La rencontre entre la représentation des échanges matériels et les effets de voix propres au roman problématise et complexifie la définition de ce que serait un échange équitable. Ainsi, sous la plume du témoin indigné par ce qu’il analyse comme un gâchis économique et social qu’est Boisguilbert, dans la voix blanche du narrateur sans passion ni morale fixe de Courtilz comme dans le grand roman polyphonique de Montesquieu, les échanges économiques sont incarnés et verbalisés et cette verbalisation-même est révélatrice de la diversité des points de vue sur les échanges en même temps qu’elle fait entendre leurs inégalités et leurs imperfections.
La rencontre entre les formes personnelles du discours et l’exigence de justice, de réciprocité et d’utilité révèle la difficulté de trouver un optimum des échanges qui se déplace et varie en fonction de la position du sujet d’énonciation du discours sur les échanges. Les inflexions des voix, de l’indignation affective de Boisguilbert à la polyphonie du roman épistolaire de Montesquieu, en passant par l’étrange voix cynique du narrateur de Courtilz, désignent des solutions diverses afin de faire entendre un discours sur les échanges qui englobe mais dépasse le domaine économique. Dans ces divers textes, du plus engagé au plus apparemment distant, les effets et les modulations visent à faire entendre la nécessité de répartir les pertes sur les individus en situation d’échange. Sans cette répartition des pertes, l’échange repose sur une logique sacrificielle que le bénéficiaire de l’échange s’efforce de masquer. Les effets de voix et les modulations que permettent les textes et les fictions « à voix », en première personne (roman-mémoires, pamphlet engagé, roman épistolaire) ont pour conséquence, si ce n’est pour visée, de faire entendre les autres voix de l’échange.