[Introduction de la deuxième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: Les Villes sacrées . Reliques et espaces urbains à l’époque moderne
- Pages: 151 to 152
- Collection: Constitution of Modernity, n° 21
Dans une liste burlesque que Jean Calvin n’aurait pas reniée, Antoine Marcourt, polémiste protestant, énumère en 1533 toutes les marchandises qu’il considère être échangées par l’Église romaine :
Et pour bien dire, ces bons marchands […] rien ne leur est eschappé, dequoy à leur plaisir n’ayent marchandé […] d’hommes, de femmes, de petitz enfans, naiz et non point encore naiz, des corps, des ames, et esperitz des vivantz, des mortz, des biens visibles et invisibles, du ciel et de la terre, et des enfers, des viandes, des temps et jours, de mariage, de vestemens, rasures, oinctures, accoustremens, de bulles, de pardons, indulgences remissions, d’ossemens, autres reliques et rogations, expectatives, dispences, exemptions, de sacremens et sainctes œuvres de Dieu. […] Et sans nombre de telles choses par lesquelles ilz scavent merveilleusement bien tirer argent, dont le paroure peuple est tant abismé, tant rouge, tant devoré, et de son Dieu si eslongné, qu’il n’est possible de le croire1.
Dans cette liste apparaissent notamment les sacrements et les reliques, au cœur de ce qu’Antoine Marcourt décrit comme un véritable trafic. Recherchant la polémique, l’auteur reprend ici un lieu commun de la critique présent chez de nombreux auteurs de la fin de l’époque médiévale, comme Boccace, Chaucer ou encore Philippe de Vigneulles. Ce thème de la marchandisation des corps saints resurgit plus tardivement et de manière inattendue. Il apparaît par exemple sous la plume de Karl Marx dans le livre 1 de son Capital :
Rien ne résiste à cette alchimie [de la marchandisation], pas même les saints osssements et encore moins les ordinaires res sacrosanctae, extra commercium homininum2.
Cette remarque de Karl Marx connaît une postérité historiographique relativement récente, puisqu’elle a été reprise, toujours au sujet des reliques, par Patrick J. Geary en 1986, puis plus récemment par A. Kattie Harris et dans un ouvrage sur les corps saints des catacombes de Rome3.
152Cette notion de marchandisation (commodization) est pertinente pour analyser les très nombreuses circulations de reliques qui ont lieu durant toute la période moderne. Car les authentiques et autres procès-verbaux de recognition laissent entrevoir un vaste monde d’échanges, qui participe de l’appréhension de l’objet par les sociétés urbaines. Les chiffres sont éloquents. Entre 1500 et 1850, le nombre de reliques double dans les villes de Lyon, Metz, Rouen et Toulouse, confirmant le dynamisme décrit dans la première partie.
1 Marcourt Antoine, Le livre des marchans d’Antoine Marcourt : une satire anticléricale au service de la Réforme. Édition critique du texte, 1533-1544, introduction et notes par Geneviève Gross, Paris, Honoré Champion, 2016, p. 127-130.
2 Marx Karl, Le Capital. Livre I, Paris, PUF, 1993, p. 149.
3 Geary Patrick J., « Sacred Commodities: the circulation of medieval relics », The Social Life of Things: Commodities in cultural perspective, dir. A. Appadurai, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 169-192 ; Harris A. Katie, « Gift, Sale, and Theft: Juan de Ribera and the Sacred Economy of Relics in the Early Modern Mediterranean », Journal of Early Modern History, vol. 18, no 3, 2014, p. 193-226 ; Baciocchi S. et Duhamelle C., « introduction », art. cité, p. 28.
- CLIL theme: 4127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie éthique et politique
- ISBN: 978-2-406-10341-7
- EAN: 9782406103417
- ISSN: 2494-7407
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10341-7.p.0151
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-26-2020
- Language: French