Présentation
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Les Convertis à l’islam (1100-2018)
- Author: Joubert (Jean-Marc)
- Pages: 7 to 11
- Collection: POLEN - Power, Literature, Norms, n° 28
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PRÉSENTATION
Le colloque dont nous publions les actes répondait à un projet précis que l’on peut trouver dans la présentation suivante dont la fonction était programmatique :
« Les convertis à l’islam. 1100-2018 »
L’objet de ce colloque, organisé par le C.R.I.C.E.S. (Centre de recherches de l’Institut catholique d’études supérieures) les 15-16 mars 2018 à La Roche-sur-Yon est d’aborder la réalité historique de la conversion à l’islam à partir et à travers un certain nombre de figures significatives.
La conversion est une réalité multiple, aux motifs variés. Il est des conversions d’habileté, celles des « Turcs de profession » sous l’Empire ottoman ; des conversions sociologiques ou d’osmose, comme dans certaines banlieues ; des conversions de contrainte, de persécution ou pour échapper au statut de dihmmi ; des conversions pour s’assurer une ascension sociale, ou pour se marier ; des conversions religieuses, spirituelles et mystiques ; des conversions anticolonialistes et de témoignage politique ; des conversions d’orientalistes ; des conversions de people ; des conversions au djihad guerrier présentant l’idéal du « martyr », etc. Leurs ressorts peuvent être proprement religieux, mais aussi politiques, sociaux, esthétiques, psychologiques voire – pour reprendre une catégorie de la tradition juive – « pour mettre en colère1 ». Ces conversions touchent des milieux et des individus très divers dans des contextes historiques et sociaux eux-mêmes très différents.
Le défi de ce colloque sera, à partir d’un certain nombre de cas représentatifs, intéressants ou curieux sous divers registres, de décrire, d’analyser et de penser le phénomène historique de la conversion à l’islam, sur la longue durée, sans le subsumer sous une unité factice et conjoncturelle.
Ce qui a motivé la tenue de ce colloque est, au premier chef, la prégnance dudit « phénomène » dans notre brûlante actualité. Il est devenu rare en effet de ne pas croiser un converti ou de n’en avoir pas 8entendu parler par l’intermédiaire de ses proches ou relations. Dans les banlieues, le phénomène n’a rien d’original. Parfois, la conversion relève d’une véritable contrainte sociale – une conversion assurant une sorte de protection ou relevant d’un processus paradoxal d’assimilation à un groupe exogène. Devenir musulmane, en particulier, c’est, pour une jeune fille qui se « soumet » (islam !), ne plus être tenue pour une « pute » par le groupe et éviter d’être importunée par des « jeunes » aussi machistes que scrupuleux selon les apparences qu’ils veulent afficher… Mais la conversion de jeunes Français ou Européens peut être tout à fait sincère et conséquemment radicale, car s’autorisant de cette même sincérité2 pour des raisons que nous évoquons en conclusion. Sur un mode criminel (qui reste assurément marginal), des policiers témoignent du fait que les convertis sont souvent les plus « enragés » et dangereux. Aussi font-ils souvent l’objet d’une surveillance particulière. Comment des Français « de souche », banlieusards mais parfois aussi issus de milieux socialement favorisés, ont-ils pu s’engager dans l’aventure – à l’époque du colloque encore balbutiante, et heureusement depuis territorialement défaite – de Daesh, avec ses assassinats de masse, ses tortures, ses viols et l’esclavage qu’il organisait, c’est une question qui ne laisse pas de tarauder et qui ne va pas sans poser, en amont, le problème de la transmission des valeurs, celui de la solidité des appartenances, quand ce n’est pas celui d’une possible « décivilisation » – dans la sphère « occidentale » en tout cas. Avouons-le, c’est d’abord ce contexte déprimant qui a suscité notre questionnement, lequel n’était donc pas de pure curiosité intellectuelle.
9Assurément, les conversions à l’islam ne s’épuisent pas dans ce complexe de renouveau islamique (ou « islamiste ») et de « grand jeu » géopolitique, puisqu’il en est incontestablement d’intellectuelles et de spirituelles. Mais alors ce sont d’autres types de questions qui surgissent. D’abord, quelle est la nature de cette « fascination pour l’islam », déjà largement attestée à l’époque médiévale, et dont parlait Maxime Rodinson3 ? Une fascination qui tient à la nature même de son objet, à savoir la religion en question, laquelle religion est totale – pour ne pas dire « totalitaire » ou à tout le moins totalisante – parce qu’enfermant tous les aspects de la vie et de la société4 (et c’est d’ailleurs là toute sa gloire à ses yeux) ? Ensuite, comment comprendre l’étrangeté qu’il y a à rejoindre une foi réputée (tant par ses ralliés que par l’opinion progressiste) mystique, irénique et en son fond « ouverte sur l’autre » à un moment où tant de ses sectateurs « furieux » en donnent de si mauvais exemples, jusqu’au terrorisme destructeur des siens ?
