Introduction
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Métamorphose des Métamorphoses. La réécriture de la version Z de l’Ovide moralisé
- Pages : 9 à 24
- Collection : Recherches littéraires médiévales, n° 32
- Série : Ovidiana, n° 1
Introduction
In nova fert animus mutatas dicere formas / corpora
Mét. I, v. 1-2.
Par sa « translation1 » des Métamorphoses ovidiennes, l’auteur de l’Ovide moralisé offre une remarquable illustration du thème de la métamorphose que met en récit l’auteur antique. Ce clerc médiéval applique à son texte un changement d’apparence et de nature en lui conférant une dimension spirituelle inédite. Cette spécificité a retenu l’attention de la critique littéraire2. Les études d’A. Strubel, de M.-R. Jung, de J.-Y. Tilliette et la thèse de M. Possamaï-Pérez ont mis en valeur cette métamorphose toute particulière de l’œuvre païenne3. L’Ovide moralisé suscite aujourd’hui encore un vif intérêt, notamment dans l’étude d’un dernier type de « métamorphose » : les transformations du texte au fil de ses copies. M.-R. Jung a fourni une base de travail indispensable à ce sujet, en décrivant et datant précisément les manuscrits4 de l’Ovide moralisé et en révélant le contenu particulier de certains d’entre eux5. Les 10chercheurs du groupe « Ovide en français6 » ont ensuite approfondi ces analyses, d’un point de vue codicologique, philologique, linguistique et littéraire7. La présente étude s’inscrit dans cette continuité. Elle s’intéresse essentiellement à une famille manuscrite atypique dans l’histoire de l’Ovide moralisé en vers : la famille dite Z. Cette dernière est représentée par quatre témoins écrits entre l’extrême fin du xive siècle et peu après la moitié du xve siècle8 : Z1 Berne, Burgerbibliothek, 10 (après 1456) ; Z2Paris, BnF, fr. 374 (1456) ; Z3 Paris, BnF, fr. 870 (ca 1400) ; Z4 Paris, BnF, fr. 19121 (ca 1390-1410). Ce groupe se différencie des autres manuscrits de la tradition de l’Ovide moralisé à plusieurs égards. Le texte de la fable y est notamment souvent réécrit, contrairement aux autres codices. Des ressemblances de ce type sont aussi manifestes, dans une bien moindre mesure, dans le groupe Y qui dérive d’un ancêtre commun à Z. Ce groupe est lui aussi tardif, représenté par des témoins de la fin du xive siècle et du tout début du xve siècle9. Le modèle commun de l’ensemble YZ découle lui-même d’une autre famille, A, qui est la plus proche de la rédaction primitive de l’Ovide moralisé. Parmi les représentants de la branche A figurent les manuscrits A1 et A2. Le premier, du début du xive siècle, est la référence des éditions de l’Ovide moralisé10 ; il sert d’étalon dans 11nos comparaisons avec la branche Z. Le second manifeste, en certaines parties du texte (des livres I à VII), de nombreuses ressemblances avec le contenu de YZ ; il nous intéresse en cela11.
Plus précisément, la famille Z se divise en deux sous-ensembles : Z21 d’une part et Z34 d’autre part. (Le témoin Z1 est une copie directe de Z2, raison pour laquelle Z2 est toujours cité avant Z1 ; en revanche Z4 n’est nullement une copie de Z3). Le groupe Z21 possède la quasi-totalité des allégories spirituelles12, alors que Z34 dispose seulement des interprétations historiques et parfois physiques13. Ces deux branches proviennent probablement d’un ancêtre commun sans allégories religieuses14. La version de Z21 aurait été recopiée à partir de ce modèle dépourvu d’allégories spirituelles ; la matière manquante aurait été ajoutée d’après un autre manuscrit. Ainsi, la rédaction Z34 reflèterait « un état textuel plus ancien que Z21, caractérisés par le rajout d’allégories15 ». C’est de cet état plus ancien dont rend compte la présente étude. La « réécriture Z » correspond ainsi au contenu de Z34 et à celui de Z21 mais seulement pour la fable (c’est-à-dire les parties communes à tous les témoins du groupe Z) et nullement pour les interprétations religieuses qui ne sont pas contenues dans Z34.
La présente étude traite du texte commun à tous les témoins Z, donc sans allégories, parce qu’il représente un contenu innovant. Travailler sur une matière véritablement inédite permet de proposer des hypothèses neuves sur la fortune de l’Ovide moralisé. Un autre témoin tardif de l’Ovide moralisé présente lui aussi des modifications profondes : le manuscrit B (Lyon, Bibliothèque municipale, 742, vers 1390). Tout comme Z34, ce codex contient seulement des interprétations d’ordre historique et physique. Il servira alors de point de comparaison à notre étude, mais uniquement en pointillé, car il n’entretient pas de rapport direct avec la famille Z. Il constitue un autre moment de la réception du texte, il n’offre pas la même esthétique ni la même éthique. Son usage aussi semble différent : le manuscrit est richement enluminé, ce qui n’est pas 12le cas des témoins Z. Enfin, lorsque que l’on évoque l’Ovide moralisé, on se réfère à la première traduction des Métamorphoses ovidiennes, en vers. Cette traduction versifiée a été par la suite mise en prose, à partir des années 146016. Une première version en prose a été réalisée pour René d’Anjou17 ; elle nous est parvenue par un unique manuscrit (Vatican, BAV, Reg lat. 1686) écrit entre 1466 et 1467. Une seconde rédaction voit le jour, peu après, autour de 1470. On l’appelle communément « version brugeoise » pour avoir appartenu à Louis de Bruges18. La première mise en prose constitue une « sorte de résumé19 » du texte en vers, si ce n’est que le copiste conserve les allégories spirituelles. Au contraire, la seconde mise en prose ne donne pas à lire les interprétations de ce type, tout comme les témoins B et Z34 de l’Ovide moralisé en vers. La version brugeoise a donné lieu à d’autres expérimentations encore, telle que l’édition princeps de Colard Mansion en 1484 qui ajoutera au texte de nouvelles gloses christianisantes.
