p. 154-155.
133 M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé […], op. cit., p. 235-256.
134 Nous reprenons encore l’expression à J. Cerguiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme », art. cité, p. 277.
135 M. Zink, Littérature française au Moyen Âge, Paris, PUF, 2006, p. 185.
136 Ovide moralisé en prose [ … ] , éd. citée, p. 151.
137 N. Arrigo, « La réécriture française : quelques éléments pour un état des recherches », art. cité, p. 314.
138 P. Demats, Fabula […], op. cit., p. 74.
139 Ibid., p. 72-74.
140 M. Possamaï-Pérez démontre effectivement que « la présence initiale de Tydée, présenté avant Polynice et avant Œdipe, s’explique parce que sans la présence du diable [ici Tydée dans l’interprétation], sans son orgueil et sa damnation, l’homme n’aurait pas subi l’exil du paradis terrestre et la tempête de la vie sur terre », cf. M. Possamaï-Pérez, « La légende thébaine, dans l’Ovide moralisé[…] », art. cité, p. 543.
141 J.-Y. Tilliette montre, pour le livre IV, que l’auteur de l’Ovide moralisé recourt à l’ordo naturalis plutôt qu’à l’ordo artificialis que préfère ici Ovide, « Pourquoi Bellérophon ? […] », art. cité, p. 153.
142 A. Rochebouet et F. Tanniou, « Allier le romanesque et l’histoire dans les romans de Troie médiévaux », Romanesque et histoire, éd. C. Reffait, Amiens, Centre d’études du roman et du romanesque de l’Université de Picardie-Jules Verne, p. 99-111, part. p. 105.
143 J. Cerquiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme », art. cité, p. 277. Elle parle ici plus généralement du « goût pour le récit » de ce temps, mais comme les détails que nous étudions resserrent tout particulièrement l’intrigue sur le temps du récit, sa formulation nous semblait tout à fait à propos.
144 M. Colombo Timelli, « Expression du temps et progression de l’histoire dans le “Conte d’Érec’, roman en prose du xve siècle », art. cité, p. 77 et 79.
145 M. Possamaï-Pérez montre que le premier auteur « ne manque pas » lui aussi « de souligner la construction, la “conjointure” de son immense travail » en résumant, par exemple, la fable précédente pour commencer la nouvelle. Cf. M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé […], op. cit., p. 253.
146 C. Marchello-Nizia, « L’homme en représentation », art. cité, p. 358.
147 J. Cerquiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme », art. cité, p. 277.
148 Le verbe « habiter » signifie ici « avoir des relations sexuelles avec qn ». La structure de la phrase est également quelque peu maladroite, ce qui est lié à la réécriture.
149 Concernant l’histoire de Dédale, Jean de Courcy change lui aussi l’ordre du récit dans la Bouquechardière, pour préférer l’ordo naturalis à l’artificialis. Il insère notamment le récit sur Dédale et Perdrix avant l’arrivée de Dédale en Crète et « prépare ainsi l’épisode du Minotaure, car il introduit le personnage et son habileté et explique les raisons de son arrivée en Crète », D. Burghgraeve, De couleur historiale et d’oudeur de moralité […], op. cit., p. 420-421.
150 D. Lechat, « Héro et Léandre dans l’Ovide moralisé », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistiques, 9, 2002, p. 25-37, part. p. 7, p. 13-16. Il rappelle notamment que les deux mythes présentent déjà des similitudes structurelles dans la tradition antique (un même scénario qui conduit deux jeunes gens à braver l’interdit parental, les retrouvailles nocturnes). De son côté, l’auteur de l’Ovide moralisé définit la situation initiale de ces deux mythes de la même façon, ce qui « introduit une aura courtoise » (p. 15). D. Lechat voit également dans l’importance accordée au songe de Thisbé et de Héro la marque d’un rapprochement. Selon lui, « les épilogues des deux récits présentent eux aussi des similitudes, d’autant plus remarquables que le dénouement du récit concernant Léandre et Héro a sans doute été imaginé par l’auteur médiéval » (p. 15).
151 Enfin, le rapprochement est explicité par Christine de Pizan dans La cité des dames où le récit sur Héro et Léandre est introduit par une comparaison avec Pyrame et Thisbé.
