Avertissement
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Errances de frère Félix, pèlerin en Terre sainte, en Arabie et en Égypte. Tome IX. Traités 8 (fin) et 9
- Pages : 7 à 9
- Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 66
Chapitre d’ouvrage : 1/11 Suivant
AVERTISSEMENT
Ce neuvième tome, qui contient la fin du traité 8 (fo 133 b-142 a) et le traité 9 (fo 142 a-182 b), couvre la période du 30 octobre au 30 novembre 14831.
Dans la fin du traité 8, frère Félix décrit longuement la ville d’Alexandrie (fo 134 b-136 a) et l’ensemble de l’Égypte (fo 136 a-142 a) avec l’érudition et le regard humanistes qui imprègnent tout ce traité2 sans négliger pour autant l’anecdotique, comme dans le récit de son achat « à ses risques et périls » de rameaux de palmiers (fo 134 a-b).
Le traité 9, consacré au mois de novembre, commence, quant à lui, par le récit douloureux de la mort du seigneur Jean, comte de Solms, et des problèmes posés par ses funérailles (fo 142 b-143 a). Puis viennent les préparatifs du départ, les tracasseries aux douanes, l’installation sur les galères et l’attente juqu’au départ le 5 novembre (fo 143 a-147 b). La traversée du retour, d’Alexandrie à l’île de Milos en mer Égée, où des vents contraires ont poussé les pèlerins, est l’occasion pour l’auteur de dresser l’histoire des îles de Chypre (fo 149 a-158 a), de Rhodes (fo 160 a-164 b) et de Crète (fo 166 b-173 a).
Fabri s’intéresse longuement au passé antique et pré-chrétien de ces îles, et il écrit notamment sur Chypre, véritable carrefour des cultures et berceau des civilisations anciennes, des pages savantes et fouillées, dans lesquelles Annie Faugère voit un vrai « cours d’histoire et de mythologie3 » 8et Lorenzo Calvelli, « une synthèse encyclopédique exemplaire sur le rôle joué par l’Antiquité de l’île dans l’imaginaire médiéval » et « la première réflexion d’ampleur sur le passé classique de Chypre4 ».
Lorenzo Calvelli a bien montré dans son ouvrage sur la perception du passé romain de Chypre que la reconstruction complexe entreprise par Fabri reposait ici sur un double procédé de compilation tendant à rassembler « avec un esprit presque hérodotéen » toutes les sources orales possibles, mais aussi, en raison du « climat humaniste dans lequel il vivait », à confirmer celles-ci par l’auctoritas des sources écrites5. C’est sans doute le volume dans lequel Fabri déploie, avec le plus d’éclat, ses talents de géographe, d’archéologue, d’historien et de mythographe6. L’érudition est partout et l’auteur met plus que jamais à profit ses lectures d’Eusèbe, de Jérôme, de Rufin, d’Isidore, de Vincent de Beauvais et surtout de Boccace, dont il tire l’essentiel de sa science mythographique.
Fabri, cependant, ne perd pas le souci de la dimension littéraire et anecdotique si caractéristique de son récit. Car c’est ici que frère Félix donne l’exemple le plus extraordinaire de la liberté qu’il prend parfois par rapport au système du journal quotidien qu’il a annoncé7 : à chaque jour du voyage correspondra une partie du récit. Or, dans le préambule au traité 9 (fo 142 a), Fabri rappelle qu’il n’a rien ou presque rien décrit des îles traversées dans le récit du voyage aller, réservant leurs descriptions pour le récit du retour. Or, repartant d’Alexandrie et non de Jaffa, les galères empruntent une autre route par la mer de Lybie et de Crète, si bien que Fabri décide pour ne pas déroger à la structure qu’il a voulu donner à son texte et pour décrire, comme il convient, « la glorieuse île de Chypre et l’inexpugnable Rhodes » de « (se) remettre » dans la galère 9des pèlerins de Terre sainte et de ne reprendre la galère d’Alexandrie qu’à partir de la Crète (fo 142 a) :
Nous avons en effet connu de longues et fastidieuses journées dans le port d’Alexandrie et, durant ces jours, je m’évaderai de la mer d’Égypte jusqu’à celle de Syrie en traversant les lieux nommés plus haut, et je décrirai les événements et les pays rencontrés durant mon premier voyage.
