Historiographie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Conduites transgressives des rois grecs
- Pages : 9 à 13
- Collection : Histoire culturelle, n° 18
Historiographie
Ce ne sont pas les études sur les rois hellénistiques qui manquent, que ce soit sous une forme monographique, comme l’Antiochos III de J. Ma, ou incluses dans des approches plus larges concernant les formes du pouvoir1. Il n’est guère possible de faire une synthèse, et nous nous contenterons d’indiquer les axes de recherche qui nous ont paru les plus intéressants.
J’ai été fort séduit par la notion de « politique culturelle » telle que la définit J. Schalles en 1985 dans une étude sur Pergame :
Les élites politiques (Machtelite) qui se constituaient à l’époque hellénistique autour d’une figure centrale – en d’autres termes : la cour avec un roi à sa tête, mais aussi le prince client et son entourage – furent, dès leur constitution, dans une situation qui était déterminée par l’existence tant d’autres élites du même type que par des formes sociales prémonarchiques. À côté de l’affirmation (Behauptung) de leur pouvoir (Herrschaft) par une politique de force, ces élites avaient besoin de médiatiser leur conception et leurs convictions (dans le souci de faire accepter ces idées et ces convictions par des tiers) et de légitimer leur pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur2.
Cette définition fait référence à des concepts, comme celui de légitimité, qui appartiennent au domaine de la pensée weberienne. H. J. Schalles se range, à côté de P. Zanker et de Chr. Meyer, dans ce courant de l’historiographie allemande qui a essayé de décloisonner l’étude de l’Antiquité en traitant à égalité l’ensemble des matériaux – textes et realia – et en mettant au centre de la recherche les processus sociaux. Le 10processus culturel désigne cet ensemble de principes, idées ou habitudes, conscients ou inconscients, qui rendent compte des créations matérielles, des images, mais aussi des conduites et des rituels qui peuvent leur être liés.
La chance veut qu’à Pergame on dispose de beaucoup d’éléments pour décrire ce processus de fabrication d’une idéologie royale dans son triple souci de s’insérer dans la tradition hellénique, de se distinguer socialement comme internationalement et de légitimer son pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur.
Dix ans après l’essai de Schalles paraissaient trois livres prenant en compte les aspects archéologiques de la royauté : la synthèse de I. Nielsen, le colloque organisé par I Nielsen, paru en 2001 et le symposion de Berlin, paru en 1996 sous le titre de Basileia3. La notion de palais occupe une position centrale dans l’idéologie monarchique, et la construction d’une résidence royale compte parmi les manifestations symboliques qui accompagnent l’installation des dynasties grecques. Expression des nouvelles formes du pouvoir, le palais est, pour la période hellénistique, ce que l’agora est pour la période archaïque et classique.
On se réjouit donc de disposer maintenant sur le sujet de livres de référence qui rassemblent la documentation et constituent souvent de bonnes mises au point sur les différents aspects des résidences royales ou de l’idéologie qui les sous-tend.
Les études se sont orientées ensuite dans deux directions : la « table » du roi et la notion de cour, mettant à contribution les méthodes de l’anthropologie et des sciences du langage.
Ainsi les études sur « la cour » ont connu un nouvel élan au début de ce siècle, après une disparition dans les années 1970. Ces études qui se sont multipliées font presque toutes référence à Norbert Elias comme parrainage4. Mais ce dernier se servait pour définir la ‘cour’ du système français d’Ancien régime ; or celui-ci ne s’applique pas aux monarchies de l’Antiquité qui ne connaissent ni l’absolutisme louis-quatorzien, ni des rapports de sujétion « versaillais » entre le monarque et la cour. Le livre « The Hellenistic court », qui est développé à partir de conférences tenues à Édinbourg en février 20115, met l’accent sur les différents 11modèles comme la cour des Tudor (mais fait aussi allusion aux cours musulmanes de l’Orient qui ne respectaient pas la monogamie) et a l’ambition d’ouvrir très largement la recherche aux monarchies, grandes ou petites du Bassin méditerranéen. Les contributions de ce volume examinent le rôle des institutions dans le milieu des différentes sociétés du Bassin méditerranéen, qui malgré leurs différences ont beaucoup en commun, ce qui justifie le titre « The Hellenistic court », laissant entendre qu’il y a là un modèle général, du moins que les similitudes l’emportent.
Sur le banquet royal, on ne manque pas d’études qui ont abordé le sujet soit directement, soit marginalement en traitant de différentes figures royales. Bien plus, assez récemment, l’Allemand Konrad Vössing, en 20046, a consacré à ce thème 180 pages fort bien documentées ; il a réuni avec soin les textes, mais son approche du sujet est celle d’un philologue et d’un historien classique et n’éclaire pas d’une façon nouvelle des histoires de banquet qui ont défrayé la chronique et se situent hors des normes de la bienséance antique. Sont venus s’y ajouter les actes de deux colloques qui enrichissent certains aspects du sujet7 et ébranlent en tout cas l’idée reçue du rôle prépondérant des Achéménides dans la construction de la royauté hellénistique8. Nous nous rangeons dans ce courant « révisionniste », comme le lecteur le découvrira ci-dessous.
