La vertu de prudence émerge dans un enchaînement causal et circule dans des réseaux de diffusion. L’expérience à travers le temps et la connaissance des singuliers en constituent les fondements chez Aristote1. De même, dans le système aristotélico-thomiste, la prudence et l’ensemble des vertus s’enchevêtrent dans une causalité interdépendante : pour être vertueux il faut être prudent et pour être prudent il faut être vertueux2. Don spirituel autant que fruit de l’action, la prudence dans la Summa remonte à diverses sources et revêt deux degrés principaux quant à ses origines. Thomas d’Aquin distingue d’une part la prudence infuse et « suffisante pour ce qui est nécessaire au salut », laquelle « est donnée à tous ceux qui possèdent la grâce ». D’autre part, il distingue une prudence acquise et « plus complète, par laquelle on est capable de subvenir à soi-même et aux autres, non seulement pour ce qui est nécessaire au salut, mais encore pour tout ce qui a rapport à la vie humaine ». Il précise que cette prudence acquise « ne se trouve pas chez tous ceux qui possèdent la grâce » dans la mesure où elle « a pour cause l’exercice des actes3 ». Productrice d’actes et de dispositions vertueuses, la prudence fait également l’objet d’une transmission générationnelle, étant donné l’infinité des singuliers :
C’est pourquoi la prudence est une matière où l’homme a besoin plus qu’ailleurs d’être formé par autrui ; les vieillards surtout sont qualifiés pour l’éclairer, eux qui sont parvenus à la saine intelligence des fins relatives à l’action4.
La présente partie examinera les origines, les ramifications et les modes de transmission de la prudence envisagés par nos deux auteurs.