Avant-propos
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Maurice Duverger. L’héritage résistant d’un mal-aimé
- Authors: Bourmaud (Daniel), Claret (Philippe)
- Pages: 7 to 10
- Collection: Encounters, n° 510
- Series: Political science, n° 7
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Avant-propos
Rares sont les universitaires à avoir autant marqué leur discipline que Maurice Duverger. Né en 1917, professeur agrégé des Facultés de droit, Maurice Duverger a laissé une double empreinte : à la science juridique, notamment au droit constitutionnel, et à la science politique dont il a été, en France, l’un des pionniers. À l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, il est apparu nécessaire de revenir sur une œuvre qui a contribué à former plusieurs générations de juristes et politistes et dont la notoriété dépasse, aujourd’hui encore, les frontières hexagonales. En défricheur, Maurice Duverger s’est risqué sur des voies alors faiblement explorées. Sa contribution à l’analyse constitutionnelle le conduira à élaborer une typologie, toujours discutée, des régimes et à proposer notamment une interprétation originale de la ve République française, condensée dans la célèbre formule du régime dit ‘semi-présidentiel’.
Mais, c’est sans doute dans sa volonté affichée de dépasser les approches par trop positivistes que Maurice Duverger se distinguera. Partant du principe qu’il n’existe pas de droit constitutionnel sans science politique, il signera des contributions majeures à l’analyse politique. Son ouvrage sur les partis politiques, publié en 1951 et réédité tant en France qu’à l’étranger, ouvrira la voie à une compréhension globale du phénomène partisan. Maurice Duverger proposera ainsi non seulement une explication de la genèse des partis politiques et, partant, une typologie devenue classique, mais jettera aussi un regard nouveau sur les systèmes de partis en fonction des modes de scrutin, contribuant ainsi à forger ce que d’aucuns n’ont pas hésité à ériger en véritables ‘lois’ scientifiques. Sans jamais renier sa discipline d’origine, Maurice Duverger s’emploiera ainsi à démontrer, avec une vigueur et un talent rares, que le droit constitutionnel est indissociable du politique et que la connaissance des institutions ne saurait faire l’économie d’une démarche où la sociologie doit trouver toute sa place. Esprit fertile, créatif, Maurice Duverger ne rechignera pas non plus à s’aventurer, principalement en tant que commentateur, 8éditorialiste ou essayiste, dans les méandres moins balisés de l’acteur ou du spectateur-engagé, depuis sa jeunesse ‘doriotiste’ jusqu’aux rives du socialisme démocratique.
Ce parcours universitaire, à bien des égards exceptionnel, Bordeaux en a été non seulement un témoin privilégié, mais aussi l’héritier. La carrière de Maurice Duverger, entamée à la Faculté de Droit de Bordeaux en 1942, avant d’être poursuivie à Paris en 1955, sera l’occasion pour le juriste de matérialiser son attachement à une science politique alors balbutiante, en œuvrant à la création de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, dont il assurera la première direction en 1948. Mais, c’est surtout intellectuellement que l’empreinte de Maurice Duverger se manifestera. Le droit constitutionnel et la science politique à Bordeaux ont été, longtemps, les héritiers directs de la pensée ‘duvergérienne’ à travers, pour ne citer qu’eux, Jean-Louis Seurin et Claude Émeri. Au-delà, ce sont des générations d’étudiants qui ont été formées au droit constitutionnel et à la science politique, dans le droit fil de ce que Maurice Duverger avait tracé.
Loin de se cantonner à la sphère bordelaise, l’influence de Maurice Duverger rayonnera d’autant plus qu’à partir de 1955 elle s’enracinera dans l’université parisienne, à la Faculté de droit puis à Paris 1, lui conférant une audience encore plus nationale et internationale. Le lecteur averti trouvera dans les Mélanges offerts en 1987 à Maurice Duverger, une illustration de cette aura1. Il retrouvera aussi, à travers les textes ci-dessous, quelques-uns de ceux qui, à un titre ou à un autre, aujourd’hui encore trouvent chez lui une forme d’inspiration.