Notre étude s’attachera parfois à ces versions, qui renseignent sur la vie de l’Ovide moralisé, mais elle se focalisera surtout sur la réécriture Z, représentée par le manuscrit Z3 qui sert de référence à notre édition. Ce travail s’appuie sur les travaux fondateurs20 de M.-R. Jung, qui a notamment éclairé la relation que ce texte entretient avec celui qu’il refonde, en révélant les traces d’une mise à distance de l’autorité du translateur des Métamorphoses. Cette dimension, que nous cherchons à approfondir, a guidé nos réflexions. Nous avons également été sensible à l’apport des travaux de S. Cerrito sur le témoin B et la seconde mise en prose de l’Ovide moralisé, deux versions qui ne contiennent pas non plus les allégories spirituelles. Ces points de comparaison ont ainsi permis d’apprécier la singularité du remaniement Z mais aussi ses ressemblances avec d’autres adaptationsde l’Ovide moralisé. Tel sera aussi 13probablement l’apport des nouvelles recherches actuellement menées par P. Otzenberger sur les différentes réécritures de l’Ovide moralisé21.
Les recherches sur la littérature et la pensée des xive et xve siècles permettent aussi de nuancer les spécificités apparentes du texte. D. Poirion22 et J. Cerquiglini-Toulet23 en proposent un état des lieux et une vision éclairante. Le goût pour l’antique, la thésaurisation et la reprise font partie intégrante de cette époque. Ces aspects de la littérature des xive et xve siècles ont retenu notre attention plus que d’autres. La poésie de cette époque, que D. Poirion appelle la pré-renaissance, exprime un goût prononcé pour la matière antique, recherchant « la sagesse qui appartient aux auteurs de l’antiquité24 ». Des écrivains tels que Guillaume de Machaut, Froissart et Christine de Pizan choisissent dans cette littérature « les évocations conformes à leur intention25 ».
Des mutations plus profondes survenues à cette période peuvent également se faire sentir dans nos copies. Certaines avancées techniques, comme par exemple l’apparition des horloges mécaniques au xive siècle, induisent un changement de perception du temps comme le décrivent J. Cerquiglini-Toulet26 et C. Marchello-Nizia27. G. Doutrepont constate par ailleurs un appétit pour l’histoire dans les mises en prose du xve siècle28. M. Zink souligne aussi l’importance, pour cette époque, de raconter l’histoire29. J. Chiffoleau évoque, pour sa part, la crise profonde, à la fin du Moyen Âge, de tous liens avec le sacré, des rapports au monde et à l’autre monde30.
14G. Doutrepont a révélé une autre particularité primordiale pour notre étude : le goût de l’époque pour les refontes, pour les réécritures. Son étude, bien qu’assez ancienne, fait toujours autorité31. Certes, le critique y traite de textes légèrement postérieurs (xve-xvie siècle) et s’occupe d’un type de réécriture circonscrit (les mises en prose), mais son travail reste éclairant pour nous32. Il a été prolongé par d’autres études, notamment le recueil Réécritures : Regards nouveaux sur la reprise et le remaniement de textes, dans la littérature française et au-delà, du Moyen Âge à la Renaissance33 ou encore les travaux de F. Viellard34. Toutes les approches de ce mouvement de mise en prose nous intéressent, car elles révèlent des logiques et expliquent les raisons historiques de ce phénomène littéraire. Ce dernier s’inscrit dans l’intérêt profond que portent les xive et xve siècles à la littérature de « second degré », basée sur la reprise d’œuvres déjà existantes35.
Pour marquer l’appartenance de notre texte à cette littérature de « second degré », nous qualifions le texte de Z3 et Z4 de « remaniement36 ». Le remaniement « n’implique pas nécessairement une reformulation, ou une autre modification du détail du texte ; il peut simplement désigner une 15réorganisation des épisodes déjà présents dans un texte37 ». Les modifications que présente notre ouvrage sont cependant plus subtiles et nous semblent, en cela, participer de la « réécriture ». Ce concept exprime peut-être le plus justement ce dont nous cherchons à rendre compte : la qualité littéraire des transformations opérées dans nos codices. Le terme « réécriture » laisse entendre le mot « écriture » qui désigne un geste éminemment littéraire, alors que la notion de « remaniement » reste plus vague. Le nom de « réécriture », parce qu’il réfère directement à la production littéraire et au geste même de (re)création, englobe des aspects structurels, comme le remaniement, mais aussi stylistiques, esthétiques et idéologiques.
Malgré l’itération signifiée par le préfixe re-, le remaniement ou la réécriture se distinguent de la répétition pure et de la copie. Les dictionnaires insistent notamment sur la « nouveauté » que désigne l’acte de réécrire, de remanier38. G. Genette a théorisé la spécificité de cette pratique en affirmant qu’« il n’existe pas de transposition innocente […] qui ne modifie pas de manière ou d’une autre la signification de son hypotexte39 ». La signification de l’hypotexte est largement changée dans nos témoins, ce qui correspond aux observations de G. Genette pour qui les modifications opérées dans l’hypertexte, par rapport à l’hypotexte, « n’affectent pas seulement sa longueur, mais aussi, cette fois, sa structure et sa teneur40 ».
Un autre aspect de la réécriture est essentiel pour cerner l’enjeu de Z : l’autorité de l’hypertexte par rapport à l’hypotexte. D. Maingueneau éclaire cet aspect. Pour lui, la pratique de réécriture « vise moins à modifier qu’à exploiter dans un sens destructif ou légitimant le capital d’autorité attaché à certains textes41 ». En effet, celui qui réécrit reconnaît 16l’autorité de son modèle, mais peut aussi la contester. Son nouveau produit renforce la légitimité de sa recréation. Cette attitude renseigne sur la façon dont un nouvel auteur conçoit l’œuvre de référence et celle qu’il crée. Pour le cas où il manifeste une confrontation et une mise à distance de l’hypotexte, la réécriture devient une « contre-écriture42 » : c’est ainsi que F. Mora désigne la matière de Z3 et Z4. C’est donc le mot adéquat pour l’étude de ce rapport.
Plus généralement, le terme de « réécriture » nous permet d’évoquer le projet littéraire qui émerge dans notre texte. Nous aurions pu le qualifier de « refonte43 », mais ce nom nous semble plus adapté à la mise en prose qui donne véritablement une nouvelle forme au texte. C’est pourquoi nous parlons de « refonte » seulement pour les mises en prose. Dans un sens très large, il nous arrive de traiter d’« adaptation », sous-entendant une mise en conformité du texte avec son époque, ses attentes, ses préoccupations, ses habitudes linguistiques et littéraires. Il nous arrive d’employer la désignation de « remaniement », mais essentiellement pour une pratique plus large, spécifique d’un « genre d’écrire qui est plus ou moins propre au Moyen Âge44 ».
