![Les Corps de Marivaux - Introduction à la deuxième partie](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/CazMS01b.png)
Introduction à la deuxième partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Corps de Marivaux
- Pages : 151 à 152
- Collection : L'Europe des Lumières, n° 71
Introduction
à la deuxième partie
Questionnant et moquant l’abstraction corporelle des héros de romans, leur gestuelle mécanique et figée, Marivaux commence par décrire et faire mouvoir ses personnages à la lumière de la représentation des corps dans la littérature du xviie siècle. La relation intertextuelle avec les hypogenres et hypotextes conduit l’auteur à inclure un corps trivial : besoins corporels et manifestations physiologiques apparaissent dans les premiers temps de sa création. L’excès, voire la grossièreté, qui affecte ces représentations, rappelle les enjeux esthétiques qui sous-tendent l’intégration du corps en littérature. Il s’agit de s’opposer au silence de certaines productions littéraires du siècle précédent nourries par un principe de bienséance. Une fois le corps réintégré, il peut être placé sous le regard pour être analysé et compris. L’enjeu n’est plus d’aborder le corps dans sa trivialité comme moyen d’opposition à une esthétique littéraire, mais comme une matière à découvrir, un nouvel objet de savoir ancré dans la réalité.
L’instrument de cette nouvelle enquête est l’œil. Dans ses journaux et pièces de théâtre, Marivaux construit une histoire du regard parallèle aux évolutions scientifiques de la fin du xviie siècle et du début du xviiie siècle. À une époque où les frontières entre les disciplines étaient largement perméables, établir des rapprochements entre sciences et littérature n’a rien d’incongru1. En empruntant la voie moraliste à partir des Caractères des habitants de Paris, Marivaux inscrit dans ses œuvres l’inversion épistémologique qui se produit entre la fin du xviie siècle et la première partie du xviiie siècle et développe une nouvelle relation entre le corps-observateur et le corps-observé.
Notre premier chapitre est consacré à l’analyse des débuts de l’écriture journalistique de Marivaux. Nous avons vu que Les Effets surprenants de la sympathie, loin d’être l’œuvre naïve d’un tout nouvel écrivain, constitue 152une imitation critique des romans héroïco-galants du xviie siècle, point d’appui pour l’écriture de parodies et travestissements. C’est un point de départ analogue que nous décelons dans les Caractères des habitants de Paris. Les feuilles publiées dans Le Mercure entre 1717 et 1718 ne sont pas l’œuvre d’un jeune auteur qui imiterait maladroitement La Bruyère, mais constituent une transcription distanciée de l’écriture moraliste du xviie siècle, antérieure aux évolutions des méthodologies scientifiques de la fin du siècle. Le regard du moraliste est impersonnel, discret. Ses perceptions visuelles, si elles sont bien présentes, ne sont pas premières ; elles sont subordonnées à une théorie généralisante.
L’articulation entre l’observation et la réflexion, comme nous le développons dans notre deuxième chapitre, s’inverse à partir du Spectateur français. Une nouvelle définition et une promotion du regard attribuent à la vision une place première dans l’élaboration de théories généralisantes. Le Spectateur français ainsi que L’Indigent philosophe saisissent cette inversion épistémologique dont l’Académie Royale des Sciences, réorganisée en 1699, est le témoin et le garant. La figure du « spectateur » démultipliée dans les journaux est éclairée par les écrits de Fontenelle, proche de Marivaux et secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences.
L’histoire du regard ne se construit pas seulement dans les journaux. En parallèle de cette écriture journalistique, Marivaux continue d’écrire des pièces de théâtre. Dans le troisième chapitre, nous proposons de repartir de la structure du « double registre2 » repérée par Jean Rousset pour examiner les points communs et différences entre les « spectateurs » des journaux et valets-spectateurs des pièces de théâtre de Marivaux. Si certains valets sont proches des « spectateurs », la fonction nouvelle d’espion attribuée à d’autres les en éloigne. Tous néanmoins ont une connaissance telle des signes corporelles qu’elle peut aller jusqu’à l’instrumentalisation des corps des autres personnages.
Les analogies entre le regard des moralistes et celui des personnages du théâtre marivaudien autorisent enfin à mettre en parallèle les propos que ces personnages tiennent dans des genres différents. Leurs regards multiples contribuent à l’élaboration d’une réflexion anthropologique sur les corps féminins qui sont le plus souvent au cœur des observations. Nous nous intéresserons donc, dans ce dernier chapitre, non plus au corps de l’observateur mais au corps observé.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10620-3
- EAN : 9782406106203
- ISSN : 2258-1464
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-10620-3.p.0151
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/05/2021
- Langue : Français