[Introduction de la troisième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: La Souveraineté à l’ère du néolibéralisme
- Pages: 325 to 325
- Collection: Constitution of Modernity, n° 30
La promotion théorique et pratique du néolibéralisme porte massivement atteinte aux attributs classiques de la puissance souveraine. La libéralisation de l’économie implique la création d’instances indépendantes rivalisant avec la puissance normative des États ; la financiarisation des échanges dépossède les pouvoirs publics de la maîtrise de leurs fonds souverains ; la gouvernance indirecte des populations prive les citoyens de l’exercice de la souveraineté populaire, etc.
L’étude des théories modernes de la souveraineté a cependant permis d’établir que la puissance souveraine ne se caractérise pas tant par ses prérogatives que par sa structure paradoxale. La puissance législative, la maîtrise des armées, la protection du territoire, la création monétaire sont des attributs possibles de la souveraineté mais ne la définissent pas en propre. La souveraineté est l’entrecroisement de trois paradoxes dont la résolution a pu prendre des formes éminemment variées à travers l’histoire.
Loin d’entraîner le déclin du motif de la puissance souveraine, la promotion du paradigme néolibéral s’accompagne d’un effort important de reconceptualisation. La gouvernementalité néolibérale n’abolit pas le concept moderne de souveraineté, elle en exacerbe au contraire les contradictions. Les crises économiques et politiques européennes mettent à vif les tensions constitutives de la puissance souveraine. L’Europe néolibérale est une mosaïque de souverainetés dont les carreaux tendent à se chevaucher : à la souveraineté étatique et populaire s’ajoutent la souveraineté du gouvernement telle qu’elle fut promue par Walter Lippmann, la souveraineté des consommateurs élaborée par les ordolibéraux allemands, la souveraineté individuelle libertarienne et enfin l’idée d’une souveraineté individuelle découlant des droits humains fondamentaux telle qu’elle fut défendue par Kofi Annan au tournant des années 2000.
La souveraineté n’est pas un concept désuet : la scène publique contemporaine voit au contraire s’affronter de multiples conceptions rivales.