Glossaire des termes médicaux et philosophiques
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Locke médecin. Manuscrits sur l’art médical
- Pages : 483 à 497
- Collection : Textes de philosophie, n° 11
Glossaire des termes médicaux
et philosophiques1
archée : l’archée (archeus) désigne, dans l’œuvre du médecin chimiste J. B. Van Helmont, un principe vital et psychique à même de rendre compte de manière dynamique, de l’organisation de la matière. C’est grâce à l’action de cette force spirituelle que les ferments deviennent actifs dans le corps. Ces derniers constituent, avec l’eau, les éléments primordiaux pour penser la formation des substances vivantes. Réciproquement, la maladie se traduit par un trouble de cette force vitale qui vient perturber l’ensemble de l’économie du corps. Locke mentionne ce concept dans le manuscrit sur les maladies (Morbus, fo 121r), en remarquant que si l’on peut observer les effets de ce principe, il demeure en revanche difficile de rendre compte de son modus operandi. La question de savoir si Locke renvoie ici à l’archée telle que la définit Van Helmont fait l’objet d’un débat entre J. C. Walmsley P. R. Anstey, le premier considérant que Locke donne à cette notion une dimension ontologique (il s’agirait d’un principe existant dans la nature), quand le second suggère qu’il l’utilise plutôt de manière large, pour désigner un pouvoir génératif. Ce débat interprétatif pose aussi la question de l’attribution du texte de Morbus ou de ses sources d’influence, selon que l’on y lit la présence des théories défendues par le médecin chimiste Van Helmont (Walmsley) ou plutôt celle de la pensée de R. Boyle (Anstey).
caput mortuum (ou teste morte) : résidu qui demeure au fond des récipients à la fin des opérations chimiques, notamment à l’issue du processus de distillation, matière supposée inerte et sans valeur. Il est dit fixe ou fixé, par opposition aux substances volatiles qui s’échappent dans l’air ou sont recueillies à la sortie de l’alambic.
concoction : « se dit des aliments qui cuisent et se digèrent dans l’estomac. Les médecins distinguent parfois une première concoction qui se fait dans l’estomac, et une seconde qui se fait dans le sang et dans le foie ».
constitution : la notion de « constitution » s’applique classiquement en médecine au tempérament d’un individu. Hippocrate l’utilise en ce sens mais aussi, dans ses Épidémies, pour spécifier le rôle de l’air ou des saisons dans l’apparition des maladies épidémiques. Sydenham emploie aussi ce terme pour indiquer les
qualités dominantes d’une saison. Il propose ainsi d’étudier les épidémies de petite vérole durant les années 1661 à 1664 en Angleterre, en marquant « leur nature par rapport à la constitution régnante : car […] elles sont très différentes, suivant les diverses constitutions qui les produisent », c’est-à-dire en fonction des saisons (automne, hiver, printemps ou été) et de leurs caractéristiques propres. Voir Th. Sydenham, Histoire et curation des maladies aiguës, dans Médecine pratique, trad. Jault, Paris, 1774, section I, ch. v, p. 77.
Comme le souligne M. Foucault, l’usage que propose Sydenham de cette notion fait de lui l’initiateur de la pensée classificatrice et celui qui exprime en même temps une conscience aiguë de l’épaisseur historique et géographique de la maladie : « La constitution de Sydenham n’est pas une nature autonome, mais le complexe – comme le nœud transitoire – d’un ensemble d’événements naturels : qualité du sol, climats, saisons, pluie, sécheresse, foyers pestilentiels, disettes ; et dans tous les cas où tout ceci ne rend pas compte des phénomènes constatés, il faut invoquer les caractères non pas d’une espèce claire au jardin des maladies, mais d’un noyau dur et obscur et cela dans la terre. ‘Variae sunt semper annorum constitutiones quae neque calori neque frigori non sicco humidove ortum suum debent, sed ab occulta potius inexplicabili quadam alteratione in ipsis terrae visceribus pendent’ ». (Th. Sydenham, Observationes medicae, Opera medica, Genève, 1736, t. I, p. 32, cité par M. Foucault, dans Naissance de la clinique, Paris, PUF, 2000, ch. ii, p. 21).
contraria contrariis curantur (les contraires se guérissent par les contraires) et Similia com similibus curantur (les semblables se guérissent par les semblables) : le premier de ces principes de guérison est généralement rapporté à la pensée de Galien. On le trouve aussi mentionné par Hippocrate, dans les Aphorismes, (Hippocrate, L’art de la Médecine, éd. J. Jouanna et C. Magdelaine, Garnier-Flammarion, 1999, aphorisme 22, p. 215). Locke affirme, dans Respirationis Usus (71v), qu’il ne constitue pas un dogme de l’ancienne médecine. Il existe en effet différentes opinions sur les principes thérapeutiques chez les médecins de l’Antiquité. Au principe de guérison par les contraires, certains médecins (comme Alcméon de Crotone) préfèrent le principe de guérison par les semblables ou « similia com similibus curantur ». Le principe de guérison par les contraires domine cependant la médecine pratique thérapeutique dans les universités médiévales (I. MacLean, Logic, Signs and Nature in the Renaissance. The Case of Learned Medicine, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 69).