Selon G. Doutrepont, une réécriture peut prendre différentes formes : elle peut procéder par additions, suppressions, abréviations ou modifications diverses45. Ces catégories sont très commodes pour l’étude du texte médiéval et tout particulièrement pour le texte Z, alors que les sous-divisions de Genette sont moins adéquates46. Nous lui empruntons seulement les notions de « réduction47 » et 17« augmentation48 », la seconde dynamique demeurant moins représentée que la première dans nos témoins.Nous préférons donc recourir aux distinctions de G. Doutrepont49 et traiter de« suppression » et d’« addition50 », qui se rattachent à l’opposition de G. Genette entre « réduction » et « augmentation ». Le terme de « modification51 » permet aussi de qualifier aisément tout type de changement apporté au texte.
Dans ce rapport d’imitation-distanciation, nous n’avons pas choisi comme G. Genette de parler d’hypotexte et d’hypertexte, dans la mesure où nous n’avons pas accès au manuscrit de référence du remanieur. Nous préférons parler de « version de l’Ovide moralisé la plus répandue », de « version traditionnelle » ou encore de « version commune ». Nous pouvons aussi l’appeler « version originale », « texte initial », « œuvre initiale » pour la facilité d’utilisation de ces expressions, bien que nous soyons consciente de l’inexactitude de ces appellations par lesquelles nous renvoyons à la version du manuscrit A1, qui s’approche du premier état du texte. Ces désignations contrastent avec ce que nous appelons « version Z » ou « remaniement Z » ou encore « rédaction Z », « réécriture », « remaniement », « adaptation », « nouvel Ovide moralisé », « nouveau texte », qui correspondent au texte qu’on lit dans les témoins Z34. Étant donné que le modèle de Z était probablement sans allégories christianisantes, comme Z34, nous désignons aussi par la seule lettre Z l’Ovide moralisé remanié et sans allégories spirituelles.
18Pour référer au clerc anonyme qui entreprend de traduire et d’allégoriser les Métamorphoses d’Ovide au début du xive siècle, nous utilisons les termes « auteur de l’Ovide moralisé », « auteur original », « auteur originel », « auteur primitif », « premier auteur » ou encore « le clerc anonyme du début du xive siècle », « le premier traducteur des Métamorphoses », le « translateur ». Au contraire, nous désignons celui qui est à l’origine du remaniement Z par les formulations telles que « nouvel auteur », « nouveau rédacteur », « réviseur52 », « remanieur », « adaptateur ». Afin de distinguer, dans nos citations textuelles, la version originale de la version remaniée Z, nous précisons « éd. C. De Boer » pour la première et n’indiquons pour la seconde que les numéros de livre et de vers. Enfin, la mention d’une « nouveauté » ou la qualification de « nouveau » ne signifie pas une nouveauté en soi, mais une originalité par rapport à l’Ovide moralisé original.
Dans cet Ovide moralisé initial, ce qui correspond au récit mythologique est appelé « fable » ou « matiere ». Le premier terme provient du latin fabula et désigne « tout ce qu’on raconte sans garantie sérieuse […] par ouï dire53 ». Le substantif « matiere » fonctionne comme son synonyme ; son sens est moins restreint, mais dans le cadre de l’Ovide moralisé il renvoie spécifiquement au récit fabuleux, qui est le matériau premier du texte. La définition de « fable », qui reprend le sens du mot latin, suppose que la vérité de ce récit n’est pas garantie. L’allégorie permet ainsi de dévoiler le sens vrai et exact caché sous les mensonges suscipieux de la fiction54. En français moderne, l’allégorie désigne un mode d’expression général consistant à représenter une idée abstraite par une image. La langue médiévale, et surtout celle de l’Ovide moralisé, offre une définition plus précise du même mot. L’allégorie désigne d’abord un discours qui sous-entend une vérité implicite, comme l’entend Hugues de Saint-Victor : aliud dicitur et aliud significatur55. Dans un deuxième temps, l’allégorie désigne un mode de lecture qui est une interprétation du texte littéral, la recherche de son 19sens second. L’Écriture se définit ainsi selon quatre sens56 que résume un distique ancien : Littera gesta docet, quid credas allegoria / Moralis quid agas, quo tendas anagogia57. Le premier sens du texte est littéral. Il enseigne les faits, la signification que peut avoir le texte tel que nous le lisons, tel qu’il est écrit. Ce sens peut être historique pour les textes sacrés, la Bible et les Évangiles. Le deuxième sens désigne ce qu’il faut croire (quid credas alegoria), à savoir le dogme chrétien58. Au troisième rang se place le sens moral, qui indique la façon dont il faut se comporter conformément au dogme chrétien, appelé « tropologique » (tropologia quid agas). Enfin, la quatrième signification est dite « anagogique ». Elle concerne les vérités de l’au-delà et indique comment s’en approcher (quo tendas anagogia). Les Pères de l’Église récusaient au départ la possibilité d’accorder ces quatre sens aux écrits profanes, et encore plus aux écrits mythologiques païens. À cette période, l’interprétation allégorique pouvait être physique (c’est celle des Stoïciens) ou évhémériste (du nom du philosophe Évhémère), c’est-à-dire historique. La première confère une signification naturelle aux récits mythologiques, en montrant que les fables ont été inventées pour faire comprendre les mystères de la nature. Ce type d’explication présente les dieux comme « une transposition anthropomorphique des forces élémentaires de la nature59 ». Par la suite, Évhémère développe un genre d’interprétation dite « historique ». Elle « rationalise » la fable, en partant « de l’idée stoïcienne que les dieux mythologiques sont des hommes divinisés60 ».
