Le texte du mythe de fondation de Lugdunum
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Mythe de fondation de Lugdunum
- Pages : 17 à 18
- Collection : Kaïnon - Anthropologie de la pensée ancienne, n° 22
Le texte du mythe
de fondation de Lugdunum
Le texte du mythe qui raconte la fondation de Lugdunum fait partie d’une anthologie écrite en grec attribuée à Plutarque. Il s’intitule Origine des noms de fleuves, de montagnes et de ce qui s’y trouve, mais est mieux connu sous son titre abrégé en latin : De fluviis. Nous reprenons la traduction de Ch. Delattre et, sauf indication contraire, nous suivons son édition du De fluviis. Le passage forme le sixième chapitre et on peut y lire :
6.1. L’Arar est un fleuve de Gaule, qui tient ce nom du fait qu’il s’harmonise au Rhône : il s’y jette sur le territoire des Allobroges. Il portait auparavant le nom de Brigoulos, et voici pourquoi il changea de nom. À la faveur d’une chasse, Arar pénétra dans une forêt et découvrit son frère Celtibère qui avait été tué par des bêtes sauvages ; éperdu de douleur, il se blessa mortellement et se jeta dans le fleuve Brigoulos, qui prit de lui son nouveau nom d’Arar.
6.2. Le fleuve donne naissance à un poisson de grande taille auquel les habitants donnent le nom de σκολόπιδος[épineux]. Cet animal est blanc lorsque la Lune croît, et lorsqu’elle décroît devient tout noir. Quand il devient par trop grand, ses propres épines le tuent.
6.3. On y trouve – dans la tête – une pierre qui ressemble beaucoup à un grain de sel ; elle fait des merveilles pour les fièvres quartes, à condition de l’appliquer sur la partie gauche du corps quand la Lune décroît, comme le raconte Callisthène de Sybaris dans ses Histoires de Gaule, XIII, à qui Timagène de Syrie a repris ce sujet.
6.4. À proximité du fleuve s’élève une montagne du nom de Lougdounos. Voici pourquoi elle a changé de nom. Momoros et Atépomaros furent chassés du pouvoir par Séséroneus et sur injonction se rendirent sur cette colline avec l’intention d’y fonder une cité. Les fondations étaient déjà creusées, quand soudain des corbeaux apparurent en volant de tous côtés et couvrirent les arbres à l’entour. Momoros était expert en interprétation oraculaire de vols d’oiseaux : il appela donc la cité Lougdounos, car loûgon est le nom du corbeau dans leur langue, et doûnon s’applique à une éminence, comme le raconte Cleitophon dans ses Fondations, XIII1.
18Signalons quelques difficultés rencontrées à la lecture et les options choisies.
Le choix du nom Arar pour désigner la Saône est fréquent dans les textes latins2 mais il sert aussi ici pour construire un jeu de mots avec la racine grecque har-, présente dans le verbe harmózo, « je m’unis » qui concorde, aussi, avec la réalité géographique de la confluence entre deux fleuves.
Le nom du poisson pose un problème. Le terme skolopidos se trouve seulement dans le manuscrit qui transmet le De fluviis (il constitue un hapax). Mais des auteurs anciens qui citent ce texte en donnent des variantes. Nous reviendrons sur la question.
Quelques éditeurs considèrent que la « tête » est celle du fleuve3. Même si kephalé peut indiquer en grec la naissance d’un fleuve, le premier sens reste « tête d’un homme ou d’un animal4 ». Par ailleurs le texte parle d’un poisson avec des caractéristiques merveilleuses puis d’une guérison mise en rapport avec les cycles lunaires qui affectent aussi le poisson. Il semble superflu de chercher une autre localisation pour le remède que la tête de l’animal. Enfin, cette pierre « dans la tête » aide à identifier l’espèce5.
La phrase grecque qui suit la citation du nom de Séséroneus ne dispose pas de verbe, ce qui a donné lieu à la correction du texte par quelques ajouts. Mais Ch. Delattre signale que cet élargissement « atténue la concision caractéristique du texte6 ».
Le texte décrit la construction d’un paysage, la topographie, les noms des lieux, les histoires des personnages qui l’habitent et le fondent. Il faut commencer à l’analyser établissant quelques-unes des grilles de lecture possibles d’un texte paysager.
1 Traduction de Charles Delattre, dans Charles Delattre, 2011, Pseudo-Plutarque, Nommer le monde. Origine des noms de fleuves, de montagnes et de ce qui s’y trouve, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, p. 107-111.
2 César, Guerre des Gaules, I, 12, 1-2 ; 13, 1 ; 16, 3 ; VII, 90 ; VIII, 4, 3 ; Pline, Histoire Naturelle, III, 5, 32-33 ; Decourt, Lucas 2000.
3 Calderón et al. 2003, p. 143 ; Rodríguez Moreno 2005, p. 188, qui suivent K. Müller, Geographi Graeci Minores.
4 Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, s.v.kephalé, p. 522.
5 Pour l’argument philologique, Delattre 2011, p. 108-109. Pour l’espèce, infra p. 73-81.
6 Delattre 2011, p. 108 ; Calderón et al. 2003, p. 142 ne corrigent pas non plus le texte.
- Thème CLIL : 3127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie antique
- ISBN : 978-2-406-13339-1
- EAN : 9782406133391
- ISSN : 2428-713X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13339-1.p.0017
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/11/2022
- Langue : Français