De nombreux traités médicaux et moraux sur les passions reprennent, à l’époque moderne, l’idée d’une guérison par les contraires. C’est le cas en particulier du médecin Thomas Willis (voir index auteurs), dans ses Two Discourses Concerning the Soul of Brutes (De Anima Brutorum, Londres 1672), qui recommande l’opposition des passions (opposer par exemple la joie à la tristesse) dans le traitement des maladies de l’esprit (voir Th. Willis, The Works, p. 193-194). Sur l’utilisation de ce principe pour le soin de l’âme, voir S. W. Jackson, Care of the Psyche, A History of Psychological Healing, Yale University Press, New Haven and London, 1999. Le principe de guérison par les semblables deviendra l’un des fondements de la médecine dite homéopathique.
démonstration oculaire (ocular demonstration) : notion que Locke utilise dans Anatomia (31v) et qu’il emprunte à l’ouvrage de Henry Power, Experimental Philosophy, In Three Books, Londres, Martin et Allestry, 1664, Obs. xix, p. 22. Elle apparaît déjà en 1616, dans les leçons de William Harvey, pour définir l’anatomie à partir de la pratique de la dissection, en l’opposant à une forme spéculative d’anatomie, fondée sur la référence aux autorités : « Anatomy is that branch of learning which teaches the uses and actions of the parts of the body by ocular inspection and by dissection ». W. Harvey, Lectures on the Whole of Anatomy, éd. G. Whitteridge, Londres et Édimbourg, E. & S. Livingstone LTD, 1964, p. 5. Robert Hooke défend aussi, dans la Micrographia, la possibilité d’une observation des fonctions physiologiques via le microscope qui rend visible les « mécanismes internes » (circulation, digestion). Sur cette question voir Ph. Hamou, La mutation du visible, vol. 2, Microscopes et télescopes en Angleterre de Bacon à Hume, Lille, Presses universitaires du Septentrion, p. 133.
éther (air) : le terme désigne, dans le vocabulaire chimique, l’air le plus pur qui se trouve au-dessus de l’atmosphère, là où se déploient les astres. Dans le manuscrit sur la respiration, il sert à signifier la quintessence de l’air. Plus spécifiquement, on se pose la question, dans la seconde partie du xviie siècle, de la composition de l’air ou de ce qui en fait un élément qui rend la vie possible. Si l’air était de l’éther pur, affirme par exemple Hobbes dans le De Homine (i, 2), il serait homogène, « on devrait donc pouvoir vivre également en tout air ». Or, poursuit-il, « un air absolument homogène ne saurait mouvoir le sang de façon à déclencher systole et diastole ». Th. Hobbes, De l’Homme, trad. C. Béal, Ph. Crignon, B. Graciannette, J. Lagrée, J. Médina, A. Milanese, M. Pecharman, et J. Terrel, Paris, Vrin, 2015, p. 187. Il faut donc faire l’hypothèse de la présence, dans l’air, de particules invisibles qui provoquent le mouvement du cœur. Hobbes émet l’hypothèse de particules de nitre, comparables à une substance saline, introduites dans le sang via la respiration. À l’inverse, un air vicié ou empoisonné provoque les maladies de la respiration (suffocation, évanouissement) ou la mort.
fabrique (fabrica, fabric, frame) : du latin fabrica, le terme est utilisé par Vésale pour désigner l’anatomie du corps humain, mais aussi par Vitruve pour désigner la construction architecturale d’un édifice. William Harvey l’emploie pour opposer son approche de la nature et du corps via la dissection à un savoir anatomique fondé sur la référence aux autorités, mais l’origine latine du terme se perd souvent dans les traductions françaises. Voici par exemple comment C. Laubry traduit ce passage de la dédicace du traité de Harvey « Tum quod non exlibris, sed ex dissectionibus, non ex placitis philosophorum, sed fabrica naturae discere et docere anatomen profitear » : « j’avoue que je n’apprends ni n’enseigne l’anatomie à l’aide des livres, mais à l’aide des dissections, non d’après les opinions des philosophes, mais d’après le plan de la nature ». W. Harvey, De motu cordis, étude anatomique du mouvement du cœur et du sang chez les animaux, trad. C. Laubry, Paris, G. Doin, 1950, p. 64 pour le texte latin et p. 136 pour la traduction (nous soulignons). la traduction anglaise conserve en revanche le terme de « fabric » : « I profess both to learn and to teach anatomy, not from books but from dissections ; not from the positions
of philosophers but from the fabric of nature (…) ». W. Harvey, Movement of the Heart and Blood in Animals, dans The Works of William Harvey, trad. R. Willis, Londres, The Sydenham Society, 1847.
On le retrouve, ainsi que celui de « human frame », dans les anthropologies du xviie siècle qui définissent l’anatomie comme connaissance de la fabrique du corps : « the subject of the ensuing discourse […] is man, the compendium of the universe, and a brief summary of all natures works […]. it also presents us with a delightful view of the curious frame of the humane body, and thence raises to the contemplation of the ineffable goodness and admiration of the stupendious wisdom of the deity, visible in the erecting so amiable and harmonious a fabric » (S. Haworth, Anthropologia or, a Philosophic discourse concerning man, being the anatomy both of his soul and body, Londres, S. Foster, 1680, « the epistle to the reader », non paginé). il n’est pas aisé de distinguer les traductions de « human frame » et de « fabric ». la première expression semble plutôt renvoyer à la structure anatomique. le terme de « frame » renvoie au vocabulaire de la construction, à la structure ou au cadre, mais il indique aussi l’idée d’un ordre établi, d’un schéma de construction qui n’est pas en tant que tel accessible à la perception. Le terme « fabric » renvoie à l’édifice lui-même, à la matière dont il est constitué, mais aussi à la manière dont il est fabriqué. il a parfois été traduit, dans les textes médicaux (sydenham traduit par jault, par exemple), par « constitution ». J. Pigeaud préfère choisir les termes d’organisation ou de structure (mais dans ce dernier cas, la nuance entre les termes de « frame » et de « fabric » devient difficile à établir). Voir à ce sujet « délires de métamorphose », dans Melancholy and Material Unity of Man, 17th-18th Centuries, éd. C. Crignon et M. Saad, Schwabe Verlag, Bâle, vol. 63, 2006, no 1/2, note 22, p. 77. On notera enfin que le terme « fabric » peut s’appliquer aussi bien au corps qu’au savoir physiologique, comme en témoigne le titre de l’un des ouvrages du médecin Walter Charleton : Physiologia Epicuro-Gassendo-Chaltoniana : or a fabrick of science natural, upon the hypothesis of atoms, founded by epicurus, repaired by Petrus Gassendus, augmented by walter Charleton, Londres, Th. Newcomb for Th. Heath, 1654.