152 « “Parens, / Qui nous cuidiez garder leens, / A court terme serois dolens. / Com dolereus emcombremens / Verrois, / Quant ambedeus nous trouverois / Ensamble mors et acolez !” »(éd. E. Baumgartner, v. 846-852, correspond à éd. C. De Boer, IV, v 1107-1113). « “Pere et mere, qui vous mouvoit / De nous tenir en tel destroit, / Onques voir par amours n’amastes / Qui notre hantisse destournastes ! / Mes vous nous cuidiés destourner / De nous par amours entre amer, / Mes nul ne peut a chief venir / De ce qu’amours veult convenir. / En brief terme serés dollent, / He, Dieux, quant verrés meschief grant. / Quant embe deux nous trouverés / Ensemble mors et acollés, / Bien devrés haïr votre envie, / Vostre agait, votre jalousie ! / Par vous mourons a grant destrece, / Dont vous arés au cueur tristece.” » (IV, v. 918-933).
153 Il pourrait également s’agir d’une référence aux Epistres des dames de Grece.
154 Lorsque le texte évoque la haine que Pallas ressent pour Aglauros au moment où la déesse entre chez Envie, l’adaptateur juge opportun de rappeler au lecteur les raisons de ce ressentiment en signalant les grandes lignes de la fable de Pallas et de Vulcain. Il rappelle ainsi que Pallas déteste Aglauros à cause « De l’offence que ja pieça / Aglaros li fist, quant passa / Son comendament et ouvri / L’escrin qu’elle li deffendi. / Encore li en souvenoit / Dont celle moins li avenoit » (II, v. 2413-2418).Cette référence renvoie au récit contenu dans les vers 1509-1528 du même livre.
155 Nous ne nions pas ici que la temporalité chrétienne est aussi humaine : elle s’oriente d’un début vers une fin. Le réviseur reprend d’ailleurs cette temporalité chrétienne dans son prologue en rappelant l’ère païenne, suivie de la venue du Christ, puis de celle d’Ovide. Seulement, dans l’Ovide moralisé initial, cette temporalité mène jusqu’au Jugement Dernier et à la vie Céleste alors que celle du remanieur reste en quelque sorte sur terre.
156 Nous n’abordons pas ici la fonction poétique de ce réseau d’interprétations spirituelles, mais nous sommes bien consciente de la poésie des allégories religieuses.
157 C. Marchello-Nizia, « L’homme en représentation », art. cité, p. 358.
158 M. Zink, « Le roman en transition », art. cité, p. 302. On peut aussi penser à l’aristotélisme ambiant qui se déploie depuis le xiiie siècle et qui marque une attention au réel, un regard plus naturaliste que théologique sur le monde, notamment dans le domaine scientifique. Cf. É. Gilson, La philosophie du Moyen Âge. Des origines patristiques à la fin du xve siècle, Paris, Payot, 2e éd., 1962, p. 393-394.
159 M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé […], op. cit., p. 256-262.
160 M. Possamaï-Pérez reprend ici une idée de J. Cerquiglini-Toulet, La couleur de la mélancolie […], op. cit.
161 Pour un approfondissement de cet aspect nous renvoyons à l’article de M. Possamaï-Pérez, « L’Ovide moralisé, ou la “bonne glose” des Métamorphoses d’Ovide », Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 31/1, 2008, p. 181-206.
162 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 537.
163 « La motivation est donc l’apparence et l’alibi causaliste que se donne la détermination finaliste qui est la règle de la fiction : le parce que chargé de faire oublier la fiction en dissimulant ce qu’elle a de concerté, comme dit Valincour, c’est-à-dire d’artificiel : bref, de fictif. Le renversement de détermination, qui transforme le rapport (artificiel) de moyen à fin de rapport (naturel) de cause à effet, est l’instrument même de cette réalisation », cf. G. Genette, Figures II, Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 97.
164 Nous pensons au travail de certains prosateurs qui mettent en avant les motivations psychologiques de leurs personnages ; nous l’évoquons plus en amont.
165 Ph. Hamon « Un discours contraint », Littérature et réalité, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 136.
166 Pour une étude de la façon dont le « translateur » des Métamorphoses aménage la traduction en vue de l’allégorie, nous renvoyons à l’étude de M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé[…], op. cit., p. 190-233.
