Avertissement
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Savoirs sur l’animal dans l’Encyclopédie méthodique. Tome II
- Pages : 1397 à 1400
- Nombre de volumes : 2
- Collection : Bibliothèque du xviiie siècle, n° 48
Avertissement
C’est un des spectacles les plus intéressants offerts par l’histoire naturelle que de voir les animaux de toutes les espèces aux prises avec l’homme qui les poursuit. Le chasseur trouve dans son expérience et dans son industrie les moyens de faire la guerre et de tendre des pièges à toutes les peuplades du règne animal. Mais soit que l’agresseur veuille donner la mort ou faire des esclaves, il ne remporte pas toujours une victoire facile ; souvent il a lieu d’admirer et même de craindre la force, le courage, l’adresse et les ruses que les animaux opposent à leur ennemi. L’instinct de l’animal s’élève quelquefois jusqu’à la hauteur du génie humain. Cette lutte entre le roi des animaux et ses sujets ordinairement très rebelles est donc un des points de vue de l’histoire naturelle qui méritait bien qu’on s’y arrêtât1.
La société est aussi très intéressée à connaître par quel art on peut se procurer des objets de première nécessité, ou d’utilité, ou d’agrément, que la chasse fournit. Il y a une infinité d’ouvrages épars où l’on donne quelques notions à cet égard ; mais l’ensemble de tout ce qui concerne cet exercice et la langue particulière et usitée des différentes chasses n’avaient pas encore été réunis dans un ordre encyclopédique et méthodique. Il a fallu en même temps consulter les arts qui s’occupent des ustensiles et des préparatifs de cette guerre. Il n’a pas été moins nécessaire de faire une revue générale de tous les animaux, pour les mettre en activité, et les considérer dans leurs combats, dans leurs attaques, dans leur défense, dans leur fuite, dans leur esclavage, dans leur défaite. Il y a en outre des établissements, des équipages, des entreprises et des accessoires qui exigent des détails particuliers. Il ne faut pas omettre les précautions dont on se sert pour multiplier certaines espèces propres à nos besoins ou à nos plaisirs, ni négliger de faire connaître les moyens qu’on emploie 1398pour diminuer le nombre de certaines espèces malfaisantes. Nous devons dire aussi comment le chasseur fait dresser ou instruire les animaux qui doivent le seconder.
Cette guerre de l’homme contre toutes les espèces d’animaux, et l’art qu’il a trouvé [vj] dans son industrie pour les combattre et les subjuguer, sont de toute antiquité. La chasse, soit qu’on l’envisage comme un moyen de satisfaire à nos besoins, ou comme un simple délassement, a été réputée dans l’ordre de la nature, d’après l’expérience de tous les temps et l’exemple de tous les peuples. Cependant elle a trouvé autant de censeurs outrés que d’apologistes enthousiastes, parmi les anciens et les modernes, parce qu’elle a été envisagée sous le double rapport de son utilité et de ses abus.
Le plus ancien écrivain qui en ait parlé avec éloge est le célèbre Xénophon, qui fut à la fois grand guerrier, historien judicieux et philosophe politique. Il a composé un Traité de la Chasse dans lequel il considère l’âge le plus propre à cet exercice, ainsi que les qualités du corps et de l’esprit qu’il exige2 ; il s’étend avec complaisance sur l’usage des filets, des rets et des pièges qu’il décrit ; il caractérise les différentes races de chiens dont on peut tirer des services ; il indique les saisons, les terrains et même les tons de musique qu’on doit choisir pour obtenir les plus grands avantages. Il entre dans les détails qui concernent, entre autres, la chasse du lièvre, du cerf, des biches, et surtout du sanglier. Il rapporte à ce sujet plusieurs traits de force et d’adresse des chasseurs. Enfin, il s’applique à faire voir combien la chasse influe sur les travaux militaires, et entretient le goût pour la vertu. Il ne néglige même pas de réfuter la doctrine des sophistes qui se sont montrés contraires à ses sentiments.
Arrien de Nicomédie, l’historien d’Alexandre le Grand, a composé aussi un Traité de la Chasse3. Oppien d’Anazarbe, ville de Cilicie, est principalement connu par son beau poème sur la chasse et la pêche4. 1399Et de notre temps, l’illustre naturaliste Buffon a parlé avec énergie de l’empire de l’homme sur les animaux. Cet empire, dit-il, est légitime. Aucune révolution ne peut le détruire ; c’est l’empire de l’esprit sur la matière. Si l’homme n’était que le premier de l’ordre des animaux, les seconds se réuniraient pour lui discuter son autorité ; mais c’est par supériorité de nature que l’homme règne et commande ; il pense, et dès lors il est maître des êtres qui ne pensent point5.
De l’empire de l’homme sur les animaux, naît dans certaines circonstances le droit de les tuer ; cette conséquence est exacte par rapport aux bêtes féroces, qui n’existent sur la terre que pour la dévaster. L’homme a donc eu raison de les faire reculer vers [vij] les limites du monde, et de réduire leurs espèces à un petit nombre d’individus. Ces êtres destructeurs doivent être traités comme des assassins ; ils sont nos ennemis nés, et par conséquent nos victimes naturelles.
