Entre decepcion et miseracion Le réseau Faux Semblant à la lumière des jeux émotionnels religieux
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Jeu des émotions dans la littérature française médiévale. Du beau au faux semblant
- Pages : 433 à 514
- Collection : POLEN - Pouvoirs, lettres, normes, n° 34
Entre decepcion et miseracion
Le réseau Faux Semblant à la lumière
des jeux émotionnels religieux
Aux sources du réseau Faux Semblant
Le personnage de Faux Semblant connaît une postérité importante dans la veine religieuse dans laquelle l’inscrit Jean de Meun sous son habit de Frère Mendiant. Il incarne à la perfection la peur de la dévotion hypocrite qui se pose alors avec obsession. Il dépasse largement les enjeux de retenue des émotions et invite à une réflexion plus vaste sur les dynamiques mensongères qu’ils peuvent impliquer, dans la sphère religieuse en particulier, revendiquée d’emblée dans LeRoman de la Rose, et à sa suite. Celle-ci s’actualise autour des problématiques de l’habit ou des rituels, tels que celui de la confession, en écho aux propres particularités et aventures du moine mendiant. Avec l’éclat qu’on lui connaît, Faux Semblant met en question les signes supposés formels des émotions investies dans la foi chrétienne. Jean de Meun offre ce faisant un témoignage remarquable du développement de ces pratiques, qui semblent répondre aux objectifs de contrôle toujours plus importants de l’Église. De manière presque paradoxale, ce désir d’encadrer la pratique religieuse se caractérise aussi bien par un idéal de retenue généralisé que par une attention accrue portée aux apparences jugées indispensables, pour leur évaluation justement, des émotions convoquées – par le biais des tenues ou des indices physiologiques alors fort sollicités. L’essor que connaît la vie affective au sein des cloîtres et monastères n’a en effet d’égal que celui de sa dimension corporelle. Un processus de revalorisation la conduit même au rang de signe de l’intériorité. La prise en compte des évolutions essentielles dans la réflexion religieuse nous paraît indispensable pour saisir toute la subtilité des jeux mis en 434place par Faux Semblant, et surtout après lui. Nous avons pu mesurer toute l’influence que l’idéologie chrétienne exerce sur les appels au contrôle des émotions1, mais elle joue également un rôle fondamental dans les appels à leur manifestation. L’importance conférée aux indices émotionnels et corporels au cœur des rituels dévotionnels alors en plein développement dicte que nous nous y arrêtions en amorce de notre analyse des manipulations émotionnelles dans l’univers religieux, en réaction au personnage de Faux Semblant.
Nous l’avons dit2, la réforme grégorienne s’avérait déjà propice à la propension émotionnelle. Elle soutenait en particulier le développement de la prière intérieure et laissait ainsi une place croissante à l’introspection3. Le renouveau culturel du xiie siècle renforce cet intérêt pour l’affect, sous l’influence des théories platoniciennes et arabes notamment4. Un modèle d’intériorisation, nourri entre autres de la morale de l’intention d’Abélard5, se met progressivement en place et ouvre la porte au développement des théories des passions dans la théologie morale des xiie et xiiie siècles. Un nouveau paradigme affectif émerge ainsi. Il promeut une définition du sujet humain par ses émotions, en particulier chez Jean de La Rochelle et Thomas d’Aquin, qui marque l’aboutissement de ce mouvement de réflexion6. Un bon usage des passions se dégage des pratiques dévotionnelles, liées notamment aux rituels de l’eucharistie et de la pénitence élaborés dans ce contexte au xiie siècle7, mais aussi dans la prédication et dans la mystique du xiiie siècle8. Ce 435bon usage, qui conditionne l’ensemble de l’expérience religieuse, a donc la particularité de mêler appel au contrôle des émotions et incitation à leur manifestation. L’importance accordée à la sphère publique dans divers rituels favorise cette concentration sur les données visibles de l’affectivité religieuse. De manière plus générale, les rapports entre corps et âme, le plus souvent construits au préjudice du premier dans la morale chrétienne, se complexifient9. Les dogmes de l’Incarnation et de la Passion contribuent à cette reconsidération, qui aboutit aux environs du xie siècle10. Toujours sous garantie de contrôle bien sûr, le corps s’associe alors au Salut de l’âme, au gré d’une valorisation de la sphère corporelle comme véhicule de communication avec Dieu et même d’intensification du lien spirituel forgé dans l’émotion11. Le corps joue ainsi un rôle croissant dans la spiritualité des xiie et xiiie siècles, sous l’influence une fois encore de Thomas d’Aquin, mais aussi de Pierre le Chantre, par exemple, qui en défend le caractère authentificateur12 : « Gestus vero corporis est argumentum et probatio mentalis devotionis. Status autem exterioris hominis instruit nos de humilitate et affectu interioris13 ». Sa formule est révélatrice des efforts dédiés à repenser le lien entre homo interior et homo exterior, dans une volonté double d’encadrer les usages pénitentiels et de contrôler leurs dérives. La valeur accordée au corps est rendue explicite par le doublet argumentum et probatio qui atteste le souhait de défense de l’instance corporelle dans la pratique dévotionnelle. Le corps est ainsi envisagé comme un « lieu privilégié de cette efficacité religieuse de l’émotion14 », dans une dynamique réciproque de grand intérêt. Les symptômes physiques sont perçus comme autant de preuves formelles des émotions, mais peuvent aussi dès lors revêtir leur propre efficacité émotionnelle15. Nous aurons l’occasion de commenter davantage l’engagement corporel requis dans la pratique religieuse, à 436la source de nombreuses modifications dans les rituels chrétiens, mais aussi de dérives potentielles, découlant de cette efficacité qui peut lui être attachée en tant que gage d’authenticité. Ces dérives trouvent un écho certain dans les débats qui entourent la question du mensonge, dans l’ouverture qu’ils impliquent justement alors à la sphère corporelle. La rencontre des réflexions corporelles et mensongères nous permet d’interroger la place exacte des jeux des émotions, portés par l’apparence qui en est livrée, dans la théorie du mensonge.
Cette ambivalence de prescriptions, entre retenue et extériorisation, se reflète en effet dans les réflexions portées sur la question du mensonge. Son évaluation, fondée jusqu’alors avant tout sur les critères augustiniens, se voit élargie. Elle intègre des paramètres liés davantage à l’intention qu’à la faute inhérente de la fausseté, mais aussi des composantes non-verbales, tout en étant plus débattue que jamais. Le rôle que cette discussion joue dans la postérité de Faux Semblant nous conduira aussi à l’envisager plus en détails au gré de nos analyses. Tout autant que l’importance prise par les apparences et les rituels, Faux Semblant reflète ces prises de position et les questionnements qui les accompagnent. Il s’inscrit donc en parfait accord avec l’ensemble des problématiques mises en lumière à son époque. C’est ainsi que son personnage évolue dans la littérature qui s’en fait l’écho, davantage qu’en lien strict avec le Frère Mendiant qu’il incarnait, comme un symbole de ce double mouvement de crainte et de dénonciation de l’hypocrisie. Faux Semblant suscite d’autant plus de réactions qu’il révèle le potentiel mensonger de la plus intime des intériorités, celle des émotions, et plus encore des émotions religieuses, intégrées dans un rapport direct à Dieu. La provocation était trop grande pour être omise ou passée sous silence. Les continuateurs de Jean de Meun témoignent ainsi de toute l’actualité d’une réflexion de grand intérêt en regard des problématiques émotionnelles.
À rebours du raisonnement suivi dans cette rapide introduction, nous nous pencherons d’abord sur la problématique du mensonge, telle qu’elle s’actualise par exemple avec le personnage de Fauvel, célèbre comparse de Faux Semblant qu’il rejoint au sein d’une véritable triade trompeuse débutée par Renart. Elle éclaire à la fois la tradition sur laquelle Jean de Meun construit son personnage et l’influence qu’il connaît à sa suite. Surtout, elle permet une prise en compte des dynamiques qui entourent 437la notion d’hypocrisie, de ses explorations définitoires à sa dénonciation. En amorce de cette analyse, nous aimerions peser toute l’importance des réflexions portées sur cette topique de l’hypocrisie dans l’univers religieux. Il nous paraissait nécessaire de renverser les aprioris de déconsidération absolue qui l’entourent, avant d’en envisager la mise en place dans la littérature narrative. Le roman de Fauvel et celui de RenartleContrefait mobilisent de manière originale les préjugés qui pèsent sur le vice d’hypocrisie. Sans aucune prétention d’appréhender dans son ensemble la tradition qui les entoure, les figures animales, comme celle de Fauvel ou celle de Renart, déjà envisagée dans le chapitre consacré à la garde des émotions et à toutes ses premières limites et dérives, offrent une vitrine emblématique de ces réflexions. Elles en proposent une mise en lumière sans fard, avec une ironie mordante dans la portée anticléricale que cette littérature se plaît à cultiver.
Nous élargirons ensuite notre réflexion pour observer plus globalement la place des émotions et de leur manipulation dans la pratique religieuse, en écho aux développements de la pratique dévotionnelle. Nous pourrons ainsi mieux problématiser cette ambiguïté qui entoure le jeu émotionnel recommandé et pratiqué dans l’univers religieux, entre répression et incitation, entre condamnation comme deception et revendication comme miseracion. L’œuvre de Guillaume de Diguleville nous intéressera au premier plan à ce niveau. Elle livre une critique acerbe de l’hypocrisie en regard de l’importance qu’elle accorde aux rituels de dévotion, mais tout en la nuançant. Tout comme chez Gautier de Coinci que nous avions évoqué dans notre réflexion sur la garde dans la sphère dévotionnelle, on perçoit la possibilité de renverser la condamnation de la decepcion en éloge de la miseracion, autant en amont qu’en aval du Roman de la Rose ainsi.
À l’instar de la communauté amoureuse qui porte un regard ambigu sur la manipulation émotionnelle, la sphère religieuse est marquée par ce paradoxe de points de vue a priori contraires, qui permet en réalité d’éclairer la perception exacte du jeu des émotions. Le personnage de Jean de Meun y contribue tout autant qu’il le faisait dans l’univers amoureux, mais tout en se fondant, ici encore, sur une tradition bien établie. Celle-ci se voit perpétuée, détournée, voire même retournée sur la base de la topique de l’habit endossé par Faux Semblant, tout en nécessitant plus que jamais d’être entourée de nuances. Les questions de l’habit, de 438la confession, de la pénitence ou du pèlerinage actualisent toute la diversité de cette problématique, dans toute la diversité de réponses qu’elle peut présenter. Elles signalent la nécessité de repenser, dans l’univers religieux surinvesti à ce niveau, la corrélation de la dichotomie entre le bien et le mal avec celle du mensonge et de la vérité des émotions.
Nous mènerons cette réflexion en deux temps, d’abord à la recherche du vice du mensonge, de sa mise en scène pleine d’ironie chez les confrères de Faux Semblant, ses héritiers Renart le Contrefait et Fauvel. Nous chercherons ensuite à approcher les injonctions exactes des pratiques dévotionnelles et la place réservée à l’émotion et au corps dans cette optique. Le Liber Fortunae ou le roman de Guillaume de Diguleville illustrent ces réflexions dans ces œuvres qui vantent la beauté du chemin vers Dieu. Il peut ainsi démontrer toute l’importance accordée à l’émotion dévotionnelle et à son investissement dans la sphère corporelle, forcément ambigu et complexe à appréhender. Il nous permet surtout de percevoir les nuances dont il se pare, selon ce risque d’hypocrisie mis en lumière par Faux Semblant, mais aussi selon les qualités qui peuvent être reconnues à la manipulation du semblant religieux. Il fait preuve d’une mobilisation rhétorique exemplaire de ce double regard porté sur l’hypocrisie, qui sert de fondement au retournement opéré.
De la decepcion des Faux Semblants
Le personnage de Faux Semblant s’inscrit à n’en pas douter dans les débats de son temps. Les échos à la querelle autour des Frères Mendiants, qui agite alors l’Université de Paris, participent de cette réflexion à laquelle se prête lui aussi Jean de Meun. Elle dépasse cependant largement la seule sphère de dénonciation de l’activité mendiante, plus encore chez ses avatars comme Renart le Contrefait et Fauvel. La mise en lumière de la fausseté du semblant, amoureux comme religieux, posait la question de l’hypocrisie et du mensonge de Faux Semblant. Il nous semble important de considérer les débats dont il se fait ainsi le relai, a fortiori au vu de leur intérêt pour appréhender la question du jeu émotionnel. Nous l’avons souligné, l’évaluation du jeu des émotions et du 439mensonge repose bien souvent sur des critères similaires, qui justifient encore l’utilité de mieux concevoir la place accordée au mensonge dans la sphère religieuse en particulier.
De la théorisation du mensonge à la problématique
des apparences
Le rapport à l’hypocrisie se complexifie au fil du Moyen Âge, en particulier dans le champ émotionnel. L’évolution du regard porté sur l’émotion s’accompagne en effet de réflexions importantes autour de sa licité, et aussi de sa vérité. Nous avons eu l’occasion de le constater, elles se concentrent avant tout dans l’univers religieux16. Il nous paraissait nécessaire de nous y attarder à nouveau pour saisir toute leur richesse dans la prise en compte du jeu émotionnel, mais surtout pour les rapprocher de celles qui portent sur la problématique du mensonge. Nous pourrons ainsi mettre en exergue le lien qui se tisse entre ces deux sujets de débats et de réflexions incessantes et qui paraît animer la fausseté exacerbée de Faux Semblant et de ses semblables.
Aux environs du xiie siècle, l’instance affective connaît une réévaluation importante, qui doit beaucoup au développement d’une pratique spirituelle fondée sur l’intériorité. L’objectif n’en est plus l’annihilation ou la répression, mais toujours le contrôle. Il relève plutôt d’une exigence de sincérité, d’autant plus intéressante qu’elle s’associe directement à une orientation vertueuse de l’émotion17. Cette prise en compte de l’émotion, et de son authenticité impérative, dans la vie dévotionnelle, pose question. Elle implique de considérer la sphère corporelle en tant que garante du vécu émotionnel, avec les difficultés que cela peut entraîner, mais surtout une crainte fondamentale quant à ses limites et à ses dérives. Elle contribue à n’en pas douter aux discussions qui apparaissent autour de la définition du mensonge et de sa classification chez de nombreux théologiens et penseurs scolastiques, soucieux de les adapter aux défis et interrogations de leur temps. Mais le rapprochement entre la problématique émotionnelle et celle du mensonge ne va pas pour autant de soi, surtout quand on considère la conception avant tout 440langagière du mensonge. Les réflexions portées sur sa dénonciation et sur ses paradigmes témoignent néanmoins peu à peu d’une perception plus large, en lien avec les concepts de simulation et de dissimulation posés au cœur de nos analyses. Bien sûr, l’influence exercée par les théories augustiniennes reste encore largement dominante, même si elle a, à diverses reprises déjà, fait l’objet de discussions. Rappelons d’ailleurs que la condamnation ferme du mensonge est une innovation due à saint Augustin. De nombreux Pères de l’Église avant lui s’étaient accordés aux perceptions plus souples de penseurs antiques comme Platon ou Cicéron. Le mensonge était alors admis pour peu qu’il s’avère utile ou animé de bonnes intentions, ce que reconnaissent encore Clément d’Alexandrie ou Jean Chrysostome par exemple18. C’est en écho à ces justifications que se fonde très vite, même si toujours de manière minoritaire, une tradition alternative à la pensée augustinienne19. Cette réflexion connaît son apogée au xiie siècle, dans la reconnaissance qu’elle offre de formes justifiables du mensonge, mais aussi dans celle de pratiques mensongères qui dépassent la sphère verbale en elle-même. C’est à la lueur de ces développements que nous pouvons intégrer le jeu émotionnel dans l’univers du mensonge.
Directement issu de la compréhension divine de la Vérité, le lien entre verbe et mensonge n’est toutefois pas exclusif. Pour citer l’étude éclairante de Carla Casagrande et de Silvana Vecchio consacrée aux péchés de la langue, la parole est « privilégiée entre tous les signes20 », mais n’est donc pas le seul d’entre eux capable d’exprimer le mensonge. Si l’on en revient à l’analyse de saint Augustin qui fait autorité en la matière tout au long du Moyen Âge, on découvre la possibilité d’une double voie d’expression du mensonge : « Quapropter ille mentitur qui aliud habet in animo et aliud verbis vel quibuslibet significationibus enuntiat21 ». La porte 441est donc ouverte à une définition du mensonge qui engloberait la notion de simulation, quelle que soit sa concentration avant tout verbale. La plupart des théologiens refusent cependant cette possibilité, préservant une démarcation nette entre ces deux pratiques22. Albert le Grand, par exemple, renforce l’importance conférée au Verbe qu’il conçoit comme « immediatius nuntius cordis » pour affirmer l’impératif de sincérité de l’expression verbale23. Plus encore, il poursuit dans cette lignée pour garantir la distinction entre paroles et gestes ou actions : « in opere autem aliud potest esse, quia ad nuntiandum cor non est institutum24 ». Les gestes ne seraient donc pas soumis au principe de concordance avec le cœur qui fonde la définition de la vérité, en raison même de la préférence donnée au verbe comme voie d’expression. Ce raisonnement apparaît également chez le grand disciple d’Albert le Grand, Thomas d’Aquin, qui insiste à son tour sur la nuance entre la parole, comme voix obligée du cœur, et l’action, qui n’est pas conçue pour exprimer la pensée25. Il fonde néanmoins sur cette base sa définition de la simulation, qu’il inclut directement dans sa réflexion sur le mensonge, dans un rapprochement formel de grand intérêt. Il reprend dans ce sens la définition augustinienne du mensonge pour souligner la place à laisser à sa dimension non-verbale : « Ad secundum dicendum quod, sicut Augustinus dicit, in 2 de Doctr. Christ. [cap. 3], voces praecipuum locum tenent inter alia signa. Et ideo cum dicitur quod mendacium est “falsa vocis significatio”, nomine “vocis” intelligitur omne signum. Unde ille qui aliquod falsuum nutibus significare intenderet, non esset a mendacio immunis26 ». En incluant, dans sa conception de la vox, tous 442les signes, il réfute la séparation nette toujours maintenue entre voix et gestes ou actions. La formule presque prudente, non esset a mendacio immunis,à laquelle Thomas d’Aquin recourt pour conclure ce passage, suggère sa volonté d’en repenser les contours. Surtout, il introduit ce faisant un autre critère d’évaluation auquel renvoient de plus en plus souvent les théologiens dans leur approche du mensonge : celui de l’intention. Ce principe devenant essentiel dans l’appropriation d’une logique déceptive joue bien sûr un rôle fondamental dans notre analyse des jeux émotionnels, en particulier chez les personnages de Faux Semblant ou de Fauvel, mais aussi plus largement dans la dynamique religieuse abordée ici. En-dehors de ses paramètres intentionnels, la définition du mensonge selon Thomas d’Aquin tend vers un élargissement des signes à inclure dans sa perception. Certes, la frontière subsiste entre mensonge et simulation, l’introduction de la question qu’il dédie à ces notions en témoigne d’emblée : « Et primo, de mendacio ; secundo, de simulatione sive de hypocrisi27 ». Mais cela ne l’empêche pas de souhaiter revoir la nature exacte de cette distinction et surtout d’insister sur les liens qui se tissent entre pratiques mensongères et simulatrices :
ad virtutem veritatis pertinet ut aliquis talem se exhibeat exterius per signa exteriora qualis est. Signa autem exteriora non solum sunt verba, sed etiam facta. Sicut ergo veritati opponitur quod aliquis per verba exteriora aliud significet quam quod habet apud se, quod ad mendacium pertinet ; ita etiam opponitur veritati quod aliquis per aliqua signa factorum vel rerum aliquid de se significet contrarium ejus quod in eo est, quod proprie simulatio dicitur. Unde simulatio proprie est mendacium quoddam in exteriorum signis factorum consistens 28 .
Jouant sur cette double voie de spécification bien soulignée par la conjonction symétrique non solum… sed etiam, Thomas d’Aquin oppose de la même manière à la vérité mensonge et simulation pour mieux les rapprocher. La valeur ainsi attribuée aux facta au même titre qu’aux 443verba est renforcée par la dynamique vertueuse qui les régit ici. Plutôt que comme une vertu abstraite, Thomas comprend la vérité selon cet idéal d’harmonie entre intérieur et extérieur hérité de la tradition aristotélicienne qui influence de manière générale sa représentation du mensonge29. Le rapprochement de cet idéal de concordance avec la notion de vérité comporte d’ailleurs un intérêt certain. Il oriente la réflexion vers la question de l’expression émotionnelle, posée au cœur de la frontière entre intérieur et extérieur. Mais c’est aussi dans ce cadre que Thomas d’Aquin peut assimiler la simulatio au mendacium. Comme le défend Irène Rosier : « En considérant cette fois-ci la vérité principalement comme “représentation” du réel, Thomas peut rapprocher le mensonge et la simulation, déviation par rapport à ce qui est, dans les mots ou dans les faits30 ». Cette définition de la simulatio comme sous-catégorie du mensonge liée aux signes extérieurs répond à n’en pas douter aux mouvements de réflexion concernant les attitudes trompeuses, eux-mêmes sûrement influés par cette intégration de la simulation au rang des formes de mensonge. On observe ainsi une concentration importante sur les pratiques hypocrites qui dépassent le seul cadre verbal du mensonge, décrié depuis Augustin au risque de passer sous silence d’autres formes de tromperie. Le paradoxe de Faux Semblant, qui personnifie l’hypocrisie sans proférer de mensonge quant à son identité dans sa présentation au dieu Amour31, constitue probablement l’un des cas limites 444qui participent du souci de repenser la définition et la dénonciation du mensonge à cette époque.
Le critère de l’intention constitue le second objet d’évolution essentielle de la notion de mensonge, d’autant plus marquant qu’il touche aussi à nos analyses des jeux émotionnels. Tout comme l’émotion, le mensonge se condamne en regard des objectifs qui le déterminent. Saint Augustin met déjà l’accent sur la question de l’intention dans sa définition du mensonge : « Mendacium est quippe falsa significatio cum voluntate fallendi32 ». Mais son importance croît au fil du Moyen Âge, au gré des débats portés sur la question du mensonge et de sa légitimité. De nombreux facteurs favorisent cette réflexion. On compte notamment l’influence des traditions rhétoriques anti-sophistiques représentées par exemple par Quintilien. Il défend l’usage rhétorique du mensonge, louable s’il s’avère être gouverné par un souci de protection des sensibilités33. Toute une tradition fleurit autour de cette justification du mensonge bien intentionné. Elle se couple à la réflexion portée sur la dissimulation, sur la vérité tue plutôt qu’altérée, qui nous est également d’un grand intérêt. Bien qu’Augustin rejette en bloc toutes formes d’altérations du rapport de transparence du Verbe, certains épisodes bibliques qui mettent en scène le mensonge lui posent difficulté. C’est le cas de celui d’Abraham, qui sert de base à l’introduction de nuances dans la condamnation d’Augustin. Celles-ci s’avèrent indispensables pour soutenir son argument de l’impossibilité du mensonge par Dieu et donc dans la Bible. Saint Augustin recourt pour ce faire à une distinction entre mensonge et dissimulation : « Aliquid ergo veri tacuit, non falsi aliquid dixit… Non est ergo mendacium, cum silendo absconditur verum, sed cum loquendo promitur falsum34 ». Thomas d’Aquin reprend cette distinction, qu’il pousse encore un peu plus loin en valorisant une forme prudente de dissimulation35, en parallèle de ses réflexions sur la simulation. Il rapproche d’ailleurs à cette occasion dissimulation et simulation comme deux facettes d’une même pratique au degré de licité débattu :
445Ad quartum dicendum quod sicut aliquis verbo mentitur quando significat quod non est, non autem quando tacet quod est, quod aliquando licet ; ita etiam simulatio est quando aliquis per exteriora signa factorum vel rerum significat aliquid quod non est, non autem si aliquis praetermittat significare quod est. Unde aliquis potest peccatum suum occultare absque simulatione. Et secundum hoc intelligendum est quod Hieronymus dicit ibidem, quod « secundum remedium post naufragium est peccatum abscondere », ne scilicet exinde aliis scandalum generetur 36 .
Dans sa volonté de mettre en parallèle mensonge et simulation, il oppose de la même manière le silence laissé sur un sujet préférablement tu et la dissimulation. Tout autant que l’ouverture qu’il offre à la simulation dans sa définition du mensonge, cette légitimation de la dissimulation éclaire sans doute nombre de réflexions proposées à son époque autour des pratiques trompeuses. Elle démontre surtout le mouvement général d’acceptation possible du mensonge. N’étant plus obligatoirement condamné, le mensonge peut même devenir un outil, de succès ou de renommée, par exemple dans le Roman de Renart le Contrefait ou le Roman de Fauvel que nous voudrions à présenter aborder37.