Pour y répondre, il aurait fallu que nous nous engagions dans un vaste travail d’enquête. Mais outre que cette dernière excédait sans doute nos forces et nos compétences académiques, un colloque récent5, tenu à l’Institut des sciences politiques de Paris, se trouvait offrir de nombreuses réponses de la part de spécialistes (sans parler de l’abondante bibliographie disponible). Et c’est pourquoi nous avons choisi, d’une part, d’élargir l’étude du « phénomène » en lui donnant une vaste profondeur historique, d’autre part et surtout de l’approcher à travers des cas individuels. Car s’il est bien évident que la conversion doit être pensée comme s’inscrivant au croisement d’une multitude de déterminations (psychologiques, 10affectives, sociologiques, etc.) et de contextes (culturels, civilisationnels, d’époques), ainsi que le rappellent également nos remarques conclusives, il n’en demeure pas moins qu’une conversion se donne toujours comme une destinée qu’un individu a choisi d’accomplir ou de se donner éventuellement contre tout environnement et au rebours volontariste de son idiosyncrasie initiale. C’est d’ailleurs là ce que signifie d’abord et proprement « se convertir », à savoir se détourner et pour ainsi dire s’arracher en se désorientant… tout en pensant ou vivant la chose comme un très paradoxal accomplissement de soi.
Dans le cadre des deux journées dont nous disposions, il a fallu opérer le choix d’une variété maximale. Grâce à Olivier Hanne, nous avons traité du « premier converti » qu’était Mahomet lui-même. Et nous avons conclu le colloque en évoquant la figure à la fois populaire et spectaculaire de la chanteuse de rap « Diam’s ». Entre les deux : douze « cas » offrant des types et des figures historiques fort différents : mystiques, esthètes, politiques, passionnels, réfléchis ou autres. En définitive, c’est la part la plus douloureuse qui s’est trouvée – à une exception près – écartée de notre échantillon ! Comme si les intervenants – et ce serait tout à leur honneur – avaient préféré s’attacher à des réalités plus positives ou attrayantes que celles que nous venons d’évoquer. La rançon d’une telle diversité aura été naturellement de décevoir, dans une large mesure, la quête métaphysique d’une essence du « converti musulman » à laquelle nous préférons substituer, pour notre part, le concept – ou anti-concept – de « ressemblances familiales » introduit par Ludwig Wittgenstein dans son Cahier bleu. L’idée de Wittgenstein est qu’il n’existe pas d’essence commune ou un ingrédient commun à une classe d’objets ou de réalités. Par exemple, les membres d’une même famille se ressemblent par des traits qui peuvent être fort différents : aspect corporel mais aussi gestuelle ou encore mentalités, etc., – ce qui ne les empêche pas de présenter un air commun et d’être reconnaissables et donc identifiables. Autre exemple : sous la désignation commune de jeux on trouve celui, anarchique, de la balle, celui inventé sur le moment par un groupe d’enfants, ou bien les jeux d’échecs, de go ou de dames, aux règles par contre bien établies – lesquels constituent bien un ensemble contrasté de jeux. Dernier exemple : qui voudrait réduire la philosophie à sa définition ou étymologie d’« amour de la sagesse » en manquera des plans entiers – outre le fait que les frontières entre philosophie, 11littérature, histoire des idées n’ont rien de fixe… C’est ce qui explique pourquoi nous n’avons pas voulu théoriser à l’excès mais préféré livrer un tableau disons « impressionniste » des choses.
Ce faisant, il sera loisible de s’abandonner à cette diversité de curiosité sans tâcher de la rapporter à une improbable unité. Chaque converti, en effet, mérite d’être considéré pour lui-même sans se voir comparé et donc, au moins pour une part, réduit. Mais il reste que l’on pourra toujours, à défaut de trouver une telle unité, interroger aussi nos différents cas à l’aune de certaines problématiques : religieuse, sociale, politique, psychologique…
Petite originalité dans la réalisation de notre projet : le choix d’étudier l’œuvre littéraire qu’est Soumission de Michel Houellebecq. Mais s’agit-il tout à fait de fiction tant en ce qui concerne son personnage principal – que nous répugnons à qualifier de héros – que dans la relation de l’accession d’un candidat musulman déclaré à la magistrature suprême ? On sait que cet auteur a la réputation de « sentir » son époque et de l’exprimer avec acuité. Mais le fait même que l’histoire ait pu être conçue et connaître un tel retentissement témoigne de la présence sinon d’un fantasme d’époque, du moins d’une sourde inquiétude quant à la pérennité d’une identité, d’ailleurs problématique, de la France ou de l’Europe.
