[Introduction de la troisième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Romans de la Terreur. L’invention d’un imaginaire (1793-1874)
- Pages : 403 à 404
- Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 112
- Série : Le Siècle de l’histoire, n° 3
Plus encore que 1830, la révolution de 1848 investit et remobilise la mémoire de 93. C’est ce que souligne Flaubert avec l’ironie qui lui est familière dans L’Éducation sentimentale, où Sénécal et ses semblables sont nourris de références aux « géants de 93 » : « Chaque personnage se réglait alors sur un modèle, l’un copiant Saint-Just, l’autre Danton, l’autre Marat, lui il tâchait de ressembler à Blanqui, lequel imitait Robespierre1. » Car en 1848, « le spectre de 93 reparut, et le couperet de la guillotine vibra dans toutes les syllabes du mot République2 ». En 1852, à la suite du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, Marx insiste à son tour sur ce double principe de répétition et de dégradation à l’œuvre dans l’histoire. À l’autre bout de la période, la Commune suscite de nouvelles analogies avec la Terreur, dont témoignent avec un certain éclat Quatrevingt-Treize de Victor Hugo et Nanon de George Sand. La relecture des événements au miroir des Journées révolutionnaires de 1848, du coup d’État du 2 Décembre et de la Commune de Paris est donc l’un des aspects majeurs de la période.
« Le temps des histoires » : c’est ainsi que nous avons nommé ce moment qui va de la révolution de 1848 aux lendemains de la Commune. C’est en effet le temps où, parallèlement à la révolution historiographique, la Terreur est considérée comme un objet historique, lorsque le temps n’est plus aux souvenirs mais aux recréations fictionnelles, qui relisent les années 1793-1794 à la lumière des événements contemporains. Cette période comprend près de 25 % des romans inscrits dans le corpus principal, ce qui est peu en termes quantitatifs, si l’on compare cette proportion au nombre de romans publiés au cours des deux périodes précédentes. Pour autant, la mémoire de la Terreur, loin de décliner ou de perdre son statut fondateur, continue à faire l’objet d’une polarisation idéologique qui oppose les romans républicains, abordant la Terreur du point de vue du peuple, aux fables antirobespierristes et aux martyrologes royalistes. C’est aussi la période qui comprend le plus grand nombre d’œuvres canonisées par l’histoire littéraire, celles de Dumas, 404Sand ou encore de Hugo, sans doute parce que se fabrique, dans ces mêmes années, une mémoire républicaine des événements. Il est vrai, dans le même temps, que cette mémoire républicaine suscite à son tour certains contrepoints majeurs, en particulier sous la plume de Barbey d’Aurevilly : bien que ce dernier prétende faire l’histoire impartiale des Chouans, c’est une histoire très orientée idéologiquement qu’il relate dans L’Ensorcelée, où le romancier entend servir de relais aux « récits de quelques hommes qui s’y sont mêlés comme acteurs et qui, maintenant parvenus aux dernières années de leur vie, sont trop fiers ou désabusés pour penser à écrire leurs mémoires3 ».
On ne saurait trop insister sur l’importance de ce critère générationnel – qui détermine notamment un certain type de rapport aux sources – dans la scansion rythmique qui préside à la mémoire des événements et, partant, à l’organisation de ce livre. Au surplus, la diffusion des imaginaires politiques est facilitée, au cours de cette période, par le développement du roman-feuilleton : s’il joue un rôle dans la lutte idéologique, il peut aussi être le lieu d’une dépolitisation fictionnelle lorsque la Terreur, vidée de ses enjeux politiques, devient la toile de fond dramatique d’aventures sentimentales.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11771-1
- EAN : 9782406117711
- ISSN : 2258-4943
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11771-1.p.0403
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/08/2021
- Langue : Français