Ces quelques éléments de contexte posés, nous aimerions en effet observer comment ces définitions nouvelles et justifications nuancées de la tromperie sont intégrées aux jeux émotionnels mis en scène dans quelques œuvres révélatrices de l’influence exercée par Faux Semblant ou du contexte dans lequel il s’était inscrit. Même s’il peut de prime abord paraître distant, le lien que nous souhaitions tisser pour introduire ce chapitre consacré aux dynamiques religieuses est évident. Il le devient à coup sûr une fois éclairée l’importance du rapport à la vérité, du paramètre intentionnel ou de la sphère corporelle intégrée dans l’un et l’autre univers qui nous occupe, mensonger et émotionnel. Au cœur de la problématique entre intérieur et extérieur que pose le mensonge se dessine en effet celle de l’apparence livrée de l’intériorité et de la plus 446intime des intériorités, celle des émotions. C’est d’ailleurs sûrement dans cette perspective que se fonde la réflexion religieuse sur la question du mensonge, hantée par la peur d’une rupture entre cette intériorité supposée animée par Dieu et l’extériorité qui en est offerte, à la fois crainte et recommandée. Toutes les théories échafaudées autour du mensonge ne semblent s’inscrire que dans une volonté de mieux circonscrire et condamner la véritable tromperie, celle qui ne peut se justifier ni selon la forme qu’elle prend ni selon l’intention qui l’habite. Fauvel et Renart le Contrefait offrent de parfaits exemples des jeux qui peuvent apparaître à ce niveau. Nous aimerions confronter à leur mise en scène littéraire les constats dressés au fil de ce panorama historique du concept de mensonge. Il nous semblait indispensable pour comprendre les enjeux du jeu des émotions et de sa dénonciation potentielle. Mais nous voudrions surtout peser l’influence de la tradition religieuse construite autour du danger de l’hypocrisie dans les œuvres narratives. La dénonciation du vice d’hypocrisie y connaît une tendance croissante, plus encore après le Roman de la Rose peut-être. Nous souhaiterions approcher la richesse de cette tradition littéraire qui mobilise de manière originale, selon les visées auctoriales ou les publics visés, la topique de l’hypocrisie et son investissement émotionnel évident à l’issue de ce parcours.
Les personnages de Fauvel et de Renart le Contrefait témoignent en effet du succès de la critique de l’hypocrisie monastique, que Faux Semblant porte dans le Roman de la Rose. Eux aussi se caractérisent par leur instabilité et par leur portée parodique dans une lignée religieuse. Surtout, ils illustrent à leur tour le paradoxe présenté comme inhérent au genre Faux Semblant, celui de l’hypocrite sincère38, symbole de leur ambivalence. Ils personnifient ainsi le souci de dénonciation de la fausseté des apparences, même, ou justement surtout, de celles qui sont supposées les plus fiables. C’est en ceci qu’ils attestent le mieux la crainte obsédante de tromperie que comporte le rituel religieux, qu’il s’agisse de celui de l’habit ou de celui de la confession par exemple.
447Au cœur du réseau Faux Semblant : l’art de Renart
Nous avons déjà présenté tout l’intérêt du corpus renardien pour repenser l’association entre ruse et jeu émotionnel39, mais aussi les frontières des enjeux de garde dans l’univers dévotionnel40. Mais il s’avère pertinent également comme confrère de Faux Semblant, surtout dans la dynamique religieuse qu’ils induisent tous deux. Comme le rappelle G. Ward Fenley, Renart est le père littéraire de Faux Semblant41, l’initiateur de cette riche lignée. Leur rapprochement s’illustre en particulier dans leur déguisement commun de moine, ainsi que dans leur contribution à la popularité de la sentence « l’habit ne fait pas le moine ». Renart et Faux Semblant offrent deux parfaits sujets de réflexion quant à la fiabilité de la dévotion religieuse, par la problématique de l’habit, mais aussi par celle de la confession, nous avons eu l’occasion de l’observer42. La place de Renart dans l’univers de l’hypocrisie religieuse s’avère d’autant plus influente qu’elle permet de dépasser la seule association aux Frères Mendiants, dans sa dénonciation générale de l’hypocrisie religieuse, mais aussi la sphère religieuse elle-même43. Ce faisant, il intègre la duperie dévotionnelle au rang des pratiques trompeuses plus générales. L’inscription de la papelardie dans l’univers renardien comporte le grand intérêt de mêler le vice d’hypocrisie à tous les autres aussi incarnés par le goupil44.
Le pacte qu’implique l’habit religieux continue à être mis en question dans la tradition renardienne, renouvelée dans le sillage de Faux Semblant. Le roman plus tardif de Renart le Contrefait le mobilise de manière intéressante. G. Ward Fenley note d’ailleurs la volonté de l’auteur, dans cette version ultérieure des aventures de Renart, de se 448rapprocher davantage de Faux Semblant que de Renart lui-même45. Dans ce sens, il reprend à son compte le motif de la variabilité et plus encore de la non-fiabilité des apparences, dans un jeu de référence explicite avec Faux Semblant :
Pour Renard qui gelines tue,
Qui a la rousse peau vestue,
Qui a grand queue et quatre piés,
N’est pas ce livre commenciez,
Mais pour cellui qui a deux mains,
Dont il sont en cest ciecle mains,
Qui ont la chappe faulx samblant,
Qui va les coeurs des gens emblant.
N’est nulz homs tant saiges sceüs
Qui monlt bien n’y fut decheüs,
Tant fu de la laine certains ;
De larrechin fut ly estains,
Gouté de barat et de guille46.
L’habit servirait ainsi d’outil de distanciation avec le trop animalisé Renart pour mieux souligner la tromperie si vicieuse de la chappe de Faux Semblant. De la peau, bien plus naturelle, on passe à l’habit, qui s’assimile d’ailleurs sous ce terme, révélateur de son pouvoir de couverture, à une enveloppe47. L’animalité, pourtant porteuse dans cette dynamique trompeuse avec la couleur rousse encore rappelée ici, s’oppose à une figure plus humanisée, mais surtout plus périlleuse. La narration souligne combien sont nombreux ces hypocrites, mais aussi combien ils sont dangereux. Elle met longuement en exergue la difficulté d’éviter les écueils dressés par ces trompeurs, quelque saige que l’on soit. On trouve ainsi une nouvelle allusion à la propre démonstration du danger de l’hypocrisie par Faux Semblant. Lui aussi concluait sur la subtilité de ceux qui parviennent à identifier son « barat » en soulignant le danger 449pour ceux qui n’y arriveraient pas48. La métaphore vestimentaire déployée suggèrerait presque que ce danger soit tissé à même la laine, dans une intrication totale de l’image de l’habit et de la ruse. C’est bien sûr en référence à l’habit de Faux Semblant que se construit cette dénonciation des périls de l’habit dissimulateur. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cet habit est dit tromper les cœurs. La rime entre Faux Semblant et cette manipulation des cœurs tend à spécifier la ruse orchestrée et ainsi peut-être à la rendre plus condamnable. Surtout, la concentration émotionnelle met en lumière la problématique qu’incarne la rupture entre intériorité et extériorité, entre cœur et apparence, ou habit en particulier. Les allusions au Roman de la Rose se mêlent ensuite à cet art prêté à Renart dans le roman éponyme, dans un véritable condensé des personnifications de la tromperie :
Pignalion qui de taillier
Estoit maistres et de pourtraire,
Ne saroit pas tel robe faire ;
Peroclitès, Vircès, Zeuxis
Ains y seroient trop pensis,
Ainçois que compassé l’eüssent
Ne que pourtraire le sceüssent,
Filer, ourdir, taillier ne traire
La robe que Renard sceut faire,
Qu’eust vestue quant a court vint.
Selon son art il se maintint,
De samblant, de parole et d’œuvre
Son sens demonstre et son sens coeuvre ;
Comme coys et joyeux se tint,
Avecques les meilleurs se tint49
La comparaison à l’art de Pygmalion ne peut qu’évoquer le long épisode que lui dédie Jean de Meun50. La contrefaçon de Renart s’avère ainsi supérieure encore à la mythique statue incarnée du sculpteur. Le quadruplet filer, ourdir, taillier ne traire contribue à la mise en valeur des qualités de Renart à ce niveau. Ce faisant, son pouvoir trompeur semble même défier les lois humaines outrepassées par Pygmalion. La mention de la 450robe fait également écho à la propre robe que Faux Semblant endosse dans son pseudo-pèlerinage destiné à tromper et à tuer Malebouche51. Les intentions de Renart à son arrivée à la cour sont, par ce parallèle, d’emblée connotées. À ce réseau référentiel du Roman de la Rose se greffe donc celui de l’art renardien, directement associé d’ailleurs, dans le Roman de la Rose, à la pappelardie52. Cet art n’implique rien de religieux ici, mais l’allusion suffit pour rappeler cette dimension centrale dans la mise en lumière, et la dénonciation sous-entendue, de la ruse de Renart. Son art n’est cependant pas qualifié de rusé dans ce contexte : au contraire, il joue davantage du maintien de soi, de cette qualité essentielle de tempérance dont nous avons déjà pu souligner l’importance, a fortiori sur la scène sociale sur laquelle Renart entre ici53. Les verbes se maintenir, se tenir, mais aussi couvrir s’inscrivent tous dans cette optique. La manipulation émotionnelle à laquelle il se soumet dans ce cadre répond en outre à la même logique d’avenance, puisque c’est la joie bienséante attendue en public qu’il manifeste. Et si seul le loup Ysengrin n’est pas dupe54, l’auditoire ne peut ignorer les frasques passées du goupil et ainsi envisager son attitude comme tout à fait innocente. Une fois encore, la seule mention de l’art de Renart pourrait suffire à révéler la dynamique trompeuse que sous-entend forcément cette démonstration de retenue. La précision introduite quant aux sphères d’application de ce maintien de soi joue peut-être aussi le rôle d’indice à ce niveau. Renart l’étend de son apparence à ses actions en passant par sa parole, soit à l’ensemble des manifestations envisagées par Thomas d’Aquin dans sa définition élargie du mensonge55. On pourrait y voir le signe de la diffusion de cette réorientation, formalisée par Thomas d’Aquin, du péché de mensonge. Il finit par inclure même l’idéal de retenue ainsi détourné par Renart, dans une mise en lumière, qui bénéficie sans doute de celle de Faux Semblant, des dérives potentielles de l’appel à la maîtrise de soi. La condamnation resterait bien sûr tout à fait implicite, mais le jeu 451d’échos est intéressant dans un roman qui met en scène, à une époque marquée par une ample réflexion autour de l’hypocrisie, l’un de ses plus fameux avatars. Ce qui ressort sans aucun doute de cet épisode est le succès remporté par Renart, qui parvient ainsi à s’attirer l’amitié de ses ennemis : « Par ce fist de ses ennemis / les pluiseurs devenir amis56 ». La rime ennemis-amis est révélatrice du renversement opéré sur cette base, et donc de l’efficacité du maintien coye et joyeux de Renart. Le narrateur se fait simplement le porte-voix d’une conception largement partagée de valorisation de la retenue. Mais l’association introduite avec la ruse proverbiale de Renart peut contribuer à la mise en question de cette pratique sociale toujours dépeinte comme indispensable, mais non moins problématique. La tendance était la même dans le Roman de la Rose, qui jouait des limites des appels au secret amoureux surtout. Mais nous aurons l’occasion de revenir aux dérives possibles de l’idéal de garde et de belsemblant dans l’univers social qui l’édicte57. La relation établie entre le souci de bienséance, rusé ou non, et l’habit de Renart au moment de son arrivée à la cour témoigne de l’importance accordée aux apparences, autant dans l’univers social que dans celui du cloître d’ailleurs. Elle fait écho aux réflexions vastes et nombreuses portées autour de la correspondance entre intérieur et extérieur, mais aussi de l’idéal de visibilité qui traverse le Moyen Âge58. Ainsi, s’il convient que les apparences soient justes, accordées aux réalités intérieures, il convient également que ces réalités soient manifestées. Fanny Oudin résume à merveille cette double exigence dans l’article qu’elle consacre, de manière significative, à l’habit :
L’honorabilité est ainsi sous-tendue par une exigence de visibilité : il est nécessaire de faire semblant en accord avec ses qualités intérieures, de ne pas dissimuler la vertu, mais d’adopter une apparence en accord avec son être. Ainsi, être honorable pour le Moyen Âge consiste à paraître ce que l’on est… mais aussi, par un renversement, à être ce que l’on paraît, une fois que l’on a endossé une apparence59.
452Elle atteste une valorisation certaine du faire semblant dont Thomas d’Aquin met pourtant en lumière le caractère trompeur60. Quelque paradoxal que cela puisse paraître, ces deux points de vue ne semblent pas entrer en opposition, au contraire. Comme Fanny Oudin le précise, cette simulation se doit d’être construite selon l’idéal de correspondance entre intérieur et extérieur, discuté, mais aussi problématisé par Peter von Moos61, puis renforcé dans cette analyse du proverbe « L’habit fait le moine ». Mais, outre ce critère de fiabilité des apparences, s’ajoute celui de leur contrôle une fois encore, comme base de la discipline même de l’âme :
Cet idéal rejoint la maîtrise du corps prônée par les religieux. Il s’agit, dans les deux cas, de se préserver de la corruption de l’âme par le corps par un stoïcisme des apparences qui « discipline[rait] les mouvements de l’âme vers le corps et ceux du corps vers l’âme, au moyen de la volonté62. »
Citant Gil Bartholeyns63, Fanny Oudin souligne le rôle de la retenue des apparences, de l’habit en particulier, dans un mouvement de discipline commun aux religieux et aux laïcs. Ainsi, la mise en relation de l’art de Renart sur la scène sociale et de son association, intégrée dans le Roman de Renart, avec la pappelardie s’éclaire dans un contexte plus général de mise en parallèle des recommandations de discipline du corps et de ses dérives possibles, toutes sphères confondues. Dans une belle démonstration de la complexification des liens entre corps et âme, la maîtrise corporelle devient ainsi agente de celle de l’âme. Cela renforce bien sûr l’importance accordée aux apparences et rend plus indispensable encore l’évaluation de celles qui sont livrées. La remise en question de l’adage « L’habit fait le moine » par Faux Semblant participe de cette problématisation. Les stratégies de Renart le Contrefait s’inscrivent dans la même dynamique, ne serait-ce que par les références qui sont proposées à Faux Semblant. Sa retenue est en effet louée à l’issue d’un long exposé des dangers de son hypocrisie, centrée sur sa chappe, source de confusion. Le jeu introduit autour de la fiabilité de l’habit, du rapport de transparence prescrit 453et rompu par ces deux personnages est donc explicite dans la mise en lumière éclatante de leur ruse. C’est d’ailleurs autour de ce potentiel de variabilité des apparences que se concentre le rapprochement qu’effectue G. Ward Fenley entre ces deux figures64. La reprise du motif de l’habit dans Renart le Contrefait et son association à la retenue dont témoigne Renart permettent de problématiser l’idéal de contrôle qui sert de base aux jeux émotionnels. Répétée à l’envi, cette recommandation comporte en effet des dérives, que Renart le Contrefait semble révéler en mêlant maîtrise de soi et usage de sa robe. Il participe de la réflexion menée autour de la symbolique de l’habit dans l’ambiguïté qu’elle présente entre la rhétorique de l’honneur et celle de la couverture. En rapprochant la robe de Renart de la chappe de Faux Semblant, le roman de Renart le Contrefait démontre aussi l’investissement essentiel de cette problématique sur le pan religieux, plus symbolique encore que celui qui relève de la sphère sociale. Faux Semblant comme Renart l’ont mis en lumière : l’habit qui devrait le mieux remplir cette condition de correspondance entre intérieur et extérieur est celui qui est supposé manifester la dévotion. Le cheval Fauvel offre un exemple plus révélateur encore de cette réflexion sur la fausseté de l’habit et des apparences dans leur ensemble. Il pose la question de la vérité du voile dans la signification même de son nom – selon un autre rapprochement éclairant avec Faux Semblant – qui devrait traduire l’intérieur à l’extérieur.
Au cœur du réseau Faux Semblant : le faux voile de Fauvel
Tout aussi révélateur de cette logique trompeuse revendiquée, et assumée notamment par le prisme de l’habit, est le cheval Fauvel, héros d’un roman du xive siècle en grande partie attribué à Gervais du Bus. À l’image de celle de Faux Semblant, l’hypocrisie de Fauvel est inscrite dans son nom même. Il témoigne de la stigmatisation immédiate de la fausseté de Fauvel, qui porte phonétiquement déjà l’idée du faux. Surinvesti, le nom de Fauvel est en effet à la fois décomposé comme un faux voile et donné comme un acronyme de vices. C’est dans une volonté de dévoilement de sa « malice65 », similaire d’ailleurs à celle qui anime Jean de Meun avec Faux Semblant, que s’inscrit sa présentation :
454Or est il temps que le mistere
De Fauvel plus a plein apere
Pour savoir l’exposicion
De lui et la descripcion.
Fauvel est beste appropriee
Par similitude ordenee
A senefier chose vaine,
Barat et fausete mundaine.
Aussi par ethimologie
Pues savoir ce qu’il senefie :
FAUVEL est de FAUX et de VEL
Compost, car il a son revel
Assis sus fausete voilee
Et sus tricherie mielee66.
En le qualifiant de mistere, le narrateur joue sûrement de l’ironie qui teinte l’ensemble de son récit, mais surtout ce dévoilement de l’hypocrisie que Fauvel personnifie. La dimension appropriee de sa signification renforce à n’en pas douter cette coloration humoristique qui empreint ainsi le caractère faux, mais donc juste, du cheval Fauvel. Plus qu’à l’exposicion de son personnage, c’est donc à celle du fonctionnement du monde dans son ensemble que le narrateur semble se livrer. Fauvel offre en effet également une métaphore de la Vaine Gloire, placée à ses côtés aux commandes de cet univers animé par la nécessité et le goût de le torcher. L’association entre l’hypocrisie et la vanité est explicite dans cette présentation qui caractérise directement la fausseté de mundaine et rapproche la chose vaine et le barat. Les limites des exigences croisées de concordance entre intérieur et extérieur et de contrôle indispensable à la discipline de l’âme autant qu’à celle de la scène sociale sont également évoquées par l’allusion à la similitude ordonnee. Il est à la fois question de l’impératif de transparence et de celui d’ordre, mais de manière tout à fait détournée, puisque cette similitude ordonnée ne reflète que la tromperie de Fauvel. Nous retrouvons ainsi le paradoxe de Faux Semblant, dont le rapport de transparence est assumé, mais tronqué par l’affirmation forcément ambigüe de sa nature trompeuse67. Le Roman de Fauvel poursuit ainsi les explorations de Jean de Meun autour du défi de la représentation 455allégorique de l’hypocrisie. Armand Strubel insiste sur ce critère du rapprochement entre Faux Semblant et Fauvel :
De Rutebeuf aux auteurs de Fauvel, l’hypocrisie, érigée en vice privilégié, propose aux écrivains le défi de sa représentation sous le masque la personnification, qui semble reposer sur le paradoxe permanent ou l’adynaton : comment donner une apparence à ce déguisement systématique du vrai sous le faux, alors que le procédé de personnification s’appuie en théorie sur le principe de la convenance68 ?
Dès leur nom même, Fauvel comme Faux Semblant cherchent à éclater le rapport de concordance entre signifiant et signifié, d’autant plus fondamental qu’ils s’inscrivent dans une réflexion sur le discours allégorique lui-même. Leur intégration dans le schéma allégorique ne peut que reposer sur ce paradoxe, puisqu’il vise un geste de dévoilement de l’hypocrisie, dans la construction d’apparences véridiques qu’il suppose, inconciliable avec l’hypocrisie indépassable de Faux Semblant ou de Fauvel. La fausseté du voile de Fauvel fait sens dans ce cadre. Le voile, comme l’allégorie, est censé traduire l’intérieur en extérieur. En le qualifiant d’emblée de faux, il ne peut exhiber que la vérité de la tromperie, tout comme de la personnification, telle que la représentait Faux Semblant. Tout comme le faux moine le faisait en interrogeant le rapport de concordance qui ne peut être absolu dans la pratique allégorique, Fauvel met en lumière l’ambiguïté potentielle du voile. Si le voile doit traduire l’intérieur en extérieur, il ne le voile pas moins. La voie est ouverte aux dérives, et Fauvel s’y immisce avec éclat. Aucun doute n’est laissé quant à cette atteinte de Fauvel à l’idéal de transparence et de vérité. Son hypocrisie s’affiche donc, comme dans le cas de Faux Semblant, dès son nom, qui évoque aussi d’emblée la couleur fauve associée à la fausseté. Sa bestialité est aussi affirmée en amorce de cette définition livrée du mistere de Fauvel. Elle participe également de la dénonciation de son adéquation au monde, et donc de ce monde régi par la vanité et la fausseté. L’univers de Fauvel s’esquisse de la sorte avant même que débute cette exposicion annoncée de son identité. Elle prend tout d’abord la forme d’une réflexion étymologique, selon la pratique popularisée par Isidore de Séville, pour éclairer la signification de Fauvel. La reprise du verbe signifier pourrait d’ailleurs constituer une allusion intéressante à l’obsession des signes 456et au brouillage de pistes qu’incarne Fauvel, sur le modèle de Faux Semblant. Il témoigne dans tous les cas d’un désir de révélation bien mis en exergue dans ce passage, en lien probable avec la difficulté de discernement des signes également discutée par Jean de Meun par le prisme de Faux Semblant. Au-delà du rapprochement avec la couleur fauve attribuée à Fauvel, son nom s’entend donc comme la composition de la fausseté et du voile. On retrouve la notion de couverture incluse par la chappe de Renart le Contrefait avec cette référence, porteuse, au voile qui caractérise Fauvel. Une fois de plus, se pose donc la question de la lecture possible des signes sous les voiles, a fortiori quand ils sont d’emblée qualifiés de faux. En parfaite incarnation générale des vices – ce que la suite des explications données pour justifier son nom ne fait que confirmer –, Fauvel voit sa fausseté et sa tricherie comme sources mêmes de son orgueil, de sa violence, du vacarme qu’il occasionne, selon la polysémie du terme revel69. L’origine de tous les vices se fonderait ainsi même dans cette fausseté dénoncée avec emphase tout au long de la définition donnée de Fauvel. L’association entre l’orgueil et la tromperie est révélatrice de la dynamique dans laquelle le Roman de Fauvel construit son rapport à l’hypocrisie, comme la source même de tous les vices, dont le tout premier d’entre eux même. La qualification de la tricherie miellee contribue à la réflexion portée sur la flatterie et la vanité indispensables sur la scène sociale, tandis que la nouvelle allusion au voile poursuit celle qui s’impose autour de la fausseté qu’elle caractérise. Fauvel se détermine donc comme un voile faux, qui, au-delà de dissimuler les signes, les brouille, aussi par sa fausseté elle-même dissimulée. La comparaison avec le Roman de la Rose s’impose une fois de plus. Sa triade trompeuse revendique à plusieurs reprises cette nécessité de camoufler la ruse pour en assurer l’efficacité70. L’univers religieux est convoqué par le terme voile, qui désigne autant ce qui cache que la pièce d’étoffe en particulier qui y sert, avant tout pour les nonnes71. Réapparaît ainsi la portée religieuse de la dénonciation de l’hypocrisie 457telle que l’introduit Jean de Meun en dépeignant Faux Semblant sous l’habit de moine. Comme pour Renart, la bestialité de Fauvel le distancie de prime abord de cette association spécifique, mais l’allusion répétée au voile qui fonde la signification de son nom y renvoie pourtant avec force. Elle s’avère même porter la réflexion centrale, introduite dans cette définition du héros du roman, sur sa nature insaisissable, à la fois trompeuse, car voilée, et voilée, car trompeuse. Fauvel reprend ainsi les enjeux de révélation de l’inaccessibilité des signes, et surtout du plus intérieur d’entre eux, brandie par Jean de Meun au gré de son long exposé autour de Faux Semblant. Le faux voile de Fauvel permet de dédoubler ce rapport de dénonciation entre l’univers social, convoqué par la critique de la flatterie, et l’univers religieux, induit par la question de l’habit trompeur. La spécification du voile constitue une alternative intéressante au manteau de Faux Semblant, orienté vers la critique des Frères Mendiants, là où ce voile permet une condamnation plus implicite et globale de la condition religieuse. Cette volonté d’élargir le regard porté sur l’hypocrisie religieuse s’inscrit dans un mouvement général de la tradition héritée de Faux Semblant, si bien incarnée par Fauvel. La suite de la description de Fauvel témoigne de cette tendance. Le nom de Fauvel est une fois de plus réactivé dans un acronyme accablant de vices72. À la dénonciation déjà entamée de la flatterie comme maîtresse d’un monde à la dérive, s’adjoignent celles de l’Avarice, de la Vilenie, de la Variété, de l’Envie et de la Lâcheté. On peut noter à ce sujet la proximité de Fauvel avec Renart, qui permet lui aussi de combiner la dénonciation de l’hypocrisie à celle de tous les vices dont il se fait aussi le symbole. Fauvel, le faux voile, la tromperie incarnée sous l’habit religieux, est ainsi fait père et origine non seulement de l’orgueil, mais aussi de nombreux autres péchés, au rang desquels on peut compter les odieux défauts d’avarice ou d’envie. Tous deux inclus dans la liste, canonisée par Grégoire le Grand, des sept péchés capitaux, ils sont l’un comme l’autre condamnés avec insistance au Moyen Âge. L’avarice, en particulier, fait l’objet de critiques dans la réflexion sociale portée sur la pauvreté dès la fin du xiie siècle. Elle concurrence même l’orgueil comme péché fondamental, en réaction à la valorisation de la charité que connaît le xiiie siècle73. L’envie s’inscrit dans cette dynamique de 458dénonciation des facteurs de déstabilisation sociale, au même titre que la lâcheté ou la vilenie. La variété nous paraît pour sa part participer à la mise en lumière de la non-fiabilité des signes. Fauvel fait ainsi encore écho au traître Faux Semblant qui clame son talent pour endosser toutes les identités74. Mais cette fois aussi, l’allusion se veut plus générale et contribue ainsi à l’accroissement de la sphère du vice qu’incarne Fauvel. Doublement exploité, son nom indique d’emblée la volonté de l’auteur de dépeindre dans toute son ampleur un monde atteint par le vice essentiel de l’hypocrisie. Il est dans ce cadre même présenté comme proche de sa fin, tel que le souligne Peter F. Dembowski75. Réapparaît de cette manière la dimension millénariste que véhiculaient Faux Semblant et Contrainte Abstinence dans LeRoman de la Rose76.
