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- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Théorie épicurienne du vivant. L’âme avec le corps
- Pages : 439 à 441
- Collection : Les Anciens et les Modernes - Études de philosophie, n° 54
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À la lumière de l’analyse de ce quatrième chant, on peut, à mon avis, affirmer que l’explication des phénomènes qui concernent le vivant dérive des théories que Lucrèce expose dans le chant III. Les théories fondamentales sont au nombre de deux : d’une part, la théorie de l’unité-mélange-continuité de l’âme et du corps et d’autre part, la théorie de l’activité conjointe et hiérarchisée de l’âme (animus-anima) et du corps. En effet, on a vu comment, d’abord, tous les phénomènes qui sont traités, de la sensation à la pensée et de la digestion au désir sexuel, s’expliquent par l’activité conjointe de l’âme et du corps. Cette activité conjointe est possible pour trois raisons différentes (cf. première partie de la présente étude). La première est le mélange. C’est ce qui permet à l’âme et au corps d’être composés, tous les deux, d’éléments différents qui expliquent les différents aspects et activités de l’être vivant, sans que ces éléments agissent seuls et de façon isolée et désordonnée. La deuxième raison de l’activité conjointe âme-corps dérive de cette première. Elle tient au fait qu’il y a continuité de mouvement parmi les matières qui composent l’âme et le corps. Cette continuité de mouvement, qui permet le consensus entre l’âme et le corps, est représentée par Lucrèce, comme on l’a dit, sous forme de mouvements « en chaîne », de la matière la plus mobile (de l’âme) à la matière la moins mobile (du corps). La troisième raison qui dérive des deux premières est l’unité âme-corps, à savoir le fait que l’âme et le corps sont, une seule nature, etont la capacité de sentir et d’agir comme « une seule chose » au-delà des différents composants qui les constituent.
Ces trois conditions sont fondamentales pour rendre compte de la sensation, par exemple, qui a lieu quand les éléments sont mélangés et agissent tous ensemble dans un mouvement continu, transmettant la stimulation perceptive des éléments les plus subtils aux moins subtils, (c’est-à-dire de l’âme au corps). Cela, comme on l’a dit à plusieurs reprises, permet à l’âme de sentir avec le corps et non à travers le corps.
440Ces conditions sont fondamentales aussi pour les phénomènes vitaux, comme la nutrition, par exemple, qui exemplifie parfaitement l’unité âme-corps. Comme on l’a vu, la faim est une affection douloureuse, communiquée par l’anima et par le corps à l’animus, qui signale une excessive perte de matière dans l’être vivant. La nutrition est donc la réintégration de la matière perdue par l’âme et par le corps pendant l’exercice de ses activités. La digestion, qui permet la modification et la diffusion de l’aliment, se fait à l’intérieur du corps, dans l’estomac, grâce à l’interaction des atomes de chaleur qui composent l’âme avec les atomes de chaleur contenus dans les aliments ou dans les boissons. La sensation de faim ne pourrait pas avoir lieu si l’âme et le corps n’avaient pas entre eux la continuité qu’il faut pour communiquer la douleur causée par la perte de matière. La réintégration de cette matière ne serait pas non plus possible, sans le mélange des éléments psychocorporels comme les atomes (psychiques) de chaleur qui, mélangés au corps, se rassemblent dans l’estomac, et sans l’unité entre l’âme et le corps qui, comme un seul tout, se partagent la matière de l’aliment. Toutefois, le mélange et la continuité qui concernent l’aspect substantiel de l’âme ne sont pas les seules conditions de l’unité de l’âme et du corps.
L’autre théorie fondamentale à la base de l’unité de l’âme est du corps est celle de l’activité non seulement conjointe, mais encore hiérarchisée de l’animus, de l’anima et du corps. Cela mérite une attention particulière. En effet, j’ai montré (Cf. deuxième section de la deuxième partie de ce travail), comment Épicure a introduit la bipartition de l’âme pour éviter le risque de voir confondues les activités rationnelles, comme la pensée, l’opinion et les émotions (comme la peur et la joie), et les activités a-rationnelles comme la sensation et les affections (le plaisir et la douleur). Cela, en effet, aurait constitué une menace importante pour le système épicurien, principalement pour ses objectifs éthiques.
Cette bipartition donne lieu à une hiérarchisation très rigide. Dans le domaine épistémologique cette hiérarchie n’apparaît pas clairement puisque, même si la pensée joue un rôle important dans la connaissance, elle n’est pas considérée comme supérieure à la sensation. Au contraire, dans l’étude du vivant, cette hiérarchie est évidente. Comme on l’a vu à plusieurs reprises, Lucrèce décrit les trois éléments qui constituent l’être vivant, l’animus, l’anima et le corps comme rigidement hiérarchisés. L’animus est le caput qui domine l’anima et le corps. Cette hiérarchisation 441ne doit pas être comprise seulement dans un sens directif et moteur, à savoir dans le sens où l’animus est le centre décisionnel qui contrôle le corps à travers l’anima, et qui le fait bouger comme il le veut (comme on l’a vu dans le cas de la locomotion). Cette hiérarchisation explique aussi le fonctionnement biologique du vivant. Cela est particulièrement évident dans le cas du sommeil. On a vu comment la sortie de l’anima du corps, dépend de la mise en branle des atomes de l’animus, et comment une perte partielle de l’anima ne conduit pas à la mort mais seulement à une perte de sensation, si l’animus est dans son siège. Cela veut dire non seulement que, si l’animus quitte le corps, l’anima le suit mais aussi que si l’anima peut sortir, c’est à cause de l’animus (cf. l’explication de la respiration).
On a observé comment le corps est la condition de l’unité de l’âme. Cependant, étant donnée sa porosité, le corps n’est pas le principe de vie de l’être vivant mais seulement une de ses conditions. On a donc vu que le principe de vie consiste dans la capacité de l’être vivant à réintégrer la matière qu’il perd continuellement par l’alimentation et la respiration. La hiérarchisation devient particulièrement évidente dans le cas du sommeil puisque la réintégration est assurée par le fait que l’animus, malgré la sortie des atomes d’anima, reste dans son siège et maintient en vie l’individu, même privé de la conscience. Toutefois, comme dans le cas de la quatrième nature, qui ne peut pas seule accomplir la perception, mais a besoin des autres éléments et du corps, l’activité de l’animus n’est pas évidemment suffisante. En effet, il faut que l’anima et le corps interagissent à leur tour pour que les phénomènes vitaux aient lieu correctement.
L’importance de l’activité conjointe et hiérarchisée de l’animus, de l’anima et du corps, est mise en lumière par les théories exposées par Lucrèce dans le chant IV. L’étude des phénomènes vitaux, qui au premier regard semblait placée aux extrêmes frontières des intérêts des épicuriens, au point d’empêcher les savants d’identifier une unité du chant IV, constitue au contraire, l’application et la démonstration des théories psychophysiologiques du chant III.
- Thème CLIL : 3916 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Histoire de la philosophie
- ISBN : 978-2-406-14139-6
- EAN : 9782406141396
- ISSN : 2260-8311
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14139-6.p.0439
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/01/2023
- Langue : Français