Avertissement
- Publication type: Book chapter
- Book: Les Savoirs sur l’animal dans l’Encyclopédie méthodique. Tome II
- Pages: 155 to 159
- Number of volumes: 2
- Collection: Eighteenth-Century Library, n° 48
Avertissement
Dans toutes les sciences, il y a des parties plus reculées que les autres et moins susceptibles d’avancement, parce que les ressources nécessaires pour en accélérer les progrès sont moins nombreuses ou plus difficiles à acquérir : l’Histoire des serpents se trouve malheureusement dans cette catégorie. Le danger qu’il y a d’en approcher quelques-uns, et la terreur qu’inspirent les espèces mêmes dont la morsure n’est pas venimeuse, formeront toujours un obstacle invincible au développement de cette science ; cependant il n’est aucune branche de l’Histoire Naturelle qui mérite plus que celle-ci d’être étudiée et d’être approfondie. Comme chacun de ces dangereux animaux (et heureusement c’est le plus petit nombre) distille un poison plus ou moins lent, et dont les effets sont plus ou moins pernicieux, il faut aussi, pour obtenir la guérison, leur opposer des remèdes différents. Ainsi, comme le venin du Boiquira1 diffère de celui du Serpent à lunettes2, et celui du Chersée3 de celui de l’Ammodyte4, l’Ophyorrisa5n’aurait aucune efficacité contre le premier, ni le Poligala6 contre le second. On emploierait pareillement en vain l’huile contre la blessure du Chersée, et l’aristoloche contre celle de l’Ammodyte. Si on ne connaît donc pas les espèces, il est impossible d’indiquer un remède convenable ; et dans ce cas, à quels maux n’est-on pas exposé ! La mort est souvent inévitable. Je sais bien qu’il n’est guère possible que la personne qui a été mordue puisse observer distinctement les traits caractéristiques 156de l’animal qui l’a blessée. Le serpent, comme s’il avait connaissance du mal qu’il a fait, s’enfuit aussitôt qu’il a imprimé sa blessure, et va se cacher dans sa retraite ; mais c’est au Médecin ou au Chirurgien qui sont appelés pour traiter le malade à connaître les espèces venimeuses qui habitent leur contrée, et à prendre avec lui des informations exactes sur le lieu où il a rencontré le serpent, sur ses couleurs et sur ses dimensions, afin de pouvoir au moins conjecturer à quelle espèce il appartient et indiquer un remède efficace. C’est encore pour concourir à cette fin, et pour me rendre utile à ceux qui exercent l’art de guérir, qu’à la suite de l’Introduction, après avoir rapporté quelques notions générales sur les mœurs des serpents, j’ai ajouté un recueil des principales recettes qui sont en usage parmi nous et dans les pays étrangers, contre la morsure des serpents. On y trouvera un extrait des expériences de M. l’Abbé Fontana et de M. Laurenti, sur le venin de la vipère, qui est le serpent venimeux qu’on trouve plus communément dans nos climats7.
Pour la distribution des familles, j’ai suivi l’ordre méthodique de Linné, en intercalant, à la place que j’ai jugée la plus convenable, les deux nouveaux genres, [iv] le Langaha et l’Acrochorde8. Dans ce système, qui me paraît le meilleur de tous ceux qui ont été inventés jusqu’ici, le caractère générique est tiré de la forme et de l’arrangement des plaques ou des écailles qui garnissent la surface inférieure du corps9.
Dans le premier genre, sont compris les serpents qui ont de grandes plaques sous le ventre, sous la queue, et dont l’extrémité est terminée par des pièces mobiles et sonores qu’on appelle sonnettes : tels sont les Crotales ou Serpents à sonnettes.
Le second genre est composé des serpents qui ont pareillement de grandes plaques sur la surface inférieure du corps, mais qui n’ont point de sonnettes au bout de la queue : ce sont les Boas qu’on a ainsi nommés, selon Pline, parce qu’on dit qu’ils se nourrissent du lait des vaches10.
157On trouve dans le troisième genre tous les serpents qui ont un seul rang de plaques sous le ventre, et deux rangées d’écailles sous la queue : telles sont les Couleuvres11.
Nous plaçons dans le quatrième genre les serpents qui n’ont au-dessous du ventre et de la queue que des écailles semblables à celles du dos : c’est la famille des Anguis.
Le cinquième genre contient ceux qui sont entourés d’anneaux écailleux : tels sont les Amphisbènes12.