Fauvel semble surtout jouer sur la convention paradoxale de l’hypocrisie honnête de Faux Semblant. Tout comme son modèle, Fauvel se voit intégré dans ce cadre à un discours courtois dont il remet profondément en cause les logiques et composantes. C’est avec une franchise proclamée et revendiquée que Fauvel se prête, en vain, à la conquête de Fortune. Sont ainsi réitérées les affirmations de la sincérité et même du caractère irrépressible des sentiments que Fauvel chante à Fortune :
« Ne m’en puis plus celer ne tere :
Force d’amour le me fait fere !
Pour ce, dame de déité,
Vueillez avoir de moi pité
Car vraie amour si ne commande
Que je vostre amour vous demande77. »
Ou encore : « Ja n’aura en mon cuer faintise / dont d’Amour doie estre repris78 ». Reprenant à son compte tous les éléments essentiels du code courtois, Fauvel ne parvient cependant guère à faire oublier sa nature profonde. Même la Dame n’est pas dupe ici, et c’est d’ailleurs sur un 459rappel de sa perfidie diabolique que se conclut leur échange : « Tu es d’Antecrist le courrier79 », selon une formule qui le rapproche sans doute possible de Faux Semblant et de ses stratégies douteuses80. S’entrechoquent donc ici l’hypocrisie intrinsèque et affichée de Fauvel et une confession plus ou moins honnête de fin’amant qui tente de camoufler sous ce masque son identité de trompeur. Comme pour Faux Semblant, son honnêteté devient par essence non fiable. Elle se voit aussi mise à mal par les objectifs poursuivis par Fauvel dans sa prétendue déclaration d’amour. Sa tentative de séduction répond cependant avant tout à sa nature profonde, toujours à l’affût des flatteries et vaines gloires que pourrait lui prodiguer indéfiniment un mariage avec Fortune. Cette pseudo-sincérité amoureuse et cette nouvelle manipulation de l’idéologie et des règles d’expression courtoises participent du même jeu de masque que celui mené par Faux Semblant pour vaincre Malebouche, dans une optique hypocrite surexploitée ici aussi. Fauvel mêle toutes les sphères de dénonciation de l’hypocrisie : religieuse par le faux voile qui le détermine, amoureuse par cette appropriation du discours amoureux perverti par ses intentions intéressées, et sociales aussi par ses ambitions marquées dans son attention pour Fortune. Le Roman de Fauvel témoigne de cette manière d’un rapprochement plus important encore entre ces deux allégories de l’hypocrisie, mais aussi d’une parfaite compréhension des enjeux multiples incarnés par Faux Semblant au sein du Roman de la Rose.
Le personnage de Fauvel n’est pas le seul indice de l’influence qu’exerce l’œuvre de Jean de Meun sur la trame narrative du roman. Faux Semblant lui-même finit par apparaître aux côtés du cheval fauve. La cour de Fauvel intègre en effet le faux moine et sa mère, Hypocrisie. Outre l’incontournable Orgueil, mais aussi Presumpcion, Despit, Indinacion, Vainne Cointise, Vantance, Boban et Fole Outrecuidance, Ypocrisie et Faus Semblant sont présentés à la gauche de Fauvel :
Après se sist Ypocrisie,
Qui par dehors moult s’umilie
Mais en son cueur par grant mestrise
Respont Orguiel et sa mesnie.
C’est une dame merveilleuse :
460Une foiz est religieuse
En habit et puis seculiere,
Puis cordelier, puis cordeliere,
Puis jacobin, puis jacobine,
Une foiz dame, autre meschyne
Et puis seigneur et puis garçon.
Moult a cordes en son arçon :
A l’une et puis a l’autre trait ;
Devant la gent prie et barbete,
Mes ou cueur a la goupillette.
Bien set et par pais et par guerre
A Dieu faire barbe et fuerre !
Faus Semblant se sist pres de li
Mais de ceste ne de celi
Ne vous veil faire greigneur prose
Car en eus nul bien ne repose.
Et qui en veult savoir la glose
Si voist au romans de la rose81.
Là où les précédents vices introduits sont seulement énumérés, Hypocrisie fait l’objet d’une description bien plus ample, à la hauteur de son importance dans l’univers sur lequel règne Fauvel. La présentation qui en est donnée commence, de manière très pertinente pour notre propos, par souligner le conflit entre dehors et cœur pour la définir. C’est une fois de plus en regard du fond critique développé à l’encontre de l’hypocrisie religieuse que se construit cette rupture entre l’intériorité et l’extériorité d’Hypocrisie. L’opposition se concentre en effet sur l’humilité affichée en contraste avec l’orgueil qui anime en réalité le cœur d’Hypocrisie82. L’Hypocrisie prendrait ainsi sa source dans son cœur même, dans une dynamique directement émotionnelle. La noirceur du cœur en rupture avec le faux semblant manifesté évoque celle que souligne d’emblée Jean de Meun dans sa présentation de Faux Semblant83. L’enjeu central 461de ce passage se situe bien sûr du côté de la dénonciation de la superbia qui domine la pensée chrétienne, liée à la valorisation de l’humilitas construite selon le modèle christique. On retrouve ainsi l’association entre Hypocrisie et Orgueil déjà mise en lumière dans la définition même de Fauvel. C’est sur sa variabilité qu’insiste ensuite le narrateur, dans une autre démonstration de la proximité entre Fauvel et sa convive. Les alternances répétées entre l’une et l’autre ou l’anaphore de puis qui rythme son portrait participent, au niveau stylistique même, de cette caractéristique essentielle de l’Hypocrisie mise en scène ici. Tour à tour homme ou femme, jeune ou vieille, c’est surtout dans une dynamique religieuse que s’opèrent ses transformations84. Elle constitue ainsi le fil rouge de ce personnage marqué par son instabilité. Sa mutabilité est dépeinte comme une arme de grande utilité, ce qui joue bien sûr de l’ambiguïté qui entoure ces techniques trompeuses. Elle se fonde ici encore dans un rapport d’opposition entre la publicité de son attitude et son intimité, la réalité de son cœur. Le redoublement de cette précision liée au cœur souligne l’importance, dans la définition de l’hypocrisie proposée dans ce roman, de l’expression émotionnelle sincère. Le cœur s’oppose aux dehors trompeurs, comme lieu même de la sincérité rompue. Cela confère un rôle majeur aux émotions comme garantes de sincérité, ou objets de tromperie. En effet, c’est au sein même du cœur que se loge la ruse associée à Hypocrisie. Celle-ci se présente, en allusion à l’univers renardien qui irrigue celui du Roman de Fauvel, dans un jeu de mots avec le goupil féminisé, pour concorder avec le portrait dressé d’Hypocrisie, et minimisé par le diminutif -ette. Cette mise en lumière de la dynamique émotionnelle fondamentale aux pratiques hypocrites se concentre sur l’affect religieux, si ce n’est sur la flatterie dénoncée tout au long du roman. Les prières seulement apparentes jouent de ce double registre. Mais c’est l’atteinte à Dieu lui-même qui marque le plus nettement l’application religieuse d’Hypocrisie, et sa condamnation sous-entendue. À ses côtés siège donc Faux Semblant, son enfant, selon la généalogie proposée dans Le Roman de la Rose cité directement ici85. L’œuvre de Jean de Meun fonctionne ainsi comme une autorité dans la 462dévaluation de ces deux personnages. Il est intéressant de noter que, tout comme dans le cas de Fauvel, aucune vertu ne peut leur être associée. Le réseau Faux Semblant ne pourrait être plus explicite à ce stade du roman. L’influence qu’exerce le faux moine est révélatrice dans tout ce qui détermine Fauvel, défini avant tout par sa fausseté, par son rapport ambigu aux apparences, par sa dynamique religieuse. Il empreint également l’ensemble du portrait de sa compagne Hypocrisie, qui fonctionne comme une anticipation de celui, cité ensuite, de son enfant Faux Semblant, dénoncée pour son instabilité avant tout autre chose. C’est dans une optique religieuse que se construit cette dénonciation, pour le danger de mélecture qu’elle constitue par ces faux semblants d’humilité. Il s’agit là d’une menace obsessionnelle exposée dans les pratiques dévotionnelles en grand développement dès la fin du xiie siècle. Leur simulation infondée est fortement problématisée au gré des réflexions portées au cours du xiiie siècle sur la dévotion, qui se doit autant d’être sincère que manifestée. On note ainsi à ce niveau également la source d’inspiration que constitue Faux Semblant comme personnification des pappelards et la mise en perspective des apparences dévotes qu’il supporte. Cette orientation de l’héritage de Faux Semblant est confirmée par les trois voisines de table d’Hypocrisie : Varieté, Duplicité et Fausseté.
Dans la longue liste des convives qui nous est dressée, à la manière d’un exposé des vices, une certaine insistance s’observe donc autour des figures de la tromperie, encore rejointes par Barat, Boulerie, Faussart, Tripot et Tricherie, Traïson (encadrée de Murdre et de Roberie, dans une belle démonstration de la dévaluation du vice de mensonge intégré parmi ceux du meurtre et du vol), Parjures et Foi Mentie86. Présentées de manière très condensée, elles marquent l’omniprésence, presque angoissante, de l’hypocrisie. Mais l’accent se porte surtout sur la dimension versatile et non fiable de ce vice, avec le portrait connoté d’Hypocrisie, mais aussi ceux dressés de Duplicité et de Fausseté, critiquées pour leur « parole double » et leur caractère « desloial » quelle que soit l’apparence de « bien » qu’elles renvoient87. C’est la description de Varieté, déjà retrouvée dans la liste des vices endossés par Fauvel d’ailleurs, qui s’avère la plus porteuse à ce niveau :
463Aprés se sist Varieté
Qui en son dos avoit geté
Un mantel fourré de penthere
Fait de variable matere.
Et cele qui toust se remue
De chanjant est touz jours vestue :
Une chose dit, mais du faire
N’est riens fors que tout au contraire,
Et par sa belle contenance
Est elle appelee Inconstance88.
La reprise de la formule aprés se sist, qui introduisait aussi la description d’Hypocrisie89, renforce l’impression que les agents trompeurs sont omniprésents. L’instabilité dénoncée déjà chez Hypocrisie s’incarne à proprement parler ici. C’est, dans une autre référence très probable à Faux Semblant, sous la forme d’un manteau que celle-ci se problématise. Plutôt que celui d’un moine, il s’agit d’un manteau lui-même variable, selon une redondance révélatrice. La fourrure de panthère qui l’enveloppe pourrait quant à elle fonctionner en écho à la dimension bestiale souvent intégrée dans l’univers de la ruse, avec l’exemple fameux de Renart, mais aussi de Fauvel lui-même bien sûr90. La panthère joue a fortiori d’une forme d’ambiguïté qui répond directement à la personnification de la Variété. Elle apparaît en effet de pair avec le léopard, dont elle peut devenir le double positif. Investi de caractères négatifs, voire diaboliques91, le léopard s’oppose à la panthère qui se dote pour sa part d’un symbolisme christologique92. Le Bestiaire d’Amours développe une image intéressante autour de la panthère qui, lorsqu’elle a bien mangé et se réveille après trois jours tapie dans sa tanière, pousse un 464rugissement et exhale un doux parfum, source d’attrait pour tous les animaux, à l’exception du serpent (ou, en particulier, du dragon)93. La douceur de son haleine sert de tremplin à une association christique : descendu sur terre pour soustraire le chrétien à l’emprise du diable, le Christ rassemble, par sa bonne parole, l’ensemble des fidèles, tandis que le diable le fuit. Cette interprétation peut néanmoins se renverser et servir justement de critique de la pseudo-bonne parole, comme cela semble être le cas pour Varieté qui dit une chose, mais fait le contraire. On retrouve de cette manière la nécessité d’une adéquation entre les divers signes d’expression, parole et pensée, mais aussi parole et fait. Y est encore adjoint le signe du vêtement, défini ici par sa mutabilité. De manière intéressante, celle-ci est présentée comme permanente, dans un nouveau paradoxe de l’univers de la tromperie par cette instabilité constante. La rime finale entre contenance et inconstance joue du même rapport définitoire des apparences par essence non fiables. La mention de la belle contenance participe en outre de la réflexion autour de l’idéal de contrôle et d’avenance, dont le potentiel trompeur est volontiers mis en lumière dans ces incarnations de l’hypocrisie. La transition du bel au faux semblant mise en scène par Jean de Meun paraît irriguer cette définition de la contenance inconstante. C’est une fois de plus par le biais du vêtement que se fonde cette réflexion sur l’apparence trompeuse. Au-delà de l’écho évident à Faux Semblant, on constate ainsi l’existence d’une véritable tradition de l’importance accordée à l’habit. Sa valeur symbolique et indicielle, plus encore que celle de la physionomie en soi94, en fait un objet de contrôle de plus en plus essentiel au fil du xiiie siècle. L’enjeu de ce contrôle varie selon les sphères de pouvoir envisagées, dans une perspective de régulation sociale surtout quand il s’associe aux intérêts royaux, mais aussi dans une volonté de réforme morale menée, de manière intéressante, par les Frères Mendiants aussi95. Ce souci de limitation des abus s’accompagne d’une réflexion croissante sur le rôle signifiant de l’habit, dans un parallèle remarquable avec la propre logique qui entoure 465l’instance émotionnelle. Émerge une compréhension de l’habit comme reflet des dispositions intérieures, renforcée bien sûr par la pratique de prendre l’habit comme symbole de l’entrée dans les ordres, formalisée par saint Grégoire96. Césaire de Heisterbach témoigne de cette association dans un exemplum de son Dialogus miraculorum. L’adoption du vêtement religieux s’accompagne, dans son récit, d’un changement d’attitude, qui révélerait l’influence pensée réciproque au Moyen Âge entre intérieur et extérieur97. Les limites de cette connexion sont cependant tout aussi discutées que ses modalités et son importance. L’image des loups sous apparence d’agneau véhicule, depuis l’Évangile selon saint Matthieu (7:15), le danger de la distance qui peut se creuser entre l’extérieur et l’intérieur98. Faux Semblant la reprend à son compte, tandis que la littérature animalière s’en empare pour exploiter la dynamique anticléricale qu’elle aime à développer. Cette problématisation se concentre sur l’habit religieux en particulier, de manière assez logique eu égard à la crainte que suscite la plus condamnable des hypocrisies. Au vu de la valeur investie dans l’engagement émotionnel de la dévotion, la manipulation des signes requis à ce niveau, avec une importance là aussi croissante, devient l’objet d’une inquiétude sourde dans la littérature religieuse. Elle peut se prêter à une mise en scène d’une ironie mordante des dangers de l’hypocrisie, comme le révèlent Renart ou Fauvel. Ils illustrent la menace que représente la manipulation des gestes et rituels dévotionnels, comme celui de la confession ou surtout celui de l’habit supposé refléter les qualités intérieures. Elle s’intègre dans ces deux romans à une démonstration éclatante et totale du vice d’hypocrisie, avec tout le danger que recèle l’instabilité et l’illisibilité qu’elle induit. Le détournement des signes religieux constitue un argument révélateur du vice de telles pratiques. Les fausses prières de Renart, sa chappe ou le faux voile de Fauvel intronisé parmi les vices de la ruse et de l’inconstance en offrent des exemples significatifs, a fortiori dans le succès qu’ils rencontrent l’un comme l’autre dans les viles stratégies que viennent servir 466ces faux signes religieux. Mais ce jeu autour des signes religieux révèle aussi toute l’importance qui est accordé à l’investissement émotionnel comme corporel qui le soutient. Davantage qu’à leur détournement hypocrite incarné avec éclat par Renart ou Fauvel, nous aimerions nous dédier aussi aux conditions de ces manifestations dévotionnelles, devenues indispensables dans la pratique contritionniste en particulier, et aux réflexions que celle-ci occasionne quant au rôle du corps et à la relation qu’il entretient avec l’âme dans ce rapport à la dévotion.
De la miseracion des manifestations
et manipulations émotionnelles
À la mise en lumière des vices du mensonge et de l’hypocrisie plus généralement portée par Faux Semblant, Renart et Fauvel, se superpose, de manière presque paradoxale, une valorisation croissante des signes émotionnels dans la pratique dévotionnelle. Le développement de la confession, après le quatrième concile de Latran, suscite une réflexion importante sur les conditions de la bonne confession et accorde progressivement une place de choix aux émotions du repentir. Parallèlement, les relations entre corps et âme se nuancent, et ainsi les impératifs qui pèsent sur la sphère corporelle. Le corps devient peu à peu outil plutôt qu’obstacle de l’élévation spirituelle, pour autant qu’il soit dirigé par les idéaux de modération, de correcte orientation et de sincérité qui viennent le gouverner. L’idéal de correspondance entre intérieur et extérieur est de plus en plus investi, dans la compréhension des gestes comme des apparences qui doivent refléter l’investissement spirituel. Loin de sa rupture révélée avec éclat par Faux Semblant, c’est un impératif de concordance qui s’impose, avec toute l’importance qu’il confère aux manifestations émotionnelles supposées le permettre. Les rituels émotionnels et leurs indices corporels gagnent ainsi une importance cruciale dans la pratique dévotionnelle. En-dehors du détournement, et donc de la decepcion, potentielle de ces signes, il nous paraît important de mieux comprendre le rôle accordé à l’affect et au corps pour en envisager toutes les nuances de perception dans la littérature qui s’en fait l’écho.
467L’affect et le corps au cœur des rituels dévotionnels
Nous avons pu insister en introduction sur le rôle que prennent l’affect et le corps dans la pratique dévotionnelle. L’effort de gouvernement, indispensable dans le monde post-adamique99, se construit dans un idéal de gouvernement des âmes dans la logique ecclésiastique médiévale100. Or, comme nous l’avons constaté avec Fanny Oudin101, la discipline de l’âme se conçoit de plus en plus par le biais du contrôle du corps, selon cet idéal de visibilité qui domine dès lors la pensée médiévale102. Cette nouvelle modulation de la relation entre corps et âme attribue un rôle essentiel aux émotions, situées à la frontière de ces deux instances. Elles acquièrent ainsi une tout autre importance dans la spiritualité et gagnent même une place essentielle dans l’économie du Salut. Thomas d’Aquin témoigne de cette reconsidération des émotions en élevant l’amour comme base d’une morale émotionnelle qui, fondée sur sa correcte orientation, devient voie de vertu103. La culture affective est ainsi promue comme condition de l’éducation éthique, à l’école victorine notamment, essentielle dans cette mise en exergue des dynamiques émotionnelles de l’élévation104. La pastorale contribue grandement à la promotion de ce projet éducationnel centré sur les émotions105. Elle trouve aussi écho dans les pratiques sociales fondées sur la convenance, ainsi que dans les réflexions influencées par la pensée antique, en particulier aristotélicienne, fondée sur l’éloge du juste milieu. Le soutien dont bénéficie ainsi la pastorale facilite le développement de ces lignes de conduite et leur rapide propagation. 468La maîtrise émotionnelle se construit donc à la lumière d’exigences diverses et gagne ce faisant une importance considérable106. Émerge un idéal affectif généralisé, à la croisée des normes monastiques, sociales et scolastiques107. Le poids qui y est accordé et la multiplicité des recommandations qui pèsent à son encontre s’illustrent dans le personnage de Faux Semblant, inscrit dans une dynamique à la fois religieuse et amoureuse. Il est d’ailleurs possible que l’exergue mise dans la pratique spirituelle sur l’apparence nécessairement émise découle de cette interconnexion entre univers sociaux, courtois et religieux. La société du spectacle108, que nous aurons l’occasion d’analyser dans notre dernier chapitre, s’organise en effet dans une logique de visibilité essentielle, qui n’est pas sans faire écho à celle des rituels dévotionnels. L’impératif de modération, qui irrigue les règles de conduite cléricales, répond lui aussi à une visée exemplaire, qui nécessite d’être observable et donc apparente109. Le développement de la pastorale renforce cette exigence. Son activité publique allant croissant, le prêcheur abolit la distinction entre sphères intime et publique pour ne s’inscrire que dans une logique d’exemplarité et donc de visibilité110. La mise en place de rituels dévotionnels contribue également à la promotion des engagements à la fois émotionnels et corporels, en regard de cet impératif de visibilité. Aussi paradoxal que cela puisse sembler de prime abord, l’émotion est constitutive même du rite, dans l’implication affective qu’il nécessite, mais, de manière intéressante, toujours selon un idéal de mesure111. Émile Durkheim concevait d’ailleurs le rituel comme un guide de comportement face au sacré, comme le rappelle Edward Muir en insistant sur la dynamique émotionnelle fondamentale dans ce processus : « A ritual must do more than just recall an emotion 469through repetition. It must be experienced as an unified performance112 ». Les notions croisées d’expérience et de performance sont révélatrices de l’entremêlement des prescriptions liées aussi bien à l’attitude intérieure qu’à sa manifestation au cœur du rituel. La prière offre l’un des meilleurs exemples de ce rapport au rite. Relevant autant du rite que de la croyance, comme le souligne Marcel Mauss, la prière « participe à la fois de ce qui est le plus formel et normé, à savoir la ritualité, et de ce qui est le moins formalisable : l’attitude intérieure113 ». L’emphase reste mise sur l’engagement intérieur au gré des nombreuses codifications qui entourent l’acte de prière. Certes, la dimension publique du rituel, de prière ou de pénitence également, s’avère capitale, mais il convient qu’elle s’ancre dans une réalité affective. Ainsi, la pratique rituelle se conçoit dans un rapport de négociation voulu harmonieux entre sincérité et performance. Jean-Marie Sansterre, dans l’analyse qu’il consacre au culte de la Vierge chez Gautier de Coinci, insiste sur cette corrélation, d’apparence inconciliable, mais qui fonde la conception de la liturgie et de la dévotion qu’elle requiert : « Il n’y avait pas d’opposition entre une piété sincère et des pratiques de dévotion ritualisées relevant de la liturgie au sens large qu’il convient de donner à cette notion114 ». Les signes extérieurs requis dans la pratique liturgique ou pénitente se comprennent en effet toujours comme une traduction de l’intériorité115. Ainsi, à l’importance accordée aux apparences s’accole toujours celle qui est donnée à leurs racines affectives. Bien sûr, la crainte de voir ce rapport rompu influe très sûrement l’insistance avec laquelle il est justement mis en valeur. Une certaine distance se maintient donc dans cette relation aux signes physiques requis dans la pratique spirituelle, mais qui ne minimise finalement en rien le rôle qui leur est attribué. La formalisation des modes de prière déjà évoquée, mais surtout le développement des modes de repentir contribuent à cette valorisation des modes d’expression publics de la dévotion. La théorie contritionniste, en particulier, joue un rôle primordial dans la mise en exergue des larmes 470et autres gestes de repentir. Nous nous y arrêterons donc rapidement pour envisager les particularités de ce développement essentiel à la prise d’importance de l’émotion dans la pratique spirituelle.