167 Le passage reprend l’adresse de Salmacis à Hermaphrodite : « “Se diex ez, je croi que tu soies, / Li diex qui les amans mestroies. / Tu fus de boneüré pere, / Et beneoite fu ta mere » (éd. C. De Boer, IV, v. 2078-2081). Le nouvel extrait est le suivant : « Se dieux yés, je croy que tu soies / Le dieu qui les amans mestroies : / Cupido le filz de Venus. / Se tu es mortelz devenus, / Filz fus de beneüré pere / Et de beneüree mere” »(IV, v. 1496-1501).
168 « C’est dou dieu dont tous bien habonde / Qui ses rais espant par le monde » (éd. C. De Boer, IV, v. 1276-1277).
169 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 533.
170 « Pour commencer le VIe livre de Methamorphose est à noter que aprés ce que Palas ot bien escouté le recitement qui luy fut fait touchant la disputacion d’entre les neuf Muses de phillozophie, qui gaignerent victoire,et les neuf seurs nommées Pierides, qui en perdirent la querelle et furent muées en pies, advint que la dite deesse Palas » (Ovide moralisé en prose […], éd. citée, VI, I, p. 184).
171 Le passage est remodelé : « Pour ceste presente victoire, / Font tuit mencion et memoire / Et recordent les pessans fais / Et les miracles que elle a fais. / Chascun dit que chier le conpere / Qui la deesse vittupere. / Pallas racompte une aventure, / Qui est merveilleusse et obscure, / Coment vilains qui vilz estoient, / Qui la deesse despisoient […] » (VI, v. 697-706).
172 Le scribe du modèle du sous-groupe Z21 renforce encore cette recherche d’exactitude, lorsqu’il change le nom de « Nereüs » en « Neptunus » dans l’extrait suivant : « Le tiers filz ot non Peleüs / Qui le dieu de mer Nereüs [Neptunus] / Donna sa fille a mariage »(Z21, XI, v. 572-574). La mention de la fonction « dieu de mer », habituellement attribuée à Neptune, semble avoir causé cette modification, signe que le copiste souhaite rétablir la vérité de ce qu’il juge faux.
173 M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé[…], op. cit., p. 374, reprenant l’expression de G. Dahan.
174 L’auteur de l’Ovide moralisé reprend ici un élément que l’on trouve chez Arnoul d’Orléans : la peinture est sur l’avant du bateau, c’est-à-dire en figure de proue. Tous les autres mythographes parlent seulement d’une peinture. De son côté, Jean de Garlande dit que le bateau s’appelait Taurus.
175 Une telle précision n’est pas présente chez les mythographes qui indiquent que Jupiter avait revêtu la forme d’un taureau, ou l’apparence d’un taureau, mais non le déguisement d’un valet de ferme.
176 Il renforce encore la valeur explicative de l’exposition, par exemple dans l’interprétation de l’enseignement de la corneille au corbeau où il explique que Pallas : « Pour son grant sens, on vouloit dire / Que de sapiance deesse / Estoit et de savoir mestresse » (II, v. 1854-1856). Qu’il soit dans la fable ou dans son interprétation, l’adaptateur ne perd jamais de vue la clarté du propos.
177 A. Pairet, Les mutacions des fables. Figures de la métamorphose dans la littérature française du Moyen Âge, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 118.
178 A. Strubel, « Allégorie et interprétation dans l’Ovide moralisé », art. cité, p. 146.
179 J. Le Goff, « Au Moyen Âge : temps de l’Église et temps du marchand », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 3, 1960. p. 417-433.
180 M. Zink, Littérature française au Moyen Âge, op. cit., p. 528.
181 C. Marchello-Nizia, « L’homme en représentation », art. cité, p. 358.
182 Le 6 janvier 1400, Charles VI met en place une Cour amoureuse qui « entend non seulement produire de la poésie et des jeux mais aussi légiférer, certes de manière ludique, et garantir des conduites sociales, moins amoureuses d’ailleurs que morales », cf. J. Cerquiglini-Toulet, La couleur de la mélancolie[…], op. cit., p. 50. Certains de nos témoins ont été réalisés avant cette date, ce qui exclut l’influence directe de cette Cour amoureuse. En revanche, ces préoccupations sont palpables dans l’air du temps.
- CLIL theme: 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN: 978-2-406-12242-5
- EAN: 9782406122425
- ISSN: 2261-0367
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12242-5.p.0025
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-02-2022
- Language: French