Les interprétations religieuses sont désignées, dans les rubriques de Z21 qui conservent ce type de matière, par le mot « allegorie », alors que les termes « histoire » et « exposition » sont réservés dansles quatre témoins du groupe Z aux interprétations physiques et historiques, qui forment le premier niveau d’interprétation. Le texte oppose donc deux façons d’expliquer la fable : selon le domaine concret et selon le domaine religieux. Une telle distinction se trouve déjà dans le premier Ovide moralisé61. « Le terme allegorie20signifie en ancien français presque toujours “sens chrétien”62 », et « lorsque l’auteur de l’Ovide moralisé emploie le terme allegorie, il l’entend toujours soit au sens chrétien, soit au sens moral. Pour les explications historiques et physiques, il utilise les termes sentence, glose ou sens63 ». M. Possamaï-Pérez précise que l’auteur « n’utilise pas simplement [le mot allegorie] au sens restreint du quid credas, de ce qu’il faut croire, du dogme chrétien, celui de l’Église militante », mais qu’il l’emploie aussi « pour désigner le passage des sens concrets aux sens spirituels64 ». C’est aussi le cas pour les trois occurrences du terme « allegorie »relevées dans Z34 et reprises dans Z21. Dans l’extrait suivant, le mot « allegorie » désigne essentiellement le sens spirituel, dans la mesure où il s’associe à l’Écriture sainte :
Ainssi est la Sainte Escripture
En plusieurs lieux trouble et obscure,
Et semble fable purement.
Qui n’i met autre entendement
Que la lectre ne samble avoir,
Et qui croiroit, pour non savoir,
Qu’il n’i eüst autre sentence,
Il se decevroit, sanz dombtance,
Mes en ce livre je n’é mie
Escripte nulle allegorie (XV, v. 1181-1190).
Le second emploi du substantif « allegorie » renvoie également au sens religieux de l’interprétation, puisqu’il vient s’ajouter au nom « exposicion » qui désigne le premier niveau de lecture des fables65 :
Mes en la predicacion
Avons belle exposicion
Et allegorie notable
Qui le sens expont de la fable(XV, v. 1146-1149).
21Le réviseur reprend ici l’ordre de présentation des différents sens cachés de la fable par lequel l’auteur de l’Ovide moralisé oppose les niveaux d’interprétation sensible (« exposition ») et spirituel (« allegorie »). Enfin, le réviseur s’empare une troisième et dernière fois du vocable, lorsqu’il justifie sa démarche :
Ovide mesmes qui les fist
N’i entendi pas tel sanz, sans dombte,
Com l’alegorie nous note.
Mout seroit fort chousse a escripre
Le droit sens de ce qu’il vost dire (XV, v. 1196-1200).
En opposant cette fois-ci l’« allegorie »à l’intention significative d’Ovide, le remanieur la place implicitement du côté du dogme chrétien que l’auteur païen ne pouvait pas connaître.
Étant donné que la catégorie « allegorie » est exclue du texte de Z34, les seules explications que l’on y trouve portent le nom d’« exposicion66 », d’« histoire67 » ; les rubriques des mêmes témoins ainsi que celles de Z1et Z2désignent ces interprétations par les mots « exposicion », « histoire68 », « exposicion histoire69 » et une unique fois par l’expression « translateur enseignement70 ». Le terme « exposicion71 », qu’emploient le premier auteur et 22le réviseur, est le plus usité dans Z, probablement parce qu’il a le sens le plus large d’« explication, commentaire72 » et qu’il n’est pas marqué du sceau du dogme chrétien comme le nom « allegorie ». Il permet de recouper, dans une même interprétation, des données physiques et historiques73, ou de désigner soit un contenu exclusivement naturel74, soit un contenu essentiellement historique75. La valeur explicative des expositions historiques et naturelles est également rendue par le verbe « expondre », qui signifie « expliquer76 » ou « exposer77 ». Il arrive au réviseur, mais plus rarement, d’utiliser le verbe « gloser », qu’il emploie comme synonyme d’« exposer ». D’après le DMF, « gloser78 » reste effectivement très neutre, comme « exposer », désignant le fait de commenter, d’expliquer, d’interpréter quelque chose.
Le remanieur utilise une autre fois une expression que n’emploie pas le premier auteur pour qualifier le sens second de la fable : « l’antante a quoy la fable acorde » (III, v. 100479). Il suggère que l’interprétation traduit l’intention du poète, comme dans les accessus80. Le verbe « acorder » désigne plutôt une correspondance qu’une explication ou une prolongation du texte. L’interprétation du sens premier du texte par un sens second est aussi un processus de mise en correspondance des deux sens, comme l’a bien montré A. Strubel81.
23De son côté, le nom « histoire82 » renvoie normalement au « sens évhémériste » du texte. Cette dénomination paraît donc la meilleure pour distinguer les interprétations d’ordre physique des interprétations d’ordre historique. Pourtant, les deux peuvent apparaître, par exemple, sous la rubrique Histoire83. Ces confusions demeurent néanmoins assez rares.
Quoi qu’il en soit, que les rubriques adoptent la dénomination d’« histoire » ou d’« exposicion », elles désignent toutes un même type d’élucidation concrète de la fable, par opposition à sa lecture spirituelle. En réemployant uniquement ce type d’explication, le remanieur se place dans une tradition ancienne (la tradition de l’integumentum que pratiquaient déjà les stoïciens), qui le lie à l’auteur de l’Ovide moralisé tout en l’en différenciant, puisqu’il ne décode pas les fables à la lumière de la spiritualité chrétienne.
Ainsi, ce que l’adaptateur entend comme une élucidation de la fable relève d’un niveau sensible d’interprétation qui peut aller de l’expression d’une loi physique au pur récit factuel ou au récit historico-moral84. Dans les pensées antique et médiévale, l’histoire se définit selon trois composantes essentielles : sa forme (un récit), son contenu (des faits passés considérés comme vrais), sa visée (didactique et morale). La catégorie « historico-morale » que nous proposons rend compte de cette ancienne définition de l’histoire. Elle nous permet de traiter de sujets sans liens avec la tropologie, qui indique le comportement conforme au dogme chrétien destiné à obtenir le Salut de l’âme. Nous renvoyons ici à une simple morale sociale, abstraction faite de toute considération eschatologique. Cette morale peut être introduite par le terme d’« histoire » dans l’Ovide moralisé85 original ou remanié. C’est aussi le type de discours caractérisé par l’unique rubrique Translateur enseignement86 qui introduit la nouvelle exposition sur Callisto. Le réviseur y invite les femmes à se méfier de la tromperie masculine qui pourrait les conduire au déshonneur. Le terme « enseignement » (« leçon, conseil87 ») rend bien 24compte de la dimension morale du propos, en ce sens qu’il dénote une voie à suivre, ici limitée à la sphère sociale, comme l’indique le contenu de l’interprétation. Cette catégorie rejoint celle de la littérature morale telle que celle d’Eustache Deschamps. Dans la même dynamique, le réviseur qualifie l’exposition de la fable des Minéides, à propos des dangers de l’alcool, de « morel sens »(c’est-à-dire de « signification morale »).