La notion de repentir, définie comme un sentiment spontané de volonté de réparation des fautes commises116, ne connaît dans ce sens pas d’invention réelle. Néanmoins, on observe l’instauration d’une tendance pénitentielle liée aux traditions ascétiques aux iie-iiie siècles117. Son importance croît avec les réflexions de Tertullien ou d’Ambroise de Milan qui la considèrent comme une part du processus de conversion vers Dieu118. Apparaissent sur cette base des régimes pénitentiels spécifiques, qui évoluent selon les impératifs fixés en la matière. Jean Delumeau en identifie trois modes successifs119. À un premier régime fondé dans une grande mesure sur la publicité de la pénitence, requise par un aveu et par une réparation publics des péchés, succède un second, plus intime. Marqué par le rôle du directeur de conscience en essor dès les ive-ve siècles, il n’impose plus la confession publique que pour les péchés de grande gravité. C’est aussi l’époque du développement de la confession tarifée, établie selon les manuels réalisés à cet effet. La philosophie pénitentielle change du tout au tout entre les xe et xie siècles. Là où l’accent portait auparavant sur l’expiation en soi, c’est la conscience de l’intention qui devient essentielle. Pierre Abélard contribue beaucoup à ce schéma d’évaluation120, en accordant un grand rôle à la honte qui doit notamment s’y lier. L’investissement émotionnel se veut plus important encore ce faisant. Nous avons déjà pu insister sur le rôle exercé par la honte dans la dynamique du jeu amoureux121. La nuance que nous y soulignions entre bonne et mauvaise honte paraît aussi essentielle dans l’univers religieux. Elle éclaire sûrement le retournement de la decepcion à la miseracion des jeux émotionnels. Cette réflexion fait écho à celle que suscitait 471le voile de Fauvel, dans l’ambiguïté qu’il recèle. C’est en effet la honte qui est à la source du voile, conçu alors comme une forme de bonne dissimulation. Le vrai voile se fait le vêtement de la pudor, cette forme positive de honte. L’émotion se trouve ainsi à la source même de sa manipulation, dans toute la diversité de regards qui peuvent être portés à son encontre. Elle exerce aussi un rôle crucial dans la rhétorique du voile ou du dévoilement qui l’entoure aussi vite. Cela accorde plus d’importance encore au bon voile, mais ouvre aussi la voie au voile faux tel que celui de Fauvel. La honte symbolise l’ensemble du mécanisme de manipulation, entre ces deux extrêmes qui la caractérisent de decepcion ou de miseracion. Dans la sphère religieuse, elle prend une place fondamentale comme indice et condition de la pénitence. Damien Boquet insiste dans ce cadre sur l’utilité de la honte comme indice de la norme morale (et ainsi sociale) et comme bouclier de la vertu122. Semblablement, la confession tarifée disparaît au profit du contritionnisme, qui gagne en importance au fil des xe-xie siècles. La pratique pénitentielle s’oriente ainsi davantage vers l’intériorité du pécheur, même si la confession reste nécessaire dans ce processus. Elle est désormais secondaire cependant, l’emphase portant avant tout sur l’examen de conscience qui la précède. Le concile de Latran IV insiste sur ce point, tout en renforçant en parallèle la place du prêtre comme juge de ces démarches. À ce désir croissant de contrôle de la part du clergé se juxtapose néanmoins avant tout un phénomène d’intériorisation de la pénitence. Un tournant s’amorce ainsi au xie siècle : ce n’est plus la dimension extérieure, voire sociale, de la pénitence qui est favorisée, mais son engagement émotionnel123. La doctrine contritionniste marque l’aboutissement de cette réflexion, mais aussi l’apogée de la notion de repentir elle-même124. Elle prévaut aux xiie et xiiie siècles, avant de se voir concurrencée par la pratique confessionnelle plutôt dans la seconde moitié du xiiie siècle. Des solutions de continuité existent cependant, chez Hugues de Saint-Victor par 472exemple, qui exige à la fois la présence de larmes et la confession125. Il mêle ainsi les recommandations de la pénitence extérieure, pour les actes, et celles de la pénitence intérieure, pour l’intention126. La conjonction de ces conditions d’évaluation est bien sûr très pertinente, a fortiori chez un théologien si soucieux de l’investissement émotionnel127. Mais la théorie contritionniste en elle-même comporte elle aussi un grand intérêt pour le développement affectif et pour la réflexion qu’il implique quant à sa sincérité. La contrition repose en effet sur un idéal de repentir sincère, manifesté par les larmes qu’il provoque, en signe visible du pardon divin128. La dévotion larmoyante est ancienne : si elle n’est pas jugée indispensable à la conversion dans la Bible, de nombreux théologiens s’y consacrent dans leurs réflexions. C’est le cas de saint Augustin qui conçoit le don des larmes comme une effusion mystique, même s’il ne l’associe pas encore à une preuve de regret. Cassien y accorde une grande importance et valorise le plaisir qui peut en être retiré, à la condition que les larmes soient associées à Dieu. Évagre le Pontique est le premier à reconnaître la valeur des larmes comme symbole de mérite. On observe ainsi dès le viiie siècle le développement du don des larmes. Ce sont ensuite les règles communautaires qui contribuent à la réflexion sur les larmes, autant que sur le rire d’ailleurs. Saint Benoît surtout joue un rôle majeur dans la promotion de l’oraison larmoyante qui se voit institutionnalisée par son biais. La question du don des larmes demeure bien sûr complexe, comme le rappelle avec justesse Piroska Nagy en introduction de la thèse qu’elle a consacrée à la question129. C’est pourquoi nous ne visons ici qu’un historique rapide de la place accordée aux larmes dans la pratique pieuse, comme exemple immanquable de l’investissement émotionnel, et corporel, requis dans la spiritualité, et des problématiques qu’il peut entraîner. Nous ne pourrions prétendre à 473entrer dans le détail des théories et débats à mettre en perspective à ce sujet et préférons en proposer un exposé concis pour introduire les analyses que nous aimerions en donner dans le cadre littéraire. Le motif du don des larmes connaît une importance particulière dans l’hagiographie entre le ixe et le xie siècles, mais c’est surtout le xiie siècle qui s’avère le plus propice à la valorisation des larmes pieuses. L’élan mystique favorise ce développement, en parallèle des pratiques dévotionnelles et pénitentes que nous avons déjà pu mentionner. Le mouvement cistercien s’inscrit dans cet épanouissement en élaborant même toute une série de stratégies pour provoquer les larmes130. C’est sous l’impulsion des Cisterciens que la dévotion larmoyante, aux racines anciennes donc, se voit réglementée, notamment dans sa dimension visible131. Les larmes, comme tant d’autres signes extérieurs, prennent de l’importance comme reflet de l’intériorité, et en particulier du repentir, volontiers traduit par ses signes physiques déjà dans les premiers textes édifiants en la matière132. Comme indices de pénitence, voire même de connexion avec Dieu, les larmes endossent une fonction rituelle, mais aussi sociale, centrale133. Elles prennent ainsi de l’importance non seulement dans le contexte pieux en lui-même, mais aussi dans un cadre ritualisé. C’est d’ailleurs même leur portée rituelle qui peut fonder leur efficacité, comme le souligne William Christian dans un article pertinent consacré aux larmes provoquées134. La théorie contritionniste leur accorde dès lors un rôle majeur dans le processus de pénitence, comme signe de sincérité, ou, à défaut, de soumission135. Elle sous-tend dans ce sens la possibilité d’un apprentissage des larmes et de leur mise en scène, avec toutes les difficultés que cela peut poser136. La pratique du don des larmes relève ainsi autant de la démonstration de l’importance accordée aux indices corporels de la spiritualité que de la déconstruction de la naturalité évidente du corps. Lyn Blanchfield 474problématise ce rapport à la sincérité des larmes dans le processus rituel de la contrition. Elle met en lumière la valeur performative que peuvent prendre les larmes, avec une réflexion intéressante liée à leur soumission plus qu’à leur sincérité137. Elle atteste ainsi le poids exercé par l’exigence rituelle des larmes, et les dangers de mésinterprétation que cela peut occasionner. Les mises en garde fleurissent contre les erreurs d’interprétation des larmes. Jean Climaque souligne déjà l’importance de la responsabilité dans la progression spirituelle et donc les périls de la fausse componction138. Cassien condamne de manière explicite les larmes forcées. Il conçoit les larmes de vraie componction comme un don divin incoercible et dissocie dans ce contexte la dévotion larmoyante des techniques corporelles, les gémissements et larmes seulement extérieurs de ceux du cœur139. Dans cette lignée, Grégoire le Grand oppose les larmes qui manifestent seulement la crainte des péchés de celles d’amour et de désir de Dieu, de grâce à proprement parler140. L’âge d’or de la contrition est source de davantage de réflexions encore à ce niveau. Aelred de Rievaulx, par exemple, insiste dans ce sens sur la confusion possible entre larmes de componction spirituelle et larmes d’hypocrisie passionnelle. Il souligne le rôle joué par la volonté pour considérer les larmes de componction comme réelles et utiles. Il intègre ce faisant les larmes au cœur de la réflexion qu’il dédie à la spontanéité des affects et à leur modération indispensable, fondée justement sur la volonté, érigée comme moteur du contrôle et donc de la revalorisation de l’émotion141. La question de la spontanéité des affects, comme de leur manifestation physique, se pose en effet en particulier pour les larmes. Leur considération comme signe divin complexifie la donne, mais ne s’accompagne pas moins de prudence quant à la valeur à leur accorder. Les articles de William Christian ou de Gary Ebersole mettent bien en lumière l’importance qui leur est aussi donnée en tant que geste rituel, et la rupture que cela peut provoquer avec la réalité intérieure qu’elles présupposent142. Les larmes s’inscrivent 475donc dans la réflexion plus globale qui porte sur la nature du lien entre homo interior et homo exterior, très vivace pour les pratiques spirituelles qui la placent au cœur de leurs défis interprétatifs. L’émotion et son expression y occupent un rôle fondamental, s’y trouvent tour à tour valorisées et décriées, selon des nuances et des modalités d’évaluation de grand intérêt.
La littérature, édifiante, mais pas seulement, prend en charge ces réflexions. Elle met en scène l’importance qu’acquiert la contrition, mais aussi ses dérives et les difficultés qu’elle peut causer, plus encore peut-être dans le contexte narratif lui-même soumis déjà aux interprétations des auteurs. Elle s’avère d’autant plus intéressante à interroger qu’elle fait preuve d’une mobilisation rhétorique d’une grande richesse pour porter sa dénonciation de l’hypocrisie. Elle développe tout un système d’oppositions entre intérieur et extérieur, cœur et bouche, couvert et ouvert qui permet en outre de renverser la condamnation en valorisation. Jouant des nuances qui conditionnent le regard porté sur le jeu émotionnel, les œuvres littéraires retournent le rapport entre mensonge et vérité au gré de ces logiques rhétoriques qu’elles inversent pour ce faire. Nous accorderons une place importante à cette mobilisation rhétorique révélatrice de toute l’ambiguïté que les regards portés sur le jeu des émotions peuvent receler. Cette présentation que nous avons souhaité faire en deux temps, de la decepcion de l’hypocrisie assumée de Renart le Contrefait et de Fauvel à la miseracion des manifestations émotionnelles, mérite d’intégrer ces nuances. En réalité, il est difficile d’opposer de manière stricte la critique et la défense du jeu des émotions. À l’instar du personnage de Faux Semblant, il faut considérer l’entremêlement de ces deux logiques d’évaluation. Les figures de Renart le Contrefait et de Fauvel jouaient chacune de cette ambiguïté, louant une hypocrisie qu’ils contribuent autant à éclairer qu’à dénoncer. Les œuvres dont nous aimerions interroger la mise en scène des rituels dévotionnels participent de la même tension. Inscrites sous le prisme de la miseracion dans notre présentation, elles s’avèrent, dans une certaine mesure, bien plus critiques que les romans de Renart le Contrefait et de Fauvel l’illustraient sous la couche d’humour dont ils instillent leur condamnation. Elles témoignent chacune de cette tendance double à la critique et à la valorisation, conditionnées par ces nuances qui paraissent ainsi d’autant plus essentielles. Nous voudrions d’abord 476présenter les critiques acerbes des faux semblants dans le Liber Fortunae, avant d’envisager toute la diversité des enjeux émotionnels requis dans le pèlerinage de Guillaume de Diguleville. Ce parcours croisé éclairera de la même manière la condamnation, mais aussi la voie laissée ouverte au jeu des émotions. L’influence de Faux Semblant se conçoit ainsi dans une dynamique double, de dénonciation totale des manipulations ou d’une forme d’ambivalence qui mérite d’être mise en lumière au gré de cet exposé autour du bienfondé des manifestations émotionnelles. Aux manipulations éhontées de Faux Semblant viennent répondre d’autres justifications bien plus conformes aux idéaux de vérité, mais aussi de mesure qui continuent d’irriguer la réflexion autour des émotions. On observe ainsi, comme dans le cas de la communauté émotionnelle des amants, l’héritage de Faux Semblant, mais aussi la tradition sur laquelle il fondait son discours à l’égard de l’hypocrisie religieuse, en écho aux réflexions que nous avions pu mener à ce niveau. Le lien qui peut être tissé entre la dénonciation, mais aussi l’exception qu’y posait déjà Gautier de Coinci143, et le propre traitement de Guillaume de Diguleville témoigne de la ténacité de cette tension inscrite dans le jeu des émotions.
Enjeux et périls des manifestations émotionnelles :
le Liber Fortunae
La réception de Faux Semblant dans la littérature à dimension religieuse révèle toute l’importance qui a été accordée, au fil des réflexions menées sur l’investissement dévotionnel, au lien entre apparence et émotion spirituelles. La rupture que Faux Semblant y cause ne pouvait que susciter la réaction. Il devient le symbole de cette hypocrisie incarnée sous son manteau de moine et prend une place cruciale dans la dénonciation de telles manipulations du semblant dévotionnel. Le Liber Fortunae, rédigé dans la première moitié du xive siècle, offre un exemple révélateur de la dénonciation des faux semblants :
« Je te pourroie sermonner
Jucques a demain a l’adjourner,
Si tu n’y avoies le cueur
Que jamés n’y trouveroies feur
D’iqui ou tu es mal couchié
Et mal vestu et pis chossé.
477Pour [ce] dit on moult de legier
En ung proverbe en reprouver :
“Qui n’a couraige de bien faire
Il ne doit ja vestir la haire.”
Nulz hons ne doit faire semblant
De bien faire si n’a tallent
Du fie du tout de bon cueur
Sens monstrer Faulx Semblent defeur,
Car autrement se decepvroient
Ceulx qui de bon cueur ne le feroient
Et se seroit Ypocrisie,
Qui de Faulx Semblent est norrie ;
Et cë est ung mauvais pechié
Dont moult de gens sont entechié,
Qui font semblent qu’ilz soient bon
Et il sont mauvais et felon –
Si comme Jhesucrist le dit
Des faulx prophetes en l’Escript,
Qui se monstrerent a la gent
Par dehors a leur vestement ;
Qu’i sont a la brebis semblable
Et dedans sont loups ravissables.
Bien dïent, mes n’en font neant,
Qu’i sont vestuz de Faulx Semblant,
Qui est frerë a Trahison,
Qui traïct les gens sens raison,
L’orde mauvaise tr[a]ïstresse
Qui de tant de gens est maistresse,
Qu’elle a en sa subjeccion144. »
L’influence de Jean de Meun est évidente dans le portrait dressé de Faux Semblant en référence à l’Antéchrist, au loup de saint Matthieu, mais aussi à la thématique de l’habit. Renart le Contrefait en offrait un autre exemple révélateur, il s’agit là d’un paramètre central dans la dénonciation des manipulations émotionnelles145. La prise en charge du discours à la première personne du singulier, révélatrice de la mobilisation rhétorique volontiers déployée, renforce cette condamnation vigoureuse de la rupture entre apparences et actions. S’y inscrit par contraste l’accord entre cœur et extérieur, valorisé surtout au gré des bonnes 478actions qui peuvent en témoigner et du bon cœur qui doit les animer. La réalité du cœur et sa bonne intention continuent donc, plus encore après le Roman de la Rose et l’exemple si éloquent de Faux Semblant, à animer l’évaluation du jeu émotionnel. Le proverbe cité atteste de manière éloquente la dynamique de concordance nécessaire entre faire et haire, dans un écho probable à la rupture remarquable de la valeur de l’habit et des actions de Faux Semblant146. La traîtrise est soulignée en fin de passage, tout autant que le vice d’un tel comportement, qualifié de mauvais pechié. Les adjectifs dépréciatifs sont nombreux, dans un rapport d’opposition explicite avec la valorisation du bon cœur. Une fois de plus, le danger de trahison est dénoncé comme étant omniprésent et puissant, au vu du grand nombre de gens qui sont dépeints en sa subjeccion. Là aussi, le parallèle avec la description donnée par Faux Semblant du règne de ses parents Barat et Hypocrisie est patent147. La parenté prêtée à Faux Semblant participe d’ailleurs du sentiment d’oppression recherché. S’y adjoint encore Trahison, absente du tableau généalogique du Roman de la Rose. Néanmoins, le lien paraît logique. La figure de Trahison participe de cette omniprésence de la menace des hypocrites, surtout dans sa dimension politique. Celle-ci semble évidente à la mention de Trahison, a fortiori dans le lien tissé avec Envie et Orgueil, péchés capitaux surtout rattachés aux puissants. Mais l’entremêlement des vices se concentre avant tout dans une dynamique religieuse, insistante en fin de passage, avec l’allusion à l’ordre également. Nous devons aussi noter l’inversion dans le portrait dressé d’Ypocrisie, présentée comme la fille plutôt que la mère de Faux Semblant. Le jeu de reprise avec le tableau qu’en dressait Jean de Meun s’impose néanmoins sans aucun doute. Le rapport nutritif est réintroduit, tout comme la vaste question de la trahison, directement liée autant au mauvais cœur qu’à l’habit religieux148. Le Liber Fortunae permute donc le rapport à Faux Semblant, comme pour mieux mettre en exergue le danger qu’il 479incarne. Ce n’est plus Hypocrisie qui a la préséance du vice ici, mais Faux Semblant lui-même. Au vu du rapprochement proposé entre eux, on ne peut lire ce rapport de filiation inversé que dans le sens d’une dénonciation de la particularité même de Faux Semblant face à Hypocrisie : son rapport aux apparences. Davantage que l’hypocrisie elle-même, le Liber Fortunae a à cœur de mettre en lumière le vice des apparences trompeuses, dans une dynamique éclairée par la portée religieuse de cette condamnation. La question de l’hypocrisie religieuse et le débat qu’elle implique autour de l’habit, mais aussi le portrait brossé du conflit entre cœur et apparence, doivent ainsi beaucoup à la personnification que Faux Semblant offre de ce conflit. Pareille réflexion s’imposait d’ailleurs aussi à la présentation des convives de Fauvel. Si leur ruse était mise en exergue, c’est surtout celle des apparences qui était soulignée, dans le portrait de Varieté parmi tous les autres149. Soucieux de contrer le danger des apparences trompeuses, le Liber Fortunae livre une condamnation rigoureuse de tout écart entre homo interior et homo exterior, exemplifié par Faux Semblant. Il reproche ainsi aussi aux avares de simuler seulement la dévotion qu’ils affichent en priant Dieu pour ses bienfaits :
Des biens de quoy ont si grant gloire
N’en font a Dieu nulle memoire,
Fors que des levres et des mains ;
Et le cueur demeure tout plains
De barat et de tricherie150.
C’est surtout leur ingratitude qui semble condamnée, ou plutôt leur prétendue gratitude. Leur tort est souligné par un jeu de rime entre la gloire qu’ils peuvent en tirer et l’absence de memoire qu’ils en manifestent. Comme si souvent, l’opposition entre intérieur et extérieur rythme la dénonciation de l’hypocrisie dont sont accusés les avares. La memoire qui devrait les animer n’occupe ainsi que leurs levres et leurs mains. L’adverbe à valeur restrictive fors souligne la rupture qui s’opère entre l’apparence seulement offerte de la gratitude et le ressenti du cueur. Le redoublement des lieux corporels sur lesquels s’inscrit la memoire se pose ainsi en contraste avec le cueur qui en reste dépourvu. Celui-ci est pourtant 480dépeint comme plain151, mais pas de spiritualité ou de gratitude. Le doublet de barat et de tricherie fait écho à la tradition riche de mise en lumière de la tromperie, incarnée par Faux Semblant152. Ces seuls passages du Liber Fortunae offrent un exemple révélateur de la place laissée à Faux Semblant et de l’orientation qu’il induit dans la dénonciation de l’hypocrisie religieuse. Ils nous semblaient intéressants à introduire pour éclairer le traitement des jeux émotionnels dans la communauté émotionnelle religieuse, dominé par le souci de critiquer et contrecarrer le vice de Faux Semblant. Mais l’emphase mise sur la manifestation dévotionnelle incite autant à critiquer les débordements aussi éclatants que ceux de Faux Semblant qu’à valoriser le semblant émotionnel.
C’est chez Guillaume de Diguleville que se dessine le plus nettement cette variation d’appréciation des semblants manifestés et des critères qui les entourent. Nous terminerons donc notre analyse par un parcours rapide dans l’œuvre monumentale du Pèlerin de vie humaine. L’influence qu’y pèse LeRoman de la Rose est essentielle et paraît même justifier, plus que les critiques des faux semblants, les exceptions qu’y introduit également Guillaume de Diguleville. C’est dans ce sens que nous voudrions nous concentrer à présent sur la défense des manipulations émotionnelles à laquelle semble inviter le personnage de Faux Semblant, autant qu’il appelle à leur critique bien plus ferme. Dans la même tension que celle qui caractérisait celle de Gautier de Coinci153, l’œuvre de Guillaume de Diguleville mêle la condamnation et la valorisation du jeu des émotions, selon des nuances de grand intérêt pour percevoir les dynamiques qui peuvent le conditionner.
Enjeux et défense des manipulations émotionnelles :
le Pèlerin de vie humaine
Le Livre du Pèlerin de vie humaine offre l’un des exemples les plus évidents de l’héritage du Roman de la Rose, ne serait-ce que par sa reprise du schéma allégorique154. Le propos est cependant tout autre, bien sûr. La 481dynamique de reprise n’en est que plus intéressante, tout comme l’ensemble du jeu établi autour des aventures de l’Amant. L’hommage qui leur est rendu en guise de prologue se complexifie très vite. Davantage qu’à la seule pratique allégorique, Guillaume de Diguleville se rattache en effet au genre des voies de l’au-delà, courant au xiiie siècle, éclairé avant tout par une portée spirituelle155. Telle est, à n’en pas douter, la nuance fondamentale entre les deux œuvres. Bien loin de toute exploration courtoise ou de tout enjeu amoureux, Le Livre du Pèlerin de vie humaine propose à lire un autre type de quête. Pierre-Yves Badel résume à la perfection les particularités de ce rapport ininterrompu, mais presque polémique que Guillaume de Diguleville entretient avec le Roman de la Rose :
sous couvert de l’imiter, il donne à lire un pèlerinage plus édifiant que celui de l’Amant, puisqu’il ne s’agit de rien d’autre que de montrer comment l’homme élevé dans les principes de l’Église et muni des sacrements et vertus qu’elle enseigne peut, quand il s’est fourvoyé, avec l’aide de la Grâce retrouver la voie du salut en se pliant à la discipline du cloitre. Guillaume imite Jean de Meun tant par le choix de la forme du songe que par l’ampleur de l’œuvre qui expose de délicates questions théologiques (transsubstantiation, libre-arbitre et influence astrale) et prend parti dans le domaine politique ; mais c’est pour décrire un modèle de vie tout autre que celui qui se dessine à la lecture du Roman. Implicitement, la première rédaction du Pèlerinage est déjà un Anti-Roman de la Rose156.
C’est dans cette optique d’opposition que se lit le plus souvent le lien entre Jean de Meun et Guillaume de Diguleville. La formule 482de contrepartie religieuse du Roman de la Rose a fait succès parmi les spécialistes du Livre du Pèlerin de vie humaine. Ils insistent de cette manière sur le phénomène de transposition qui le caractérise. Animé par un important souci de diffusion de ses idées, Guillaume de Diguleville justifie son recours à la langue vulgaire et pose sûrement dans ce cadre également son choix d’offrir une forme allégorique au message qu’il souhaite faire passer. L’inspiration qu’il puise dans LeRoman de la Rose s’inscrit dans la même lignée. Guillaume de Diguleville profite du succès de cette œuvre profane incontournable pour mieux la détourner au profit de ses propres objectifs. Le ressort principal de sa transposition réside bien sûr dans l’esprit religieux qu’il insuffle à la quête dépeinte dans son propre songe, bien loin de celui de l’Amant157. Fabienne Pomel commente dans ce sens le travail de réécriture du Roman de la Rose mené par Guillaume de Diguleville comme appelant à une vision spirituelle du pèlerinage. Elle met en lumière le processus de restitution de la métaphore du pèlerinage à la tradition sacrée elle-même, autour notamment des motifs essentiels de la quête, mais aussi du jardin et du miroir158. Ses réflexions sur la question sont révélatrices de la richesse du jeu de reprise mis en œuvre dans Le Livre du Pèlerin de vie humaine :
Le miroir du Pèlerinage de vie humaine en reflétant la Jérusalem céleste et non plus le buisson de roses offre désormais un objet religieux au désir du songeur et un tropisme paradisiaque à la quête, réorientée vers un enjeu spirituel. Il s’oppose par sa taille et son unicité aux deux miroirs des cristaux au fond de la fontaine de Narcisse, qu’annonçait déjà le miroir d’Oiseuse, portière du jardin de Déduit. En cela, Guillaume de Digulleville suit Jean de Meun qui substituait aux deux cristaux une escarboucle unitaire et triple, renvoyant à la Trinité divine, et qui opposait, non sans équivoques, à la fontaine de mort du jardin profane la fontaine de vie de son parc de l’agneau159.