ferment (voir aussi semences) : tout ce qui est déposé dans un corps et qui produit ses modifications, comme le levain dans la pâte, l’humidité dans le foin, mais aussi l’action des acides ou des alkalis sur les métaux et autres substances chimiques. La fermentation se manifeste par un échauffement ou une ébullition. Van Helmont a donné une grande importance au ferment dans son ouvrage Oriatrike, en en faisant un don de Dieu qui le dépose dans tous les corps pour développer les semences (principe séminal). Il affirme en particulier, dans Oriatrike (1648), que « tous les changements et les transmutations se font par le moyen de son opération […] » (Les Œuvres de Jean-Baptiste Van Helmont Traittant des Principes de Médecine et Physique pour la guérison assurée des maladies, trad. Jean Le Conte, Lyon, 1671, ch. xvi, « La nécessité des ferments pour les transmutations », p. 103), et il explique aussi la maladie par l’introduction de ferments dans le corps, corps étrangers susceptibles de rendre compte de la diffusion contagieuse du mal. Descartes propose, de son côté, une explication mécanique de la fermentation, dans la quatrième partie des
Principes de la Philosophie (Descartes, Les Principes de la Philosophie, 4e partie, § 92, dans Œuvres, AT, p. 250-251).
Dans Morbus (118v), Locke souligne le rôle que les médecins chimistes donnent aux ferments ou aux « principes séminaux » dans l’apparition des maladies. Tout en proposant une définition apparemment corpusculaire de la nature des ferments, le texte les présente comme des principes dynamiques, à même d’opérer des changements et des transformations dans la matière. Leur présence témoigne d’une certaine résistance à une explication purement mécanique du vivant. Dans sa Methodus Curandi Febres (1668), Th. Sydenham préfèrera le terme de « commotion » à ceux de « fermentation » ou d’« ébullition », afin d’éviter les disputes sur les mots. Voir Th. Sydenham, Methodus Curandi Febres, éd. G. Meynell, 1987, p. 18-19.
fièvres : le terme sert de manière générique au xviie siècle pour désigner les maladies. On trouve cette définition dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : « Fièvre en général, f.f. (Medec.) febris, maladie universelle très-fréquente, qui en produit plusieurs autres, cause la mort par sa violence et ses complications, procure ainsi très souvent une heureuse guérison, et est quelquefois salutaire par elle-même » (Encyclopédie ou Dictionnaire Raisonné des Sciences des Arts et des Métiers, fac-similé de la 1re édition de 1551-1780, Stuttgart, Bad Cannstatt, 1967, vol. 6, p. 710). La Cyclopedia de Chambers renvoie d’emblée à la conception sydenhamienne des fièvres : « Fever, febris, in Medicine, a Disease, or rather Species, or Class of Diseases, it being an Observation of Sydenham, that Fevers with their Appendages, make two thirds of all the Diseases of the Body » (E. Chambers, Cyclopedia, or An Universal Dictionary of Arts and Sciences […], Londres, J. & J. Knapton, 1728, vol. I, p. 24).
Locke a consacré un court développement à la méthode de traiter les fièvres, transcrit par James Tyrrell (1642-1718), dans un manuscrit conservé à la Wellcome Library de Londres (MS 4887, fo 38r-39r).
gonorrhée : « flux de semence involontaire, sans usage de Venus, sans delectation, et sans erection de la verge ». Locke désigne sans doute dans Anatomia (34v) la gonorrhée « virulente qui se fait lors que la matiere est corrompuë » et qui se manifeste par un « pus de couleur jaunastre, quelquefois verdoyante, quelquefois sanguinolente et de mauvaise odeur (…) et qui ronge et ulcere le conduit de l’urine, en sorte que le patient y sent comme une corde ». Dictionnaire Furetière, t. II, p. 964. Th. Sydenham consacrera, dans Processus Integri (1692), un chapitre à la description de cette gonorrhée virulente qui se traduit par une « douleur inhabituelle dans les parties relatives à la génération, et par une rotation des testicules ». Th. Sydenham, Processus Integri, ch. xxxiv, « On a Virulent Gonorrhoea », dans The Works of Thomas Sydenham, éd. R. G. Latham, Londres, The Sydenham Society, vol. II, p. 278.
hypothèse(s) : le terme d’hypothèses recouvre différentes significations dans l’Angleterre du xviie siècle. D’abord utilisé au sens de principe métaphysique ou de maxime, il peut aussi indiquer une doctrine. Il peut avoir un sens négatif lorsqu’il désigne
des maximes précédant toute expérience ou observation. Il est alors associé à une forme spéculative de philosophie qui conduit à des conjectures douteuses. C’est en ce sens que Newton les rejette comme « des obstacles à la véritable analyse expérimentale » : « Je n’ai pu parvenir à déduire des phénomènes la raison de ces propriétés de la gravité, et je n’imagine point d’hypothèses. Car tout ce qui ne se déduit point des phénomènes est une hypothèse et les hypothèses soit métaphysiques, soit physiques, soit mécaniques, soit celles des qualités occultes, ne doivent pas être reçues dans la philosophie expérimentale » (I. Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, trad. Chastellet, Paris, Dessaint & Saillant, 1759, Tome II, p. 179). La critique des hypothèses est aussi développée par Th. Sydenham dans ses Observationes Medicae. Voir Thomas Sydenham’s Observationes Medicae (London, 1676) and his Medical Observations (Manuscript 572 of the Royal College of Physicians of London), éd. G. Meynell, p. 97. C’est ce sens négatif que l’on trouve le plus fréquemment dans l’Essai sur l’entendement humain (ii, i, 10 ou ii, i, 21). Sur le statut des hypothèses dans l’Essai, on lira P. Anstey, Locke and natural philosophy, ch. 4, p. 70-89.
