Notice biographique sur Chaïm Perelman
- Publication type: Book chapter
- Book: Les Valeurs dans l’argumentation. L’héritage de Chaïm Perelman
- Pages: 347 to 350
- Collection: Rhetorical Universe, n° 8
Notice biographique
sur Chaïm Perelman
Né à Varsovie en 1912, dans une famille de la bourgeoisie aisée, Chaïm Perelman est l’aîné d’une fratrie de quatre enfants. Lorsque sa famille émigre en Belgique en 1925, il fait un parcours scolaire, puis universitaire brillant. Entré à l’Université Libre de Bruxelles à l’âge de 16 ans, il est remarqué par ses professeurs, le sociologue Eugène Dupréel et le mathématicien André Barzin qui exerceront sur lui une influence profonde. Sa formation universitaire s’accompagne d’une réflexion et de publications personnelles. Il soutient deux thèses, la première en droit en 1934, la seconde en philosophie en 1938 sur Gottlob Frege. Le fil rouge de ses écrits de jeunesse est la question des jugements de valeur et des valeurs (Esquisse d’une logistique des valeurs, 1934 ; De l’Arbitraire dans la connaissance, 1934 ; Une conception de la philosophie, 1940). Sa ténacité, voire son entêtement à endosser une position néopositiviste, le conduit à soutenir des conceptions erronées en mathématiques notamment sur le théorème de Gödel. Adhérent de l’Association des Étudiants Juifs de l’ULB, il rencontre Fela Liwer, alors étudiante d’histoire avec laquelle il se marie en 1935. Premier prix du Concours universitaire en 1936, il séjourne une année à l’Université de Varsovie où il noue des contacts avec des logiciens de renom, dont Kotarbinski avec qui il maintiendra des relations amicales.
Quand la Belgique est occupée, Perelman, qui est alors chargé de cours à l’ULB, est, comme plusieurs de ses collèges juifs ou « ennemis de l’Allemagne », interdit d’enseignement. Il interrompt ses cours qu’il reprendra dès la fin de la guerre. Sollicité par le grand rabbin Salomon Ullman pour être membre de l’AJB (Association des Juifs en Belgique, créée par l’occupant), il s’y maintient à la demande de la Résistance juive pour s’occuper des adultes et du service social. Il participe au côté de Herz Jospa (ancien responsable de la Main d’Œuvre Immigrée du Parti communiste belge) à la création du Comité de défense 348des Juifs (CDJ), dont la première réunion se déroule à son domicile, l’objectif étant de disposer d’une structure autonome permettant de lutter efficacement contre les persécutions. À la Libération, ce comité se transforme en Aide aux Israélites Victimes de la Guerre. Pendant cette période, Fela Perelman aura joué un rôle considérable dans l’organisation de jardins d’enfants et de réseaux destinés à empêcher la déportation d’enfants juifs, permettant ainsi de sauver près de 3000 d’entre eux. Elle organise, après le départ de l’occupant, une filière d’immigration clandestine de Juifs vers la Palestine.
Au sortir de la guerre, Perelman, qui enseignera à l’Université libre de Bruxelles jusqu’en 1978, publie De la Justice (1945) où est énoncée pour la première fois la règle formelle qu’il dénommera ensuite « règle de justice ». Il est sollicité par l’Unesco qui le charge, en tant que vice-président d’une commission d’experts, d’une enquête sur la notion de « démocratie ».
Durant la période de rédaction du Traité de l’argumentation, il intervient dans de nombreux colloques, entretient des rapports étroits avec le cercle d’épistémologie de Bâle (Bachelard, Gonseth) et correspond avec un nombre considérable de philosophes, de théoriciens des sciences humaines et de juristes, notamment dans ses fonctions de secrétaire ou de vice président de la Fédération Internationale des Sociétés de Philosophie (FISP). Il fait des interventions remarquées aux colloques de Royaumont consacrés à Pascal, à Descartes et à la philosophie analytique.
Son activité académique se déploie dans de nombreuses directions. Nommé professeur ordinaire à l’ULB en 1945, il délivre des cours de logique, de philosophie morale, de métaphysique. Il participe à la fondation de deux centres de recherche belges, le Centre National de Recherches de Logique et le Centre de Philosophie du Droit de l’Université Libre de Bruxelles et co-dirige la revue Logique et analyse.
La publication en 1958 du Traité de l’argumentation, sous-titré La nouvelle rhétorique, rédigé en collaboration avec une statisticienne, Lucie Olbrechts-Tyteca, suscite un courant d’intérêt pour une discipline en déclin qui s’était progressivement restreinte à l’étude des figures de style. L’Empire rhétorique, sous-titré Rhétorique et argumentation (1977), fournit une version condensée de sa théorie qui passe relativement inaperçue dans le flot des publications d’alors consacrées aux diverses formes de structuralisme linguistique et de théorie littéraire.
