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- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Errances de frère Félix, pèlerin en Terre sainte, en Arabie et en Égypte. Tome X. Traités 10 et 11
- Pages : 7 à 9
- Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 70
Chapitre d’ouvrage : 1/11 Suivant
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Ce dixième et dernier tome, qui contient les traités 10 (fo 182 b-200 a) et 11 (fo 200 a-231 a), couvre la période du 1er décembre 1483 au 29 janvier 14841.
Le traité 10, consacré au mois de décembre, raconte le trajet en mer depuis l’île de Milos, dans l’archipel des Cyclades, jusqu’à un lieu inconnu de la côte croate entre Trogir et Šibenik, et le traité 11, consacré au mois de janvier, relate la fin du voyage maritime jusqu’à Venise et le retour à Ulm.
D’aucuns pourraient penser que la fin de l’Evagatorium présente moins d’intérêt que les parties précédentes. C’est pourtant loin d’être le cas, et d’ailleurs chacune des trois grandes parties de ce qui constitue ce dernier volume a attiré l’attention d’au moins un chercheur : le trajet le long de la côte adriatique a été étudié par Stjepan Krasić2, la description de Venise a été très tôt traduite par Domenico Zasso3 et le retour à Ulm par les Alpes a donné lieu à une traduction en allemand de Joseph Garber4, puis à un commentaire et une traduction partielle en italien de Giulio Orazio Bravi5.
8Comme à son habitude, frère Félix observe et rapporte tout ce qu’il voit avec ce luxe de détails, d’anecdotes et d’érudition qui caractérise sa plume si prolixe. On trouvera donc ici, entre autres choses, une description de la ville de Modon (Méthone) et de ses régions limitrophes, de la Sicile ou Trinacie (fo 189 b-191 a), de Corfou (fo 194 a-b), de Parenzo (fo 204 b-206 a), de Padoue (fo 208 a-209 b) et, bien entendu, de la ville « si célèbre et si florissante » de Venise, à laquelle frère Félix consacre un long développement, qui est le véritable morceau de bravoure de ce volume (fo 211 a-221 a). Il y décrit dans un éloge émerveillé son régime politique, l’incroyable multitude de ses églises, de ses reliques et de ses trésors, l’abondance qu’on y trouve « de tout ce qui se rapporte à la vie des hommes », la richesse de son commerce, l’éclat de ses cérémonies, dont les célèbres « épousailles de la mer », la sagesse de ses consuls, ses innombrables assemblées et chapitres.
Élisabeth Crouzet-Pavan a montré comment Venise n’a d’abord été dans les récits qu’un simple rivage d’où l’on embarquait pour la Ville sainte avant de devenir petit à petit un lieu de pèlerinage secondaire et un espace glorifié par les voyageurs curieux6, et c’est sans doute chez Fabri que l’on mesure le mieux l’évolution dans la diffusion de l’image de la ville et dans la fascination grandissante des pèlerins face à elle. Chez lui, comme l’a noté Nicole Chareyron, la fascination est telle que l’étude de Venise remplit la plus grande partie du onzième traité et donne lieu à « une organisation littéraire7 », que l’on ne trouve par exemple ni chez Ogier d’Anglure (1395), ni chez Santo Brasca (1480), ni chez Pierre Barbatre (1480).
Bref, ce dernier tome, dans lequel l’émotion ne cesse de grandir à mesure que le pèlerin se rapproche de sa patrie, contient lui aussi quelques-unes des plus belles pages de l’Evagatorium : je songe par exemple à la description, pleine d’angoisse, de la tempête subie en mer le 5 décembre 1483 (fo 184 b), au vibrant éloge que Fabri fait de la langue allemande, « la plus concise de toutes les langues du monde », 9qu’aucun étranger ne peut apprendre parfaitement alors que les Allemands apprennent facilement n’importe quelle langue (fo 224 a-b), à la peinture si romanesque de l’épuisement et du découragement ressentis lors de la périlleuse traversée des Alpes enneigées (fo 226 a-b) et, bien sûr, au récit si émouvant de l’arrivée à Ulm et du retour au couvent, où frère Félix est reconnu, avant même de franchir la porte, par le chien, qui manifeste sa joie par des hurlements inhabituels, et où il est accueilli par le vieux prieur Ludwig Fuchs, qui accourt vers lui « en bondissant presque comme un jeune homme » (fo 230 b-231 a). Dans ces pages, Fabri s’érige à ce point en personnage littéraire qu’il a incontestablement ici quelque chose d’un Ulysse dominicain.
