Préface de la première édition (1871)
- Publication type: Book chapter
- Book: La Théorie de l’économie politique traduite par Léon Walras
- Pages: 55 to 57
- Collection: Writings on Economy, n° 20
- Series: 1, n° 12
[ V ] PRÉFACE
DE LA PREMIÈRE ÉDITION (1871)
Le contenu des pages suivantes ne saurait être accepté sans difficulté par ceux qui considèrent la science de l’économie politique [Political Economy] comme ayant déjà atteint une forme à peu près parfaite. Je pense qu’il est généralement admis qu’Adam Smith a posé les fondements de cette science ; que Malthus, Anderson et Senior ont ajouté des doctrines importantes ; que Ricardo a systématisé le tout ; et qu’aujourd’hui M. J. S. Mill a terminé dans les derniers détails et complètement exposé cette branche de nos connaissances. Telle paraît avoir été l’idée de M. Mill lui-même, car il affirme nettement qu’il n’y avait rien dans les lois de la valeur qui restât à éclaircir pour lui ou pour aucun écrivain à venir. Sans doute, il est difficile de ne pas incliner à croire que des opinions adoptées et soutenues <reproduites> par tant d’hommes éminents ont une grande somme de probabilité en leur faveur. Cependant, dans les autres sciences, cette [VI] somme d’autorité <variante illisible> n’a pas été considérée comme de nature à restreindre le libre examen des opinions et théories nouvelles, et il a été souvent établi à la fin que l’autorité avait tort.
Il y a certaines portions de la doctrine économique qui nous semblent aussi scientifiques dans la forme que conformes aux faits. Je voudrais mentionner ici spécialement les théories de la population et de la rente, cette dernière d’un caractère véritablement mathématique et qui semble fournir une indication de la manière la plus correcte de traiter la science toute entière. Si M. Mill s’était borné à affirmer l’indiscutable vérité des lois de l’offre et de la demande, je serais d’accord avec lui. En tant que fondées sur les faits, ces lois ne sauraient être ébranlées par aucune théorie ; mais il ne s’ensuit pas de là que notre conception de la valeur soit parfaite et définitive. D’autres doctrines généralement admises m’ont toujours semblé purement illusoires, spécialement celle appelée théorie du fonds de roulement des salaires [wage fund theory]. Cette théorie 56prétend fournir la solution du problème principal de la science – celui de la détermination des salaires du travail ; mais à l’examiner de près, on reconnaît que sa conclusion est un pur truisme, [à] savoir que le taux moyen des salaires se trouve en divisant le montant total de la somme destinée au paiement des salaires par le nombre de ceux entre qui cette somme se partage. Quelques autres <soi-disantes> conclusions de la science sont [VII] d’un caractère moins inoffensif comme, par exemple, celles qui concernent l’avantage de l’échange (Voyez [la section sur le Gain produit par l’échange] p. 153)1.
J’ai essayé dans ce livre de traiter l’économie politique [Economy] comme un calcul de plaisir et peine et j’ai esquissé, en faisant pour ainsi dire abstraction des opinions antérieures, la forme que la science est, à mon sens, appelée à recevoir définitivement. J’ai longtemps pensé <je pense depuis longtemps> que, comme elle traite d’un bout à l’autre de quantités, elle doit être <ne saurait être> qu’une science mathématique quant à son objet, sinon dans son langage. Je me suis efforcé d’arriver à d’exactes notions quantitatives concernant l’utilité, la valeur, le travail, le capital, etc., et j’ai souvent été surpris de voir quelle clarté résultait de l’analyse et de l’expression mathématique pour quelques-unes des notions les plus difficiles, spécialement pour celles si embarrassantes de la valeur. La théorie de l’économie politique [Economy] ainsi traitée offre une complète analogie avec la statique [science of statical Mechanics], et les lois de l’échange se trouvent ressembler aux lois de l’équilibre d’un levier, tel qu’il est déterminé par le principe des vitesses virtuelles. La nature de la richesse et de la valeur s’explique par la considération des montants <quantités> infiniment petits de plaisir et de peine, exactement comme la théorie de la statique se fonde sur l’égalité des montants <quantités> infiniment petits de force [energy]. Mais je pense qu’il y a des branches dynamiques de l’économie politique [science of Economy][VIII] qui pourraient être développées et que je me suis complètement abstenu de considérer.
Des lecteurs mathématiciens penseront peut-être que j’ai expliqué quelques notions élémentaires, comme par exemple, la notion du degré d’utilité avec une prolixité inutile. Mais c’est précisément à la négligence qu’ont mis des économistes à obtenir des notions claires et exactes de la quantité d’utilité et du degré d’utilité que je me permets d’attribuer les 57difficultés et imperfections actuelles de la science, et c’est à dessein que j’ai insisté tout au long sur ce point. D’autres lecteurs trouveront sans doute que l’introduction faite de temps en temps de symboles mathématiques obscurcit le sujet au lieu de l’éclaircir. Mais je dois prier ces lecteurs de considérer que comme les mathématiciens et les économistes ont formé jusqu’ici deux classes distinctes de personnes, ce n’est pas une petite difficulté de composer un livre de mathématique appliquée à l’économie politique <mathématique>2 au sujet duquel ces deux classes de lecteurs ne puissent <élever> avoir quelques motifs de plainte.
Il est bien probable que je suis tombé dans des erreurs de plus ou moins grande importance que je serais heureux qu’on voulût bien me signaler ; et je puis dire que la difficulté principale de toute la théorie est touchée <traitée> dans la section du chapitre iv sur la Raison d’échange commençant à la page 913[(p. 98 de cette édition)]. Un mathématicien bien compétent, mon ami le professeur Barker, du [IX] Collège Owens, a eu la bonté d’examiner avec soin quelques-unes de mes épreuves ; mais il ne doit pas être pour cela rendu responsable de l’incorrection d’aucune partie du livre.
Mon énumération des essais antérieurs d’application du langage mathématique à l’économie politique [Political Economy] ne prétend pas être complète, même en ce qui concerne les écrivains anglais, et je m’aperçois que j’ai oublié de mentionner un remarquable opuscule intitulé On Currency <(De la circulation)> publié sans nom d’auteur4 en 1840 (Londres, Charles Knight and Co) dans lequel est essayée une analyse mathématique des opérations de la Bourse [Money Market]. La méthode de traitement ne diffère pas de celle adoptée par le docteur Whewell dans les deux mémoires que j’ai mentionnés ; mais l’auteur introduit des différences finies ou de temps à autre infiniment petites. Sur le succès de cette théorie anonyme, je n’ai pu me former d’opinion ; mais le sujet est un de ceux qui doivent un jour ou l’autre être résolus par l’analyse mathématique. Garnier dans son Traité d’économie politique mentionne quelques mathématiciens du Continent qui ont écrit sur l’économie politique [Political Economy] ; mais je n’ai pu découvrir même les titres de leurs ouvrages.
1 Sur le manuscrit, Walras indique ici « p. 134 », car il se réfère à la section intitulée The Advantage of Exchange de la première édition de TheTheory of Political Economy (1871).
2 En fait, Jevons écrit : there is no slight difficulty in preparing a mathematical work on Economy
3 Jevons se réfère à la section Of the Ratio of Exchange dans la 1re édition de The Theory of Political Economy.
4 L’auteur est John William Lubbock (1803-1865), banquier, mathématicien et astronome anglais.
- CLIL theme: 3341 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique -- Histoire de la pensée économique
- ISBN: 978-2-406-14133-4
- EAN: 9782406141334
- ISSN: 2261-0995
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14133-4.p.0055
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-11-2023
- Language: French