Introduction à la première partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Corps de Marivaux
- Pages : 29 à 31
- Collection : L'Europe des Lumières, n° 71
Introduction
à la première partie
La publication par Frédéric Deloffre, en 1972 chez Gallimard, d’un volume consacré aux « Œuvres de jeunesse » de Marivaux a permis de redonner vie à ces premières productions longtemps oubliées par la critique. Les Aventures de *** ou Les Effets surprenants de la sympathie, La Voiture embourbée, Pharsamon ou les Nouvelles folies romanesques, Le Télémaque travesti et L’Homère travesti1 ont depuis fait l’objet d’analyses ponctuelles, centrées sur un ouvrage en particulier2, et rares sont les publications qui se sont intéressées à une ou plusieurs de ces œuvres dans leur intégralité3. Depuis les travaux 30de Frédéric Deloffre4, elles ont donc rarement été envisagées et analysées comme un tout.
Or ces premiers écrits s’inscrivent tous dans une pratique intertextuelle5 plus ou moins explicite : LesEffets surprenants de la sympathie et Pharsamon ont pour hypogenre les romans héroïco-galants du xviie siècle ; Le Télémaque travesti réécrit Les Aventures de Télémaque de Fénelon, tandis que l’Iliade d’Houdard de la Motte est l’hypotexte de L’Homère travesti. L’analyse des corps nous apparaît comme un lieu privilégié pour définir cette pratique intertextuelle et montrer que ces œuvres forment un ensemble cohérent qui critique à des degrés divers les livres anciens et dépassés, romans héroïco-galants et épopée homérique. Par degrés divers, nous entendons souligner qu’au-delà de la cohérence d’ensemble la dynamique qui régit l’écriture de ces œuvres n’est pas une dynamique de répétition. Ces productions se nourrissent en effet entre elles, se répondent et progressent par degrés.
Nous développons tout d’abord l’idée selon laquelle l’analyse de la description physique des personnages dans les œuvres de Marivaux permet d’éclairer et de définir la nature des relations entre chaque texte marivaudien considéré dans ce premier chapitre et le texte qui lui sert de substrat. De l’imitation critique (Les Effets) au travestissement direct (L’Homère travesti), en passant par l’imitation parodique (Pharsamon et La Voiture embourbée) et le travestissement indirect (Le Télémaque travesti), chaque œuvre de Marivaux analysée creuse un écart de plus en plus grand avec l’idéal de beauté caractéristique de l’hypogenre ou de l’hypotexte.
Cet idéal de beauté, dicté par les principes de bienséance et de pudeur qui prévalent au xviie siècle, s’accompagne d’un silence à propos du corps physiologique. Le deuxième chapitre s’intéresse aux rapports singuliers que l’imitation parodique et les travestissements entretiennent avec ces silences des hypertextes et souligne l’évolution qui va de la simple 31évocation des besoins à la mention d’orifices corporels burlesques, signes d’une impossible maîtrise du corps.
Le troisième chapitre s’intéresse non plus aux corps de chaque personnage, mais aux interactions corporelles entre les personnages. Les hypogenres et hypotextes apportent avec eux un ensemble de gestes et de postures topiques que les personnages adoptent tout au long de leurs aventures amoureuses ou guerrières. Il s’agit de s’attacher à la reprise critique de ce répertoire corporel et aux détournements que lui font subir l’imitation parodique et les travestissements.
1 Comme expliqué précédemment dans l’introduction, nous choisissons d’exclure de notre corpus Le Bilboquet, œuvre à part dont la singularité a été montrée par Françoise Rubellin (Le Bilboquet. Édition critique présentée par Françoise Rubellin, Paris / Saint-Étienne, CNRS éditions – Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1995), dans la mesure où nos choix méthodologiques n’ont pas permis d’y trouver une présence manifeste du corps.
2 Nous pensons par exemple aux travaux de Françoise Rubellin (« Marivaux burlesque », art. cité ; « Une adaptation burlesque de L’Iliade : L’Homère travesti de Marivaux », art. cité ; « Silhouettes d’Arlequin dans les romans de jeunesse de Marivaux », Marivaux e il teatro italiano, op. cit., p. 237-248) ; à ceux de Jacques Guilhembet (« La réécriture parodique par Marivaux du Télémaque de Fénelon », L’information littéraire, Janvier-février 1995 no 1, p. 26-33 ; « Pharsamon ou les nouvelles folies romanesques : quelques procédés parodiques de la première partie », Revue Marivaux, numéro 2, 1992) ; aux articles de M. Gilot (« Un étrange divertissement : L’Iliade travestie », dans La Régence, Actes du Colloque d’Aix-en-Provence, 24-26 février 1968, Centre aixois d’études et de recherches sur le dix-huitième siècle, Paris, A. Colin, 1970, p. 187-205) et d’H. Coulet (« Les Aventures de Brideron le fils ou le “Télémaque” détravesti », Il Confronto Letterario, année VII, no 13, 1990, p. 45-56).
3 Françoise Rubellin analyse Les techniques narratives de Marivaux dans Les Effets surprenants de la sympathie et La Voiture embourbée (F. Rubellin, Les techniques narratives de Marivaux dans Les Effets surprenants de la sympathie et La Voiture embourbée, Doctorat de troisième cycle, Université Paris IV, 1986 (microfiches). Jean-Paul Sermain s’intéresse au Télémaque Travesti, au Pharsamon et à La Voiture embourbée dans Le Singe de Don Quichotte : Marivaux, Cervantès et le roman postcritique (J-P. Sermain, Le Singe de don Quichotte : Marivaux, Cervantès et le roman postcritique, Oxford, The Voltaire Foundation, 1999). Notons que L’Homère travesti, alors que son titre indique sa proximité avec Le Télémaque travesti, est exclu. J-P. Sermain parle de l’« assez malheureux » Homère travesti (ibid., p. 99).
4 F. Deloffre, Une préciosité nouvelle op. cit.
5 G. Genette définit ainsi l’hypertextualité : « J’entends par là toute relation unissant un texte B (que j’appellerai hypertexte) à un texte antérieur (que j’appellerai, bien sûr, hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire ». Pour l’hypogenre, la « référence textuelle » n’est plus un texte précis, elle est alors « multiple et générique » (G. Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 13).
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10620-3
- EAN : 9782406106203
- ISSN : 2258-1464
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-10620-3.p.0029
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/05/2021
- Langue : Français