Mais le terme peut aussi avoir une signification positive : c’est le cas lorsque l’hypothèse résulte de l’observation et qu’elle est éprouvée par le recours à l’expérience et à la raison et confrontée avec d’autres hypothèses. Locke mentionne cet usage positif dans la lettre du 20 janvier 1693 à Th. Molyneux, un thème que l’on trouve également développé dans le manuscrit sur la méthode, brouillon rédigé par Locke en 1694 en vue de la quatrième édition de l’Essai sur l’entendement humain (« Method », Bodleian Library, MS Locke c. 28, fo 115-116, manuscrit transcrit par J. Farr dans « The Way of Hypotheses : Locke on Method », paru dans Journal of the History of Ideas, vol. 48, no 1, 1987, p. 70-72). Enfin il insiste dans ses Quelques pensées sur l’éducation (§ 190), sur la nécessité d’étudier toutes les hypothèses en présence en philosophie naturelle, en particulier celles qui, comme l’hypothèse cartésienne, sont à la mode dans l’enseignement et les universités : tenir compte de la diversité des hypothèses, les connaître sans pour autant vouloir les transformer en systèmes, chercher à penser leur conciliation plutôt que les opposer les unes aux autres, c’est là développer un usage positif et fécond de ces dernières.
indication (et signes) : dans sa méthode de traitement, Galien rappelle que pour les médecins empiriques, l’indication ne doit pas se comprendre comme une découverte qui procèderait uniquement « de la nature de la chose » et permettrait au médecin de se passer de l’expérience. Elle repose sur l’observation de relations de simultanéité, d’antériorité ou de postériorité. Voir Galien, Méthode de traitement, « Prolégomènes », ch. 7, op. cit., p. 136. Dans Anatomia, Locke utilise la notion pour désigner la capacité du médecin à pronostiquer à partir des signes ou des symptômes de la maladie. Les notes d’observation sur le cas Ashley convoquent aussi le topos très présent dans la littérature médicale et juridique de la fin de la Renaissance, des « signes et circonstances » entourant un cas (« a signis et circumstantiis »).
Dans le dernier chapitre de l’Essai, Locke présente la connaissance des signes (« sémeiôtiké ») comme la troisième espèce de sciences, celle des « moyens par où l’on peut acquérir la connaissance des choses et la communiquer aux autres ». Locke, Essai, iv, xxi, § 1, p. 1036-1038.
intempérie (distemper) : le terme apparaît dans Anatomia (35v). Si l’on peut traduire « temper » par « tempérament », il est en revanche plus difficile de traduire « distemper », qui renvoie plutôt à la notion de « destemplanza », utilisée par Juan Harte de San Juan dans son Examen des esprits pour les sciences (1575), pour désigner la perte d’équilibre entre les humeurs, le dérèglement du tempérament qui fait suite à la chute de l’homme et qui n’est pas nécessairement, pour l’auteur, un désordre pathologique à éradiquer. C’est aussi le terme d’intempérie que choisit le traducteur français de Van Helmont pour rendre compte de la conception galénique de la maladie comme « intempérie des qualités élémentaires » ou des « humeurs ». Voir J. B. Van Helmont, Les Œuvres de Jean Baptiste Van Helmont Traittant des Principes de Médecine et Physique pour la guerison assurée des Maladies, trad. Jean Le Conte, Lyon, Jean Antoine Huguetan et Guillaum Barbier, 1671, Quatrième partie, Traité des maladies, ch. i, p. 240.
kyste hydatique : le kyste hydatique, ou échonococcose hydatique (ou hydatidose), est une maladie parasitaire due aux œufs d’un ténia, l’ecchinococcus Granulosus. Il se transmet par l’ingestion d’aliments contaminés par les déjections d’un chien porteur, lui-même infecté après avoir mangé des viscères d’un herbivore infecté. Une fois l’œuf éclos au niveau de l’estomac, l’embryon peut migrer vers le foie, aller vers les poumons, et former un kyste hydatique. La maladie est traitée par chirurgie et par une technique de ponction ou aspiration. En 1668, son étiologie est inconnue (le terme n’apparaît qu’au xxe siècle). Le cas présenté par Lord Ashley conduit à décider d’une opération chirurgicale. Après incision, un drain est posé afin d’évacuer les vésicules et le pus produits par le kyste et de mettre un terme à l’infection (voir les notes d’observation sur le cas Ashley, annexe I).
liquides, liqueurs (juices, liquors) : le terme « liquide » renvoie de manière générale à toutes les parties fluides ou humides contenues dans un corps, par exemple les humeurs, le sang, le phlegme. Le terme « liqueurs » désigne plus spécifiquement les sucs qui jouent un rôle dans le processus de digestion ou de nutrition. Locke utilisant dans les manuscrits les deux termes, nous avons choisi de traduire « juices » par liquides, et « liquors » par liqueurs. Ce dernier terme est couramment utilisé dans les traités d’anatomie français de la même époque ou dans les traductions françaises de traités en latin. Voir G. Bartholin, Institutions Anatomiques, trad. Abr. Du Prat, Paris, Mathurin Henault, 1647. Notons enfin que le terme « liqueur » est précisément pris comme exemple par Locke dans le livre III de l’Essai pour faire état de l’absence de signification précise, dans les débats scientifiques, des termes utilisés pour désigner des substances complexes. Cet exemple permet à Locke de suggérer que les disputes entre médecins se réduisent bien souvent à des
désaccords relatifs à la signification des mots plutôt qu’à une « réelle différence de conception des choses » (Locke, Essai, iii, iii, 16).
médecine scolastique : forme savante de médecine, diffusée dans les universités au Moyen-Âge et à la Renaissance à partir de la prédominance des pensées d’Aristote et de Galien. Sur la médecine scolastique, voir P. G. Ottosson, Scholastic Medicine and Philosophy, A Study Commentaries on Galen’s Tegni (ca. 1300-1450), Bibliopolis, Napoli, 1984. D. Jacquart définit elle aussi ce courant par son caractère « scolaire » ou universitaire, tout en soulignant qu’il comprend différentes composantes ou traditions, rapportées aux principaux foyers universitaires de la médecine (Salerne ou Bologne en Italie, Montpellier en France, Oxford ou Cambridge en Angleterre etc.). Voir D. Jacquart, « La scolastique médicale », dans Histoire de la pensée médicale en occident, t. I, Paris, Le Seuil, 1995, p. 175-210.