Comme l’a souligné J.-Y. Tilliette, la répartition selon les quatre sens de l’Écriture n’est pas toujours opérante88. C’est pourquoi nous distinguons plus grossièrement la catégorie des interprétations physique (ou naturelle) et historique (ou évhémériste) de celle des interprétations ou allégories spirituelles (ou religieuses, chrétiennes). Nous opposons, comme A. Strubel, le registre de l’humain au registre du divin89 ; le premier accueille les sens littéral et historique qui nous intéressent tout particulièrement. Enfin, comme les auteurs médiévaux, nous recourons majoritairement au nom « fable90 »pour caractériser le récit ovidien. Il nous arrive en outre de référer au « mythe » qui est lui aussi un « récit relatant des faits imaginaires91 ».
Ces diverses considérations épistémologiques et définitoires permettent de saisir avec nuances le texte de la réécriture Z, en insistant sur l’acte d’itération mais aussi de création, ou plutôt de recréation. Deux niveaux d’analyse, esthétique et éthique, ressortent de l’étude comparative entre l’Ovide moralisé original et son remaniement. Cette structure bipartite respecte celle de ces deux textes, qui partent d’un sens littéral pour construire une interprétation du sens premier, immédiatement perceptible. Le remaniement Z s’offre donc tout d’abord dans sa dimension esthétique. Il se présente comme une version abrégée de l’Ovide moralisé, à laquelle s’ajoutent des interprétations historiques et une prédilection pour les modes d’écriture caractéristiques de la littérature des xive et xve siècles. Ce n’est que dans un second temps, un second sens, que le texte dévoile un réseau de signifiances. Il découvre alors l’idéologie qui le façonne et le distingue profondément de ses racines. Un nouveau système de valeurs se met en place, autour de la définition de l’amour, du statut de la femme, de l’auteur et de la vérité du texte.
1 Il s’agit ici du mot médiéval qui désigne à la fois une traduction mais aussi une adaptation du texte source.
2 La généalogie des études sur l’Ovide moralisé est détaillée par M. Possamaï-Pérez, en introduction de sa thèse, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, Paris, Honoré Champion, 2006 (Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge, 78), p. 7-16.
3 A. Strubel considère l’ouvrage comme « le monument de l’allégorèse médiévale » dans « Grant senefiance a » : Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 245-248, part. p. 245. M.-R. Jung et J.-Y. Tilliette louent la qualité littéraire des moralisations, à travers leurs articles : M.-R. Jung, « Aspects de l’Ovide moralisé », Ovidius redivivus. Von Ovid zu Dante, dir. M. Picone et B. Zimmerman, Stuttgart, Metzler, 1994, p. 149-172, et J.-Y. Tilliette, « L’Écriture et sa métaphore », Ensi firent li ancessor.Mélanges de philologie médiévale offerts à Marc-René Jung, dir. Luciano Rossi, C. Jacob-Hugon et U. Bähler, Alessandria, Edizioni dell’ Orso, 1996, vol. 2, p. 543-558.
4 Une liste de la vingtaine de témoins de l’Ovide moralisé est disponible dans à la p. 199.
5 Cf. notre bibliographie, pour les articles sur ce sujet.
6 Pour plus de précisions sur ce groupe de recherche, que nous remercions bien chaleureusement et sans lequel nous n’aurions pas pu élaborer le présent travail, nous renvoyons au livre I de l’Ovide moralisé que les membres de ce projet ont édité, Ovide Moralisé, Livre I, éd. critiqueC. Baker, M. Besseyre, M. Cavagna, S. Cerrito, O. Collet, M. Gaggero, Y. Greub, J.-B. Guillaumin, M. Possamaï-Pérez, V. Rouchon Mouilleron, I. Salvo García, T. Städtler et R. Trachsler, Paris, SATF, 2018, 2 t.
7 On pense aux travaux suivants : F. Mora, M. Possamaï-Pérez, T. Städtler et R. Trachsler, « Ab ovo. Les manuscrits de l’Ovide Moralisé : naissance et survie d’un texte », Romance Philology, 65/1, 2011, p. 121-142 ; M. Cavagna, M. Gaggero et Y. Greub, « Prolégomènes à une nouvelle édition de l’Ovide moralisé », Romania, 132, 2014, p. 176-213 ; S. Cerrito, « Entre Ovide et Ovide moralisé : la variance des traductions des Métamorphoses au Moyen Âge », Le texte médiéval. De la variante à la recréation, éd. C. Le Cornec-Rochelois, A. Rochebouet et A. Salamon, Paris, Presses Universitaires de Paris Sorbonne, 2012, p. 159-172 ; L. Endress et R. Trachsler, « Économie et allégorie. Notule à propos des manuscrits Z de l’Ovide moralisé », Medioevo romanzo, 39, 2, 2015, p. 350-366 ; C. Baker et M. Gaggero, Ovide Moralisé, Livre I, éd. citée, t. I, p. 138-163.
8 Pour une description plus précise de ces témoins et de leur rapport avec les autres copies du texte, cf. introduction de l’édition de la famille Z à paraître. Voir aussi M. Besseyre et V. Rouchon Mouilleron, « Description des manuscrits », Ovide Moralisé, Livre I, éd. citée, t. I, p. 13-14, à partir de l’étude fournie par M.-R. Jung, « Aspects de l’Ovide moralisé », art. cité.
9 Y 1, Paris, BnF, fr. 871 ; Y2, Paris, BnF, fr. 872 (dernier tiers du xive siècle) ; Y3, Londres, British Library, Add. 10324 (vers 1400). Voir M. Besseyre et V. Rouchon Mouilleron, « Description des manuscrits », Ovide Moralisé, Livre I, éd. citée, t. I, p. 62-71.
