Les éléments syntaxiques et lexicaux de Hölderlin appréciés des Expressionnistes, une voie sans issue
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Lectures élégiaques de Hölderlin et André Chénier au xixe et au xxe siècles
- Pages : 183 à 185
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 120
Les éléments syntaxiques
et lexicaux de Hölderlin
appréciés des Expressionnistes,
une voie sans issue
Dans son article, nous l’avons vu, Gunter Martens signale que les Expressionnistes sont surtout marqués par le renouvellement de la langue opéré par Hölderlin. En quoi ce renouvellement concerne-t-il toutefois les élégies en particulier ? Kurt Bartsch insiste sur l’essor des enjambements depuis Hölderlin dans l’histoire du lyrisme allemand : „In der Geschichte der deutschen Lyrik seit Hölderlin findet man Zeilensprünge nirgends in solcher Häufigkeit und Vielfältigkeit wie bei den Expressionisten1.“ Néanmoins, s’il est vrai que Hölderlin demeure l’un des premiers à multiplier les enjambements, sous l’influence de Pindare2, il ne s’agit pas d’une particularité élégiaque. Dans sa thèse de doctorat, Ernst Bayerthal relève d’autres procédés stylistiques empruntés par Trakl à Hölderlin. Il insiste sur l’« emploi audacieux du comparatif absolu » („kühne Verwendung des absoluten Komparativs3“). Pour illustrer son propos, il cite les vers suivants de l’élégie „Heimkunft“ (« Retour ») : „Denn bacchantischer zieht drinnen der Morgen herauf4.“Afin de bien souligner l’apport de Hölderlin à Trakl, il cite ensuite un vers de ce dernier où l’inspiration de Hölderlin apparaît clairement : „Denn strahlender immer erwacht aus schwarzen 184Minuten des Wahnsinns / Der Duldende an versteinerter Schwelle5.“Puis, il insiste sur l’« emploi particulier du participe présent », („eigentümliche Verwendung des participium Praesentis6“). Il cite un vers de „Der Archipelagus“ (« L’Archipel ») : „Grünen, ihr Holden ! Verbergt dem schauenden Tage die Trauer7 !“Il le rapproche alors d’une expression relevée dans le texte en prose de Trakl „Traum und Umnachtung“ (« Songe et folie ») : „ein sagender Baum8“. De même, il relève sous la plume des deux poètes la présence marquée d’adjectifs substantivés9. Il se réfère ainsi à „Menons Klagen um Diotima“ (« Ménon pleurant Diotima ») : „[…] aber ein Freundliches muß / Fernher nahe mir sein, […]Aber o du, die […] Da ich versank vor dir, tröstend ein Schöneres wies10.“Puis, il propose plusieurs citations de Trakl où il adopte le même procédé : „Über ein Träumendes neigt sich gerne grünes Gezweig ; […] Sanfter ein Krankes nun und lauschend im Wahnsinn‹.› […] Wer bist du Ruhendes unter hohen Bäumen11 ?“Toutefois, Ernst Bayerthal ne se contente pas de ces passages élégiaques pour mener sa démonstration : il multiplie en effet les citations, tous genres confondus. Nous ne pouvons par conséquent retenir de cette analyse que l’intérêt porté par les Expressionnistes pour la langue en général, et non pour les élégies de Hölderlin en particulier. Le véritable héritage des élégies de Hölderlin semble se trouver ailleurs que dans ses innovations lexicales et syntaxiques que nous observons finalement dans l’ensemble de son œuvre. Si ni le lexique ni la syntaxe ne suffisent à déterminer le legs élégiaque de Hölderlin chez les auteurs du premier xxe siècle, il faut tenter de le saisir et de le mesurer à partir du contexte et de la tonalité. 185Observons comment les termes empruntés aux élégies sont insérés dans les poèmes concernés et prêtons attention au jugement que les poètes émettent à propos des élégies.
1 Bartsch, 1974, p. 62 : « Dans l’histoire du lyrisme allemand, on ne trouve nulle part ailleurs, depuis Hölderlin, d’enjambements aussi nombreux et aussi variés que sous la plume des Expressionnistes. »
2 Dans notre premier ouvrage Le Renouvellement de l’écriture élégiaque sous la plume de Hölderlin et d’André Chénier, nous avons insisté sur l’influence formelle exercée sur Hölderlin par Pindare qui morcelle ses vers. Nous avons montré que ce modèle pindarien était à l’origine des enjambements tant prisés par le poète allemand à une époque où ce choix stylistique tranchait avec les formes prônées par les classiques.
3 Bayerthal, 1926, p. 57 : « l’emploi audacieux du comparatif absolu. »
4 Hölderlin, t. I, 1992-1999, p. 291. C’est nous qui soulignons : « Car plus bachique encore voici que monte le matin. » Trad. de Deguy : Hölderlin, 1967, p. 815.
5 Trakl, 2008, p. 79 : « Car toujours plus radieux, s’éveille des instants sombres de la folie, / Le patient sur le seuil pétrifié. » Il s’agit du poème „Gesang des Abgeschiedenen“ (« Chant du défunt »).
6 Bayerthal, 1926, p. 57.
7 Hölderlin, t. I, 1992-1999, p. 262. C’est nous qui soulignons : « Herbes tendres, cachez tout ce deuil au jour qui regarde et comprend ! » Trad. de Tardieu : Hölderlin, 1967, p. 830.
8 Trakl, 2008, p. 82 : « un arbre doué de parole ».
9 Bayerthal, 1926, p. 58 : „Hölderlin sustantiviert das Neutrum des Adjektivums mit oder ohne unbestimmtem Artikel.“ : « Hölderlin substantivise le neutre de l’adjectif avec ou sans article indéfini. »
10 Hölderlin, t. I, 1992-1999, p. 268-270. C’est nous qui soulignons : « Il faut que de très loin / Me soit venu un signe, […] toi qui me montrais […] / Consolante, quand je sombrai, beauté plus haute. » Trad. de Roud : Hölderlin, 1967, p. 795-797.
11 Trakl, 2008, p. 207-209-215 : « Au-dessus d’un rêveur, de vertes branches aiment à se pencher. […] Plus tendrement maintenant un malade, l’oreille attentive dans sa folie <.> […] Qui es-tu, toi qui reposes sous de hauts arbres ? » C’est nous qui soulignons.
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-13116-8
- EAN : 9782406131168
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13116-8.p.0183
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 14/09/2022
- Langue : Français