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Extraits / Les Groupes d’intérêt en France

 

« Les réseaux d'affaires en France », François-Xavier Dudouet

La disparition des liens financiers entre les grandes firmes françaises apparait comme la principale cause de l'affaiblissement du réseau interpersonnel (Auvray et Brossard, 2016). Depuis les années 1970, ces derniers ne cessent de se dénouer au profit de l'actionnariat étranger qui est passé de 10 % à 40 % en cinquante ans. Les gestionnaires d'actifs américains, tels que Vanguard et Blackrock, font désormais partie des plus importants actionnaires du CAC 401 par le nombre d'actions détenues mais surtout par la diversité des sociétés dans lesquelles ils sont investis. Plus généralement, les firmes du CAC 40 évoluent de moins en moins sur une base nationale. La plupart d'entre elles réalise l'essentiel de leur chiffre d'affaires à l'étranger, la plus grande partie de leur production est délocalisée et la part des employés français est devenue très minoritaire (15 % en moyenne). Elles sont littéralement dénationalisées.


« Les grands patrons et les think tanks », Catherine Comet

Cet espace social s'est considérablement renforcé au cours des vingt dernières années. En 2020, on compte plus d'une centaine d'organisations, dont une poignée seraient particulièrement influentes (Lenglet and Vilain, 2011)1 : Fondapol, l'Institut Montaigne, Terra Nova, l'AFEP (Association Française des Entreprises Privées) et l'Institut de l'Entreprise. Elles ont comme point commun d'être largement financées par les grandes entreprises et de diffuser une argumentation néolibérale à l'attention des média et des élus et responsables politiques, avec lesquels elles entretiennent des liens étroits. [...] Si l'espace des think tanks compte des organisations très hétérogènes en matière de statut, de taille, de spécialisation, voire de position idéologique, il présente une nette structure centre-périphérie. On observe une intense collaboration parmi les organisations au centre du réseau. Elles co-organisent des évènements. Leurs dirigeants entretiennent des relations sociales. Elles ont de nombreux financeurs communs. Et les participations croisées dans leurs organes de gouvernance forment un réseau très dense.

Parmi les patrons engagés dans les think tanks, ces mêmes dirigeants sont d'ailleurs ceux le plus souvent appelés à faire partie de commissions gouvernementales et à jouer ainsi le rôle d'experts d'État, illustrant la porosité des frontières entre sphère publique et intérêts privés.


« La manif pour tous et le monde catholique », Céline Béraud et Philippe Portier

Le discours anti-genre est, dans les différents pays où il fait l'objet d'une mobilisation, utilisé par des partis de droite et d'extrême droite pour tisser des alliances entre eux et mobiliser l'électorat conservateur, parfois dans un contexte de vague populiste comme en Hongrie et en Pologne. Ce discours fonctionne alors comme une « colle symbolique » (Kovatz & Põim, 2015), les campagnes contre le genre charriant partout avec elles, selon des configurations flottantes, d'autres combats, notamment contre l'islam, les migrants, les élites ou encore l'Union Européenne. La menace reposant selon ces activistes sur la famille traditionnelle constitue en fait une menace sur la nation elle-même. L'homophobie y côtoie l'antiféminisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'islamophobie.


« Les groupes d'intérêt et la violence politique », Xavier Crettiez

Le sociologue américain Ted Robert Gurr, pose comme hypothèse que la violence est intimement dépendante du niveau de frustration qu'une population partage : « l'occurrence de la violence politique suppose la probabilité d'une frustration relative parmi un nombre substantiel d'individus dans une société ; en conséquence, plus la frustration relative est importante, plus sera probable la survenance d'un niveau intense de violence politique » (Gurr, 1970, p. 24). La frustration est un sentiment partagé au sein d'un même collectif issu du décalage entre des attentes considérées comme légitimes par le groupe qui les porte et les réalisations obtenues. Lorsque ce décalage devient trop fort, la frustration apparait et peut sous certaines conditions se transformer en colère porteuse de violence de réaction à l'encontre des responsables supposés de cette frustration. Plusieurs types de variables sont susceptibles selon T. Gurr d'être à l'origine de la frustration. Les attentes peuvent être matérielles et relever du niveau de salaire ou de protection sociale mais elles peuvent aussi être politiques en termes d'accès escompté au pouvoir et à son exercice ou enfin être statutaires et identitaire lorsque les attentes ressortent d'une espérance de reconnaissance d'un statut ou d'une communauté.


« Les groupes en campagne et le moment électoral », Guillaume Courty et Julie Gervais

En période de campagne électorale, l'actemagique estampillé du sceau de l'influence est accompli par la mise en relation de représentants d'intérêt et de conseillers politiques. Les uns faisant le lien entre les groupes d'intérêt et les équipes de campagne quand les autres mettent en relation les demandes des lobbyistes avec les attentes des candidats. Plus la proximité sociale entre ces deux intermédiaires est importante, plus la demande aura des chances d'aboutir dans le programme ou le discours d'un candidat. Il n'est pas rare que les « plumes » d'une candidate soient elles-mêmes d'anciennes lobbyistes chargées de traiter les demandes de représentants d'intérêt au fort tropisme politique, qu'ils aient été eux-mêmes candidats à une élection, conseillers politiques ou experts d'une équipe de campagne [...] Ces deux parties échangent des documents, des appels téléphoniques et des « textos » et opèrent un certain nombre d'arbitrages jusqu'à pouvoir, pour l'une, faire valider la proposition par le candidat et, pour l'autre, faire remonter la réponse à son client ou son employeur. L'avancée des uns scelle celle des autres. L'annonce de la réponse obtenue ou du rendez-vous pris vaut satisfaction des membres du groupe d'intérêt devant le « travail d'influence » effectué, et sonne de la même teinte dans le QG où les potentiels électeurs en vue lors de cette rencontre viennent récompenser le travail électoral effectué.