10 Le manuscrit A1 correspond au Rouen, Bibliothèque municipale, O4 (premier quart du xive siècle). Il constitue le témoin de référence des éditions de C. De Boer et du groupe « Ovide en français ».
11 Il est aussi, comme les représentants de Y et Z, tardif, du troisième quart du xive siècle.
12 Nous n’avons pas recopié ces allégories, mais notre tableau récapitulatif des suppressions en la matière indique au lecteur où trouver la substance de ces passages, dans l’édition C. De Boer.
13 Le rédacteur de l’archétype de Z34supprime tout ce qui est sous le nom d’« allegorie » dans les rubriques, pour ne garder que les « expositions » et les « histoires ». Nous renvoyons à la suite de cette introduction pour plus de détails, p. 19-24.
14 L. Endress et R. Trachsler, « Économie et allégorie […] », art. cité, part. p. 361-362.
15 Ibid., p. 362.
16 On consultera à ce sujet S. Cerrito, « La réception du texte. Les mises en prose », Ovide Moralisé, Livre I, éd. citée, t. I, p. 236-266.
17 Ovide moralisé en prose (texte du quinzième siècle), éd. C. De Boer, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1954.
18 Elle se trouve dans trois témoins de la même époque, conservés à Paris (BnF, fr. 137), à Londres (British Library, 17) et à Saint-Pétersbourg (Bibliothèque nationale de Russie). S. Cerrito se base sur le manuscrit parisien pour son édition de la seconde mise en prose, L’Ovide moralisé en prose (version brugeoise). Édition établie sur la base du manuscrit Paris, BnF, fr. 137, thèse pour l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de Joëlle Ducos, 2. t.
19 Ovide moralisé en prose [ … ] , éd. citée, p. 3.
20 M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité, p. 270-274 et « Ovide, texte, translateur […] », art. cité.
21 On pense aussi aux récent travaux, plus ponctuels et plus philologiques, d’I. Reginato, « Notes sur les modèles de la rédaction Z de l’Ovide moralisé. Le cas de la fable de Sémélé », Revue Belge de Philologie et Histoire, 97, 2019, p. 175-216.
22 D. Poirion, Le poète et le prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, Genève, Slatkine Reprints, 1978.
23 J. Cerquiglini-Toulet, La couleur de la mélancolie : la fréquentation des livres au xive siècle, 1300-1415, Paris, Hatier, 1993.
24 Ibid., p. 587. Nous reprenons le terme de « pré-renaissance » à D. Poirion, op. cit., p. 585.
25 Ibid., p. 587.
26 J. Cerquiglini-Toulet, « Le nouveau lyrisme », Précis de littérature française du Moyen Âge, dir. D. Poirion, Paris, Presses Universitaires de France, 1983, p. 275-292, part. p. 277.
27 C. Marchello-Nizia, « L’homme en représentation », Précis de littérature française du Moyen Âge, op. cit., p. 336-372, part. p. 358.
28 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 640. Nous reviendrons plus loin sur ce qu’on entend par « histoire », selon la conception médiévale.
29 M. Zink, « Le roman en transition », Précis de littérature française du Moyen Âge, op. cit., p. 293-305, part. p. 301. L’auteur entend le nom « histoire » au sens de « mise en forme historique du roman », ibid., p. 300.
30 J. Chiffoleau, La religion flamboyante. France, 1320-1520, Paris, Seuil, 2011, part. p. 15.
31 L’ouvrage de G. Doutrepont reste la référence des nouvelles études sur ce type de réécriture : Les mises en prose des épopées et des romans chevaleresques du xive au xvie siècle, Bruxelles, Palais des Académies, 1939, Genève, Slatkine Reprints, 1969. Cf. B. Guidot, Chanson de geste et réécritures, Orléans, Paradigme, 2008 ; M. Colombo Timelli « Refaire Doutrepont ? Projet pour un nouveau répertoire des mises en proses des xve et xvie siècles », Le moyen français, 63, 2008, p. 109-116 ; F. Suard, « Les mises en prose épiques et romanesques : les enjeux littéraires », Mettre en prose aux xive-xvie siècles, éd. M. Colombo Timelli, B. Ferrari et A. Schoysman, Turnhout, Brepols, 2010, p. 33-52…
32 On pense notamment aux chapitres où l’auteur cherche à savoir pour qui et pourquoi ce type de texte a été rédigé, Les mises en prose […], op. cit., p. 380-441.
33 Réécritures : Regards nouveaux sur la reprise et le remaniement de textes, dans la littérature française et au-delà, du Moyen Âge à la Renaissance,éd. D. Kullmann et S. Lalonde, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 2015.
34 Pour ce qui nous intéresse plus particulièrement, « Du Roman de Troie à la “vraie estoire de Troie” (Prose 1 version commune) : le choix de l’Histoire », Conter de Troie et d’Alexandre, éd. L. Harf-Lancner, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 177-193.
35 Nous reprenons la qualification de « second degré » à J. Cerquiglini-Toulet, La couleur de la mélancolie […], op. cit., p. 11. J. Cerquiglini-Toulet renvoie ici plus spécifiquement au xive siècle, mais de tels constats nous paraissent encore valables au xve siècle, comme l’atteste l’ample mouvement des mises en prose.
36 Sans parler exactement de « remaniement », M.-R. Jung qualifie le rédacteur du modèle de Z de « remanieur » (« Ovide, texte, translateur […] », art. cité ; « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », art. cité). De son côté, S. Cerrito, qui approfondit les travaux de M.-R. Jung, qualifie la version Z de « remaniement » (« Entre Ovide et Ovide moralisé[…] », art. cité).
37 N. Arrigo, « La réécriture française : quelques éléments pour un état des recherches », Réécritures :Regards nouveaux sur la reprise et le remaniement de textes […], op. cit., p. 299-318, part. p. 301.
38 Par exemple, la première définition du TLFi pour « réécrire » est « donner une nouvelle version d’un texte déjà écrit », http://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9%C3%A9crire, consulté le 3 septembre 2018. De son côté, le verbe « remanier » est intimement lié à la « modification », comme l’indique sa première signification dans le TLFi : « apporter des modifications plus ou moins importantes à un ensemble », http://www.cnrtl.fr/definition/remanier, consulté le 3 septembre 2018.