menstruë (menstruum) et teinture : les deux termes vont ensemble : les menstrües sont des dissolvants qui s’imprègnent de diverses substances contenues dans les corps, les teintures, et qui en extraient ce qu’elles contiennent de plus subtile et essentiel. Ils sont utilisés en pharmacie mais aussi en teinturerie pour désigner le processus d’extraction de substances utiles à partir des plantes ou des minéraux.
methodus medendi (méthode de traitement) : expression utilisée par Galien dans son traité sur la méthode de traitement (De methodo medendi), où il décrit les rivalités entre trois écoles de pensée médicales : le dogmatisme, l’empirisme et le méthodisme. Dans ce texte, Galien propose aux médecins de partir de « points de départ indémontrables et unanimement démontrés » à même de permettre à la médecine de dépasser les querelles sectaires, et définit la finalité de l’art médical : « procurer la santé aux corps malades » (Galien, Méthode de traitement, trad. J. Boulogne, Paris, Gallimard, 2009, « Prolégomènes », ch. 4, p. 68, et ch. 5, p. 74). La question de la définition d’une méthode de traitement en médecine revient au cœur des débats sur les conditions d’un progrès de l’art médical à l’époque moderne. R. Boyle reprend cette expression pour examiner la méthode galénique de traitement dans Considerations About the received Galenicall Methodus Medendi (texte reproduit dans Michael Hunter, Scrupulosity and Science, Woodbridge, The Boydell Press, 2000, ch. 8, « Appendix 2 », p. 190-192). Le philosophe naturel prend soin de préciser, à cette occasion, qu’il ne s’agit pas pour lui de s’opposer à la recherche d’une méthode de traitement en général. Celle-ci répond tout d’abord, sur un plan théorique, au souci de définir des fondements rationnels pour la pratique thérapeutique. Sur un plan pratique ensuite, l’exigence d’une méthode signifie le respect d’un ordre et d’une certaine prudence dans l’administration du traitement. Critiquer la méthode de traitement galénique n’implique donc pas le rejet de toute méthode mais impose la nécessité d’un changement de cette dernière.
C’est bien cette question que pose Locke dans ses manuscrits sur la médecine. Rappelant la nécessité de dépasser la situation conflictuelle dans laquelle se trouve
l’art médical (les conflits entre médecins galénistes et chimistes), il reproche aux médecins modernes d’être restés en quelque sorte trop fidèles aux anciens, de ne pas avoir mis à l’épreuve ni enrichi leurs observations. Le succès de la méthode repose moins sur la possibilité de produire des maximes ou des principes pour fonder la pratique que sur la mise à l’épreuve de l’observation elle-même ainsi que sur une prudente administration des remèdes et sur une attention prêtée à la manière même dont le phénomène de la maladie se déploie (De Arte Medica).
Locke et Sydenham en appellent, dans l’épître dédicatoire au traité sur la variole, à la mise en œuvre d’une « méthode simple et accessible » (« plain and open method »). On retrouve ces adjectifs, sous la plume de Locke, pour qualifier la méthode mise en œuvre dans l’Essai (la « plain and historical method »). Ils permettent de souligner le caractère exotérique de la méthode, sa simplicité ainsi que la possibilité pour tout un chacun de la mettre à l’épreuve de l’expérience. Contre les remèdes occultes, les conseils délivrés doivent être « communicables ». Contre les textes issus de la tradition médicale scolastique, les traitements doivent être prescrits dans un style dépourvu d’ornements, plus proche de celui des observations médicales que des traités savants. À l’opposé des remèdes alchimiques, ils ne doivent pas être dissimulés ou réservés à des initiés mais rendus publics, un point que Boyle avait déjà souligné dans An Invitation to a free and generous Communication of Secrets and Receits in Physick, Londres, 1655, dans R. Boyle, Works, vol. I.
Enfin, l’expression de methodus medendi apparaît aussi dans les Notes d’observation sur le cas Ashley (14v). Elle est encore une fois associée à la facilité et à l’absence d’effort et présentée comme celle qui a conduit à la guérison du patient. Associant ainsi les notions d’histoire et de cure (voir aussi la Préface au traité sur la variole, 64r), Locke rappelle que c’est d’abord à l’aune du critère de l’efficacité thérapeutique qu’il convient d’évaluer la méthode en médecine.
nitre : dans Respirationis Usus, Locke émet l’hypothèse de la présence dans l’air d’un « esprit nitreux très volatil », nécessaire à la conservation de la vie. Il renvoie ainsi aux recherches menées avant lui par Th. Willis, par Robert Boyle dans New Experiments Physico-Mechanicall, touching the Spring of the Air, and its Effects, Made for the most part with a New Pneumatical Engine (1660), puis par J. Mayow dans le Tractacus Duo de 1668 et le Tractacus Quinque Medico-Physici de 1674. Au cours du processus de respiration, les particules de nitre et de souffre contenues dans l’air rentreraient en contact avec le sang, rendant ainsi possible le processus de fermentation et de distribution du sang dans le corps. Le nitre correspond à ce que nous nommons aujourd’hui l’azote. En réalité, le véritable aliment de l’air n’est pas l’azote mais l’oxygène, comme le montrera Lavoisier à la fin du xviiie siècle.
peste : une violente épidémie de peste éclate en 1665 à Londres, qui provoque des ravages importants parmi la population jusqu’en 1666. Dans son Journal, à la date du 12 juillet 1665, Samuel Pepys signale 700 décès liés à la peste en l’espace d’une semaine (The Diary of Samuel Pepys, éd. R. Latham et W. Matthhews, vol. VI, 1665, Londres, G. Bell and Sons LTD, 1972, p. 157). Cette épidémie et
ses ravages sont aussi décrits en 1722 par William Defoe dans son Journal de l’année de la peste (W. Defoe, Vie et aventures de Robinson Crusoé et autres œuvres, Paris, Gallimard, 1959, p. 887-1138). Dans sa Methodus Curandi Febres, parue en 1666, juste après l’épidémie de peste, Sydenham mentionne le rôle de l’atmosphère dans le développement des influences morbides, ainsi que l’influence des humeurs qui peuvent rendre les individus plus ou moins disposés à subir les influences pestilentielles. Malgré la mention de ces facteurs, Sydenham affirme l’impossibilité d’accéder à la connaissance de l’essence de la maladie (voir Th. Sydenham, Methodus Curandi Febres, éd. R. G. Latham [1848] éd. G. G. Meynell, Winterdown Books, Folkestone, 1987, v, « Of plage or the pestilential fever », ii, 2, 4, p. 171 et II, 2, 9, p. 175). Il sera reproché à Sydenham d’avoir fui Londres avec sa famille, au plus fort de l’épidémie.