12Bibliographie
Bertrand Jean-Marie, 1990, « Formes de discours politiques : décrets des cités grecques et correspondance des rois hellénistiques », dans Nicolet Claude (dir.), Du pouvoir dans l’Antiquité : mots et réalités, Genève, Droz, p. 101-115.
Briant Pierre, 1996, Histoire de l’Empire perse de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard.
Capdetrey Laurent, « La “table du roi” : une institution hellénistique ? », dans Catherine Grandjean, Christophe Hugoniot et Brigitte Lion, 2013, Le Banquet du monarque dans le monde antique, Rennes – Tours, Presses universitaires de Rennes – Presses universitaires François-Rabelais, p. 173-198.
Erskine Andrew, Llewellyn-Jones Lloyd et Wallace Shane (ed.), 2017, The Hellenistic Court, Monarchic Power and Elite Society from Alexander to Cleopatra, The classical Press of Wales.
Esposito Arianna (dir.), 2015, Autour du « banquet », Modèles de consommation et usages sociaux, Dijon, Éditions universitaires de Dijon.
Étienne Roland c.r. de Hoepfner Wolfram et Brands Gunnar (ed.), 1996 ; Nielsen Inge, 1994 et 1997, p. 137-161 dans Topoi 8 (1998), p. 347-355.
Grandjean Catherine, Hugoniot Christophe et Lion Brigitte, 2013, Le Banquet du monarque dans le monde antique, Rennes – Tours, Presses universitaires de Rennes – Presses universitaires François-Rabelais.
Hoepfner Wolfram et Brands Gunnar (ed.), 1996, Basileia. Die Paläste der hellenistischen Könige. Internationales Symposion in Berlin 1992, Mainz.
Ma John, 2004, Antiochos III et les cités de l’Asie mineure occidentale (original en anglais 1999).
Ma John, « Les rois », dans Erskine Andrew (dir.), 2004, Le Monde hellénistique, Espaces, sociétés, cultures 323-31 av. J.-C., Presses universitaires de Rennes, p. 241-263.
Nicolet Claude (dir.), 1990, Du pouvoir dans l’Antiquité : mots et réalités, Genève, Droz.
Nielsen Inge, 1997, « Royal Palaces and Type of Monarchy : do the Hellenistic Palaces reflect the Status of the King ? », Hephaistos 15, p. 137-161.
Nielsen Inge, 1999, Hellenistic Palaces, Tradition and Renewal2, Aarhus.
Nielsen Inge (ed.), 2001, The Royal Palace Institution in the First Millenium BC, Monographs of the Danish Institute at Athens 4.
Savalli-Lestrade Ivana et Cogitore Isabelle (dir.), 2010, Des rois au prince, Pratiques du pouvoir monarchique dans l’Orient hellénistique et romain (ive s. av. J.-C.-iie s. ap. J.-C.), Grenoble.
Schalles Hans Joachim, 1985, Untersuchungen zur Kulturpolitik der pergamenischen Herrscher im dritten Jahrhundert vor Christus, Istanbuler Forschungen 36.
13Vössing Konrad, 2004, Mensa Regia, Das Bankett beim hellenistischen König und beim römischen Kaiser, Leipzig.
Vössing Konrad, « Alexandre au banquet entre amis et sujets : la proskynèse », dans Catherine Grandjean, Christophe Hugoniot et Brigitte Lion, 2013, Le Banquet du monarque dans le monde antique, Rennes – Tours, Presses universitaires de Rennes – Presses universitaires François-Rabelais, p. 231-260.
1 MA 2004 et 2004 A, p. 262 où l’auteur définit sa façon de concevoir la monarchie hellénistique. Il se réfère aux travaux de J.-M. Bertrand « qui a repensé le phénomène du pouvoir royal comme discours (1990) ; la théorie de l’acte de parole nous aide à comprendre comment le royaume existait d’abord comme déclaration royale. » et à ceux de P. Briant 1996 dont il tire : « le paradigme achéménide est un facteur déterminant dans la généalogie de la royauté hellénistique… ». J’ai montré que la cour des Argéades était un modèle tout aussi important, cf. aussi ci-dessous, p. 18, 59-61, 73-74, 128.
2 Schalles 1985, p. 1-2.
3 Hoepfner, Brands, 1996 ; Nielsen, 1999, 2001.
4 Elias 1983 et les remarques sur l’œuvre de Norbert Elias dans Erskine et alii 2017, « Introduction », p. xv-xxx.
5 Erskine, Llewellyn-Jones, Wallace, 2017.
6 Vössing, 2004.
7 Grandjean, Hugoniot, Lion 2013 ; Esposito 2015.
8 Cf. ci-dessus, n. 1 ; Vössing 2013, p. 231-260 montre que même la proskynèse est repensée par Alexandre ; de son côté Capdetrey 2013, p. 173-198 a montré les différences entre le banquet achéménide et le banquet hellénistique : « en renonçant pour l’essentiel à la pratique complexe, institutionnalisée et ritualisée de la table du roi, les rois hellénistiques s’affranchirent aussi d’un lien singulier avec le territoire dominé ».
- Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- ISBN : 978-2-406-12239-5
- EAN : 9782406122395
- ISSN : 2430-8250
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12239-5.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/01/2022
- Langue : Français