Qu’en reste-t-il désormais quelque trois décennies après que Duverger eût quitté la scène universitaire ? Les réponses apportées dans la vingtaine de contributions qui suivent éclairent chacune l’héritage duvergérien. Les communications présentées sont d’origine diverses : elles émanent d’universitaires tant européens (France, Belgique, Italie, République tchèque, Serbie) que nord-américains (États-Unis et Canada). À ce titre elles illustrent la portée de Maurice Duverger bien au-delà de l’hexagone. Peu de juristes et politistes ont autant été lus, traduits. Peu ont autant inspiré la recherche. Et peu enfin ont autant suscité la polémique au point que le Duverger dans la cité a pu estomper, parfois jusqu’à l’occulter, le Duverger 9dans l’université. C’est ce dernier qui a constitué la raison d’être de ce colloque. En aucune façon il ne s’est agi de procéder, si tant est que cela fût nécessaire, à une quelconque réhabilitation du personnage. Une première partie du colloque s’emploie, à retracer, lucidement et sans complaisance, les différentes facettes de Maurice Duverger, au croisement de l’université, du journalisme et de la politique. Ce portrait sculpté à quatre (Slobodan Milacic, Frédéric Rouvillois, Benjamin Fargeaud et Pierre Sadran) renvoie une image qui à défaut d’être complète (un colloque à lui seul n’y suffirait pas) est complexe. Mais il permet de déblayer en quelque sorte le terrain, de l’expurger parfois de ses scories, pour mieux affronter le questionnement de l’héritage académique proprement dit. D’abord en s’inscrivant au cœur de la topographie duvergérienne, à la confluence du droit et de la science politique. Maurice Duverger, à la façon de l’alpiniste, a ouvert une voie, originale, entre droit et politique, dont Christian Bidégaray, Didier Maus, Alain Laquièze et Miloš Jovanović soulignent successivement le caractère novateur. S’il n’en a pas totalement le monopole, Maurice Duverger est sans doute celui qui a le mieux façonné le socle méthodologique sur lequel vont s’ériger ses constructions les plus emblématiques. Quoi de mieux que les régimes politiques pour illustrer l’imbrication du juridique et du politique ? Frédérique Rueda-Despouey, Armel Le Divellec, François Frison-Roche confrontent leur regard, sans se rejoindre, sur la typologie de Maurice Duverger et la notion, parfois polémique, de régime semi-présidentiel. La configuration des régimes circonscrit ainsi l’arène à l’intérieur de laquelle se déploie la lutte pour le pouvoir. Cette compétition est balisée par des règles auxquelles la rigueur analytique de Duverger a conféré une valeur quasi-scientifique. André Blais, Ruth Dassonneville, Michael S. Lewis, Éric Bélanger, Tanasije Marinkovic, Karine Van der Straeten, Bernard Dolez, Annie Laurent illustrent combien l’apport de Duverger, pionnier, conserve une remarquable pertinence pour appréhender la rationalité des acteurs en compétition face aux contraintes d’un jeu auquel ils doivent se soumettre. Car les règles du jeu électoral ne dessinent pas seulement l’issue de la lutte pour l’accès au pouvoir. Elles rétroagissent sur la structure même de la compétition. C’est ainsi que l’objet en quelque sorte canonique de Maurice Duverger, les partis politiques et les systèmes de partis, vient ponctuer le tour d’horizon de l’analyse duvergérienne. Daniel-Louis Seiler, Gilles le Béguec puis Miroslav Novák reviennent sur ce qui a conféré à Duverger sa notoriété initiale et à partir de laquelle se déploiera une œuvre dont 10l’actualité demeure. Sans doute les lignes de partage ainsi tracées entre les contributions ci-dessus ne correspondent-elles que très imparfaitement à la démonstration voulue par les auteurs. Le lecteur le constatera de lui-même. Les textes ici présentés souvent se chevauchent puisque chez Duverger, tout s’entrecroise : le droit, l’analyse politique, les régimes, les lois électorales, les partis… Mais cette interpénétration participe d’un univers duvergérien spécifique où se retrouve quiconque cultive la comparaison.
Par-là, et c’est sans doute l’apport essentiel de ce colloque, Maurice Duverger lègue un héritage top souvent négligé. Dans l’esprit de ses initiateurs, ce colloque n’avait pas de titre. Il n’avait pour finalité que de mesurer s’il existait un héritage et de quoi celui-ci était fait. À l’arrivée, il s’avère que l’héritage de Maurice Duverger fait de la résistance, comme le constate le chapitre conclusif de Daniel Bourmaud. Nous en avons fait le titre de cette publication. En hommage à celui sans lequel tant le droit constitutionnel que la science politique ne seraient pas exactement ce qu’ils sont.
Daniel Bourmaud
Professeur de Science politique
Université de Bordeaux
Philippe Claret
Maître de conférences de Droit public
Université de Bordeaux
Ce colloque a bénéficié du soutien matériel et financier de plusieurs organismes et institutions. Nos remerciements vont tout spécialement au Centre Maurice Hauriou de l’université de Paris et en particulier au professeur Alain Laquièze, à l’Institut de Recherche Montesquieu de l’Université de Bordeaux, à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine et à la Région Nouvelle Aquitaine.
1 Colas Dominique, Émeri Claude (dir.), Mélanges en hommage à Maurice Duverger, Paris, PUF, 1987.
- CLIL theme: 3284 -- SCIENCES POLITIQUES -- Histoire des idées politiques
- ISBN: 978-2-406-11423-9
- EAN: 9782406114239
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11423-9.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-04-2021
- Language: French