poudre de sympathie : le premier ensemble d’observations (Obs. 68), rédigé en latin de la main de Locke, spécifie que ce remède est directement appliqué sur le pus évacué à la suite de l’incision de la tumeur dont souffre Lord Ashley (notes du 10 juillet, PRO/24/47/225v). La poudre de sympathie était traditionnellement appliquée, non pas directement sur le corps ou sur ses substances, mais sur l’arme ayant occasionné une blessure (voir K. Digby, A Late Discourse … Touching the Cure of Wounds by the Powder of Sympathy, Londres, 1658). Son action thérapeutique était ainsi supposée s’exercer à distance. Si aucune précision concernant l’efficacité thérapeutique du remède n’est apportée dans le texte, il faut souligner que bien des savants la considèrent comme probable. C’est le cas en particulier de R. Boyle, qui souligne dans ses Certain Physiological Essays (The Works, vol. II, p. 73-74) que non seulement plusieurs médecins en ont fait l’essai avec succès, mais qu’il a lui-même pu observer (« as an Eye-witness ») ses effets bénéfiques. C’est sans doute Gilbert Talbot, auteur de rapports établis pour la Royal Society sur la poudre de sympathie (voir, sur ces expériences, Th. Birch, History of the Royal Society, vol. I, 1661, p. 25 et p. 31), qui est à l’origine de la prescription de ce « remède chimique » au traitement du kyste hydatique de Lord Ashley.
quacks : ce terme désigne une catégorie particulière de praticiens : ceux qui prétendent soigner sans détenir de diplôme universitaire et qui sont considérés par les médecins du Collège de médecine comme des charlatans. Promettant des remèdes miracles (panacées), ils sont soupçonnés de vouloir abuser les malades et de procéder sans méthode. On les qualifie souvent de médecins « empiriques », en un sens évidemment péjoratif. Sur ce courant, on renverra aux travaux de R. Porter : Health for Sale : Quackery in England, 1650-1850, Manchester, Manchester University Press, 1989, et Quacks. Fakers and Charlatans in Medicine, Tempus Publishing LTD, Stroud, 2000.
ratio formalis (formes) : cette expression apparaît dans la dissertation sur l’usage de la respiration que Locke soutient devant l’université d’Oxford. Son emploi témoigne de la présence toujours forte de l’enseignement scolastique dans les universités. Il fait aussi référence, dans Anatomia ou dans De Arte Medica, aux « formes » ou
« essences » supposées des maladies, renvoyant à la manière dont la médecine scolastique propose de rendre compte de leurs causes.
On retrouve ce vocabulaire des « formes » (« formalities ») dans le Draft A, écrit en 1671 : « Le commun des mortels, dont les pensées ne sont jamais troublées par l’examen de la nature de la chose qu’il appelle blanche et qui lui cause la même sensation qu’au philosophe, a exactement la même idée du blanc que le philosophe qui, lui, pense avoir trouvé la nature ou la forme de cette chose (“the very essence nature or formality”), ou la manière selon laquelle elle produit en lui une telle sensation » (J. Locke, Draft A, op. cit., § 17, p. 79). Mais il s’agit bien ici de faire état de l’inutilité de cette hypothèse. Nous percevons les effets de la maladie et y accédons via l’observation, tout comme nous accédons à « l’idée du blanc » sans avoir besoin de faire des hypothèses sur une quelconque « cause » productrice des phénomènes. De la même manière, Locke utilise au § 38 le terme de « forme » pour désigner le mode d’explication scolastique du pouvoir causal attribué à l’aimant, ibid., p. 120. Dans l’Essai, en revanche, ce vocabulaire disparaît. Voir Essai iv, xvi, 12.
salpêtre : dans le manuscrit sur la respiration (72r), Locke fait mention des observations menées sur le salpêtre. Il renvoie implicitement aux expériences menées par Robert Boyle sur ce corps, exposées dans A Physico-Chymical Essay, Containing An Experiment with some Considerations touching the different Parts and Redintegration of Salt-Petre (R. Boyle, The Works, vol. II, p. 93-113). Dans ce texte, Boyle décrit une série d’expérimentations qui montrent comment il est possible, en le chauffant, de décomposer le salpêtre en deux parties, l’une fixe, le sel, et l’autre volatile, l’esprit de nitre. Cet essai sera le point de départ d’une discussion avec Spinoza quant à la possibilité de connaître l’essence des corps complexes. Sur cette question, on renverra à l’article de E. Guillemeau et C. Ramond (« Conception de l’expérience et méthodologie expérimentale selon Boyle et Spinoza », dans La philosophie naturelle de Robert Boyle, éd. M. Dennehy et C. Ramond, Paris, Vrin, 2009, p. 295-310) ainsi qu’à la réflexion de P. Macherey (« Spinoza lecteur et critique de Boyle », dans Revue du Nord, t. I, xxvii, no 312, oct-déc. 1995, p. 733-774).