483La portée religieuse inscrite au cœur de la réécriture proposée par Guillaume de Diguleville éclaire également son rapport à la tromperie et à la tradition de Faux Semblant qui l’incarne dans le roman de Jean de Meun. La nécessité de repenser le personnage et l’influence de Faux Semblant s’impose plus encore à cette lumière, puisque le motif du pèlerinage se voyait détourné, dans le Roman de la Rose, par celui entrepris par Faux Semblant et sa compagne pour vaincre et tuer Malebouche160. Sylvia Huot s’est consacrée à cette part de l’héritage du Roman de la Rose dans son analyse du Livre de Pèlerin de vie humaine, qu’elle conçoit comme le résultat d’un travail généralisé de remplacement de l’allégorie érotique par une allégorie religieuse. Elle souligne l’intérêt que présentent les figures de Genius ou de Faux Semblant dans cette perspective, mais aussi les difficultés qu’elles posent. Guillaume de Diguleville ne peut en effet passer outre les questions du cadre théologique offert à la quête érotique par Genius ou de corruption religieuse soulevées par Faux Semblant. Plus encore, ces deux personnages endossent, non sans le problématiser, le rôle de confesseurs, une pratique essentielle à l’époque de rédaction du Livre de Pèlerin de vie humaine. Leur ombre plane donc de manière presque obligatoire sur cette quête de la bonne foi que retrace le pèlerinage. Par trop problématiques sûrement, Guillaume de Diguleville ne les introduit néanmoins pas en tant que tels. C’est par d’autres voies qu’il critique la corruption monastique, surtout dans la deuxième version de son œuvre. La présence de Faux Semblant se devine derrière le portrait d’Avarice, associée à l’hypocrisie, à la tricherie, mais aussi à la haine de la pauvreté161. On retrouve ainsi un écho au débat sur les Frères Mendiants qui occupe beaucoup Jean de Meun à travers le discours de Faux Semblant162. Le faux moine influerait aussi le personnage de Satan lui-même163. La déconsidération de l’hypocrisie ne saurait être plus explicite. Ce rapport d’opposition est d’autant plus marquant qu’il contraste 484avec l’attitude générale de Guillaume de Diguleville vis-à-vis du Roman de la Rose, relativement élogieuse comme le souligne John V. Fleming dans son étude de la réception du roman164. Son hommage à l’œuvre de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun se construit cependant dans un esprit par trop différent pour qu’il ne se voie pas relativisé autour de ses questions les plus problématiques165, au rang desquelles Faux Semblant figure au premier plan. L’influence la plus manifeste de Faux Semblant transparaît dans une certaine ambivalence à l’encontre des jeux d’apparences, qu’il est intéressant de révéler. C’est a fortiori par le prisme de personnages emblématiques, celui de Trahison ou celui de Sapience par exemple, que s’exprime le double mouvement opéré dans cette œuvre, de dénonciation et de valorisation des manipulations des apparences émotionnelles. L’importance de ce roman dans l’héritage du Roman de la Rose, mais surtout les particularités de son traitement des enjeux autour des émotions et de leur manipulation requéraient que nous nous y arrêtions au terme de cette étude de l’empreinte de Faux Semblant dans la littérature de composition religieuse. Les nuances que Le Livre du Pèlerin de vie humaine y introduit légitiment ce parcours. Plus encore, elles ont l’intérêt de faire écho à celles que nous avons trouvées dans notre étude des dynamiques amoureuses et d’annoncer celles, plus grandes encore, que nous pourrons lire dans la perspective sociale sur laquelle nous voudrions clore notre analyse des jeux émotionnels.
Guillaume de Diguleville s’inscrit nettement dans la lignée critique exposée tout au long de ce chapitre. Il porte une condamnation haute en couleurs de toute rupture du lien entre intérieur et extérieur, indispensable à la correcte appréhension des pratiques dévotionnelles, contritionnistes, de confession ou de prière plus largement. L’importance qu’il accorde au pouvoir signifiant des rituels spirituels paraît évidente dans le cadre symbolique du pèlerinage qu’il choisit de dépeindre. Il s’intègre en ceci à la perfection dans la réflexion portée à l’encontre des atteintes et des limites des conditions de manifestation de l’investissement rituel. Les portraits de personnages révélateurs comme Trahison ou Satan offrent des occasions immanquables de dénoncer le vice de fausseté au gré des rencontres du pèlerin sur la voie de la bonne foi. Mais c’est aussi, avant 485cela, par le biais de formules percutantes de concision que ce message s’exprime. Ainsi, la figure de Raison, directement reprise du Roman de la Rose, mais porteuse d’un tout autre type de discours, se lance dans une défense des bons vicaires, centrée sur la qualité essentielle de leur miséricorde. De manière intéressante, celle-ci se conçoit avant tout dans le cœur, quelle que soit la nécessité de son application pratique dans la mission des vicaires : « “Dedens soies misericors, / quel que tu soies par dehors”166 ». Guillaume de Diguleville met en lumière l’opposition entre dedans et dehors dans la syntaxe même, présentée en chiasme ici. La reprise du verbe être marque plus encore l’enjeu de la nuance posée entre intérieur et extérieur, et donc de l’impératif présenté par Raison. Les apparences auraient ainsi peu d’intérêt dans ce cadre, à rebours de la tradition insistant sur l’importance du bon semblant, voire même du faux semblant selon le double mouvement esquissé au sein du Roman de la Rose. C’est au nom de la pureté du cœur que s’esquisse cette indifférence à l’égard du dehors. Une déconsidération marquée des signes extérieurs accompagne cette recommandation de Raison.
Davantage que leur caractère peu fiable, Guillaume de Diguleville dénonce leur fausseté potentielle, a fortiori dans le cadre rituel de la prière. L’écart entre cœur et extérieur occupe une place importante dans la condamnation qu’il porte tout au long de son œuvre à cet égard. En écho à la tradition développée à ce sujet par les théologiens évoqués en introduction, la critique se concentre sur l’acte de pénitence ou de prière, fondé sur une sincérité indispensable autant que difficile à appréhender. Vertu Morale s’y arrête au gré de son argumentaire, centré pourtant sur la valorisation du juste milieu dans l’élaboration de la bonne voie du pèlerin :
« Qui Dieu de la bouche prie,
Et le cueur n’y entent mie,
Qui fait cë affin que veü
Il soit des gens et parceü,
Qui le prie pour richesse[s],
Pour honneurs et pour nobleces,
Pour avoir mondaine gloire
Ou pour chose transitoire,
486Qui le prie en mortel pechié
Ou pense que tost enteché
En sera et prochainement,
Qui le prie cru[eus]ement,
Sens aucune devocion,
Ne valent ses pris un bouton :
Faus chemins sont [et] faus sentiers
Par lesquieulx on est forvoiés167. »
L’image du pèlerinage est convoquée en conclusion, comme pour insister sur le rôle central joué par la dévotion dans le rituel et le fourvoiement que toute entorse à celle-ci entraîne sur la bonne voie à suivre. Le défaut de la mauvaise prière dépeinte ici est explicite. La rupture qu’elle implique est d’emblée soulignée, dans le rapprochement présenté entre la bouche qui seule porte la prière et le cueur qui n’y est mie, dans la rime justement entre le verbe prier et l’adverbe de négation. La conjonction de la bouche et de Dieu contribue également à la mise en exergue du péché commis. La bouche s’intègre à la liste de ces signes extérieurs dépréciés, a fortiori dans le rapport d’opposition qu’elle entraîne avec la prière du cœur, devenue formulaire dans la valorisation de la prière sincère. On observe en effet, sur le modèle offert par le Christ qui recommande de prier en secret (Mt 6:5-6), une concentration sur la prière sincère silencieuse. La tradition rhétorique des oppositions fondées sur le corps et le cœur vient renforcer cet idéal de sincérité dans la bonne prière louée par Guillaume de Diguleville. Plus explicite encore, il présente l’acte de prière dans un lien direct à Dieu, destinataire d’une prière qui ne nécessite en rien l’action de la bouche. La bouche vient ainsi comme rompre l’acte de communion que la prière est supposée incarner, en s’immisçant, dans le texte même, entre Dieu et le verbe prier. Les compléments introduits pour qualifier l’auteur de cette prière de bouche relèvent de la même dynamique dépréciative. Vertu Morale commence en outre par souligner l’optique uniquement extérieure dans laquelle cet homme s’inscrit. Son objectif est en effet démontré, a fortiori par un doublet synonymique révélateur veü-parceü placé à la rime, comme résultant du seul souci des apparences. Le contraste avec Dieu est encore renforcé dans ce cadre : ce n’est en effet pas de lui dont il est question, mais des gens seulement. Cela étaye bien sûr l’opposition avec la portée divine de l’acte de prière et 487annonce la critique mondaine introduite juste ensuite. Le détournement des signes dévotionnels faisait exactement l’objet de la condamnation que Thomas d’Aquin porte à l’encontre de la simulation. Il souligne pour cela une fois encore le vice de mauvaise intention qui la sous-tend, mais aussi son orientation uniquement mondaine, telle que la décrie ici Vertu Morale :
Ad primum ergo dicendum quod opus exterius naturaliter significat intentionem. Quando ergo aliquis per bona opera quæ facit, ex suo genere ad Dei servitium pertinentia, non quærit Deo placere, sed hominibus, simulat rectam intentionem, quam non habet. Unde Gregorius dicit, 31 Moral. [ cap. 13 ] , quod « hypocritæ per causas Dei intentioni deserviunt sæculi : quia per ipsa quoque quæ se agere sancta ostendunt, non conversionem quærunt hominum, sed auras favorum. » Et ita simulant mendaciter intentionem rectam, quam non habent, quamvis non simulent aliquod rectum opus quod agant 168 .
L’argument intentionnel occupe une place centrale dans la dépréciation de Thomas d’Aquin, qu’il rattache directement à la sphère mensongère. La reprise de la relative quam non habe[n]t souligne le défaut de cette simulation, fondé sur sa mauvaise intention, mais surtout sur le détournement qui en est opéré. Notons au passage l’importance accordée par Thomas d’Aquin aux gestes extérieurs, qui permettent un accès immédiat, naturel même, à l’intention. On retrouve ici la logique du voile supposé refléter l’intérieur et donc l’idéal de lisibilité mis à mal à la source de la critique d’une telle simulation. Thomas d’Aquin confère ce faisant bien plus de poids à la dénonciation qu’il introduit, mais aussi plus largement à la mise en lumière du vice de simulation. Le recours à l’autorité de saint Grégoire exacerbe la critique de la vanité d’une telle simulation, qui ne vise, quelles que soient les bonnes actions accomplies par ce biais, que les applaudissements. Chez Vertu Morale aussi, la condamnation se poursuit, dans une logique progressive, par la démonstration de la vanité d’une telle prière, de son 488péché et de sa futilité. La portée argumentative du discours de Vertu Morale transparaît bien à ce niveau, puisque c’est au fil d’un parallélisme, lui-même intégré à un jeu de répétitions, que se construit la dénonciation. Trois occurrences de la relative qui le prie la ponctuent en insistant sur la rupture opérée entre cet acte de communion supposé avec Dieu – directement rapproché de la prière ici – et les défauts de la prière en question. Les richesses, honneurs et nobleces d’abord évoqués constituent autant d’arguments de la condamnation portée. Ils relèvent tous trois d’un souci purement terrestre, voire matériel, et ne peuvent que s’opposer à la dynamique d’élévation qu’est censée servir la prière. Deux autres pour scandent encore la liste dépréciative introduite ainsi par au moins cinq répétitions de cette préposition finale. Les épithètes ajoutées qualifient plus nettement encore la vanité de ces objectifs. La gloire n’est que mondaine et la chose visée transitoire, dans une nouvelle mise en exergue du contraste posé avec le caractère justement supposé éternel des objectifs de la prière. C’est sur la futilité de la prière et de son auteur que se clôt l’argumentaire de Vertu Morale. Celle-ci n’a d’égal que la futilité de son implication émotionnelle, dénuée de tout fond et surtout de toute dévotion. La formule proverbiale employée pour asséner cette conclusion Ne valent ses pris un bouton contribue, par sa tonalité familière, à souligner la critique, au-delà du réseau référentiel au Roman de la Rose169. De manière intéressante, la condamnation des chemins suivis ainsi se concentre donc sur leur fausseté. Il ne serait d’ailleurs pas impossible de lire ici une allusion à Faux Semblant lui-même dans la qualification, redoublée comme pour mieux la souligner, des chemins et sentiers du mauvais pèlerinage blâmé par Vertu Morale170.
L’écho est indéniable en tout cas dans le portrait dressé de Trahison. À l’issue d’un véritable tableau généalogique du vice paraît la figure de Trahison, nièce d’Orgueil, fille d’Envie, sœur de Detracion. Ce lien 489de sororité, renforcé par leur position dos à dos dans la première présentation qui en est donnée171, constitue d’ailleurs un rapprochement intéressant de la fausseté avec la médisance, incarnée par Malebouche dans le Roman de la Rose. Detraction se compare en outre elle-même à sa sœur Trahison, quand elle insiste sur la dissimulation qu’elle offre à ses futures victimes :
« Je les abaie derriere,
Ja soit ce que belle chiere
Aussi com ma suer par devant
Leur contreface et beau semblant172. »
La conjonction de ces attitudes trompeuses dénote une volonté de critique généralisée du vice d’hypocrisie. Les réflexions que celle-ci implique au niveau du jeu intertextuel produit autour du Roman de la Rose comportent elles aussi un certain intérêt. Le personnage de Trahison s’inscrit en effet dans un réseau riche et porteur, révélateur de l’influence exercée par Faux Semblant. Le Liber Fortunae témoignait déjà de cet héritage particulier de Faux Semblant, également dans une dynamique presque généalogique173. La suite du portrait dressé par Guillaume de Diguleville pour cette figure révélatrice de la dépréciation des attitudes trompeuses témoigne mieux encore de cet univers référentiel :
L’une estoit emmuselee
D’un faux visaige et celee
Avoit au dessous sa façon
Affin que ne la veïst on.
Un coutel a la main destre
Et une boite a senestre
Tenoit, mes le coutel muçoit
Derriere li et reponnoit174.
La description se concentre sur son apparence et sur sa fausseté, sa dissimulation et son inaccessibilité, tandis que la référence au couteau offre un clin d’œil immanquable au rasoir qu’emploie Faux Semblant 490pour assassiner Malebouche175. Pareillement porté, et caché, de la main droite, le coutel paraît endosser toute la symbolique du danger et de la fausseté qui caractérise Trahison, a fortiori en écho à celui de Faux Semblant. Son père, maître de l’école à laquelle sa mère Envie l’envoie pour mieux l’assister dans ses basses manœuvres, détaille dans ce sens les attributs qui lui sont ainsi associés. Le long discours qu’il dresse à sa fille constitue une véritable leçon de tromperie :
Quant me vist : « Or ça ma fille,
Dist il, bien voi que de guille
Et d’aucun malice savoir
Tu veulx pour la gent decevoir.
Je [le] t’aprendrai voulentiers,
Et se bien aprends serai liés. »
Quant ot ce dit, il defferma
Une huche et hors en sacha
Ceste boiste et faus visage,
Et bailla en tapinage
Ce coustel quë en muça[i]lles
Je porte et en repotailles,
En disant : « Fille, qui oisiaus
Veult decevoir, espoentaus
Ne met pas en la pesiere
Ou vont, n’en la cheneviere,
Car se espoventail vëoient
Ja dedans il n’enterroient.
Pour tant ma fille le te di,
Car se veulx decevoir autrui,
Ne faut pas que (ta) laide face
Espoventement (si) li face,
Que ton visage contrefait,
Hideus et tenebreus et lait
Tu li monstres, quar perdroies
Le labour quë y mectroies176 »
Le préambule apporté à son enseignement précise déjà l’optique dans laquelle il se construit. Les enjeux usuels de telles scènes d’apprentissage 491sont ici détournés au profit de la guille et de la malice. Surtout, les attributs de Trahison sont présentés en amont de la leçon elle-même et gagnent ainsi encore en importance pour atteindre ses objectifs. De manière intéressante, ces objets sont dépeints soigneusement rangés, mais aussi cachés ainsi. Le verbe deffermer désigne en effet avant tout l’acte d’ouvrir, mais aussi celui d’ôter ce qui est couvert, un sens qui fait écho aux enjeux de dissimulation et de révélation présentés ici177. On retrouve ainsi la dynamique double recommandée par les personnages du Roman de la Rose de dissimulation de la simulation178. La boiste s’inscrit sûrement dans cette logique en offrant un réceptacle portatif et donc une cachette permanente à ces objets179, en attendant que son utilité soit davantage précisée. Là réside bien sûr le cœur de la trahison, qui requiert la discrétion nécessaire au succès de ses mauvaises intentions. Le faux visage constitue une allusion assez certaine à Faux Semblant, qui incarnait tout entier cette fausseté des apparences. Il proclamait en effet son utilisation de l’habit religieux dans cette optique de discrétion de sa ruse180. L’introduction d’un couteau parmi les emblèmes accordés à Trahison laisse moins de doutes encore sur le jeu intertextuel monté ici par Guillaume de Diguleville. La présentation du couteau en est elle-même significative. Il lui est délivré en tapinage, autrement dit de la même manière trompeuse que celle qui caractérisait l’arrivée de Faux Semblant et d’Abstinence Contrainte auprès de Malebouche181. Bien sûr, la formule permet d’étayer la logique dissimulatrice dans laquelle l’ensemble de ces objets sont remis à Trahison, mais elle ne peut que rappelerles manières caractéristiques du faux moine, a fortiori dans le cadre du pèlerinage qu’il entame alors et du don d’un coutel servant des desseins fort similaires à celui du coupe gorge de Faux Semblant182. La rime muçailles-repotailles insiste encore sur ce paramètre essentiel de discrétion, que le parallélisme appuie à l’issue de cette présentation. 492La leçon en elle-même s’ouvre sur l’image fort symbolique de la chasse aux oiseaux. Elle évoque, outre, une fois de plus, le danger des pièges tendus par Trahison, un motif de la rhétorique amoureuse, celui de la capture dans les laz d’amour. Elle pourrait donc elle aussi proposer un écho au Roman de la Rose qui relate la quête entreprise pour s’emparer de l’amour de la dame. Mais notons d’emblée que l’objectif n’est pas même de prendre les oiseaux, mais bien de les decevoir, selon une forme de personnification explicite. Là aussi, on peut trouver un parallèle avec le Roman de la Rose, et ainsi une dénonciation de la leçon qu’il offrait. Il s’achevait en effet non pas sur la conquête, mais sur la prise presqu’abusive de la Rose, dans une forme de decepcion des codes de la fin’amor. L’allusion à la conclusion qu’offre Jean de Meun aux aventures de l’Amant se veut plus significative encore par cette critique implicite bien sûr. Pour Trahison, il convient surtout pour cela de ne pas effrayer les oiseaux, d’éviter donc les épouvantails au sein des champs dans lesquels elle pourrait les piéger. C’était d’ailleurs la leçon de la triade trompeuse du Roman de la Rose : endormir la vigilance de ceux qu’ils trompent en camouflant leur ruse pour en assurer l’efficacité183. Dans la métaphore agricole développée par Trahison, il est question de champs de pois ou de chanvre, d’aliments peu nobles en soi, comme pour mieux révéler l’erreur de s’y laisser attirer peut-être. Le réseau métaphorique tissé autour de l’épouvantail est d’une grande complexité, mais surtout d’une grande richesse. Il révèle toute l’importance, et la malignité, de l’enseignement de Faux Semblant. Comme lui, l’épouvantail se veut sincère dans sa ruse. Surtout, il affirme lui aussi qu’il faut cacher que l’on souhaite les chasser pour attraper (et tromper) les oiseaux. En-dehors du rappel de la leçon du faux moine, cette analogie mêle, voire pervertit, l’image de l’agriculture, qui vise à effrayer les méchants oiseaux, avec celle de la chasse, qui vise, elle, à attraper les oiseaux, avec tout l’intérêt de la comparaison qu’elle induit avec l’Amour oiseleur. L’épouvantail symboliserait ainsi la nécessité de tromper, par la discrétion qui doit le caractériser, ceux qu’il cherche à attraper alors qu’il les chasserait s’il se montrait au grand jour. Se conjuguant, ces métaphores révèlent la part trompeuse de telles attitudes. Mais elles peuvent aussi rapprocher l’épouvantail de la pratique allégorique 493elle-même, telle que Guillaume de Diguleville la cultive. Il la fonde en effet dans une dynamique de mise à distance insistante des dérives du droit chemin, révélée dans les figures très laides dont il cherche à détourner, à l’instar de celle de Trahison. Tout en témoignant de la rupture possible entre intérieur et extérieur, il la restaure donc dans ces portraits significatifs, à la manière de ceux qu’offrait Guillaume de Lorris des Images du Mur du Verger. L’objectif de ne pas épouvanter les victimes potentielles de Trahison est précisé sur un mode plus concret ensuite, hors de l’univers agricole, mais non sans que l’enjeu de tromperie ne soit justement répété. L’idée de travail fourni y est conservée même hors de la métaphore, dans une belle démonstration des efforts nécessaires pour decevoir qui sont détaillés. Il s’agit d’ailleurs là d’un parallèle intéressant avec les codes de maîtrise émotionnelle fondés sur les efforts à fournir pour ce faire. Le premier conseil réside dans la dissimulation des défauts concrétisés par la laideur de Trahison. Répété à deux reprises, le qualificatif de sa laideur s’accompagne de plusieurs autres adjectifs insistant sur sa difformité. Ils révèlent la propre noirceur de sa personnalité, selon l’association bien établie dans la pensée médiévale entre traits physiques et traits de caractère. On trouve une démonstration éclatante des dangers de la théorie de la concordance entre intérieur et extérieur et comme une justification, non sans critique bien sûr, de la rompre. Outre la dénonciation sous-entendue du vice de Trahison, la mise en lumière de sa laideur joue bien sûr de l’épouvante crainte par son père, a fortiori dans le contexte presqu’infernal dans lequel il la présente. La suite de sa leçon s’axe, plutôt que dans ce contrordre, vers un conseil qui relève, de manière intéressante, de la convenance :
« Mes il convient, chiere fille,
Qu’aies maniere soutille
De li moustrer beau semblant
Et belle chiere par devant,
Que faces com l’escorpion
Qui fait par simulacion
Beau semblant et belle chiere,
Et aprés point par derriere.
Et pour ce que sens faillir
Tu puisses faire et acomplir,
Coutel et boiste a oignement
494Et faus visage te present.
Ce sont instrumens et oustis
Par qui ont esté mains peris :
Joab, quant Amasan tua
Et Abner, jadis s’en aida ;
Judas pas desgarni n’en fu
Quant il vendi le roy Jhesu ;
Triphon aussi et autres mains
D’avoir les ne se sont pas fains.
Je les te lo, fille, a porter
Pour ta mere reconforter,
Pour aidier li a parfaire
Ce que seule ne puet faire.
