Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Solitaire et le Ministre. Autour de la correspondance entre Arnauld d’Andilly et Arnauld de Pomponne (1642-1674)
- Pages : 9 à 12
- Collection : Univers Port-Royal, n° 53
Préface
Dans la famille Arnauld, on demande souvent Antoine, sa sœur, Angélique, plus rarement son frère ou son neveu. Pourtant, comment comprendre l’attrait et la particularité de cette grande famille – à tous les sens du terme – dans l’histoire religieuse et politique de la France au Grand Siècle sans évoquer et scruter la personnalité de Robert et Simon Arnauld ? C’est à la redécouverte de ces deux figures éminentes de la vie sociale et politique du xviie siècle et, plus encore, d’une relation filiale et paternelle rare que nous invite aujourd’hui Remi Mathis.
Sur la lancée de sa très belle thèse d’École des chartes consacrée à la destinée de Simon Arnauld, marquis de Pomponne, soutenue en 2007, R. Mathis a souhaité s’arrêter sur les liens qui unissaient Simon à son père. L’un et l’autre sont plus proches que ne le laisseraient penser une vue trop simpliste de leurs carrières respectives. Robert Arnauld (1589-1674), seigneur d’Andilly, était l’un des quatre fils du célèbre avocat général au parlement de Paris durant le règne de Henri IV. Formé au contact de l’un de ses oncles collaborateurs de Sully, il atteignit rapidement les cercles les plus élevés du pouvoir durant la régence de Marie de Médicis. Ayant laissé échapper l’occasion de devenir secrétaire d’État en 1622, il ne retrouva plus par la suite pareille opportunité. L’arrivée au pouvoir de Mazarin sonna le glas de ses espérances politiques et il décida en 1643-1645 de se retirer de la vie de cour et de vivre sur le domaine de l’abbaye de Port-Royal des Champs. Désormais seul, selon les mots de son père Robert, à rester « dans les engagemens du monde » (lettre 3, 23 octobre 1643), Simon Arnauld (1618-1699) venait alors de recevoir sa première mission d’importance, assurer l’administration et la logistique des troupes françaises stationnées à Casal dans le Montferrat.
La fin des années 1650 marque pour lui un temps de difficultés, car au handicap que constituait la teinture janséniste de sa carrière vint se greffer le choix qu’il fit d’entrer dans la clientèle du surintendant Fouquet. L’éviction puis la condamnation de ce dernier après 1661 lui 10valent un exil intérieur dont il sortit à la faveur d’un apaisement sur le front de la querelle janséniste. Promu ambassadeur du roi en Suède puis à La Haye, Arnauld de Pomponne sut gagner la confiance de Louis XIV qui en fit son secrétaire d’État pour remplacer en 1671 le défunt Hugues de Lionne.
Durant toutes ces années de hauts et de bas politiques, le père et le fils n’ont cessé de correspondre et d’échanger. Un patient travail de collecte de Paris à Utrecht en passant par Troyes, a permis à R. Mathis de retrouver le texte de 95 lettres, sur un total sans doute plus proche de quelques milliers produites entre 1642 et 1673. La structure de cette mince manne est évidemment fonction des aléas de la conservation, de la piété filiale à la persécution des jansénistes en passant par l’intérêt des hommes d’État ou diplomates collectionneurs, comme Paulmy ou Louis Delavaud. Elle est également étroitement dépendante de la distance physique des auteurs. Nul étonnement dès lors à ce que les blocs de correspondance s’articulent principalement autour des voyages européens de Pomponne, Casal, Stockholm ou La Haye. Les moments importants de la carrière de Pomponne, son exil à partir de 1661, son entrée en charge au secrétariat d’État en 1671, ont également justifié une meilleure préservation.
L’édition qu’en donne R. Mathis obéit aux règles de l’art : fidèle et lisible tout à la fois, sa publication vise et touche ce but si difficile à atteindre pour un historien scrupuleux : rendre sensible l’expression écrite d’un temps passé et la rendre intelligible à des lecteurs contemporains du xxie siècle. Il y ajoute une empathie particulièrement nette dans les fines introductions à ces lettres. Elles ne sont ni des sommaires analytiques habituellement requis ni des paraphrases plates. Elles invitent à un plaisir rare, celui de considérer ce dialogue épistolaire pour ce qu’il est, un fil ininterrompu qui doit se parcourir prioritairement de manière continue et non a priori pour y puiser tel ou tel élément ponctuel. Qu’on ne cherche pas cependant ici une œuvre littéraire méconnue. En dehors de quelques morceaux de choix (lettre 3 du 23 octobre 1643, par laquelle Robert Arnauld annonce son intention de se retirer du monde), les missives échangées ne constituent nullement un recueil remarquable pour l’époque. Pomponne, pourtant sectateur averti des salons de son temps, en convient lui-même volontiers quand il évoque les talents de Mme de Sévigné, qui est à l’occasion sa correspondante : 11« Il n’y a qu’elle au monde qui escrit de ceste sorte ny qui parle aussi bien qu’elle escrit » (lettre 60, 17 septembre 1667).
