Introduction à la deuxième partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Surréalisme au grand air. Tome II. Penser la nature
- Pages : 165 à 166
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 117
Introduction
à la deuxième partie
Ce fut peut-être ce tour d’esprit qui le conduisit à croire que le champ le plus avantageux, sinon le seul légitime, pour l’exercice de la faculté poétique, consiste dans la création de nouveaux modes de beauté purement physique.
E. A. Poe
Si la notion d’« espace naturel », aujourd’hui réservée à la géographie, à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire désigne généralement un lieu nettement circonscrit par les frontières qui le signalent à l’attention du promeneur, il va sans dire que les espaces naturels que nous nous proposons d’examiner ici dépassent de loin le cadre de la géographie, fût-elle redéfinie ou réinventée1. Toute réflexion sur la nature conduit en effet à penser l’étendue et les limites à l’intérieur desquelles elle peut s’exercer, les lignes de partage entre humain et non-humain, mobiles, ayant par exemple remplacé aujourd’hui l’opposition frontale entre l’homme et la nature. La question de la nature humaine, au moment où la psychanalyse modélise la psyché et entend libérer l’intériorité de 166ses mythologies en substituant au sujet biologique de la psychiatrie, un sujet de parole, semble ainsi ressurgir à travers les représentations du corps et de la pensée qui empruntent pour la plupart leurs figures à des motifs ou des phénomènes naturels. Le premier espace naturel, ce pourrait donc être, celui d’une intériorité – psychique ou organique – qui, conçue en termes de forces et d’instincts, n’aurait à sa portée d’autre interprétant que les lieux, les configurations, les mouvements et les transformations du monde physique2. Le rêve et les différentes manifestations de l’inconscient étant en effet déportés dans l’espace de leur découverte, nous allons voir comment la nature s’insinue dans le corps et ce, de manière parfois très différente selon les auteurs, mais aussi comment le corps et ses organes envahissent parfois la nature qu’ils contribuent ainsi à bouleverser ou à interroger. Pour l’heure, laissons aux « possédés » le soin d’ouvrir la voie et de formuler, en guise de prologue, la question suivante :
Si je puis successivement faire parler par ma bouche l’être le plus riche et l’être le plus pauvre du monde, l’aveugle et l’halluciné, l’être le plus craintif et l’être le plus menaçant, comment admettrai-je que cette voix, qui est, en définitive, seulement la mienne, me vienne de lieux même provisoirement condamnés, de lieux où il me faut, avec le commun des mortels, désespérer d’avoir accès3 ?
1 On connaît le goût des surréalistes pour les cartes imaginaires, de la carte du « Monde au temps des surréalistes » parue en 1929 dans Variétés, à la carte de Lewis Carroll dans La Chasse au Snark, traduit la même année par Aragon. De cette propension à substituer aux coordonnées de l’espace des coordonnées affectives, le texte 2 de Poisson soluble fournit un bon exemple puisque confronté à un panneau d’affichage des trains en partance, le poète imagine son itinéraire de la façon suivante : « les noms de villes ont été remplacés par des noms de personnes qui m’ont touché d’assez près. Irai-je à A, retournerai-je à B, changerai-je à X ? Oui, naturellement, je changerai à X. Pourvu que je ne manque pas la correspondance avec l’ennui ! Nous y sommes : l’ennui, les belles parallèles, ah ! que les parallèles sont belles sous la perpendiculaire de Dieu ». OC, t. I, p. 353.
2 Cyril Bagros dans son essai L’Espace surréaliste, Promenade en zone interdite, coll. « Librissimo », Phénix Éditions, 2003, utilise comme cadre théorique les écrits psychanalytiques de Didier Anzieu et la représentation de l’enveloppe psychique comme « Moi-peau » qui permet d’analyser les échanges entre espace du dedans et espace du dehors. Bien qu’il s’applique à définir les différentes métaphores de l’intériorité présentes dans les récits surréalistes, le but de Cyril Bagros est pourtant d’attribuer une fonction à chacune de ces modalités de l’espace, ce qu’évoquent assez les titres des sous-parties qui organisent par exemple le première chapitre « L’espace anthropocentrique », titres empruntés aux différentes fonctions du Moi-peau décrites par Didier Anzieu : « Contenir », « Protéger », « Régénérer », « Orienter », « Capter », « Réunir ». Notre approche se concentrera sur les motifs naturels qui habitent cet espace intérieur et les tensions qu’ils permettent de figurer d’un point de vue strictement poétique, l’enjeu étant de creuser le paradoxe initial d’une nature rejetée d’abord comme système et comme valeur, mais introjectée dans l’espace le plus intime : la psyché.
3 André Breton, en collaboration avec Paul Éluard, « Les Possessions », L’Immaculée conception, [1930], OC, t. I, p. 848.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14352-9
- EAN : 9782406143529
- ISSN : 2260-7498
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14352-9.p.0165
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/03/2023
- Langue : Français