Dans le sixième genre, doit être placé ce serpent que M. Bruyères, de la Société royale de Montpellier, a le premier fait connaître13, et dont le corps présente, sur la partie inférieure et antérieure du tronc, de grandes plaques ; à l’anus des anneaux écailleux ; et qui a de simples écailles à l’extrémité de la queue : c’est là le caractère du Langaha.
Le septième genre renferme le serpent que M. Hornsted a décrit dans les Mémoires de Stockholm14, et dont la peau est revêtue de petits tubercules : c’est l’Acrochorde.
Enfin, nous plaçons dans le huitième genre les serpents dont le corps est presque nu, et qui ont seulement des plis ou des rides longitudinales sur les côtés : telles sont les Cæciles15.
On verra par cet exposé qu’il est facile de déterminer dans quelle famille doit être rangé un serpent quelconque ; mais il n’est pas aussi aisé d’assigner à quelle espèce il appartient, surtout d’après le principe de Linné, qui se contente ordinairement [v] de donner, pour principal trait spécifique, le nombre des plaques ou des écailles qui recouvrent la surface inférieure du tronc ; car on sait que ce caractère est très variable, et qu’il n’arrive presque jamais qu’il soit rigoureusement exact16. Cependant, 158sans rejeter une indication aussi simple, aussi facile, j’ai cru qu’il était nécessaire de présenter à la fois plusieurs caractères qui, tous réunis, donneraient, sinon une connaissance infaillible, du moins une notion presque certaine de l’objet dont on cherche le nom. En conséquence, j’ai composé pour chaque espèce une phrase descriptive, qui contient la forme et la structure de la tête, l’ordre et la distribution des couleurs, et les autres signes caractéristiques les plus saillants. Tous ces détails sont encore mieux développés dans la description de l’animal. J’y ai fait mention de leurs mœurs, de leurs habitudes, de leur génération, de leur nourriture, de leur venin, etc., lorsque ces traits de leur histoire m’ont été connus ; et pour éviter des redites fastidieuses, j’ai désigné le nombre des plaques, des écailles, des anneaux, des plis ou des rides qui recouvrent le corps du serpent, par une abréviation. La première lettre, qui est toujours majuscule et l’initiale du mot qu’elle représente, désigne les plaques, les anneaux, ou les plis de l’abdomen ; le chiffre qui l’accompagne en indique le nombre. La seconde lettre, avec le chiffre qui la suit, exprime les plaques ou les écailles qui revêtent le dessous de la queue. Ainsi, P-132 p-32, P-140 E-22, A-200 a-30, R-135 r-10, etc., désignent qu’il y a 132 plaques sous le ventre, et 32 sous la queue ; 140 plaques sous le ventre, et 22 rangées d’écailles sous la queue ; 200 anneaux écailleux sous le ventre, et 30 sous la queue ; 135 rides sous le ventre, et 10 sous la queue, etc.
Le genre des couleuvres étant très nombreux, j’ai cru qu’il était nécessaire, pour abréger les recherches, d’établir quatre sous-divisions dans cette famille. La première contient les espèces dont les couleurs sont uniformes ; la seconde, celles qui ont des taches sur le corps ; la troisième, celles qui sont marquées de bandes transversales ; et la quatrième comprend les espèces qui ont des bandes longitudinales. Le caractère de cette sous-division est établi avec d’autant plus de fondement que la distribution générale des couleurs en raies, en bandes et en taches est le plus souvent permanente ; tandis que les teintes et les nuances sont elles-mêmes sujettes à beaucoup de changements : de sorte que dans une même espèce, certains individus peuvent varier quelquefois du blanc au jaune, du vert au bleu ; mais les taches ou les bandelettes sont toujours disposées de la même manière.