39 G. Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 340. L’hypotexte désigne le texte de base du réécrivant, et l’hypertexte s’applique au nouveau texte résultant de l’acte de réécriture.
40 Ibid., p. 264.
41 D. Maingueneau, L’Analyse du discours, Paris, Hachette, 1991, p. 155. Nous n’évoquons pas les traces de cette double relation (reprise et détournement de certains termes…) ; nous nous y attacherons dans le cours du commentaire.
42 M. Possamaï-Pérez, dans la postface des actes du colloque Ovidius explanatus, reprend les mots de F. Mora : voir Ovidius explanatus. Traduire et commenter les Métamorphoses au Moyen Âge, éd. S. Biancardi, P. Deleville, F. Montorsi et M. Possamaï-Pérez, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 288.
43 C’est un mot couramment employé par G. Doutrepont.
44 G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 413.
45 G. Doutrepont, Ibid., p. 467.
46 G. Genette, Palimpsestes […], op. cit., p. 271-281.
47 G. Genette distingue quatre types de « réduction », caractéristiques de la réécriture : l’excision, la concision, la condensation et le digest. L’excision consiste en la « suppression pure et simple […], sans autre forme d’intervention ». Le terme pourrait correspondre à l’élimination des allégories religieuses qui forment un bloc textuel systématiquement supprimé. Pourtant, G. Genette semble surtout viser des passages jugés inutiles ou nuisibles. Nous préférons alors ne pas employer le terme d’« excision », car notre étude montrera que l’éviction de tels extraits correspond plutôt à une autre conception de la fable, et qu’elle engage donc une réflexion plus profonde que le seul critère, par exemple, d’inutilité. En outre, il ne s’agit pas vraiment d’un mouvement de « suppression pure et simple, sans autre forme d’intervention », étant donné qu’il s’insère dans une dynamique plus complexe, aussi bien faite d’ajouts que de suppressions, répondant à l’expression d’un projet littéraire. Nous ne reprendrons pas non plus le concept de digest, qui vaut pour la réduction d’un texte entier. Enfin, la condensation ne s’adapte pas tout à fait à notre rédaction, dans la mesure où elle se présente comme « une sorte de synthèse autonome ou à distance opérée […] sur l’ensemble du texte à réduire, dont il faut ici, à la limite, oublier chaque détail – et donc chaque phrase – pour n’en conserver à l’esprit que la signification ou le mouvement d’ensemble ». Une des sous-catégories de cet ensemble, le résumé, reste valable, même si le remanieur préfère supprimer un passage entier, une comparaison, plutôt que de réduire un extrait, une phrase. Enfin, le fait qu’il n’intervienne pas sur la forme du texte (le vers) exclut, nous semble-t-il, la concision « qui se donne pour règle d’abréger un texte sans en supprimer aucune partie thématiquement significative, mais en le récrivant dans un style plus concis, et donc en produisant à nouveaux frais un nouveau texte, qui peut à la limite ne plus conserver un seul mot du texte original ».
48 Ibid., p. 263.
49 Un aspect qu’évoqueG. Genette nous intéresse, mais de façon plus ponctuelle : la « transmodalisation », « soit toute espèce de modification au mode de représentation caractéristique de l’hypotexte », comme par exemple le passage du dramatique au narratif. La transition du lyrisme au narratif, que l’on observe dans nos copies pour le traitement de certains mythes, nous semble entrer dans cette catégorie qui rend compte d’un changement conceptuel.
50 Pour varier, nous employons également le synonyme « ajout », qui s’applique encore mieux à un texte, d’après les définitions du TLFi, http://www.cnrtl.fr/definition/ajout, consulté le 3 septembre 2018.
51 G. Doutrepont réserve le terme à tout changement autre qu’une addition ou une suppression, G. Doutrepont, Les mises en prose […], op. cit., p. 600-638.
52 Nous reprenons cette juste désignation à M.-R. Jung.
53 P. Demats, Fabula. Trois études de mythographie antique et médiévale, Genève, Droz, 1973, p. 5.
54 Ibid., p. 7.
55 « On dit une chose et on en fait entendre une autre », Hugues de Saint-Victor, De scripturis et scriptoribus sacris, Patrologie Latine, t. 175, col. 12AB. Hugues de Saint-Victor reprend la définition de Quintilien, qu’on lit aussi chez saint Augustin, Enarrationesin Psalmos, Cl. 0283, SL 40, psalmus 103, sermo 1, par. 13, linea 14 : allegoria dicitur, cum aliquid aliud uidetur sonare in uerbis, et aliud in intellectu significare. Aussi bien Isidore de Séville l’enregistre-t-il au chapitre De tropis de ses Étymologies. Il en donne la définition suivante, qui inspire directement celle d’Hugues de Saint-Victor : Allegoria, id est alieniloquium : aliud sonat aliud intellegitur.
56 Voir à ce sujet l’ouvrage incontournable : H. de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Paris, Aubier, 1959-1964, 4 vol.
57 Ce distique est celui d’Augustin de Dacie, repris par Nicolas de Lyre, comme le signale H. de Lubac, Exégèse médiévale […], op. cit., t. I, p. 23.
58 Sans désigner l’allégorie au sens large, il correspond plus précisément à ce qu’on appelle le sens « typologique », qui représente une mise en correspondance entre eux des personnages et situations de l’Ancien et du Nouveau Testaments.
59 J. Pépin, Mythe et allégorie : les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, Aubier Montaigne, 1958, p. 95.
60 Ibid. p. 100.
61 M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé[…], op. cit., p. 396.
62 M.-R. Jung, Études sur le poème allégorique en France au Moyen Âge, Berne, Francke, 1971, p. 12.
63 M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé[…], op. cit., p. 396. A. Strubel fait le même constat dans son article « Allégorie et interprétation dans l’Ovide moralisé », Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux d’Ovide, éd. L. Harf-Lancner, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2009, p. 139-161, part. p. 145-146. Michel Zink remarque aussi que les prédicateurs abandonnent progressivement la quadruple distinction en fondant les catégories de tropologie et d’anagogie en une seule, M. Zink, La Prédication en langue romane, Paris, Honoré Champion, 1976, p. 280.
