[Introduction de la première partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: Les Villes sacrées . Reliques et espaces urbains à l’époque moderne
- Pages: 29 to 30
- Collection: Constitution of Modernity, n° 21
Le 28 mai 1898, le Saint-Suaire de Turin, alors exposé à la vénération des fidèles, est photographié pour la première fois par Secondo Pia. Si le cliché ne révèle rien de particulier, les négatifs ont l’aspect d’une image positive. Le suaire contiendrait la figure imprimée du Christ recueillie lors de sa mort1. Les manipulations scientifiques se sont multipliées tout au long des xxe et xxie siècles afin d’expliquer et de prouver l’authenticité du suaire et de l’image qu’il contiendrait. Le tissu est analysé aux rayons ultra-violets en 1969, 1976, 1978, 1988 et plus récemment en 20142. À chaque fois, les résultats varient et sont longuement critiqués. La réalité de la matérialité de l’objet suaire est un enjeu pour les deux camps qui souhaitent démontrer soit un authentique miracle, soit une longue escroquerie.
Cet exemple fameux du suaire de Turin pose une question a priori simple : qu’est-ce qu’une relique ? Pourtant, les différentes péripéties autour de la question de l’authenticité de la relique laissent deviner la complexité de la réponse3. Le premier problème renvoie à la tension entre un objet matériel et une croyance. Cette ambivalence est pourtant fondamentale. Elle explique le statut d’objet sacré. Un simple vêtement est sorti de la sphère habituelle des artefacts textiles pour être considéré par les institutions religieuses et par les fidèles comme un objet aux caractéristiques extraordinaires, échappant à l’entendement humain. Ce constat entraîne un deuxième questionnement : qu’est-ce qui est à 30l’œuvre dans ce processus de consécration d’un objet matériel ? Dans le cas du Saint-Suaire de Turin, les enjeux se concentrent sur l’histoire du tissu. La croyance doit être ici justifiée par une connaissance scientifique. Cette approche des reliques selon une binarité vrai/faux n’est pas une constante dans l’histoire du catholicisme. Elle est d’ailleurs largement anachronique jusqu’à la fin du xixe siècle. On le voit donc, pour répondre à cette question « qu’est-ce qu’une relique à l’époque moderne ? », il nous faut aborder le problème de l’appréhension du sacré par les sociétés durant l’ensemble de cette période. Ce questionnement souligne la dimension historique des reliques. Loin de somnoler à l’intérieur des autels, elles connaissent de véritables évolutions.
1 Sur l’histoire du Saint-Suaire, se reporter à Celier Odile, Le signe du linceul. Le Saint Suaire de Turin, de la relique à l’image, Paris, Les Éd. du Cerf, 1992.
2 Siliato Maria Grazia, Contre-enquête sur le saint suaire, Paris, Desclée de Brouwer, 1998. Cet ouvrage présente un bilan des différentes tentatives d’analyses, tout en restituant dans sa démarche militante les passions parfois scientifiques sur ce sujet. Les résultats de 2014 ont été publiés dans Fanti Giulio, Malfi Pierandrea et Conca Marco, Sindone : primo secolo dopo Cristo !, Feletto Umberto, Tavagnaco, Segno, 2014.
3 Sur cette difficulté de faire émerger une définition des objets sacrés, les approches anthropologiques sont particulièrement fécondes. Voir notamment Colleyn Jean-Paul, « La forma y lo informe en el marco de un culto bamana de Mali », La Ideas del arte. De altamira a Picasso, Cuardernos de la Fundacion M. Botin, no 14, 2009, p. 101-132 ; Albert Jean-Pierre, « La mule et l’archevêque, ou la fortune des substituts », Archives de sciences sociales des religions, vol. 161, no 1, 2013, p. 221-234. Le même constat se retrouve dans les approches psychanalytiques des reliques : Fédida Pierre, L’absence, Paris, Gallimard, 2005, p. 75-77.
- CLIL theme: 4127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie éthique et politique
- ISBN: 978-2-406-10341-7
- EAN: 9782406103417
- ISSN: 2494-7407
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10341-7.p.0029
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-26-2020
- Language: French