Je dois ajouter ici que je n’ai point trouvé, pour l’exécution de ce Traité, les mêmes secours qu’on a pour les autres parties de l’Histoire 159Naturelle. Les ouvrages des Anciens ne sont presque d’aucune ressource ; on y trouve tantôt les mêmes noms pour désigner des sujets différents ; et tantôt les mêmes objets sous des dénominations différentes. Il résulte de là qu’on ne peut tirer de leur nomenclature et de leurs [vj] descriptions que des connaissances vagues, indéterminées, parce qu’elles sont presque toujours entremêlées de quelque récit fabuleux. Parmi les Modernes, il est très peu de Naturalistes qui se soient occupés des serpents. Séba est l’Auteur qui en a réuni un plus grand nombre ; mais ses espèces sont trop multipliées, et ses descriptions trop abrégées17. Catesbi s’est attaché à peindre et à bien colorier ses serpents, plutôt qu’à exposer les traits qui les caractérisent18. Il règne beaucoup d’exactitude et de précision dans les écrits de Gronou : en général, ses descriptions sont bien détaillées, mais il n’a point nommé ses espèces19. Le célèbre Linné a paru après tous ces Naturalistes ; il a profité de leurs lumières, de leurs découvertes, de celles du Docteur Garden20, y a ajouté les siennes, et a rangé tous les serpents selon les règles de la méthode que nous venons de développer. À la vérité, les caractères distinctifs qu’il donne dans son Système de la Nature sont très concis ; il n’est pas toujours possible de reconnaître une espèce d’après le nombre des plaques et l’indication générale des couleurs ; néanmoins, en recueillant dans ses autres ouvrages les détails qu’il a laissés sur certains individus, on peut compléter beaucoup de descriptions, et donner une idée suffisante de l’objet qu’on cherche à connaître. J’ai donc consulté ses Aménités académiques, le premier et le second volume de la description du Cabinet du Roi Adolphe, ouvrage rare, où l’on trouve des détails intéressants, et d’excellentes gravures dont j’ai enrichi mon volume de planches21. L’HistoireNaturelle des serpents que M. le Comte de la Cepède vient de publier22 m’a fourni de bonnes observations, et la connaissance de vingt-deux espèces nouvelles qui n’avaient pas été encore décrites par aucun Naturaliste, et qui font partie de la collection du Cabinet du Roi. [vii a]
1 Le terme, rapporté pour la première fois par Markgraf (1648, p. 240), désignait initialement un serpent du Brésil, mais il a été appliqué par plusieurs naturalistes à divers crotales, dont le crotale des bois (Crotalus horridus), qui vit en Amérique du Nord.
2 Le cobra indien, Naja naja.
3 La vipère péliade, Vipera berus.
4 La vipère ammodyte, Vipera ammodytes.
5 L’Ophiorrhiza mungos, plante indienne réputée utile contre le venin de cobra (Kaempfer, 1712, p. 574).
6 Le polygala de Virginie, Polygala senega,dont les voyageurs rapportent l’action contre le venin du « boiquira » (voir Lacepède, HNSe, p. 417).
7 Fontana (1781) ; Laurenti (1768).
8 Le genre Langaha est endémique de Madagascar, le genre Acrochordus se trouve en Asie du Sud et du Sud-Est et en Océanie. Tous deux ont été décrits tout récemment, quand Bonnaterre écrit ces lignes (voir Lacepède HNSe, p. 469-474).
9 Daubenton a également retenu la classification linnéenne des serpents (voir plus haut, p. 47-50).
10 [Note de l’auteur]Aluntur primo bibuli lactis succo, unde nomen traxere. Plin. Hist. Nat. lib. 28, cap. 14. [« Ils se nourrissent d’abord de lait de vache ; c’est de là qu’ils ont tiré leur nom » (Pline l’Ancien, 2013, p. 372 [VIII, 37]). Voir plus haut, p. 48.]
11 [Note de l’auteur] Afin qu’on conçoive plus aisément l’ordre et l’arrangement des plaques ou des écailles, et qu’on ne soit pas embarrassé sur la manière de les compter, j’ai fait graver sur la pl. A, fig. 1 une vipère qui présente la surface inférieure. On voit d’un coup d’œil que les plaques ne forment qu’un rang, et que les écailles qui recouvrent le dessous de la queue sont disposées sur deux rangées. Pour compter le nombre des plaques, on commence par la première, qui est située vers le milieu de la surface inférieure de la mâchoire d’en bas ; et pour les écailles, il faut commencer par la rangée la plus voisine de l’anus ; et ainsi de suite, en suivant l’ordre des numéros.
12 Ces animaux sont actuellement distingués des serpents et rapprochés des lézards.
13 Bruguière (1784). Sur Bruguière, voir infra, p. 530.
14 Hornstedt (1787). Claës Fredric Hornstedt (1758-1809), naturaliste suédois, fit un voyage à Java en 1783-1784.
15 Ces animaux sont actuellement rangés parmi les amphibiens, malgré leur aspect de serpents.
16 Cette critique se trouve aussi chez Daubenton (voir plus haut, p. 50).
17 Seba (1734-1765).
18 Catesby (1731-1743).
19 Gronovius (1754-1756).
20 Voir plus haut, p. 41-42.
21 Linné et Schreber (1749-1790) ; Linné (1754).
22 Lacepède, HNSe.
- CLIL theme: 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN: 978-2-406-09624-5
- EAN: 9782406096245
- ISSN: 2258-3556
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-09624-5.p.0155
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-07-2021
- Language: French