Intermède ruskinien
- Publication type: Book chapter
- Book: Marie Nordlinger, la muse anglaise de Marcel Proust
- Pages: 97 to 98
- Collection: Proustian Library, n° 54
Intermède ruskinien
Quand Marie Nordlinger reprend contact avec Proust vers la fin de novembre-début de décembre 1899, elle ne pouvait pas savoir les conséquences de sa communication et de la reprise de leurs échanges épistolaires. En guise de réponse préliminaire, Marie reçoit, d’abord, le message suivant, transmis par Proust dans une lettre de Reynaldo Hahn, écrite à Paris en décembre 1899 : « Marcel t’écrira ces jours-ci, outre qu’il veut te remercier d’une lettre (charmante paraît-il) qu’il a reçue de toi, il veut te demander je ne sais quels renseignements sur Ruskin. Il s’occupe beaucoup en ce moment de ce personnage et traduit le quatrième chapitre de son livre sur Amiens1. »
C’est à cette époque que Marie lit Les Plaisirs et les Jours, et a dû exprimer une opinion favorable dans la lettre à laquelle Proust ne tarde pas à répondre lui-même, longuement :
Je ne sais pas si je vous ai dit combien votre lettre m’a fait plaisir. Cela ne m’est pas très facile parce que je trouve si ridicule de ma part d’avoir l’air d’admettre autrement que comme une gentillesse de votre part ce que vous dites de mon livre, et de croire que cela correspond à la réalité, à ce qui serait chez moi, un véritable talent, que je n’ose aborder de front votre compliment2.
Proust est déjà parti sur le chemin ruskinien, car il vient de découvrir un ouvrage séminal de l’auteur britannique, The Seven Lamps of Architecture, et en particulier le chapitre intitulé « La Lampe de la Mémoire », traduit par Olivier Georges Destrée où il peut suivre la pensée de Ruskin et l’élaboration de ses théories sur la mémoire et l’architecture, sur le patrimoine et la restauration3.
98Proust a grand besoin de Marie pour travailler d’urgence. Il a commencé aussi la traduction, avec sa mère, de The Bible of Amiens, mais il a besoin d’aide supplémentaire plus sophistiquée. Comme une manne tombée du ciel, la lettre de Marie est providentielle et arrive à un moment propice. Marie connaissait bien le quatrième chapitre de cet ouvrage de Ruskin, car au cours de l’été 1898, elle s’était rendue à Amiens munie de la petite édition des voyageurs (Travellers’ Edition) de The Bible of Amiens, comprenant seulement le dernier chapitre intitulé « Interpretations », une étude de la cathédrale picarde.
C’est par l’intermédiaire de Reynaldo, et à la demande de celui-ci, nous semble-t-il, que Marie envoie à Marcel son exemplaire annoté de TheQueen of the Air de Ruskin, cet ouvrage n’étant pas disponible dans la collection de la Bibliothèque de l’École nationale supérieure des Beaux-arts où travaillait son ami Pierre Lavallée comme bibliothécaire. De nouveau, Marie reçoit des remerciements de la part de Proust dans une lettre de Reynaldo en date du 23 décembre 1899, une semaine avant son départ pour Rome : « Marcel a été très touché d’un envoi de vous avec des annotations. Il t’aurait déjà remercié si sa maudite santé ne lui jouait pas chaque jour des tours de démon4. »
1 Lettre de Reynaldo Hahn à Marie Nordlinger, Paris, décembre 1899, tapuscrit copié par Marie Nordlinger, archives privées.
2 Correspondance, t. II, p. 377.
3 Voir Cynthia Gamble, Voix entrelacées de Proust et de Ruskin, op. cit., p. 169-177.
4 Lettre manuscrite autographe de Reynaldo Hahn à Marie Nordlinger, 23 Xbre[1899], archives privées. Dans la lettre d’origine, « très touché » est souligné deux fois.
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- ISBN: 978-2-406-16526-2
- EAN: 9782406165262
- ISSN: 2258-9058
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16526-2.p.0097
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-29-2024
- Language: French