Sur les principes d’édition, nous renvoyons comme d’habitude le lecteur aux explications données dans le premier tome8.
Jean Meyers
Que le lecteur me permette enfin à l ’ entrée de cet ultime volume d ’ avoir une pensée émue pour la regrettée Nicole Chareyron, qui m ’ a entraîné sur la galère de frère Félix voici bien des années, et de remercier chaleureusement Michel Tarayre, qui m ’ a accompagné dès le premier jour dans cet interminable voyage. Sans sa collaboration constante et si efficace, je crois que je serais aujourd ’ hui encore bien loin d ’ avoir atteint le port.
1 Le texte latin édité ici correspond à la fin du t. III de l’édition de Hassler : Fratris Felicis Evagatorium in Terrae Sanctae, Arabiae et Egypti Peregrinationem, t. III, éd. C. D. Hassler, Stuttgart (« Bibliothek des Literarischen Vereins », 3), 1849, p. 318-468. Jean Meyers, qui a établi le texte latin du manuscrit autographe, remercie Michel Tarayre pour l’aide considérable qu’il lui a à nouveau apportée en collationnant au préalable les deux manuscrits N et S.
2 S. Krasić, « Descriptions of the Croatian Adriatic Coast in the Travel Accounts of the Swiss Dominican Felix Fabri (Schmid) recorded in 1480 and 1483/4 » [en Croate], Anali Dubrovnik, t. 39, 2001, p. 133-216.
3 D. Zasso, Venezia nel MCDLXXXVIII descrizione di Felice Fabri da Ulma, Venise, Tipografia dell’Ancora, 1881. Nous avons aussi tiré profit de l’excellente traduction qu’Audrey Elzière avait jadis donnée de ce passage dans son mémoire de Maîtrise : Le pèlerinage de Félix Fabri en Terre sainte : Venise, Maîtrise de Lettres Modernes sous la direction de N. Chareyron et J. Meyers, Université Paul-Valéry, Montpellier, 1998.
4 J. Garber, Die Reisen des Felix Fabri durch Tirol in den Jahren 1483 und 1484 aus dem Lateinischen übersetz von J. G., Innsbruck-München, Universitätsverlag, 1923.
5 G. O. Bravi, Il viaggio del frate domenicano Felix Fabri da Ulm a Venezia e da Venezia a Ulm (1483-1484), 2015 (https://www.giuliooraziobravi.it/pubblicazioni.html). Le lecteur trouvera en annexe une carte de ce trajet de Venise à Ulm (Fig. 1).
6 É. Crouzet-Pavan, « Récits, images et mythes : Venise dans l’Iter hiérosolomytain (xive-xve siècle) », Mélanges de l’École française de Rome, t. 96, 1984, p. 489-535.
7 N. Chareyron, Les pèlerins de Jérusalem au Moyen Âge, Paris, Imago, 2000, p. 43. Sur l’originalité de Fabri dans ce passage, voir aussi les pages fouillées que consacre à Venise S. Schröder, Zwischen Christentum und Islam. Kulturelle Grenzen in den spätmittelalterlichen Pilgerberichten des Felix Fabri, Berlin(« Orbis mediaevalis. Vorstellungswelten des Mittelalters », 11), 2009, p. 104-126.
8 Cf. t. I, p. 63-65.
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-13291-2
- EAN : 9782406132912
- ISSN : 2261-0804
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13291-2.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/10/2022
- Langue : Français