[Introduction de la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Souveraineté à l’ère du néolibéralisme
- Pages : 173 à 173
- Collection : Constitution de la modernité, n° 30
Étudier les configurations contemporaines de la souveraineté suppose de s’intéresser à sa conceptualisation classique. Comprendre les raisons pour lesquelles les théoriciens modernes forgèrent l’idée d’une puissance souveraine constitue la condition minimale d’appréciation de son devenir.
La diversité du corpus moderne implique de prêter attention aux difficultés qui suscitèrent cette invention conceptuelle. La souveraineté n’est pas une production ad hoc : elle répond à un ensemble de situations problématiques que sont la constitution d’un corps social unifié, la promotion des libertés civiques et l’organisation du pouvoir sur le territoire. Une telle approche tout à la fois génétique et problématique permet de faire émerger une définition générale et transhistorique de la puissance souveraine à même de nous servir de pierre de touche dans l’étude des évolutions géopolitiques contemporaines.
Le motif de la puissance souveraine se construit comme une réponse toujours ambigüe et précaire aux problèmes posés par la représentation, par la liberté et par les rapports du pouvoir au territoire. Toute théorie de la souveraineté est faite de l’entrelacs de trois paradoxes : chaque caractéristique de la puissance souveraine fonde la légitimité du pouvoir tout en introduisant les mécanismes de sa perversion. Ainsi, le représentant est par exemple celui qui unifie le corps social tout en disposant du pouvoir de confisquer la parole collective. Le souverain est quant à lui doté d’un pouvoir absolu nécessaire à l’établissement de la loi commune mais dispose alors de facto de la puissance d’asservir ses sujets. Enfin, pour être perçue comme une puissance normative, la souveraineté doit être une et indivisible. Cependant, pour s’exercer, il est nécessaire qu’elle se disperse sur le territoire. La souveraineté se comprend dès lors comme un concept éminemment paradoxal fait du concours de trois tensions indépassables : le paradoxe de la représentation, le paradoxe de la liberté et le paradoxe du gouvernement.
Une telle définition offre l’appareil conceptuel nécessaire à la mise à l’épreuve des usages contemporains du vocable de la puissance souveraine.