Parmi les chasses célèbres dont le genre humain s’honore, on peut compter celles où l’Angleterre a exterminé les loups6 ; celles que quelques souverains d’Afrique font aux lions, aux tigres de leurs déserts ; celles qu’on a fait en France contre les hyènes et autres bêtes féroces7. Mais ne confondons point avec ces chasses honorables ces jeux sanglants où de petits tyranneaux ont sacrifié des chevaux et des hommes pour le plaisir barbare de mettre un cerf aux abois.
Dans presque tous les pays policés de l’Europe, la chasse n’est pas ouverte dans toutes les saisons. Il est même défendu de chasser depuis le premier mars jusqu’au premier septembre, pour donner au gibier de toute espèce le temps de faire paisiblement leurs petits et de les élever pendant les mois d’été. On a aussi très sagement défendu les chasses meurtrières par lesquelles les seigneurs, pour satisfaire à un amusement brutal, massacraient le gibier sans distinction, et en détruisaient l’espèce. D’un autre côté, il n’est pas prudent non plus de laisser les bêtes fauves se multiplier au point qu’elles désolent les champs des habitants de la campagne, pour trouver leur pâture hors des forêts. Il règne en bien des pays de grands abus à cet égard. Les princes, pour se procurer le 1400frivole et dangereux délassement de la chasse forcée8, font conserver plus de cerfs, de biches, de daims, de chevreuils, de sangliers, etc., qu’il n’en est besoin. Ces animaux sortant des bois ruinent les moissons, et le malheureux agriculteur n’oserait les tuer sans encourir les plus terribles châtiments. Cette conduite est telle qu’on n’a qu’à en présenter le tableau pour en faire sentir l’atrocité9.
La chasse n’est devenue un droit que par convention ou par une loi de la société politique. Mais la loi qui défend de nuire aux autres est une loi naturelle à laquelle les lois humaines doivent être subordonnées. La loi des hommes permettait aux seigneurs d’avoir du gibier, mais la loi primitive y met cette restriction, autant qu’il ne nuira à personne. Dans le cas où il nuit, elle abolit la loi humaine. Ce principe doit être la base du code des chasses.
Enfin, au lieu de ces lois barbares qui donnaient en France à des hommes ci-devant [viij] privilégiés le droit exclusif de la chasse, et qui obligeaient le laboureur de laisser dévaster ses champs par des animaux mis sous la protection du despotisme, il suffit de rapporter ici les dispositions bienfaisantes et justes du droit naturel et civil, consacrées par le décret émané de l’Assemblée nationale le 11 août 1789 (vieux style). « Ce décret rend à tout propriétaire l’exercice du droit de chasse. Chacun est maître de détruire ou de faire détruire toute espèce de gibier seulement sur ses possessions. Pour maintenir le respect dû aux propriétés, l’Assemblée nationale a prononcé des amendes considérables contre ceux qui chasseraient sans permission sur le territoire d’autrui ; elle a autorisé le conseil général de chaque commune à établir dans les campagnes des gardes champêtres, messiers ou bangards, pour veiller à l’exécution de cette loi10 ». Voilà tout le code actuel des chasses dans toute l’étendue de la République française.
1 Cette présentation de l’homme comme « roi des animaux » est à comparer à l’évocation par Buffon du lion, également « roi des animaux », mais dont la force « ne tient pas contre l’adresse d’un Hottentot et d’un Nègre » (OC, vol. 9, p. 246).
2 La Cynégétique du militaire, philosophe et historien grec Xénophon (vers 430-354 av. J.-C.) traite principalement de la chasse du gibier à poil.
3 Arrien (vers 85-146 ap. J.-C.), fonctionnaire et historien grec, est surtout connu pour son récit de l’expédition d’Alexandre ; mais il composa aussi plusieurs traités inspirés de Xénophon, dont une brève Cynégétique.
4 Il s’agit en réalité de deux auteurs grecs confondus : Oppien de Corycos (iie siècle ap. J.-C.) est l’auteur d’un poème sur la pêche, les Halieutiques ; Oppien de Syrie (iiie siècle ap. J.-C.), lui, composa un poème sur la chasse, les Cynégétiques.
5 Buffon, OC, vol. 4, p. 249-250. La supériorité de l’homme sur l’animal est un thème récurrent chez Buffon, qui consacre en outre de longs passages à la chasse (par exemple dans son chapitre sur le cerf).
6 Le loup a été exterminé dans les îles britanniques entre le xvie et le xviiie siècle.
7 La hyène est évidemment absente de France, mais Lacombe songe probablement à la célèbre bête du Gévaudan, que certains considéraient comme une hyène.
8 C’est-à-dire la chasse à courre.
9 Ce paragraphe est repris quasiment tel quel de l’article « Chasse » de Robinet (1777-1783, vol. 11, p. 527-528).
10 Ce décret faisait suite à l’abolition des privilèges, le 4 août précédent. Sur les modifications du droit de la chasse au cours de la Révolution, voir Estève (1998). Un messier est un « paysan commis pour garder les fruits de la terre, quand ils commencent à mûrir » (Académie). De même, un « bangard » (littéralement, gardien de ban) était chargé de la surveillance des champs et des moissons.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-09624-5
- EAN : 9782406096245
- ISSN : 2258-3556
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-09624-5.p.1397
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/07/2021
- Langue : Français