L’intérêt de cette correspondance est ailleurs. Il est avant tout dans l’équilibre que nous offrent les hasards de la tradition des textes. Ni pleinement domestiques, ni totalement dévorées par les considérations sociales, religieuses ou politiques, ces lettres sont d’abord l’expression d’une relation paternelle et filiale, moins hiérarchique qu’il y paraît et pour tout dire complice – « ayant toujours vescu avec vous non pas comme avec mon fils, mais comme avec mon frere », comme l’écrivait d’Andilly le 23 octobre 1643 (lettre 3). L’éducation des enfants de Simon Arnauld y tient une place toute particulière, tout comme les plantations de la propriété de Pomponne. Dans un cas comme dans l’autre, ces considérations d’ordre privé touchent cependant à des débats plus larges dans la société, tant on connaît l’importance de l’enseignement des jeunes enfants chez les port-royalistes – le cousin de Pomponne, Le Maistre de Sacy, a veillé lui-même sur l’apprentissage de ses rejetons – et la place aussi originale que reconnue de d’Andilly dans la science de la taille des arbres sous le règne de Louis XIV.
L’historien trouvera de multiples éléments à verser aux dossiers aussi divers que la transition du gouvernement lors du décès de Mazarin, la perception des réalités politiques suédoises par un diplomate louis-quatorzien ou encore la manière pour un vieux père encore courtisan de remercier le souverain, qui le séduit littéralement, pour la charge de secrétaire d’État donnée à son fils (annexe III). Ce fils d’ailleurs répugne aux appellations modernes des responsables gouvernementaux : « Je n’aime point le nom que l’on donne à cette sorte de place de “ministre” » (lettre 90, 26 janvier [1672]). Le plus solitaire des deux n’est du reste pas toujours celui que l’on croit et Pomponne sait dire l’isolement qui est le sien dans l’espace naissant d’un Versailles encore en chantier (lettre 92, 13 novembre [1672]). La place des querelles religieuses dans leurs échanges est modérée et ne pollue pas plus que nécessaire les propos échangés, principalement lorsque le sort de tel ou tel membre de la famille y est intéressé. Elles se reçoivent pour ainsi dire en héritage chez les Arnauld.
La famille, parlons-en. L’une des grandes leçons de l’édition savamment procurée par Rémi Mathis est de nous renseigner avec exactitude sur la genèse des Mémoires de Robert Arnauld d’Andilly. Cette œuvre, qui n’était pas initialement vouée à la publication, a été éditée dès 1734 12et vient tout récemment d’être rééditée par les soins de Régine Pouzet (Paris, 2008). La lecture de la correspondance entre le père et le fils nous apprend qu’elle est une commande de Simon à son père. Destinée initialement à servir de recueil « d’exemples domestiques » à ses enfants, fondée autant sur les souvenirs de Robert que sur les documents généalogiques en possession de Simon, l’œuvre dévie rapidement vers un exercice d’un genre moins familial. Pomponne, qui plaidait pour « un trésor qui ne doit enrichir que ceux qui portent le nom d’Arnauld » (lettre 40, 11 décembre 1666) et qui avait beaucoup de mal à substituer le terme de « maison » à celui de « famille », regrettait presque que le travail de son père fût « trop bien escrit » (lettre 43, 8 juillet 1667). D’un projet qui s’apparenterait aux écrits du « for privé », si en vogue aujourd’hui chez les historiens, d’Andilly avait insensiblement glissé vers un discours justificatif de son action et de celle des Arnauld en général.
La dernière lettre conservée de Pomponne à son père est datée du camp de Maastricht le 18 juin 1673, au début de la Guerre de Hollande. Le secrétaire d’État de Louis XIV y parle tout à la fois de l’éducation de ses enfants, de la réforme de l’abbaye de La Trappe par Rancé, ami de son père, et de l’ouverture de la tranchée du roi, là même, où une semaine plus tard, d’Artagnan trouva la mort. Comment dire mieux qu’avec cette énumération si évocatrice le petit trésor que mettent sous nos yeux avec générosité Rémi Mathis et les éditions Garnier ? Loin de l’image trop étriquée des Arnauld réduits à l’épopée janséniste, le lecteur gourmand y trouvera la saveur même du Grand Siècle.
Olivier Poncet
Professeur à l’École nationale des chartes
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-09244-5
- EAN : 9782406092445
- ISSN : 2491-2530
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-09244-5.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 06/03/2024
- Langue : Français