Nous laisserons aux lecteurs de ces Actes le soin de choisir l’approche qui leur convient ou les intéresse davantage. Si nous revenons pour notre part à cette inquiétude (ou désarroi) que représente à nos yeux non pas tant la conversion à que le reniement de, nous pouvons… confesser qu’il est des conversions qui ne sont pas de pures et simples apostasies, surtout quand le point de départ de leur cheminement est une sorte de néant moral ou culturel auquel elles aspirent tout simplement à échapper. Mais c’est sur la longue durée qu’il faudra, pour ce qui est des plus récentes, sinon en juger – car cela relèverait des appréciations de valeur – du moins les penser avec les outils de la recherche.
Jean-Marc Joubert
MCF de l’ICES
CIRPaLL (Angers), CRICES
1 On pourrait presque dire : « pour emm… le monde ». C’est un peu comme un fils qui se « convertirait » au marxisme-léninisme pour désespérer ses dévots parents conservateurs ou, pire pour les intéressés, qui se ferait trotskyste pour faire enrager ses parents staliniens…
2 Pour autant, la notion de « sincérité » ne recouvre rien de très clair à l’analyse. D’abord, la sincérité ne s’accorde pas nécessairement avec la vérité. Souvent, ce sont des apparences de sincérité que l’homme « sincère » s’efforce de produire à l’extérieur dans le cadre d’une « politique de la sincérité » qui n’est rien d’autre qu’une tentative intimidante de persuasion. Par ailleurs, une sincérité présumée conférerait-elle quelque droit ? C’est ce que l’homme « sincère » – ici le converti – voudrait prétendre et s’assurer. Avec succès parfois : l’homme qui se donne pour sincère est d’autant plus aisément cru tel que son interlocuteur demeure quant à lui sceptique et froid… mais aussi d’autant plus impressionnable devant le spectacle d’une conviction qu’il n’a pas l’heur (ou le malheur en fait) de connaître. Si l’on considère maintenant la sincérité du côté de celui qui se croit, se représente, se pense, se veut sincère, force est de reconnaître que sa vérité ou « authenticité » n’est pas moins douteuse. Chez Rousseau, la sincérité est certaine quand le cœur ou la « conscience, instinct divin » profond est atteint(e), puis s’exprime sans fard. En théorie, à suivre le Genevois, il y donc un critère ; mais l’illusion sur soi est toujours possible, ce qui est peut-être précisément le cas de « Jean-Jacques ». Si nous insistons sur ce thème de la sincérité, c’est naturellement parce qu’elle est au cœur de la problématique de la conversion.
3 M. Rodinson, La Fascination de l’islam, Paris, Maspero, 1980. Rodinson est aussi l’auteur d’une des premières biographies de Mahomet, d’approche marxiste, et ce faisant impropre à se laisser « fasciner ».
4 Le « totalitarisme » de la religion musulmane présente ainsi l’avantage d’offrir le confort de répondre à tout. Le mot d’ordre des Frères musulmans n’est-il pas de dire que « l’islam est la solution » ? Sous ce rapport, le christianisme qui distingue entre ce qu’il faut rendre à Dieu et ce qu’il faut rendre à César – à savoir le règne transitoire du « monde » et de sa « figure » – offre plus de garanties de respiration. (Marcel Gauchet ira jusqu’à dire qu’il est « la religion de la sortie de la religion ».)
5 Colloque Science Po, OSC-CEVIPOV « Rendre compte des conversions à l’islam. Investigating conversions to islam », 15-16 février 2016. Signalons également les travaux de Juliette Galonnier, Choosing Faith and Facing Race : Converting to Islam in France and the United States, thèse de doctorat en sociologie, IEP de Paris et Northwestern University, et les différents articles qui l’ont suivie. De même : Pouvoir politique et conversion religieuse. I. Normes et mots, dir. T. Lienhard et I. Poutrin, École française de Rome, Rome, 2017.
- CLIL theme: 4051 -- RELIGION -- Histoire des religions -- Histoire de l'islam
- ISBN: 978-2-406-12028-5
- EAN: 9782406120285
- ISSN: 2492-0150
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12028-5.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-10-2021
- Language: French
- Keyword: religious belief, religious history, psychology, identity, apologetic