sang (veineux, artériel, couleur) : dans Respirationis Usus (72r), Locke utilise les deux termes de « cruor » et de « sanguis » en renvoyant implicitement à la distinction établie par Galien entre un sang veineux, élaboré par le foie à partir des aliments, et un sang artériel produit par le cœur. Cette distinction est remise en cause par Harvey qui affirme, au xviie siècle, qu’un même sang circule dans le corps. Le sang, comme source de la vie humaine, force spirituelle, peut être nommé « sanguis ». On le désignera par le terme de « cruor » dès lors qu’il cesse de circuler, qu’il se coagule et perd sa chaleur (voir Exercitationes de generatione animalium, exerc. 71, éd. 1662, p. 314-315). Pour Harvey, la différence de couleur du sang est liée au passage de la vie à la mort ; il n’y a pas lieu d’en faire l’objet d’une enquête anatomique. C’est précisément cette conclusion qui se trouve remise en question dans le contexte post-harvéen. Si les médecins et anatomistes de l’école
de Pise (Borelli, Malpighi et Fracassati) ne considèrent pas que le changement de couleur soit significatif pour comprendre la nature même du sang ou le lien entre circulation et respiration, cette question devient centrale pour les philosophes naturels, médecins et anatomistes qui s’efforcent de redéfinir les fonctions physiologiques à Oxford dans les années 1660. Willis, puis Lower après lui, attribuent une signification fondamentale au changement de couleur du sang et s’efforcent d’en produire une explication chimique (via le processus de fermentation). Les expériences de respiration artificielle, réalisées en 1664 et 1667 sur des animaux par Hooke et Lower, permettent d’établir le rôle de l’air dans le changement de couleur du sang, et de s’interroger sur le rôle des particules de nitre qu’il contient. C’est cette hypothèse que l’on retrouve dans Respirationis Usus. Sur cette question, on renverra au travail de D. B. Meli (« The Color of Blood : Between Sensory Experience and Epistemic Significance », dans Histories of Scientific Observation, éd. L. Daston et E. Lunbeck, University of Chicago Press, Chicago et Londres, 2011, p. 117-134).
sectes : les discussions entre les écoles médicales et les différentes conceptions du savoir et de la pratique se présentent, depuis l’Antiquité jusqu’à la période moderne, comme un débat entre « sectes », le terme n’ayant pas alors nécessairement le sens péjoratif qui lui est aujourd’hui attribué. On distingue en particulier, depuis l’Antiquité et les écrits de Galien (Des sectes pour les débutants), trois grands courants ou écoles : l’école dogmatique, l’école empirique et l’école méthodique. Les médecins dogmatiques (ceux qui posent des dogmes ou des opinions) assignent au savoir médical une ambition rationnelle forte. Ils considèrent qu’il est possible d’accéder aux causes des maladies par le biais d’inférences logiques. P. Pellegrin définit ce courant par son « attitude » et sa « foi dans les possibilités de découverte de la raison humaine », par le biais de « l’indication » ou inférence du non-évident (les causes) à partir de l’évident (les symptômes).
Le fondateur de la secte empirique serait Philinos de Cos, élève d’Hérophile à Alexandrie, au iiie siècle avant Jésus-Christ. Comme le souligne toujours P. Pellegrin, les médecins empiriques ont longtemps été considérés comme des « provocateurs » ou des « imbéciles ». Ils affirment que l’accès aux causes cachées des phénomènes est impossible. La pratique de l’anatomie, l’étiologie et le diagnostic sont considérés par les membres de cette secte comme non fondés, même si les médecins empiriques admettent la possibilité de statuer sur les « causes immédiates » des maladies : le chaud, le froid, les excès, la fatigue, etc. Le médecin empirique recommande la pratique de l’observation, que ce soit l’observation par soi-même (autopsia) ou celle pratiquée par d’autres et rapportée par écrit (historia). Il confère aussi une valeur pratique à l’analogie, qui permet de passer d’un cas semblable à un autre. On ne saurait assimiler cette position à celle d’un anti-rationalisme, mais on peut cependant, comme le propose P. Pellegrin, considérer qu’ils manifestent une attitude critique à l’égard des prétentions métaphysiques de la raison. Il faut enfin souligner que l’émergence de la secte empirique pendant la période antique est contemporaine de l’installation du courant sceptique.
La troisième secte médicale importante qui se développe dès l’Antiquité est celle des « méthodiques » qui, comme le courant médical empirique, réapparaît aux débuts de la période moderne (avec le De medicina methodica de Prosper Alpin). Rejetant l’idée d’un accès aux causes cachées (comme les empiriques), les méthodiques ne considèrent pas pour autant que l’expérience serait la clé du savoir ou de la pratique médicale. Ils estiment que « toute maladie est elle-même indicatrice de son propre traitement » et proposent de lire les maladies à partir de la grille des « communautés apparentes », tout « état pathologique du corps (venant) d’un état de resserrement, de relâchement ou d’un état mixte ». Ce troisième courant n’apparaît pas dans les écrits médicaux de Locke, l’opposition entre dogmatiques et empiriques étant en revanche beaucoup plus présente. (Notice établie à partir de P. Pellegrin, introduction à Galien, Traités philosophiques et logiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1998, p. 32-55).
sel ammoniac : d’après Moyse Charac, dans la Pharmacopée royale galénique et chimique (Paris, 1682, ch. xx, « Des préparations du sel ammoniac », p. 857), le qualificatif d’ammoniac servait à désigner un sel « naturellement sublimé par la superficie des sables brûlants » de la Lybie. Il était composé de l’urine des chameaux « qui passaient en caravannes par ces lieux » et du « sel acide de l’air dont cette urine se chargeait pendant la nuit ». Il désigne, au xviie siècle, une substance préparée à Venise et à Anvers, composée d’urine d’hommes sains, d’une « partie de sel marin et d’une « demie partie de suie de cheminée, qu’on cuit ensemble, et réduit en une masse (…) ». Ces sels sont considérés comme très volatiles et capables de pénétrer dans tout le corps, « poussés par la chaleur de l’estomac », permettant ainsi de ramollir et de résoudre certaines tumeurs résistantes (ibid., p. 517).
semences (seeds) : le concept de semence joue un rôle clé dans les théories de la génération, depuis le traité d’Aristote sur la génération des animaux jusqu’à la publication, en 1651, du traité de William Harvey sur la génération (De Generatione Animalium, 1651), qui affirme que toute génération provient d’un œuf (ex ovo omnia) et réfute la théorie de la génération spontanée. L’idée selon laquelle les principes séminaux sont les agents premiers de la génération des corps et garantissent la reproduction des formes est partagée, au xviie siècle, par Descartes, Gassendi, Digby, Charleton, Willis, Sennert ou encore Boyle, qui consacre deux traités spécifiques à la question des semences : Of Seminal Principles et About the Concealments and Disguises of Seminal Principles (voir M. Hunter, The Boyle Papers. Understanding the Manuscripts of Robert Boyle, Ashgate, Londres, 2007). Sur la question des semences chez Boyle, on lira P. R. Anstey (« Boyle on seminal principles », dans Studies in History of Biological and Biomedical Sciences, Exeter, Elsevier Science, 2002, no 33, 4, p. 597-630).