De l’oignement ceulx tu oindras
Que du coutel ferir voudras,
Et du painturé visage
Au tien couvrir feras cage,
C’est a dire que ton pensé
Tu couverras de fausseté,
Et par dehors demoustrerras
Autre que dedans ne seras184. »
On retrouve la formule usuelle des codes comportementaux de bienséance : il convient. Surtout, elle est suivie de recommandations centrées sur la bonne apparence à manifester, dans un jeu d’écho immanquable à cet univers. Dans un rapport d’inversion intéressant, il n’est plus question de ne pasmontrer le lait visage, mais donc de montrer le beau semblant. Redoublée de son expression synonymique de belle chiere, la formule participe de cet intertexte, a fortiori valorisée comme elle l’est en se voyant associée à la subtilité. Pareilles manipulations du semblant sont volontiers dépeintes comme relevant de la sagesse dans les manuels de comportement ou dans les arts d’aimer notamment185. Cette démonstration préconisée n’est cependant qu’apparente bien sûr, uniquement orientée par devant. Le retournement est d’autant plus notable qu’à ce par devant, qui caractérise l’exhibition d’un beau semblant – dans une nouvelle répétition du doublet synonymique qu’il forme avec belle chiere, comme pour mieux en souligner la reprise ludique, du moins 495détournée –, répond un par derriere venu qualifier, plus encore que des mauvaises intentions, les coups portés par le scorpion auquel Trahison est ainsi comparée. L’univers infernal réapparaît au fil de cette métaphore révélatrice de la dynamique trompeuse, et fatale, recommandée à Trahison186. La noirceur de ses objectifs ne saurait se manifester plus clairement. On retrouve toujours l’héritage de Faux Semblant, qui jouait lui aussi du lien tissé avec Beau Semblant et de la nécessité, pour assurer la discrétion, de faire davantage que se dissimuler, de simuler une bonne apparence, toute fausse qu’elle soit. C’est pour assurer le succès de ces démarches que Trahison se voit remettre les oustis déjà évoqués. L’insistance, mise à la rime, sur la volonté d’acomplirsens faillir dénote l’importance accordée à ces instruments et à leurs enjeux. Elle offre une nouvelle comparaison probable aux ressorts des propres attributs et démarches de Faux Semblant au moment d’entamer son prétendu pèlerinage, qui connaît la réussite qu’on lui sait, ou de Renart dont les démonstrations de son art sont si souvent auréolées de succès187. L’utilité des outils est en tout cas exacerbée par l’usage qui leur est prêté déjà par plusieurs traîtres fameux. Inspirés de la tradition biblique, ces exemples témoignent de la portée critique qui pèse autour de la tromperie, associée par ce biais au meurtre même. Tous assassins autant que traîtres, ces personnages attestent l’influence des réflexions portées à l’encontre des vices de mensonge et d’hypocrisie, dans la veine biblique notamment, mise en question au gré de ce débat. Guillaume de Diguleville semble donc prendre le parti d’une condamnation totale de telles pratiques, en dénonçant les pires de leurs exemples, Judas au premier rang bien sûr. La dépréciation n’a cependant d’égal que la démonstration de l’utilité de ces objets. Leur qualification redoublée d’instruments et d’outils instille d’ailleurs une concrétisation intéressante de la tromperie au moment de la conclusion des enseignements qui les entourent. Leur utilité est rappelée dans ce cadre, et le lexique employé pour ce faire contribue à la valorisation des manipulations de Trahison au profit de sa mère Envie. Les notions de réconfort et de perfection offrent en effet 496une coloration pour le moins ironique à ce tableau. L’association entre Trahison et Envie se marque ainsi plus nettement encore188. La leçon se clôt sur une ultime précision de la fonction de ces outils, au-delà de celle des paroles onctueuses de flatterie encore détaillées en renfort à l’issue de ce discours189. L’entremêlement de l’une et l’autre nous paraît d’ailleurs fort intéressant. Il révèle la portée des réflexions émises autour du mensonge et de la simulation. L’influence de Thomas d’Aquin a déjà été notée au sein du Livre du Pèlerin de vie humaine190. Le rapprochement des manipulations des apparences avec celles liées aux paroles, au mensonge stricto sensu, y participe à n’en pas douter. Il atteste le cheminement effectué par les théories de la Somme théologique et par la condamnation des « mensonges en action191 ». Le rôle joué par la boiste, tenue de l’autre main par Trahison, se voit spécifié à cette aune. Plutôt qu’un moyen de dissimulation pratique du faux visage affiché par Trahison, il s’agit d’une boîte à onguents, dont la nature est exposée justement comme complément du couteau. Sa perfidie transparaît déjà par sa position, dans la main gauche. Par contraste, le couteau tenu de la main droite symboliserait l’intention réelle des actions de Trahison. Tout comme le beau semblant camoufle les dards du scorpion qui point par derriere, les oignements permettent de mieux tromper les futures victimes de ce coutel dissimulé. Le fonctionnement conjoint de ces deux attributs offre un parallèle remarquable avec LeRoman de la Rose. Davantage que les attributs de Faux Semblant, c’est la flèche de Bel Semblant qui est ainsi évoquée. Le tableau qu’en dressait Guillaume de Lorris faisait en effet aussi état d’un oignement utile pour contrer ses effets tranchants192. La 497flèche conjuguait ainsi deux actions, d’oindre et de frapper, de la même manière que les mains de Trahison sont dépeintes le faire. Leur intervention est néanmoins inversée dans la logique trompeuse dans laquelle s’inscrit Trahison par contraste avec Bel Semblant. Cette reprise s’avère plus qu’enrichissante dans notre optique d’analyse. Elle atteste le jeu opéré par Jean de Meun sur cette figure du premier Roman de la Rose, par la réception qu’en propose lui-même Guillaume de Diguleville. Le rasoir d’acier auquel est comparée l’action de la flèche d’Amour réapparaît sous une forme plus puissant encore dans les propres mains de Faux Semblant, selon le basculement effectué, ou la transition ainsi démontrée plutôt, chez Jean de Meun du bel au faux semblant. Mais nul onguent, hormis celui que l’on peut voir dans le faux manteau de moine, n’était employé par Faux Semblant. Guillaume de Diguleville cherche ainsi à démontrer la double filiation de Trahison, le lien fondamental entre le Beau et le Faux Semblant que Jean de Meun mettait en lumière au travers de sa reprise du personnage de Guillaume de Lorris. Il témoigne ce faisant de la malignité plus grande encore de Trahison, qui use des charmes du beau semblant, des onguents qui les incarnent, pour mieux dissimuler le couteau qui lui servira à nuire à ceux qu’elle aura ainsi embaumés. Bien sûr, l’action de Trahison s’intègre ici dans un cadre nettement dépréciatif, au contraire de celle de la flèche de Bel Semblant. Celle-ci s’avère néanmoins étrangement similaire, et la critique portée à son égard déborde ainsi sur celle, outre de Faux Semblant, de Bel Semblant lui aussi. Toutes les références à la belle chiere et à la convenance incluses dans la leçon dispensée à Trahison pourraient se lire dans le même sens. Cette mise en parallèle de Trahison avec Faux, mais aussi avec Bel Semblant soutiendrait ainsi une dévalorisation implicite de l’ensemble des manipulations des apparences davantage que de la seule hypocrisie explicite du faux visage endossé. C’est d’ailleurs sur la fausseté de ce visage que le père de Trahison achève sa leçon. L’enchaînement des vers marque le lien entre ces attributs, de l’oignement au coutel bien sûr, mais aussi à ce painturé visage qui rappelle celui de Faux Semblant, « blanc[he] dehors, dedenz nerci[e]193 ». L’image de faire cage de ce faux visage peut rappeler celle des oiseaux développée au début du discours. 498Elle atteste ainsi la dynamique dangereuse qui entoure la pratique hypocrite, au-delà de la dépréciation qu’elle véhicule aussi. Comparer le péril de la tromperie à l’emprisonnement s’avère révélateur. Hors de toute métaphore, l’enseignement se veut explicite en conclusion. Pour ce faire, on vient opposer la pensé et la fausseté, l’être et le démontré, le dedans et le dehors, soit recourir à toutes les oppositions rhétoriques possibles à cet égard. Les jeux de rimes sont significatifs, tout comme la reprise du verbe couvrir pour qualifier autant l’action portée sur le masque de Trahison que sa pensée à proprement parler. La portée symbolique de ces derniers vers est encore soulignée par les éditeurs du roman, qui relèvent l’écho aux versets de saint Matthieu : « Ainsi vous aussi au-dehors vous paraissez justes aux hommes ; mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité » (Mt 23:28). Le vice d’hypocrisie ne pourrait être mieux mis en lumière, ni sa condamnation, qui se veut totale et sans nuances.
Nous l’avons dit, la mise en garde émise ainsi à l’encontre des pratiques hypocrites s’intègre également au portrait du personnage de Satan. Guillaume de Diguleville martèle plus encore par son biais la condamnation qu’il souhaite en proposer, de par la noirceur inhérente et évidente de cette figure. Tout comme Trahison et l’ensemble des vices personnifiés au gré du pèlerinage, Satan expose, avec une sincérité presque paradoxale, sa nature et sa fausseté. Il s’en étonne d’ailleurs lui-même :
« Or t’ai je dit tout verité
Que pas n’avoie acoustumé.
Onques mais sens menterie
N ’en dis autant en ma vie194. »
Sa remarque est intéressante. Elle témoigne, selon l’analyse qu’en proposent d’ailleurs aussi les éditeurs, de la volonté de Guillaume de Diguleville de dépasser le paradoxe Faux Semblant. Ils notent en effet : « La voix de la vérité passe par Satan à son corps défendant, comme elle traverse indistinctement tous les personnages du récit, bons ou mauvais, vices ou vertus : même les vices disent la vérité sur eux-mêmes ; ils tombent le masque, leur laideur parle pour eux195 ». Guillaume de Diguleville paraît ainsi répondre au trouble jeté par Jean de Meun sur l’absolu de 499concordance nécessaire à l’écriture allégorique comme à l’expression émotionnelle. Il en dénonce les ruptures avec bien plus d’emphase sur leur malignité que le faisait Jean de Meun avec Faux Semblant. Mais surtout, il veille à le restaurer par ces personnages d’une laideur révélatrice et surtout par leurs discours d’une sincérité irrépressible. Le paradoxe du menteur personnifié par Faux Semblant se trouve réorienté au profit non plus d’une confiance impossible à placer dans son discours, mais, par le biais de la propre surprise de Satan, de la démonstration de la force de la vérité. La résolution des ambiguïtés cultivées par Jean de Meun entre sincérité et fausseté occupe une place centrale dans le jeu de reprise opéré au sein du Livre du Pèlerin de vie humaine. C’est ainsi que Satan clame son identité et son objectif de piéger l’ensemble des poissons de la mer dans laquelle il pêche de sa ligne, nommée Tentation196. Il reprend donc à son compte l’avertissement qui était celui de Faux Semblant, en affirmant sa ruse et le danger qu’il incarne ainsi :
« Mes pour ce ne te dis je pas
Que tu te fies tant ne quant
En rien dont te voise parlant,
Car de decepvoir ai mil ars
Et mil et mil que ne vois pas.
Faulx visage pren bien souvent,
Et dissimulle faussement
Que soie ange de lumiere
Et que mal faire ne quiere.
Avise toi comment deçu
L’ermite a qui je m’apparu
En faux visage et semblance
De bon message et de bon ange197. »
La résolution du paradoxe ne saurait être que partielle si l’on se cantonne à ce passage. L’influence de Faux Semblant est explicite une fois de plus : la révélation de la fausseté va de pair avec celle de la non-fiabilité des apparences comme des paroles, dont, bien sûr, celle qu’il porte en proposant cet avertissement. Il en allait exactement de même de Faux Semblant qui, en conclusion du long portrait qu’il avait dressé de lui-même à la demande d’Amour, affirmait son hypocrisie 500pour la souligner, mais aussi comme pour annuler l’ensemble de sa présentation préalable198. La mise en garde de Satan se fonde, comme celle que proposait Faux Semblant, sur un tableau révélateur de sa fausseté. Au-delà de l’affirmation de la non-fiabilité de ses paroles, il s’étend en effet sur ses autres méthodes trompeuses. Leur qualification comme ars évoque celle qui venait résumer la ruse de Renart dans le roman de Renart le Contrefait199. Dans ce cas aussi, il était question de souligner la diversité des formes qu’elle pouvait endosser : apparences, paroles ou actions. Son insistance sur la multiplicité de ses méthodes, au gré des trois mil qu’il répète ainsi de manière hyperbolique, porte d’emblée sur leur caractère non visible. Mais Satan se concentre ici surtout, comme le faisait Faux Semblant, sur celle des apparences. Son exposé s’arrête avant tout au faulx visage qu’il présente, à la dissimulation et à l’apparence qu’il prend. Le vice de pareilles manipulations est bien pris en charge, dans l’opposition démontrée avec la qualité des apparences affichées, de bon message et même de bon ange, dépeint d’ailleurs comme animé d’aucune mauvaise intention. En outre, la victime de la tromperie décrite par Satan est un ermite – selon un exemplum repris de Jacques de Vitry –, personnage positif qu’il est encore plus condamnable de decevoir ainsi. L’emphase mise sur le semblant davantage que sur la parole mensongère, arme première du Diable dans la tradition biblique, témoigne ainsi autant de l’influence de Faux Semblant – l’association stricte construite dans ce passage entre fausseté et visage en est révélatrice – que de celle des théories développées autour de la simulation200. Son intégration au sein d’une œuvre allégorique de reprise du Roman de la Rose témoigne de l’importance prise par cette réflexion à l’encontre des actes autant que des paroles mensongères. La prise en compte des dynamiques qui relèvent encore du seul Bel Semblant chez Guillaume de Lorris est aussi essentielle à ce niveau. Guillaume de Diguleville participe de la sorte du mouvement entrepris par Jean de Meun de mise en lumière de l’hypocrisie de ces pratiques sociales de bienséance. Émerge un refus 501absolu des manipulations des apparences, plus encore dans la volonté de Guillaume de Diguleville de revoir la copie du Roman de la Rose. C’est sans aucun doute dans cette optique de l’élévation vers Dieu visée par le pèlerinage qu’elle expose et condamne de manière aussi virulente toute manipulation des semblants, tout recours aux faux visages. Leur qualification, presqu’implacable tout au long du roman, comme faux rend explicite autant leur dénonciation que l’influence qu’exerce Faux Semblant en la matière. Elle ne laisse ainsi aucune place à une forme de valorisation du semblant comme bel plutôt, ou autant, que faux. Le personnage de Raison lui-même exacerbe l’importance de lever les masques derrière lesquels on peut se cacher à des fins avenantes :
« Toux vices voulentiers le font,
Et maintes fois couvers se sont
Du nom de vertu contraire
Pour moins a la gent desplaire201. »
La finalité de la couverture, de ne pas desplaire a la gent, correspond à un souci social largement partagé par les manuels de comportement ou les romans courtois202. La nature trompeuse d’une telle manipulation, qui relève pourtant seulement de la couverture, est néanmoins démontrée par Raison. Le choix même de ce personnage pour porter cet argument est symbolique : la contenance avenante relève le plus souvent de l’autorité de la raison dans les manuels de comportement203. Guillaume de Diguleville manifeste par ce biais son souci de reconsidérer la part positive laissée aux manipulations des semblants émotionnels. La rime entre vertu contraire et desplaire atteste le renversement opéré et la fraude commise. Surtout, ce sont les vices qui recourent à cette couverture, ce qui ne peut bien sûr que la décrédibiliser. Ainsi, même la logique courtoise ne peut justifier la manipulation des semblants, l’hypocrisie 502de paraître au-dehors autrement qu’on ne l’est au-dedans, de jouer de ses émotions. L’intégration d’une comparaison avec Bel Semblant était bien évidemment révélatrice dans cette optique204.
Notons néanmoins l’importance que conserve la maîtrise émotionnelle, que Guillaume de Diguleville valorise d’ailleurs directement à l’égard de l’usage des sens. Ainsi, l’armure de vertus dont Grâce Dieu pare le pèlerin est équipée du heaume de Tempérance, comme nous l’avions souligné dans notre analyse du principe de garde205. Mais bien plus que de reconnaître la vertu d’Attemprance, et son influence bénéfique sur l’attitude du pèlerin, le Livre du Pèlerin de vie humaine propose une exception bien plus importante à sa condamnation des manipulations émotionnelles et des jeux de semblants dénoncés avec éclat dans le jeu de reprise qu’il propose du Roman de la Rose. Guillaume de Diguleville introduit en effet une entorse notable à ce rejet absolu de la scission cœur-semblant décrié comme hypocrisie pure, associée tour à tour à la Trahison et à l’Envie ou à Satan. Dans un contraste étonnant avec le regard porté sur cette opposition entre intérieur et extérieur au gré des leçons délivrées à Trahison, Guillaume de Diguleville défend cette rupture dans sa description du pain de Sapience :
« Certes, dist elle, aussi est il
Du pain que j’ay fait si soutil,
Car dehors je n’ay pas moustré
Le grant tresor qu’ay ens bouté.
Mis l’i ay tresrepostement
Pour donner a la povre gent
Que Charité tient a amis
Et en bon chemin se sont mis,
Affin qu’en soient repeü
Tres grandement et soustenu.
Car, se dehors moustré estoit
Et com est grant on le vëoit,
Nul n’en oseroit approchier
Ains aroit on assés plus chier
Avoir souffraitë et grant fain
Ou aller querre ailleurs son pain206. »
503La nuance est bien mise en avant, éclairée par l’intention poursuivie au gré de cet écart entre dehors et ens. Plus de deux cents vers formalisent, avant cette conclusion explicite, le souci de justification du bienfondé du conflit entre intérieur et extérieur. De manière intéressante, il se pose au cœur du débat qui confronte Sapience et Aristote, envoyé par Nature pour ses « mespreisons moustrer207 ». Elle ne peut en effet accepter la leçon, que Sapience délivre à Charité, de pétrir son pain pour « que par semblant petit fust208 », « comment que grant le feïst209 » afin « qu’atoux suffire p[e]üst210 ». Aristote s’oppose aux arguments de Sapience, accusant son pain d’être « deguisés », c’est-à-dire à la fois hors norme, contre-nature et d’apparence trompeuse211. Affirmant sa supériorité sur Nature et Aristote, qu’elle dépeint d’ailleurs comme ayant eux-mêmes été de son école212, Sapience s’offusque de ces accusations « de fraude et decepcion213 ». Elle s’en défend finalement par une autre image que celle du pain : celle d’une bourse qu’elle offrirait à Aristote qui n’y découvrirait qu’ensuite les pièces d’or qu’elle renfermerait214. Ayant obtenu son accord qu’il n’y aurait là rien d’hypocrite, mais au contraire « un tel don / plain d’amour et courtoisie, / dë honneur et grant franchise215 », Sapience livre son argumentaire en faveur du pain de Charité, qu’elle valorise en reprenant notamment les propres qualificatifs d’Aristote d’amour, de courtoisie et d’honneur. Plus encore, elle le fait relever de la subtilité, de la même manière que le faisait le père de Trahison en lui recommandant l’usage du faux visage qu’il lui remet216. Le renversement de l’un à l’autre exemple n’en est que plus significatif. La prise en charge des discours, par Sapience ou par le père de Trahison, témoigne en soi de leur orientation critique dans l’œuvre de Guillaume de Diguleville. Mais il est notable que, dans les deux cas, la manipulation soit revêtue du même qualificatif, quelle que soit leur appréciation respective. Ainsi, les jeux de dis-simulation participeraient d’une forme d’ingéniosité ou 504d’art, à la manière de celui développé par Renart au fil de ses péripéties, qu’on les prône ou qu’on les condamne. Car la valorisation portée à l’encontre de ce jeu d’apparences est ici indubitable. On a beau retrouver l’opposition entre dehors et ens, critiquée tout au long des autres passages que nous avons pu citer du Livre du Pèlerin de vie humaine, son évaluation se voit inversée face aux autres cas de figure rencontrés jusqu’alors. Là où le beau semblant servait à couvrir le mauvais fond, voire même le vice comme dans le dernier passage évoqué217, c’est ici un grant tresor qui se trouve ens bouté, alors que l’apparence se veut petite seulement. La répétition de cet adjectif dans la description donnée du pain218 est révélatrice du contraste recherché avec l’épithète grant qui détermine l’intérieur envisagé. Il rejoue celui cultivé dans les paraboles bibliques de la graine de moutarde dont la taille figure celle de la bonne foi (Mt 17:20) ou du levain qui permet de faire lever la foi (Mt 13:33). Elles éclairent le retournement qui s’opère ici sur la base de la taille, jugée insignifiante, de l’objet de la dissimulation. Elles dictent un appel à la lucidité, qui n’est pas sans ouvrir à une lecture méta-discursive. La valorisation par Guillaume de Diguleville du trésor pourrait en effet contribuer à la réflexion qu’il souhaite mener sur l’exercice allégorique lui-même, mis à mal autant que l’accès à la vérité par Jean de Meun. Il assénerait par ce biais sa leçon, quelque part assez similaire à celle que proposait Jean de Meun d’ailleurs, de l’importance de discerner la vérité, avec tout le paradoxe de présenter l’allégorie comme petite, alors qu’elle s’avère énorme, plus encore dans le Livre du Pèlerin de vie humaine. Ces réflexions littéraires mises à part, le jeu mené sur la manipulation émotionnelle est indubitable. Le renversement est travaillé dans la reprise des stratégies rhétoriques habituelles pour la signaler. La dynamique dissimulatrice est bien prise en charge : les couplets ens-dehors sont répétés à plusieurs reprises, et l’adverbe emphatisé tresrepostement indique nettement l’optique dans laquelle le pain est pétri. Il semble jouer d’une valorisation typique de la discrétion dans l’univers religieux. On retrouvait en effet la même idée dans l’épisode d’Hélène de Benoïc, invitée par un moine du couvent dans lequel elle s’est réfugiée à manifester en « repost » seulement sa tristesse219. Le rattachement à la Charité suffit bien sûr à assurer la 505logique appréciative, de la même manière que l’association à l’Orgueil chez Gautier de Coinci220 ou à l’Envie dans le cas de Trahison221 indiquait la dépréciation sous-entendue des manipulations recommandées. La rime entre l’adverbe repostement et la povre gent joue dans ce sens de valorisation, tout autant que l’insistance sur le bon chemin suivi dans ce cadre. L’association entre la charité et sa discrétion paraît d’autant plus louable qu’elle s’inscrit dans la lignée des recommandations bibliques. De la même manière que Jésus prône l’usage de la prière silencieuse222, il vante celui de l’aumône faite en secret (Mt 6:24). Sapience se veut plus ferme encore dans ses arguments et dans son opposition surtout à l’accusation de decepcion. Elle s’en sert comme base de la réfutation formelle qu’elle propose en conclusion. Elle l’encadre de cet argument qu’elle présente ainsi comme intenable :
« Si que n’est pas decepcion
Icy mes miseracion,
Liberalité et (grant) amour
Et courtoisie et grant hounour.
Mes se dehors eusse moustré
Grant apparence et ens bouté
Chose qui peu a prisier fust
Ou peu de quantité eüst,
Lors me peüsses argüer
De decepcion et blasmer223. »
Sa défense est à la hauteur de la critique portée et de la dépréciation bien connue de l’hypocrisie. Elle contrecarre l’accusation par non moins de cinq vertus, qu’elle reprend en partie, on l’a dit, à Aristote directement. Notons que les trois premières relèvent davantage de la sphère sociale, du moins de considérations humaines. Sapience y adjoint 506peut-être pour cela celles de miseracion et de liberalité, plus directement liées à la vertu de Charité qu’elle soutient alors. L’argument de miseracion en particulier est intéressant, la liberalité s’associant de manière plus évidente à la Charité. Il l’est d’autant plus qu’il constituait déjà le cœur de la recommandation de Raison que nous citions en amorce de notre analyse du Livre du Pèlerin de vie humaine224. Il symbolise une émotion et une vertu essentielles, qu’il est révélateur d’intégrer à la défense d’une forme de manipulation quand il servait auparavant à insister sur la vertu intérieure à posséder quels que soient les dehors démontrés. Il permet donc de mettre l’accent sur la qualité de l’intérieur avant tout. La répétition de l’adjectif grant concrétise la valorisation du grant tresor avec ces qualités ainsi énumérées. Mais cet adjectif permet aussi de mettre en lumière le contraste qu’opère ensuite Sapience pour mieux réfuter l’accusation. Il qualifie en effet l’apparence que Sapience aurait au contraire pu choisir de moustrer. La reprise du même adjectif permet de mettre en exergue le renversement entre le jeu contestable et celui qui s’avère bien plus louable, celui qui vise la grandeur de l’apparence ou celui qui vise la grandeur du cœur. La formule ens bouté réapparaît aussi dans ce jeu de renversement, tout comme celle de moustrer dehors qui révèle l’enjeu central de révélation de l’intériorité ici en question. Ainsi, la decepcion dont se défend d’une part Guillaume de Diguleville est blâmée par ailleurs quand chose qui peu a prisier fust, plutôt que ce grant tresor, se trouve ens bouté. Le rapport d’inversion ne pourrait être plus clair au gré de ces jeux de répétitions et de ruptures, de l’ensemble des moyens rhétoriques remobilisés ici à cette aune. Le message que livre ainsi Sapience se veut lui aussi explicite. Bien plus que de s’opposer aux condamnations en creux portées par le biais des portraits de Trahison ou de Satan, le discours de Sapience soutient lui aussi la critique de la fausseté, et surtout des dangers de la fausse dévotion. Les nombreux jeux d’opposition qui jalonnent ce passage témoignent de la volonté de renverser la tendance critique assumée tout au long du pèlerinage, mais surtout de mettre en lumière les deux facettes de la rupture du lien entre intérieur et extérieur. En effet, le cœur de la défense de cette manipulation se situe dans son association à la charité et, plus encore, à l’humilité. Tout autant que Gautier de Coinci vantait la vertu du 507moine qui dissimule ses larmes225, Guillaume de Diguleville livre une défense éclatante d’une forme de tromperie qui vise la discrétion humble. Le renversement paraît donc permis par ce critère fondamental qu’est celui de l’intention, forcément bonne si elle relève de vertus essentielles de la pratique dévotionnelle. Les arguments employés par Sapience tendraient d’ailleurs à le souligner. Elle se prémunit en effet au-delà des accusations de tromperie de celles de sophisme dont la taxe Aristote.
Or, la tradition anti-sophistique que nous présentions en introduction, incarnée notamment par Quintilien, se caractérise justement par la défense qu’elle délivre du mensonge bien intentionné. Plus encore, le philosophe proclamait sa préférence de la vérité tue plutôt qu’altérée, ce qui semble tout à fait correspondre à la leçon délivrée par Sapience226. Bien sûr, Guillaume de Diguleville fait aussi allusion ainsi au débat porté par Faux Semblant contre, ou pour, l’utilité des arguments sophistiques227. Il en propose une condamnation bien plus ferme, autant dans la critique des formes inacceptables de jeux des émotions que dans la défense de celles qu’il tolère et encourage. On retrouve ainsi les enjeux du débat porté tout au long du Moyen Âge sur le mensonge, ses modalités et sa condamnation. Guillaume de Diguleville atteste à n’en pas douter sa vivacité, dans la réflexion qu’il présente autour de l’hypocrisie des semblants davantage que des paroles, autour de l’ensemble des manipulations des apparences, qu’elles relèvent du Bel ou du Faux Semblant, ou surtout de l’évaluation indispensable de celles-ci à la lueur de l’intention qui les anime. Il témoigne de la prégnance de ce débat, dans la continuité des réflexions menées par Gautier de Coinci, dans toutes les nuances qu’il pouvait déjà introduire dans ses Miracles, mais avec plus de force encore dans son souci de répondre et réorienter les conclusions du Roman de la Rose. À tous ces niveaux, qu’ils relèvent du débat sophistique, allégorique ou herméneutique, Guillaume de Diguleville marque son souhait de redresser la morale instillée par Jean de Meun par le biais de son personnage de Faux Semblant. Tout en mettant lui aussi en exergue la non-fiabilité des signes, il en propose 508une nouvelle évaluation, qui s’inscrit autant dans la tradition du refus de toute manipulation, surtout dans la sphère religieuse, qu’attestait le roman de la Queste del saint Graal228, que dans une volonté de réorientation des manipulations émotionnelles bien intentionnées qu’illustrait aussi déjà l’œuvre de Gautier de Coinci229. Il démontre ainsi la place centrale de l’héritage de Faux Semblant qui, sans véritable innovation, joue les effets de loupe sur la tradition critique de l’hypocrisie religieuse et ne permet plus les demi-mesures cultivées jusqu’alors. Au contraire, il est dès lors temps de scinder, non sans nuances, mais avec fermeté, les jeux émotionnels acceptés ou non. Pareil souci de réinscription et de réorientation dans la tradition s’éclaire à la lueur du critère essentiel de l’intention, érigé en facteur décisif autant dans la sphère religieuse qu’amoureuse.