L’écrivain raconte donc ensuite, du folio 142 a au folio 166 b, une traversée de la Terre sainte à la Crète, à partir des souvenirs du retour de 1480, et fait correspondre ce récit aux journées du 5 au 17 novembre 1483, correspondance totalement fictive. On est ici en plein roman viatique ! Le retour au voyage réel ne se fera qu’à partir du 17 novembre. Mais, même dans le récit de ce jour-là, le romanesque est travaillé jusque dans le détail, puisque, lorsque le navire imaginaire est poussé aux abords de la Crète, frère Félix écrit (fo 166 a-b) :
Comme le jour était là, nous vîmes les autres galères qui avaient quitté Alexandrie avec nous, et nous en fûmes réjouis, et c’est alors que je revins dans la flotte des navires d’Alexandrie, loin de laquelle j’avais erré pour un temps (a qua ad tempus evagatus fui)… Les navires s’approchèrent tant que nous pouvions nous interpeler.
On voit ici clairement que l’œuvre ne veut pas être simplement le récit du voyage de l’auteur, sans quoi cette mise en scène fictive eût été incompréhensible. Elle s’imposait par contre dans un Evagatorium tenu d’instruire le lecteur sur des lieux importants restés encore sans description, tout en respectant la présentation chronologique et l’illusion du voyage jour après jour.
Sur les principes d’édition, nous renvoyons comme d’habitude le lecteur aux explications données dans le premier tome8.
Jean Meyers
1 Le texte latin édité ici correspond au centre du t. III de l’édition de Hassler : Fratris Felicis Evagatorium in Terrae Sanctae, Arabiae et Egypti Peregrinationem, t. III, éd. C. D. Hassler, Stuttgart (« Bibliothek des Literarischen Vereins », 3), 1849, p. 171-317. Jean Meyers, qui a établi le texte latin du manuscrit autographe, remercie Michel Tarayre pour l’aide considérable qu’il lui a à nouveau apportée en collationnant au préalable les deux manuscrits N et S.
2 Sur ce point, je renvoie à nouveau le lecteur à tout ce qu’a écrit, sur cette partie de l’Evagatorium, J. Guérin Dalle Mese, Égypte. La mémoire et le rêve. Itinéraires d’un voyage, 1320-1601, Florence, Leo S. Olschki Editore (« Biblioteca dell’Archivum Romanicum », Serie I, vol. 237), 1991.
3 A. Faugère, « L’Antiquité dans les récits de voyage », La représentation de l’Antiquité au Moyen Âge, D. Buschinger et A. Crépin (éd.), Vienne, 1982, p. 79-89, ici p. 85.
4 L. Calvelli, Cipro e la memoria dell’antico fra medioevo e rinascimento. La percezione del passato romano dell’isola nel mondo occientale, Venise (« Memorie », 133), 2009, p. 4.
5 L. Calvelli, Cipro, p. 43 : « La complessa ricostruzione intessuta da Fabri bene attesta il duplice procedimento compilativo che soggiace alla redazione dell’Evagatorium : da un late, infatti, il domenicano dichiara con spirito quasi erodoteo di voler riportare alla lettera notizie appresse da fonti orali e per questo non sempre passibili di riscontro, dall’altro, però, il clima umanistico in cui ormai egli viveva, lo porta a ricercare nell’auctoritas delle fonti scritte la conferma delle voci che aveva udito lungo le proprie peregrinazioni. »
6 On lira spécialement, pour apprécier le travail accompli ici par frère Félix, les pages que lui consacre L. Calvelli, Cipro, p. 38-45 (sur l’Antiquité de Chypre) et p. 275-285 (sur le temple d’Aphrodite).
7 Sur cet exemple, cf. mes remarques dans J. Meyers, « L’Evagatorium de Frère Félix Fabri : de l’errance du voyage à l’errance du récit », Le Moyen Âge, t. 114, 2008, p. 9-36, ici p. 20-21.
8 Cf. t. I, p. 63-65.
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-12170-1
- EAN : 9782406121701
- ISSN : 2261-0804
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12170-1.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/10/2021
- Langue : Français