Le concept de « semence » ou la notion de « principe séminal » sont convoqués par Locke au sujet de la question de la génération mais aussi de celle des maladies, les semences pouvant jouer un rôle dans la transmission de ces dernières (voir Morbus). Deux conceptions dominent au sujet des semences à l’époque moderne.
La première, dérivée de l’épicurisme, conçoit ces dernières comme des assemblages invisibles d’atomes ou de corpuscules qui viennent organiser la matière. Les semences jouent alors un rôle essentiel dans la formation de corps en leur conférant les caractéristiques spécifiques qui permettent de les classer par espèces. Le caractère imperceptible de ces semences et leur composition corpusculaire font de la question de la connaissance des modalités selon lesquelles elles opèrent un problème délicat à résoudre dans le cadre d’une approche strictement mécaniste du vivant. D’où le succès d’une autre approche possible du concept de semence, d’origine stoïcienne (logoï spermatikoï), réinterprétée par les néo-platoniciens (M. Ficin en particulier) et retravaillée en philosophie naturelle par des auteurs comme Paracelse et Van Helmont.
La réflexion de Locke sur la génération aura une incidence sur l’analyse qu’il proposera de la notion d’espèces (« natural kinds ») au livre III de l’Essai. La notion de semence interviendra par ailleurs dans la controverse entre Locke et Stillingfleet (Seconde Réponse) pour débattre de la question de la résurrection et montrer le rôle des semences dans le dessein divin de conservation de l’espèce (voir sur ce point P. R. Anstey, Locke and natural philosophy, ch. x, op. cit., p. 201-202).
teinture (voir menstruë) : « teinture, se dit aussi de l’extraction ou separation qu’on fait de la couleur d’un ou de plusieurs mixtes, et de l’impression qu’elle fait dans quelque liqueur ou menstruë propre, qui emporte une portion de leur plus pure substance ; car elle quitte son propre corps en se dissolvant, et s’unit aux menstruës pour leur communiquer sa couleur et ses vertus : et ainsi on fait dans la Pharmacie des teintures cephaliques, stomachiques, antiscorbutiques, etc. ». Dictionnaire Furetière, article « teinture ».
travail de la nature (workmanship of nature) : comme le souligne F. Duchesneau, l’expression « workmanship of nature » est « l’une des plus fréquemment employées » dans le manuscrit Anatomia. Elle traduit une conception à la fois intellectualiste et providentialiste de la nature. L’ordre naturel apparaît comme unique, « soumis à la compréhension et à l’action d’une intelligence fabricatrice, qui est celle d’une puissance bonne et équitable, réalisant l’harmonie entre les divers éléments de son œuvre » (F. Duchesneau, L’Empirisme de Locke, op. cit., p. 70). Cette idée d’un ordre de la nature est développée à la même époque dans les Essais sur la loi de nature (J. Locke, Essais sur la loi de nature, trad. H. Guineret, Centre de philosophie politique et juridique, Université de Caen, 1986, essai i, p. 3). La restauration de la santé requiert de la part du praticien une capacité à saisir l’intelligence de la fabrique du corps, laquelle ne se réduit pas simplement à la capacité à exhiber sa structure anatomique, comme Locke entend le montrer dans Anatomia.
ulcères dévorants : dans la tradition galénique, les ulcères se manifestent généralement par une érosion des parties molles du corps, non sanglante (Dictionnaire Furetière, « ulcère »). Les ulcères dévorants sont définis dans le même article comme des
phénomènes « compliqués, intemperés, vermineux, sordides, virulents, corrodants, teigneux, louvetiers, qui rongent la chair, comme un ver, une teigne, un loup ». Locke les mentionne dans Morbus (126r) pour faire état du rôle des ferments et de la circulation sanguine dans la transmission de la maladie d’une partie du corps à une autre.
verre d’antimoine : « on dit qu’une tasse antimoniale faite, soit de verre d’antimoine ou d’antimoine préparé avec du salpêtre, quoiqu’elle soit par elle-même une substance difficile à dissoudre, donne une forte qualité cathartique ou émétique à toute liqueur qu’on y verse, sans qu’il en résulte la moindre diminution du poids de la tasse elle-même » (voir « Antimoniaux », dans l’Encyclopédie Diderot et d’Alembert, fac-similé de la 1re édition de 1751-1780, Stuttgart, Bad Cannstatt, 1967, t. 1, p. 510).
veines lactées : « en anatomie, sont de petits vaisseaux longs, qui des intestins portent le chyle dans le réservoir commun. Hippocrate, Érasistrate et Galien, passent pour les avoir connues ; mais Asellius fut le premier qui publia en 1622 une description exacte de celles qu’il avait vues dans les animaux, et qui les nomma veines lactées, parce que la liqueur qu’elles contiennent ressemble à du lait. […] Ces veines, du temps de Bartholin, ont été tellement confondues avec les vaisseaux lymphatiques, que les uns ont dit qu’elles se jettaient dans le foie, d’autres dans la matrice, d’autres enfin dans différentes parties » (Encyclopédie Diderot et d’Alembert, fac-similé de la 1re édition de 1751-1780, Stuttgart, Bad Cannstatt, 1967, t. 9, p. 170).
1 N.B. : Les définitions qui sont accompagnées de guillemets proviennent de Antoine Furetière, Dictionnaire Universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 3 tomes, 1690.
- Thème CLIL : 3126 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie
- ISBN : 978-2-406-05639-3
- EAN : 9782406056393
- ISSN : 2261-0693
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05639-3.p.0483
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 19/05/2016
- Langue : Français