Entre réorientations et ambiguïtés persistantes
des faux semblants religieux
Les nuances introduites par Guillaume de Diguleville présentent un excellent exemple de la variété des regards portés sur les dynamiques émotionnelles, selon les idéaux de contenance ou de sincérité, les menaces de révélation diversement conçues dans l’univers religieux étudié au gré de ce chapitre. La polarité du conflit construit autour des émotions s’envisage ainsi selon les enjeux, mais surtout le cadre de l’opposition envisagée. La pensée chrétienne exerce une influence notable, mais aussi duelle à ce niveau. Sa condamnation est sans appel face à l’hypocrisie qu’impliquent les jeux de semblant, quand ils relèvent d’une volonté délibérée de tromperie et plus encore quand ils touchent aux vices essentiels d’orgueil, d’envie ou d’avarice. Mais elle peut aussi prôner une forme bien intentionnée de manipulation, animée par l’humilité. Réapparaît donc encore et toujours cette question centrale de l’intention dans l’évaluation de l’émotion, mais donc aussi, et tout autant, de sa manipulation.
509Le parcours proposé au gré des diverses œuvres qui nous semblaient représentatives de cet éclairage religieux porté sur l’héritage de Faux Semblant tendait à attester cette multiplicité de points de vue, directement liée à la richesse de cette tradition ainsi qu’à la difficulté des questions qu’elle pose autour des pratiques dévotionnelles ou de l’évaluation de l’hypocrisie. L’importance accordée à l’investissement affectif et aux signes extérieurs de la prière, de la pénitence ou de la confession s’additionne de manière intéressante aux interrogations soulevées par Faux Semblant, pour faire émerger un régime plus ambigu peut-être encore de l’évaluation des manipulations émotionnelles. Les rituels de la confession, de l’habit et même de la prière s’accompagnaient d’emblée des ambiguïtés dont se jouera Faux Semblant. L’emphase mise déjà, pour rappel, dans les Miracles Nostre Dame ou dans Le Chevalier au Barisel, sur la sincérité indispensable du cœur atteste l’importance conférée avant tout à l’intention qui anime les gestes dévotionnels. À l’heure de vanter les manifestations qui en sont offertes, l’accent continue de porter avant tout sur leur investissement émotionnel, qui se fait même garant de l’extériorité requise à l’occasion. Telle est la leçon que l’on peut tirer du Chevalier au Barisel qui ne parvient à verser les larmes demandées qu’une fois le repentir logé dans son cœur. Au cœur de cette tension entre extériorisation et sincérité intérieure, se dessinent les dérives qu’illustrent Renart, puis Faux Semblant et Fauvel. C’est dans ce sens que se justifiait aussi le refus des manipulations émotionnelles dans des œuvres comme la Queste del Saint Graal, ou leur orientation vertueuse indispensable dans le recueil de dévotion mariale de Gautier de Coinci par exemple. Mais Faux Semblant ne fait que raffermir cet impératif, par la démonstration éclatante qu’il offre de la possibilité, des avantages, mais surtout ainsi des dangers de telles dérives. La leçon qu’il offre au fil du Roman de la Rose ne peut néanmoins se départir des nuances sur lesquelles elle s’était d’ailleurs elle-même bâtie. Elle donne donc lieu à la fois aux dénonciations absolues dont témoigne le Liber Fortunae et aux critiques acerbes, mais conditionnées, du Livre du Pèlerin de vie humaine. Le spectre de Faux Semblant pèse ainsi autant dans la critique que dans les nuances qui entourent la problématique de l’investissement dévotionnel. De manière intéressante, le retournement ainsi opéré dans la critique de l’hypocrisie se découvre aussi bien avant qu’après le Roman de la Rose. Il se fonde dans la même lignée rhétorique 510de dénonciation, inversée pour servir d’outil de valorisation dans le cas opposé. Il se connote bien sûr au contact des ambiguïtés cultivées par Faux Semblant, autour du débat sophistique ou de celui de la pauvreté par exemple. Il gagne en importance en s’investissant au niveau méta-discursif auquel l’élevait Jean de Meun et à celui des ambitions de l’œuvre dans laquelle les émotions se trouvent manipulées. Mais il se comprend dans les deux cas à la lumière de l’intention poursuivie, qui relève de l’humilité essentielle dans l’éthique religieuse.
Si ce double enseignement asséné par Guillaume de Diguleville se construit volontiers en contraste avec les constats qu’il dresse dans l’univers social ou amoureux, il convient de relativiser aussi cette distinction. À l’aune du double volet d’analyses que nous avons souhaité mener pour attester l’influence exercée par Faux Semblant, nous voudrions envisager aussi un rapprochement entre ces deux communautés émotionnelles représentées. En effet, elles prônent en réalité toutes deux la manipulation bien intentionnée, par la défense de l’amour et de l’honneur de la dame d’une part, par la pratique de l’humilité de l’autre. Une critique apparaissait d’ailleurs également à l’encontre des faux amants aux visées tout aussi condamnées que celles des papelards, en confirmation de cet enjeu central que constitue la question de l’intention dans l’évaluation de l’émotion, mais donc aussi de sa manipulation. Surtout, nous pouvons ainsi confirmer la prégnance du carré sémiotique que nous avons identifié dans notre analyse du Roman de la Rose, que nous reprenons et complétons ici en regard des résultats de ces deux derniers chapitres :
Positive |
Négative |
|
Dissimulation |
Dissimulation d’émotions jugées malséantes |
Dissimulation de l’absence d’émotion (par la simulation d’émotions jugées bienséantes) |
Simulation |
Simulation d’émotions jugées bienséantes |
Simulation d’émotions jugées malséantes, à vocation rusée |
Dissimulation d’émotions jugées positives, mais à vocation louable |
||
Riche don de l ’ émotion tenue dans le cœur / Grand trésor caché dans le Pain de Sapience |
Dans chacun des deux univers émotionnels mis à mal par Faux Semblant, se dessine une transition du bon jeu émotionnel au mauvais, selon les émotions camouflées et convoquées pour ce faire. Il s’agit toujours de dissimuler les émotions préférées cachées sous d’autres jugées plus adéquates et de critiquer, avec emphase, toute atteinte à la sincérité indispensable dans la relation amoureuse comme religieuse. L’une comme l’autre de ces pratiques se fondent d’ailleurs volontiers sur certains signes émotionnels dont la sincérité ne peut être remise en question, comme pour tenter de faire face à l’ambiguïté de la plupart d’entre eux. C’est ainsi que le Chevalier au Barisel dépeignait les larmes comme un indice formel du repentir, mais aussi que Guillaume de Machaut, par exemple, vante la sincérité de certains symptômes amoureux inimitables230. Dans un cas comme dans l’autre, la dissimulation d’émotions par la simulation d’autres se comprend dans une optique de renforcement de la dissimulation souhaitée et peut se parer des meilleures intentions. Mais une telle manipulation ne va, autant pour la communauté religieuse qu’amoureuse, plus sans nuances une fois que pèse l’ombre de Faux Semblant, qui détourne l’utilité du Bel Semblant pour arriver à ses fins. Là où le bel semblant du jeune clerc se voyait valorisé par Gautier de Coinci231, Guillaume de Diguleville se veut moins complaisant. Il souligne lui aussi la vertu d’attemprance à la source de ce jeu émotionnel232, mais critique avec sévérité toute manipulation plus abusive. La condamnation par Raison des apparences faussement vertueuses l’atteste233. Le discours se veut à la fois plus complexe et plus explicite, puisqu’il met en lumière l’enjeu central de tels jeux des émotions, lié à l’émotion ainsi camouflée et aux raisons de le faire. Il en va exactement de même sous la plume de Martin le Franc qui porte une dénonciation totale des manipulations éhontées inscrites dans le sillage du faux moine de Jean de Meun. Mais, surtout, son Champion des Dames présente lui aussi des exceptions à sa critique. Et c’est tout l’intérêt de ce rapprochement que nous pouvons esquisser entre ces deux dynamiques pourtant fort diverses de l’amour et de la dévotion : ces exceptions 512s’intègrent dans la même logique que celles qu’introduit Guillaume de Diguleville. Il s’agit toujours de la nature de l’émotion à cacher, jugée peu séante, mais tout à fait positive. Martin le Franc valorise d’ailleurs cette émotion comme un « riche don234 », une formule qui n’est pas sans évoquer celle du grant tresor de Guillaume de Diguleville. Dans une belle démonstration de la continuité du regard porté sur le jeu des émotions, nous notions d’ailleurs, dans notre analyse du don de Martin le Franc, le parallèle possible avec la « chalors » intense de l’amour de Soredamor et d’Alexandre sous la « çandre » dont ils tentent de la recouvrir235. Or, on retrouvait le même pendant à l’éloge fait par Guillaume de Diguleville de l’humilité discrète dans le miracle Du secrestain que Nostre Dame visita de Gautier de Coinci236. Dans l’un comme dans l’autre de ces univers, la justification offerte de certains jeux émotionnels irrigue la tradition qui se développe à leur entour, avant ou après le Roman de la Rose. Les efforts fournis pour les légitimer se veulent eux aussi fort similaires dans la veine religieuse et dans la veine amoureuse. En effet, on lit, chez Guillaume de Diguleville comme chez Martin le Franc, un souci de plaider pour cette forme acceptable de manipulation des émotions, inscrite dans la dénonciation du reste d’entre elles, en réponse à la critique formulée, avec une ironie, voire une hypocrisie, notable de la part de ses détracteurs. Là où Sapience fait face aux accusations d’Aristote, Franc Vouloir, le champion de Martin le Franc, devait lui aussi assurer sa défense de la dissimulation honnête, qui veille à l’honneur de la dame, mise à mal par Malebouche237. Cela donne bien sûr l’occasion de mieux affirmer la vertu du jeu en question, qualifié de « refuge238 » ou de miseracion. Plus anecdotique peut-être, mais non moins significatif : Guillaume de Diguleville comme Martin le Franc rapprochent la médisance de l’hypocrisie pour mieux les condamner. Dans sa reprise du Roman de la Rose, Martin le Franc redessine la relation entre Faux Semblant et Malebouche pour les allier dans sa condamnation239. De manière moins 513évidente pourtant, puisque la médisance constitue surtout une menace pour les amants, Guillaume de Diguleville se prête lui aussi à cette association en unissant la figure de Trahison à celle de Detraction240. Gautier de Coinci jouait d’ailleurs lui aussi déjà de ce rapprochement, en preuve de la constance de cet univers critique241. Cet entremêlement de vices à portée sociétale atteste la crainte que suscite l’hypocrisie dans la société médiévale, animée de ce souci de concordance entre intérieur et extérieur bien mis en exergue, avec toutes les difficultés qu’il peut néanmoins impliquer. Mais il révèle aussi leur concentration sur la scène publique, essentielle dans la recommandation de la garde qui donne lieu à ces manipulations variables, mais aussi dans la crainte d’atteinte à la lisibilité essentielle des signes manifestés et à sa cohésion. On l’a vu dans notre approche des codes émotionnels, la logique même de la société médiévale influe beaucoup la mise en place de l’idéal de retenue, qu’elle soit amoureuse ou religieuse. Il convient cependant de souligner une nuance importante, surtout à l’aune de cette comparaison possible entre les communautés amoureuses et religieuses interrogées ici. Les exemples, que nous avons pu citer dans ce registre, des rois Marc et Arthur indiquaient en effet une tout autre logique du jeu louable. Il y était avant tout question de dissimuler les émotions négatives par des émotions positives, à cette fin avenante répétée à l’envi dans les manuels de comportement242. Ici au contraire, si le beau semblant reste valorisé, il ne sert pas à recouvrir des émotions peu séantes. Certes, elles sont préférées discrètes, mais l’amour, comme la dévotion, ne peuvent bien sûr se concevoir négativement. Il s’agit là d’une distinction intéressante, qui dénoterait presque d’une dynamique plus trompeuse propre à la sphère sociale. Toujours à la lumière de l’influence exercée par Faux Semblant, nous aimerions également nous dédier à cette composante essentielle de l’émotionologie médiévale, aux dérives pas moins, et si pas plus, craintes de la contenance convenante. Cela sera l’occasion d’étayer ce constat que nous pensons pouvoir dresser pour conclure cette comparaison des communautés amoureuses et religieuses, mais surtout d’ouvrir encore le champ d’influence de Faux Semblant. La contamination qu’il induit également au niveau sociétal témoigne de son importance 514en dépassant les sphères de réflexion directement menée par son biais. Elle permet de mêler les regards portés sur la manipulation émotionnelle dans une optique religieuse ou amoureuse et de les inclure dans une autre optique encore, de celle qui relève non plus de la préservation du secret amoureux ou de l’honneur de la dame, de la condamnation de l’hypocrisie comprise comme une atteinte à la sincérité envers Dieu ou de justifications de la discrétion humble. Il n’est donc plus question de la cohésion du couple ou du rapport dévotionnel, mais de la cohésion sociale dans son ensemble. Là aussi, les émotions sont mobilisées, tour à tour condamnées, revendiquées, dénoncées ou conseillées, dans une belle démonstration de toute la richesse du jeu mis en scène par Faux Semblant, qui ne paraît jamais démenti tout au long du Moyen Âge.
1 Pour rappel, voir la section consacrée à cette perspective du principe de garde : p. 129-147.
2 Pour rappel, voir le panorama historique des émotions au Moyen Âge que nous avons souhaité proposer en introduction : p. 37-48. Nous désirions le compléter ici dans la perspective religieuse qui sera la nôtre dans ce chapitre pour soutenir nos analyses littéraires.
3 P. Nagy, « Au-delà du verbe. L’efficacité de la prière individuelle au Moyen Âge entre âme et corps », dans La prière en latin, de l’Antiquité au xvie siècle. Formes, évolutions, significations, dir. J.-F. Cottier, Nice, CEPAM, 2007, p. 441-471, ici p. 453.
4 X. Biron-Ouellet, « Affectivité et sens chrétien de l’histoire dans la Chronica sive Historia duabius civitatibus d’Otton de Freising », Memini, no 16, 2012, p. 45-62, ici p. 47.
5 P. von Moos, « Occulta cordis. Contrôle de soi et confession au Moyen Âge », Médiévales, no 29, 1995, p. 131-140, ici p. 128.
6 A. Boureau, « Un sujet agité. Le statut nouveau des passions de l’âme au xiiie siècle », dans Le Sujet des émotions au Moyen Âge, dir. D. Boquet et P. Nagy, Paris, Beauchesne, 2008, p. 187-200, ici p. 189.
7 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval, Paris, Seuil, 2015, p. 261.
8 Ibid., p. 281-301, mais aussi C. Casagrande et S. Vecchio, « Les théories des passions dans la culture médiévale »,dans Le sujet des émotions au Moyen Âge, op. cit., p. 107-122, ici p. 115.
9 C. Walker Bynum, Fragmentation and Redemption : Essays on Gender and the Human Body in Medieval Religion, New York, Zone Books, 1991, p. 221.
10 D. Boquet, « Corps et genre des émotions dans l’hagiographie féminine au xiiie siècle », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, no 13, 2014, p. 2-10, ici p. 3.
11 Ibid., p. 5.
12 P. Nagy, op. cit., p. 458-459.
13 Pierre le Chantre, De oratio et speciebus illius, dans The Christian at Prayer. An Illustrated Prayer Manual attributed to Peter the Chanter (d. 1197), éd. R. C. Trexler, New York, Medieval and Renaissance Texts and Studies, 1987, p. 208.
14 D. Boquet, op. cit., p. 5.
15 Ibid.
16 Pour rappel encore, voir l’analyse que nous proposions des codes émotionnels médiévaux : p. 129-147.
17 C’est notamment la pensée de Richard de Saint-Victor, ce dont témoignent Damien Boquet et Piroska Nagy : D. Boquet et P. Nagy, op. cit., p. 137.
18 P. Sarr, « Discours sur le mensonge de Platon à saint Augustin : continuité ou rupture », Dialogues d’histoire ancienne, no 36/2, 2010, p. 9-29.
19 M. L. Colish, « Rethinking Lying in the Twelfth Century », dans Virtue and Ethics in the Twelfth Century, dir. I. P. Bejczy et R. G. Newhauser, Leiden/Boston, Brill, 2005, p. 155-173, ici p. 161 et B. Ramsey, « Two Traditions on Lying and Deception in the Ancient Church », The Thomist : A Speculative Quarterly Review, no 49/4, 1985, p. 504-533.
20 C. Casagrande et S. Vecchio, Les péchés de la langue. Discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale, trad. P. Baillet, Paris, Les éditions du Cerf, 1991, p. 191.
21 Augustin, De Mendacio, III, 3, dans Œuvres de saint Augustin. Les problèmes moraux,éd. et trad. G. Combes, Paris, Desclée de Drouwer et Cie, 1948 (Mentir c’est avoir une pensée dans l’esprit et, par paroles ou tout autre moyen d’expression, en énoncer une autre).
22 I. Rosier, « Les développements médiévaux de la théorie augustinienne du mensonge », Hermès, no 15, 1995, p. 91-103, ici p. 94.
23 Albert le Grand, Commentant in Sententiarum Libros quatuor, III, d. 38, q. 1, dans Opera omnia, éd. P. Jammy, Lyon, C. Prost, 1651, t. 15, p. 399.
24 Ibid.
25 « In opera potest simulari facto quod non est ; ergo et sermone potest simulari quod non est – dicendum quod non sequitur. Et ratio est, quia factum non est institutum ad significationem mentis conceptum, sermo autem ad hoc institutus est ut sit nuntius mentis et interpres ». Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Pars II, inquisition III (4:581B), cité par D. G. Denery II, « Biblical Liars and Thirteenth-Century Theologians », dans The Seven Deadly Sins : From Individuals to Communities, dir. R. Newhauser, Leiden/Boston, Brill, 2007, p. 111-128, ici p. 122.
26 Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Paris/Tournai/Rome, Desclée de Drouwer et Cie, 1949, q. 110, a. 1, s. 2 (Comme le dit S. Augustin, les mots, les paroles, tiennent la première place parmi les signes ou symboles. Dès lors, quand on définit le mensonge : un mot, une parole, qui signifie quelque chose de faux, on entend aussi bien tous les autres signes ou symboles. Celui donc qui, par des gestes, aurait l’intention d’exprimer quelque chose de faux, mériterait le qualificatif de menteur).
27 Ibid., q. 110.
28 Ibid., q. 111, a. 1 (La vertu de vérité fait que l’on se montre au-dehors tel qu’on est au-dedans, ce qui a lieu non seulement par des paroles, mais encore par des actes. Donc, s’il est contraire à la vérité de parler contre sa pensée, ce qui constitue le mensonge : il l’est aussi d’agir de manière à se faire passer pour autre que l’on est, ce qui constitue la simulation, qui est ainsi, à proprement parler, un mensonge en action).
29 Cette mise en parallèle des dynamiques mensongères et simulatrices doit en effet beaucoup à la propre définition de la vérité qui s’instaure dès la seconde moitié du xiie siècle. Apparaît alors une nuance entre deux formes de vérités, soutenue notamment par Simon de Tournai ou Raoul Ardent. Ils proposent de distinguer la vérité aristotélicienne, déterminée par une correspondance entre ce qui est dit et ce qui est, de la vérité fondée sur le jugement christique et établie sur l’adéquation entre ce qui est dit et ce qui est pensé. Thomas d’Aquin favorise surtout cette seconde forme de vérité dite théologique, ou morale, au détriment d’une vérité logicienne pure. Ce qui l’intéresse concerne davantage le champ des croyances que celui des faits en eux-mêmes (voir C. Marmo, « La définition du mensonge au Moyen Âge et dans le débat contemporain », dans La vérité. Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (xiiie-xviie siècle), dir. J.-P. Genet, Paris, Publications de la Sorbonne / École française de Rome, 2016, p. 81-94, ici p. 84-87), en lien direct une fois encore avec la problématique de l’intention qui anime donc de la même manière la définition de la vérité et du mensonge.
30 I. Rosier, op. cit., p. 95.
31 Il acceptait en effet de manière explicite de donner cette présentation. Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche, 1992, v. 11 011, cité p. 260.
32 Augustin, Contra Mendacium, XII, 26, dans op. cit. (Mentir, en effet, c’est exprimer le faux avec l’intention de tromper).
33 M. L. Colish, op. cit., p. 161-162.
34 Augustin, Contra Mendacium, X, 23, dans op. cit. (Il a donc tu une partie de la vérité, il n’a rien dit de faux… Mentir ce n’est donc pas cacher le vrai en se taisant ; c’est exprimer le faux en parlant).
35 Voir le raisonnement proposé à ce niveau par Dallas G. Denery II : D. G. Denery II, op. cit., p. 120-121.
36 Thomas d’Aquin, op. cit., q. 111, a. 1, s. 4 (On ment quand on dit ce qui n’est pas, mais non quand on tait ce qui est, ce qui n’est pas toujours défendu ; de même, on simule, quand on se montre tel que l’on n’est pas, mais non quand on ne se montre pas tel que l’on est. Ce n’est donc pas toujours simuler que de cacher ce qu’on a fait de mal. C’est ainsi qu’il faut entendre cette parole de S. Jérôme : « le second remède après le naufrage, c’est de cacher son péché », pour éviter le scandale).
37 Mais aussi de Renart déjà, comme nous l’avons vu et comme le soutient Mireille Vincent-Cassy : M. Vincent-Cassy, « Recherches sur le mensonge au Moyen Âge », dans Études sur la sensibilité. Actes du 102e Congrès national des sociétés savantes Limoges 1977, Paris, Bibliothèque nationale, 1979, t. 2, p. 165-173, ici p. 170-172.
38 P.-F. Dembowski, « Le Faux Semblant et la problématique des masques et des déguisements », dans Masques et déguisements dans la littérature médiévale, dir. M.-L. Ollier, Paris/Montréal, Vrin / Presses Universitaires de Montréal, 1988, p. 43-53, ici p. 49.
39 Pour rappel, voir l’analyse que nous y dédiions en guise de préambule : p. 64-70.
40 Pour rappel, voir l’analyse que nous y dédiions dans notre chapitre sur la garde : p. 129-147.
41 G. W. Fenley, « Faus-Semblant, Fauvel, and Renart le Contrefait : A study in Kinship », The Romanic Review, no XXIII, 1932, p. 323-331, ici p. 323.
42 Pour rappel encore, voir l’analyse que nous dédiions au Roman de Renart dans le chapitre sur la garde : p. 133-137.
43 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel : la limite de la personnification », dans La Personnification du Moyen Âge au xviiie siècle, dir. M. Demaules, Paris, Garnier, 2014, p. 109-128.
44 Avec le succès que l’on a pu constater sous la plume de Jean de Meun qui reprend cette association pour définir son personnage de Faux Semblant. Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 527-11 528, cité p. 254.
45 G. W. Fenley, op. cit., p. 328.
46 Le Roman de Renart le Contrefait, éd. G. Raynaud et H. Lemaître, Genève, Slaktine Reprints, 1975, branche I, v. 455-467, p. 6.
47 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 9 décembre 2019. Ce passage de la peau à l’habit est révélateur d’une dé-naturalisation de la tromperie, mais aussi de la dénonciation de sa portée sociale, et religieuse, par ce lien tissé avec l’habit. Pour développer la réflexion à ce niveau, nous renvoyons aux analyses majeures de Peggy McCracken : P. McCracken, In the Skin of a Beast : Sovereignity and Animality in Medieval France, Chicago, The University of Chicago Press, 2017.
48 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 173-11 182, cité p. 245.
49 Le Roman de Renart le Contrefait, op. cit., branche I, v. 480-494, p. 6.
50 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 20 815-21 218.
51 Pour rappel : ibid., v. 12 086-12 104, cité p. 274.
52 Pour rappel : ibid., v. 11 527-11 528, cité p. 254.
53 Pour rappel, voir nos analyses au sujet du principe phare de l’émotionologie médiévale de la garde : p. 147-160.
54 Il se récrie en effet de la valorisation des sages manières de Renart, accusant même ses défenseurs de mensonge : Le Roman de Renart le Contrefait, op. cit., branche I, v. 513-526, p. 6.
55 Pour rappel : Thomas d’Aquin, op. cit., q. 110, a. 1, s. 2, cité p. 441.
56 Le Roman de Renart le Contrefait, op. cit., branche I, v. 513-514, p. 6.
57 Cela fera l’objet de nos réflexions du chapitre suivant centré sur l’œuvre de Christine de Pizan.
58 Au-delà des réflexions que nous avons déjà proposées à ce niveau dans notre chapitre sur la garde, nous aurons l’occasion de revenir à la problématique de l’habit dans cette perspective de correspondance animée par ses enjeux sociaux dans le chapitre suivant. Nous préférons nous consacrer ici à l’optique religieuse de cette réflexion, véhiculée par Faux Semblant déjà et portée avec éclat aussi par Renart et Fauvel.
59 F. Oudin, « L’habit fait-il le moine ? Quelques réflexions autour des proverbes vestimentaires au Moyen Âge », Questes, no 25, 2013, p. 1-21, ici p. 13.
60 Pour rappel : Thomas d’Aquin, op. cit., q. 110, a. 1, s. 2, cité p. 441.
61 Pour rappel : P. von Moos, op. cit., cité p. 434.
62 F. Oudin, op. cit., p. 18.
63 G. Bartholeyns, « L’enjeu du vêtement au Moyen Âge : De l’anthropologie ordinaire à la raison sociale (xiiie-xive siècles) », dans Le corps et sa parure, Florence, Sismel, 2007, p. 219-258, ici p. 226.