64 M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé[…], op. cit., p. 396.
65 Rappelons que le réviseur utilise ici le mot mais pour mieux le rejeter dans les vers suivants et indiquer qu’il n’a pas suivi ce type de lecture.
66 Ce nom désigne l’explication historique de l’incendie de la terre par Phaéton comme une année très chaude ; l’interprétation de la fable de Callisto mettant en garde contre la fourberie masculine ; celle à propos d’Actéon et du danger de tenir une « oyseuse maisnie » ; celle, remaniée, de la légende de Bacchus considéré comme le premier viticulteur ; celle enfin qui interprète Philomèle et Procné comme deux jeunes filles et Térée comme un roi. Le terme s’applique aussi à l’explication historique qui assimile Médée à la Toison d’Or, à l’interprétation de Byblis comme une prostituée, à la lecture historique sur Orphée et Eurydice. Pour toutes les occurrences du mot « exposicion », nous renvoyons au glossaire de l’édition du remaniement Z, à paraître.
67 Le nom correspond, par exemple, à l’interprétation qui présente Jupiter comme un homme que le peuple considérait comme un dieu (I, v. 532).
68 On trouve une fois une rubrique Exposition et histoire. Le premier mot introduit l’explication rationnelle des diverses formes que prend Achéloüs pour échapper à Hercule. Le second terme ne correspond pas à une explication, mais annonce l’histoire de l’enlèvement de Déjanire par le centaure Nessus ; l’histoire désigne ici un récit véritable et non pas une explication dans la mesure où la matière herculéenne est considérée au Moyen Âge comme historique.
69 L’expression apparaît une fois pour introduire l’explication de la métamorphose de Lycaon en loup : après avoir été chassé par Jupiter, le seigneur Lycaon mène une vie de voleur.
70 Nous traitons de cet emploi très particulier p. 125-126. Il introduit ici une explication du mythe de Callisto qui participe plus de l’expression d’une morale sociale que du récit de faits passés : les jeunes filles doivent se méfier des hommes comme Jupiter qui se déguisent en « pucelle » pour approcher leur proie, et leur font croire qu’il n’y a pas de mal dans l’acte d’amour pour finalement les déshonorer sans vergogne.
71 Le réviseur conserve ce vocable dans les passages qu’il revisite, comme pour l’exposition d’Actéon : « Autre significacion / Peut avoir l’exposicion » (III, v. 685-686). Dans le reste de la tradition manuscrite du texte, on lit : « Double signification / Puet avoir l’exposition » (éd. C. De Boer, II, v. 571-572). Le réviseur a écrit « autre » au lieu de « double » car il ne conserve qu’une des deux interprétations qui suivent.
72 DMF, http://www.atilf.fr/dmf/definition/exposition, consulté le 22 janvier 2019.
73 Par exemple, l’« exposicion » de la fable de Sémélé dispose d’une trame historique (« une annee jadis ») pour expliquer un phénomène naturel (le développement de la vigne).
74 On pense ici à la rubrique Exposicion qui explique les rapports entre Saturne, Jupiter et Junon comme les rapports entre les planètes que représentent ces dieux.
75 C’est le cas du nom « exposition » qui qualifie, dans la rubrique, l’interprétation de la fable de Callisto qui assimile la nymphe à une jeune fille qui perd la compagnie de sa maîtresse et vit alors de rapine, comme une ourse.
76 Tel est le sens que lui accorde Godefroy, d’après de multiples exemples dont l’un tiré de l’Ovide moralisé.
77 Selon le DMF, « exposer » peut signifier aussi « expliquer, interpréter » (http://www.atilf.fr/dmf/definition/exposer, consulté le 20 octobre 2018). On le lit au début de l’exposition ajoutée pour la fable d’Actéon : « Or vous vueil exposser la fable / Dont l’istoire fu veritable » (III, v. 582-583).
78 Il apparaît à deux reprises et s’applique seulement dans un cas à l’explication stricte des fables. Il introduit ainsi l’explication historique qu’ajoute le remanieur au sujet du mythe de Pygmalion : « Or veuil de la fable expousser / Ce que l’en pueut dessus glosser » (X, v. 755-756).
79 Ces vers forment l’adaptation de : « Combien qu’elles fussent doutables / Or vos vueil espondre les fables » (éd. C. De Boer, II, v. 1106-1107).
80 L’intentio est effectivement un passage obligé pour le commentateur. Cf. B. Roy, L’art d’amours, traduction et commentaire de l’« Ars amatoria » d’Ovide, Leiden, Brill, 1974, p. 40-41.
81 A. Strubel, « Grant senefiance a » […], op. cit., p. 25.
82 L’histoire ne s’applique pas forcément à l’interprétation, mais définit aussi le récit de faits réels, par opposition à la fable.
83 Par exemple, l’exégèse de la fable de Deucalion et Pyrrha, modifiée dans Z, figure sous le titre histoire. Elle fait pourtant référence aux « naturieux » (I, v. 1308) qui renvoient à la matière physique, et raconte un phénomène naturel : l’attribution d’un sexe masculin ou féminin aux nouveaux nés.
84 On pense par exemple à l’interprétation du mythe d’Actéon que le réviseur ajoute à celle du premier auteur et qui décrit des faits passés racontés à l’imparfait et au passé simple, tout en mettant en garde le lecteur contre la vengeance des personnes puissantes.
85 Cf. M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé […], op. cit., p. 383-396.
86 Coment Caliste muee en ource fu faite. / Translateur : enseignement (II, v. 1112rubr.)
87 DMF, http://www.atilf.fr/dmf/definition/enseignement, consulté le 4 septembre 2018.
88 Jean-Yves Tilliette reprend ici la pensée d’H. de Lubac : « L’Écriture et sa métaphore […] », art. cité, p. 543.
89 A. Strubel, « Grant senefiance a » […], op. cit., p. 72.
90 M.-R. Jung précise qu’au Moyen Âge, « les récits “mythologiques” sont devenus des fables », « L’Ovide moralisé : de l’expérience de mes lectures à quelques propositions actuelles », Ovide métamorphosé […], op. cit., p. 107-122, part. p. 108.
91 TLFi, http://www.cnrtl.fr/definition/mythe, consulté le 11 février 2019.
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-12242-5
- EAN : 9782406122425
- ISSN : 2261-0367
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12242-5.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 02/03/2022
- Langue : Français