349Considérant le droit comme un domaine de technicité dont la philosophie avait beaucoup à apprendre et choqué par les difficultés rencontrées par la justice allemande pour se débarrasser d’éléments de législation hérités du nazisme, il s’efforce de lutter sur plusieurs fronts : contre le positivisme juridique de Kelsen, contre le formalisme juridique de Kalinowski, contre le jusnaturalisme, représenté en France par Pierre Villey. Reprenant dans le domaine juridique le recours aux lieux communs hérités d’Aristote, il explore le domaine de la topique juridique étudié par Viehweg. Il dirige jusqu’à sa mort la Revue internationale de Philosophie, créée en 1938, avec le soutien de Karl Popper et de Bertrand Russell.
À partir de 1963, à la suite de son voyage aux États-Unis et de la traduction en anglais du Traité sous le titre de The New Rhetoric. A Treatise on Argumentation (1969), la renommée de Perelman se répand outre-atlantique. C’est pour lui l’occasion de découvrir la riche culture rhétorique américaine qui n’avait pas connu le sort de son homologue européenne et d’établir des échanges très stimulants avec des spécialistes du droit anglo-saxon. Nommé docteur honoris causa des Universités de Florence, de Jérusalem et de McGill (Montréal), membre de l’Académie Royale de Belgique, de l’Academia dei Lincei (Rome), de l’Académie des Sciences de Heidelberg et correpondant de l’Académie des Sciences morales et politiques de l’Institut de France, il est annobli le 5 décembre 1983.
Son activité académique ne tarit pas sa volonté d’engagement. Dans les conférences sur le libre-examen, qu’il donne à l’université de Bruxelles, il défend les valeurs qui sont en accord avec sa conception de la démocratie. Le principe qui guide sa conception de l’engagement consiste à renforcer l’éthique démocratique en construisant un cadre épistémologique, juridique et rhétorique qui permette et justifie l’exercice libre de l’argumentation au profit de la justice.
La publication de Logique juridique (1979) et Le raisonnable et le déraisonnable en droit (1984) le situe, aux côtés de Jürgen Habermas, de John Rawls, de Ronald Dworkin, d’Amartya Sen, parmi les grands penseurs de la philosophie du droit qui dans ces cinquante dernières années ont tenté d’apporter une contribution substantielle au fonctionnement des sociétés démocratiques et au progrès des droits de l’homme.
Par ailleurs, il contribue à la fondation de l’Association des amis belges de l’Université hébraïque de Jérusalem dont il devient le secrétaire général. Il apporte son aide à la construction de l’État d’Israël en animant 350diverses associations, tout en trouvant dans les écrits talmudiques la caution d’une attitude distanciée à l’égard des justifications théologiques. Il fonde en 1955 l’association de défense de la culture juive (Menorah) qu’il présidera jusqu’à sa dissolution. Selon Jean-Philippe Schreiber (2002), « [l]a création de l’État d’Israël avait modifié l’essence même de son adhésion sioniste. Refusant l’appartenance à un parti sioniste en diaspora, Perelman se battait dorénavant pour Israël : il s’engagea résolument aux côtés du jeune État juif mais refusa l’allégeance ambiguë du sionisme politique militant. Cette position, Perelman la partageait avec celui qui était alors secrétaire de Menorah, le jeune et brillant politologue de l’Université de Bruxelles qu’était Marcel Liebman ».
Perelman disparut le 21 janvier 1984, alors qu’il préparait un ouvrage de synthèse portant sur les rapports entre rhétorique et métaphysique. Sur sa tombe, figurent ces simples mots : « Justice, Justice ! » Après sa mort, de nombreux ouvrages d’hommages et de réflexion se sont donné (et se donnent encore) pour objectif de poursuivre, au besoin en la critiquant, l’œuvre de ce nouveau classique1.
La Digithèque de l’Université Libre de Bruxelles fournit les renseignements suivants :
La bibliographie de Chaïm Perelman a été établie par Lucie Olbrechts-Tyteca et Evelyne Griffin-Collart, et publiée dans la Revue internationale de Philosophie, 33e année, 127-128, 1979, p. 325-342. À ce relevé, arrêté au début 1979 et qui comprend 184 numéros, il y a lieu d’ajouter la bibliographie établie par Lucie Olbrechts-Tyteca pour la période postérieure, qui comprend 59 numéros et qui a été publiée en fin de la Notice sur Chaïm Perelman par R. Legros dans l’Annuaire de l’Académie royale de Belgique, vol. 152, 1986, p. 111-122.
Une bibliographie en ligne est par ailleurs disponible sur le site des bibliothèques de l’Université d’Oregon.
1 Source : LEGROS Robert, « Chaïm Perelman », ds. : Nouvelle biographie nationale, t. IV, 1997, p. 294.
- CLIL theme: 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
- ISBN: 978-2-406-08362-7
- EAN: 9782406083627
- ISSN: 2271-703X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08362-7.p.0347
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-05-2019
- Language: French