64 G. W. Fenley, op. cit., p. 328.
65 Le Roman de Fauvel, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche, 2012, v. 228.
66 Ibid., v. 229-242.
67 Incarnée notamment par le vers : « C’est voirs, mes je sui ypocrites ». Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 236.
68 A. Strubel, op. cit., p. 109.
69 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 12 décembre 2019.
70 Pour rappel, par exemple : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422, cité p. 312.
71 Voir les définitions proposées par le Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 11 décembre 2019, mais aussi l’historique du terme qu’offre le Trésor de la Langue Française, révélateur de la coexistence de ces deux rangs de signification dès son introduction à la fin du xiie siècle, version en ligne consultée le 11 décembre 2019.
72 Le Roman de Fauvel, op. cit., v. 243-254.
73 B. Cazelles, La faiblesse chez Gautier de Coinci, Saratoga, Anma Libri, 1978, p. 16-20.
74 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 191-11 218, cité p. 246.
75 P. F. Dembowski, op. cit., p. 45.
76 Pour rappel, voir par exemple la proclamation de Faux Semblant comme envoyé de l’Antéchrist : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 717-11 726, cité p. 271.
77 Le Roman de Fauvel, op. cit., v. 2 081-2 086.
78 Ibid., v. 2 988-2 989.
79 Ibid., v. 4 000.
80 Pour rappel, une fois encore : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 717-11 726, cité p. 271.
81 Le Roman de Fauvel, op. cit., v. 1 611-1 634.
82 Il s’agit là bien sûr d’un autre paramètre commun à Faux Semblant et l’univers de Fauvel. Jean de Meun cultivait lui aussi cette opposition dans les portraits dressés de Faux Semblant et Abstinence Contrainte, surtout au moment de leur départ en pèlerinage, mais aussi dans la critique qu’en livre Nature, avec l’importance que nous avons souhaité lui donner : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 105-12 134 et v. 19 346-19 372, déjà cités p. 290-291 et p. 342-344.
83 Pour rappel : « Et li lierres enz en la place / Qui de traÿson ot la face, / Blanche dehors, dedenz nercie ». Ibid., v. 12 015-12 017, cité p. 306.
84 Notons bien sûr le parallèle avec la propre mutabilité de Faux Semblant, concentrée aussi sur des changements de genre ou d’âge et dans une optique religieuse. Pour rappel : ibid., v. 11 191-11 218, cité p. 246.
85 Pour rappel : ibid., v. 10 471-10 478, cité p. 241.
86 Le Roman de Fauvel, op. cit., v. 1 695-1 698.
87 Ibid., v. 1 645-1 652.
88 Ibid., v. 1 635-1 644.
89 Pour rappel : ibid., v. 1 611-1 634, cité p. 460.
90 La figure animalière permet un dépassement intéressant de la démarche allégorique dans l’héritage de Faux Semblant. Armand Strubel le souligne dans son analyse de l’influence de Faux Semblant sur l’univers renardien : A. Strubel, op. cit., p. 122.
91 Mais pas toujours d’ailleurs, selon l’ambiguïté fondamentale de ces symboles : le léopard se revêt de significations bien plus positives dans le Lancelot Graal où il représente Lancelot dans les rêves de Galehaut et de Gauvain. Voir Lancelot du Lac III. La fausse Guenièvre, éd. et trad. F. Mosès et L. Le Guay, Paris, Le Livre de Poche, 1998, p. 69 et Lancelot du Lac V. L’enlèvement de Guenièvre, éd. Y. Lepage et trad. M.-L. Ollier, Paris, Le Livre de Poche, 1999, 145b, p. 718.
92 R. Trachsler, « Quelques remarques à propos du mauvais Léopard dans la littérature française médiévale », Reinardus, no 5/1, 1992, p. 195-207, ici p. 195.
93 Richard de Fournival, Le Bestiaire d’Amour et la Response du Bestiaire, éd. G. Bianciotto, Paris, Champion, 2009, [16], 6-10.
94 P. von Moos, « Le vêtement identificateur. L’habit fait-il ou ne fait-il pas pas le moine ? », dans Le corps et sa parure, op. cit., p. 41-60, ici p. 46.
95 Voir par exemple les réflexions d’Émilie Pilon-David : É. Pilon-David, L’habit fait le moine : les discours sur l’apparence dans la France du xiiie siècle au xve siècle, mémoire de master, Ottawa, Université d’Ottawa, 2010.
96 Ibid., p. 125.
97 Césaire de Heisterbach, Dialogus miraculorum, éd. H. Schneider, Turnhout, Brepols, 2009 ; Dialogue des miracles, trad. A. Barbeau, Oka, Abbaye cistercienne de Notre-Dame-du-Lac, 1922, 1, 3.
98 Voir par exemple l’analyse de Jonathan Morton : J. Morton, « Des loups en peau humaine : Faus Semblant et les appétits animaux dans le Roman de la Rose de Jean de Meun », Questes, no 25, 2013, p. 99-119.
99 C. Leveleux-Texeira et A. Peters-Custot, « Gouverner les hommes, gouverner les âmes. Quelques considérations en guide d’introduction », dans Gouverner les hommes, gouverner les âmes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p. 11-35, ici p. 18.
100 M. Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Seuil, 1995, p. 24.
101 Pour rappel : F. Oudin, op. cit., cité p. 451.
102 Nous nous sommes arrêtée sur cette composante essentielle de la logique de contrôle qui empreint la sphère émotionnelle au Moyen Âge. Pour rappel, voir nos analyses du principe de garde : p. 117-127.
103 B. H. Rosenwein, « Who cared about Thomas Aquina’s Theory of the Passions ? », L’Atelier du Centre de recherches historiques, no 16, 2016, p. 2-15, ici p. 6.
104 C. Huber, « Geistliche Psychagogie. Zur Theorie der Affekte im Benjamin Minor des Richard von St. Victor », dans Codierung von Emotionen im Mittelalter, dir. C. S. Jaeger et I. Kasten, Berlin, De Gruyter, 2003, p. 16-30, ici p. 16.
105 D. Boquet et P. Nagy, op. cit., p. 331-345.
106 Tel était, pour rappel, l’intérêt pour nous de mêler les instances d’appels à la garde dans le chapitre que nous consacrions à ce principe phare de l’émotionologie médiévale : p. 128-208.
107 M. B. Cels, « God’s Wrath against the wrathful in medieval Mendicant Preaching », Canadian Journal of History, no XLIII, 2008, p. 217-226, ici p. 224.
108 Nous avons déjà fait allusion à cette étiquette donnée à la société médiévale par Damien Boquet et Piroska Nagy. Pour rappel : D. Boquet et P. Nagy, op. cit., p. 153, cité p. 91.
109 D. G. Denery II, Seeing and Being Seen in the Late Medieval World : Optics, Theology and Religious Life, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 27.
110 Ibid., p. 28.
111 D. Barbu, P. Borgeaud et P. Matthey, Exercices d’histoire des religions : Comparaison, rites, mythes et émotions, Leiden, Brill, 2016, p. 252-253.
112 E. Muir, Ritual in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 3.
113 P. Nagy, op. cit., p. 446.
114 J.-M. Sansterre, « La Vierge Marie et ses images chez Gautier de Coinci et Césaire de Heisterbach », Viator, no 41, 2010, p. 147-178, ici p. 152.
115 J.-C. Payen, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale (des origines à 1230), Genève, Droz, 1967, p. 25.
116 Ibid., p. 17.
117 D. Konstan, « From regret to remorse : The origins of a moral emotion », dans Understanding Emotions in Early Europe, dir. M. Champion et A. Lynch, Turnhout, Brepols, 2015, p. 3-26, ici p. 4.
118 Ibid., p. 19.
119 Pour cet exposé, nous avons pu bénéficier des lumières de Jean Delumeau : J. Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident xiie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1983, p. 218-221.
120 Nous avons d’ailleurs déjà pu souligner son rôle dans l’établissement de la morale de l’intention. Pour rappel : P. von Moos, « Occulta cordis », op. cit., p. 128, cité p. 434.
121 Pour rappel, voir nos réflexions à ce sujet dans le chapitre précédent : p. 167-170 et p. 191 en particulier.
122 D. Boquet, « Rougir pour le Christ. La honte admirable des saintes femmes au xiiie siècle », dans Shame Between Punishment and Penance. The Social Usages of Shame in the Middle Ages and Early Modern Times, dir. B. Sère et J. Wettlaufer, Florence, Sismel, 2013, p. 139-155, ici p. 149.
123 Voir aussi pour tout ceci les réflexions essentielles de Piroska Nagy : P. Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge. Un instrument spirituel en quête d’institution (ve-xiiie siècle), Paris, Albin Michel, 2000, p. 267-270.
124 J.-C. Payen, op. cit., p. 18.
125 L’entremêlement des indices dévotionnels, tous manipulés et détournés alors, chez Renart le Contrefait par exemple, tout comme chez Faux Semblant, atteste cette tendance intermédiaire.
126 J.-C. Payen, op. cit., p. 67.
127 Nous avons pu souligner en introduction l’importance de la réflexion victorine dans la défense de l’investissement émotionnel positif dans le cheminement vers Dieu. Pour rappel : p. 42-43.
128 J.-C. Payen, op. cit., p. 10.
129 Pour tout cet historique de la considération des larmes, mais surtout pour cette dernière remarque, nous renvoyons aux analyses de Piroska Nagy : P. Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge, op. cit., p. 19.
130 Pour tout ceci encore, nous renvoyons à la thèse de Piroska Nagy : ibid.
131 J.-C. Payen, op. cit., p. 32.
132 Ibid., p. 99.
133 P. Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge, op. cit., p. 43 notamment.
134 W. A. Christian, « Provoked Religious Weeping in Early Modern Spain », dans Religious Organization and Religious Experience, dir. J. Davis, Londres / New York, Academic Press, 1982, p. 97-114, ici p. 110.
135 L. Blanchfield, « Prolegomenon. Considerations of Weeping and Sincerity in the Middle Ages », dans Crying in the Middle Ages. Tears of History, dir. E. Gertsman, New York / Londres, Routledge, 2012, p. xxi-xxx, ici p. xxiv.
136 W. A. Christian, op. cit.
137 L. Blanchfield, op. cit., p. xxiii-xxiv.
138 P. Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge, op. cit., p. 98.
139 Ibid., p. 107-114.
140 Ibid., p. 124.
141 D. Boquet, L’ordre de l’affect au Moyen Âge. Autour de l’anthropologie affective d’Aelred de Rievaulx, Caen, Crahm, 2005, p. 225-230.
142 Voir W. A. Christian, op. cit. et G. L. Ebersole, « The function of ritual weeping revisited : affective expressio and morale discourse », History of religions, no 39/3, 2000, p. 221-246.
143 Pour rappel, voir la section dédiée à cette analyse dans le chapitre sur la garde : p. 145-146.
144 Liber Fortunae, éd. J. L. Grigsby, Berkeley / Los Angeles, University of California Press, 1967, v. 794-828.
145 Pour rappel : Le Roman de Renart le Contrefait, op. cit., branche I, v. 455-467, p. 6, cité p. 448.
146 Son habit de pèlerin se trouve en effet perverti de manière significative par le meurtre de Malebouche auquel conduit ce pseudo-pèlerinage. Pour rappel, voir l’analyse que nous en faisions dans le chapitre sur Faux Semblant.
147 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 901-11 910, cité p. 242.
148 Pour rappel : « Sa mere ot non ypocrisie / la larronnesse, la honnie : / ceste l’aleita et norri, / l’ort ypocrite au cuer porri / qui traÿst mainte region / par habit de religion ». Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 473-10 478, cité p. 240-241.
149 Pour rappel : Le Roman de Fauvel, op. cit., v. 1 635-1 644, cité p. 463.
150 Liber Fortunae, op. cit., v. 455-459.
151 Comme chez Gautier de Coinci qui soulignait ce même contraste. Pour rappel : Gautier de Coinci, op. cit., t. 2, I, M. 11, v. 1 157-1 200, cité p. 141.
152 Ce même vers apparaît en effet dans la présentation du faux moine, qui se dépeint comme leur enfant : « De barat et de tricherie / Qui m’engendrerent et norrirent ».Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 986-10 987.
153 Pour rappel, une fois encore : p. 141.
154 Cette seule similarité structurelle en implique bien d’autres, au niveau du projet rédactionnel lui-même. Guillaume de Diguleville s’inscrit sans aucun doute dans la continuité du Roman de la Rose quand il introduit son œuvre comme le récit du songe d’une quête située dans un ailleurs peuplé de personnifications, exactement à la manière de la quête amoureuse dépeinte par Guillaume de Lorris. En outre, son traitement de l’allégorie se rapproche de celle mise en place dans le Roman de la Rose, sous un mode essentiellement narratif, mais augmenté par le développement du discours direct porté par les personnifications rencontrées (selon les réflexions proposées notamment par Anouk de Wolf : A. de Wolf, « Pratique de la personnification chez Guillaume de Diguleville et Philippe de Mézières », dans Écriture et modes de pensée au Moyen Âge (viie-xve siècles), dir. D. Boutet et L. Harf-Lancner, Paris, Presses de l’école normale supérieure, 1993, p. 125-147, ici p. 126). L’importance accordée aux discours contribue bien sûr à l’ampleur de l’œuvre, mais aussi à sa dynamique argumentative, elles aussi fort comparables à celles du Roman de la Rose. L’allégorie endosse ainsi la fonction persuasive qui peut lui être prêtée, de la même manière que la travaillait Jean de Meun.
155 P. De Wilde, « Rencontres : le Pèlerinage de Vie humaine et le Roman de la Rose », dans De la Rose. Texte, image, fortune, dir. C. Bel et H. Braet, Louvain/Paris, Peeters, 2006, p. 321-330.
156 P.-Y. Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle. Étude de la réception de l’œuvre, Genève, Droz, 1980, p. 375.
157 Notons le parallèle qui peut être établi avec le miracle D’un clerc de Gautier de Coinci qui visait également la réorientation de la leçon d’amour, non au profit de la dame, mais de la Vierge elle-même. Pour rappel : Gautier de Coinci, op. cit., t. 4, II, M. 29, v. 326-333, cité p. 145.
158 F. Pomel, « Les modèles de la fiction allégorique dans les songes-cadres de Guillaume de Diguleville : Roman de la Rose et expérience visionnaire », dans La moisson des lettres. L’invention littéraire autour de 1300, dir. H. Bellon-Méguelle, O. Collet, Y. Foehr-Janssens et L. Jacquiéry, Turnhout, Brepols, 2011, p. 253-266, ici p. 261.
159 Ibid.
160 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 037-12 047, cité p. 273.
161 S. Huot, The Romance of the Rose and its medieval readers : interpretation, reception, manuscript transmission, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 220-221.
162 Cette association entre hypocrisie et avarice se trouvait aussi dans le Liber Fortunae, en démonstration une fois de plus de cette tradition critique bien établie. Pour rappel : Liber Fortunae, op. cit., v. 455-459, cité p. 479.
163 Comme le souligne G. Ward Fenley : G. W. Fenley, op. cit., p. 330. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’aborder, au cours de notre analyse, le portrait de Satan.
164 J. V. Fleming, « The moral reputation of the Roman de la Rose before 1400 », Romance Philology, no 18, 1964-1965, p. 430-435, ici p. 434.
165 P.-Y. Badel, op. cit., p. 362.
166 Guillaume de Diguleville, Le Livre du pèlerin de vie humaine, éd. et trad. G. R. Edwards et P. Maupeu, Paris, Le Livre de Poche, 2015, v. 963-964.
167 Ibid., v. 7 887-7 902.
168 Thomas d’Aquin, op. cit., q. 111, a. 2, s. 1 (Par sa nature même, l’œuvre extérieure que l’on fait signifie l’intention que l’on a. Faire de bonnes œuvres, que leur caractère destine au culte de Dieu, sans cependant vouloir plaire à Dieu, mais aux hommes, c’est donc simuler une bonne intention que l’on n’a pas. Ce qui fait dire à S. Grégoire : « Les hypocrites mettent les choses de Dieu au service d’une intention qui n’a rien de divin : même par les œuvres saintes qu’ils font et font voir, ils ne cherchent point la conversion des hommes, mais leurs applaudissements. » Ils simulent mensongèrement une bonne intention qu’ils n’ont pas, quoiqu’ils ne simulent pas la bonne œuvre qu’ils font).
169 On peut en effet y voir une allusion au bouton de la Rose élu, puis percé par l’Amant à l’issue de sa quête ainsi pervertie. Voir la première description du bouton : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 1 650-1 677.
170 On pourrait en effet faire le parallèle avec la description donnée, à la toute fin du Roman de la Rose, du chemin du pèlerinage effectué, sur le modèle de Faux Semblant, par l’Amant pour atteindre la Rose. Il était l’occasion de favoriser le choix des jeunes filles plutôt que des vieilles, au chemin trop arpenté déjà, dans une portée ironique notable, mais révélatrice une fois encore du manque de courtoisie de l’issue du Roman : ibid., v. 21 000-21 600.
171 « Sus li a redos sëoient / Deulx autres qui bien estoient / Tant ou plus espoventables, / Horribles et redoubtables ». Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 10 007-10 010.
172 Ibid., v. 10 309-10 312.
173 Pour rappel : Liber Fortunae, op. cit., v. 794-828, cité p. 477.
174 Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 10 011-10 018.
175 Pour rappel : « Et pour ses membres apuier / ot ausi com par impotence / en sa main destre une potence, / et fist en sa manche glacier / .i. bien tranchant rasoir d’acier, / qu’il fist forgier en une forge / que l’en apele coupe gorge ». Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 094-12 100, cité dans le chapitre sur Faux Semblant p. 274-275.
176 Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 10 169-10 194.
177 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée le 22 janvier 2020.
178 Pour rappel, par exemple : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422, déjà cité p. 312.
179 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée le 22 janvier 2020.
180 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 010-11 026, cité p. 260.
181 Pour rappel : « Si ont par acort devisé / Qu’il s’en iront en tapinage / Ausi comme en pelerinage, / Com bonne gent piteuse et sainte ». Ibid., v. 12 044-12 047, cité p 273.
182 Pour rappel : ibid., v. 12 100, cité p. 275.
183 Pour rappel, une fois encore par exemple : ibid., v. 7 418-7 422, déjà cité p. 312.
184 Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 10 195-10 226.
185 Voir, pour rappel, les conclusions tirées des analyses de l’émotionologie médiévale fondée sur le principe de garde ou de sa déclinaison sur le versant amoureux.
186 Il s’agit là aussi d’un écho probable à la portée apocalyptique de Faux Semblant, évoquée dans le vers célèbre « Je sui des vallez antecrist », déjà rappelé ici. Pour rappel :Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 717, cité p. 250.
187 Pour rappel, par exemple : Le Roman de Renart, éd. J. Dufournet et al., Paris, Champion, 2013, t. 1, branche VIII, v. 1 415-1 422, p. 642, cité p. 66.
188 Elle vient redoubler celle mise en exergue par exemple chez Gautier de Coinci entre hypocrisie et orgueil (pour rappel : Gautier de Coinci, op. cit., t. 1, I, M. 10, v. 1 849-1 884, cité p. 143. Nous avons également trouvé cette association dans le Roman de Fauvel : Le Roman de Fauvel, op. cit., v. 1 611-1634, cité p. 460. Et rappelons surtout qu’elle se lisait déjà chez Faux Semblant et Abstinence Contrainte. Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 105-12 134 et v. 19 346-19 372, cités p. 290-291 et p. 342-343, dans une volonté explicite de dépréciation complète de la dynamique trompeuse.
189 Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 10 209-10 220.
190 F. Duval, « Interpréter le Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Diguleville (vers 1330) », dans La moisson des lettres, op. cit., p. 233-251, ici p. 233.
191 Pour rappel : « Unde simulatio proprie est mendacium quoddam in exteriorum signis factorum consistens ». Thomas d’Aquin, op. cit., q. 111, a. 1, cité p. 442.
192 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 1 836-1 860, cité p. 280-281.
193 C’est d’ailleurs de trahison que son visage se voit ainsi marqué. Pour rappel encore : « Et li lierres enz en la place / Qui de traÿson ot la face, / Blanche dehors, dedenz nercie ». Ibid., v. 12 015-12 017, déjà cité p. 306.
194 Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 12 583-12 585.
195 Ibid., p. 925, n. 3.
196 Ibid., v. 12 593-12 602.
197 Ibid., v. 12 644-12 656.
198 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 231-11 236, p. 454.
199 Pour rappel : « Selon son art il se maintint, / De samblant, de parole et d’œuvre / Son sens demonstre et son sens coeuvre ». Le Roman de Renart le Contrefait, op. cit., branche I, v. 490-492, p. 6, cité p. 449.
200 Pour rappel : Thomas d’Aquin, op. cit., q. 110, a. 1, s. 2, cité p. 441.
201 Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 7 145-7 148.
202 C’était en particulier le cas des souverains, comme nous avons pu le voir dans notre analyse du principe de la garde. On peut également citer le cas de Guenièvre dans la Queste del Saint Graal, révélateur de la portée de cette recommandation même dans l’univers religieux. Pour rappel : La Queste del Saint Graal, éd. F. Bogdanow et trad. A. Berrie, Paris, Le Livre de Poche, 2006, 27, l. 19-22, cité p. 137.
203 Pour rappel, par exemple : Li livres du gouvernement des rois : a XIIth century French version of Egidio Colonna’s treatise de Regimine principum, éd. S. P. Molenaer, Londres, MacMillan & Co., 1899, II, v, p. 35 l. 31-p. 36 l. 5, cité p. 114.
204 Pour rappel, voir le rapprochement proposé par Guillaume de Diguleville à la flèche de Bel Semblant dans sa description de la boiste de Trahison : Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 10 169-10 208, cité p. 490.
205 Ibid., v. 5 401-5 520, mentionné p. 131.
206 Ibid., v. 3 245-3 260.
207 Ibid., v. 3 102.
208 Ibid., v. 3 055.
209 Ibid., v. 3 073.
210 Ibid., v. 3 056.
211 Ibid., v. 3 118 et p. 297, n. 2.
212 Ibid., v. 3 197-3 200.
213 Ibid., v. 3 231.
214 Ibid., v. 3 234-3 240.
215 Ibid., v. 3 241-3 244.
216 Pour rappel, une fois encore : ibid., v. 10 169-10 208, cité p. 490.
217 Ibid.
218 Ibid., v. 3 055 et v. 3 074.
219 Pour rappel : Lancelot du Lac, op. cit., chap. 10, f. 17d, p. 166, cité p. 132.
220 Pour rappel, une fois encore : Gautier de Coinci, op. cit., t. 1, I, M. 10, v. 1 849-1 884, cité p. 143. Nous trouvions également cette association dans le Roman de Fauvel : Le Roman de Fauvel, op. cit., v. 1 611-1 634, cité p. 460. Et rappelons surtout qu’elle se lisait déjà chez Faux Semblant et Abstinence Contrainte. Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 105-12 134 et v. 19 346-19 372, cités p. 290-291 et p. 342-344.
221 Pour rappel, une fois encore : Guillaume de Diguleville, op. cit., dans notre analyse citée p. 488-489.
222 Pour rappel : Mt 6:5-6, cité p. 486.
223 Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 3 245-3 270.
224 Pour rappel : ibid., v. 963-964, cité p. 485.
225 Pour rappel : Gautier de Coinci, op. cit., t. 4, II, M. 29, v. 326-333, cité p. 145.
226 Pour rappel : M. L. Colish, op. cit., p. 161-162, cité p. 444.
227 Pour rappel, voir notamment l’usage qu’il en fait dans la confession de Malebouche : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 328-12 339, cité p. 298.
228 Pour rappel, une fois encore : p. 137.
229 Pour rappel, une fois encore : p. 145-146.
230 Pour rappel : Guillaume de Machaut, Dit dou Lyon, v. 1 131-1 138, dans Œuvres, éd. E. Hoepffner, Paris, S.A.T.F., 1908-1921, cité dans le chapitre précédent, p. 369.
231 Pour rappel : Gautier de Coinci, op. cit., t. 4, II, M. 29, v. 326-333, cité p. 145.
232 Pour rappel : Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 5 401-5 520, mentionné p. 131.
233 Pour rappel : ibid., v. 7 145-7 148, cité p. 501.
234 Pour rappel : Martin le Franc, Le Champion des Dames, éd. R. Deschaux, Paris, Champion, 1999, III, mcdxciv, v. 11 948-11 952, cité p. 422.
235 Pour rappel : Chrétien de Troyes, Cligès, éd. W. Foerster et trad. M. Rousse, Paris, Flammarion, 2006, v. 601-615, cité p. 188.
236 Pour rappel : Gautier de Coinci, op. cit., t. 3, I, M. 31, v. 189-191, cité p. 146.
237 Pour rappel : Martin le Franc, op. cit., III, mdccxix, v. 13 751-13 752, cité p. 423.
238 Pour rappel : ibid.
239 Pour rappel, voir l’analyse que nous y dédiions dans le chapitre précédent : p. 411-413.
240 Pour rappel : Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 10 007-10 010, cité p. 489.
241 Pour rappel : Gautier de Coinci, op. cit., t. 2, I, M. 11, v. 1 298 et v. 1 303, cités p. 142.
242 Pour rappel, voir notre analyse à ce sujet dans le chapitre sur la garde : p. 114-117.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15161-6
- EAN : 9782406151616
- ISSN : 2492-0150
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15161-6.p.0433
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/11/2023
- Langue : Français